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Michelle Marquais, mort d'un grand caractère

Michelle Marquais, mort d'un grand caractère | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans Le Figaro - 1er février 2022

 

 

DISPARITION - La comédienne s'est éteinte samedi dernier. Elle avait 95 ans. Une vie consacrée au théâtre, du jeu à l'enseignement en passant par la mise en scène.

 

Elle était impressionnante et douce. Une longue silhouette, déliée, un visage à la beauté classique, entre Athènes et Rome, un visage qui pouvait sembler sévère, mais que son esprit, son intelligence, sa lucidité, son goût du rire, métamorphosaient sans cesse. Une voix superbe, moirée du grave au plus tendre. Il y avait en elle une immortelle jeunesse, malgré le temps qui avait passé.

 

Une très grande comédienne, qui s'était décidée tard à se vouer au théâtre. Michelle Marquais avait été journaliste avant de passer le concours du conservatoire. Elle était déjà mariée avec un peintre de très grand talent, Pierre Lesieur. Un homme de la couleur et des vibrations du monde, paysages comme intérieurs, qui s'est éteint en septembre 2011. Michelle Marquais fut très importante dans son œuvre, car elle était sa muse, son modèle et sa belle présence, énigmatique et sensuelle, hante de nombreux tableaux, aux cimaises de célèbres musées dans le monde.

 

 

Michelle Marquais s'est éteinte samedi 29 janvier, chez elle, à Paris, entourée de sa famille et en particulier de ses deux filles, Manuelle et Sarah. Elle aurait eu 96 ans en mai prochain.

On ne peut circonscrire en quelques lignes sa brillante carrière sur les planches. Elle travailla beaucoup avec Pierre Debauche, à l'orée des années 60 : Gorki, Andreïev. Dix ans plus tard, Shakespeare et Le Roi Lear. Mais entretemps, elle a fait la grande rencontre de sa vie. Ou, plus exactement, Patrice Chéreau a trouvé en cette femme rayonnante l'idéal de l'art du jeu. Michelle Marquais, comme avec Pierre Lesieur, est pour l'ardent metteur en scène, une inspiratrice, de ses tout débuts, jusqu'à Rêve d'automne en 2011. Ainsi Michelle Marquais joua-t-elle dès 68 dans Le Prix de la révolte au marché noir de Dimitris Dimitriadis, dans Richard II de Shakespeare en 70, dans Toller de Tankred Dorst en 73, dans l'inoubliable Quartett d'Heiner Müller avec son ami Roland Bertin, à Nanterre. Ensemble, un moment, ils donneront des cours d'art dramatiques très fertiles. Michelle Marquais, qui s'est peu consacrée au cinéma, est la nourrice, dans La Reine Margot de Chéreau en 1994.

 

 

D'autres metteurs en scène l'ont engagée : Gérard Vergez, Gabriel Garran Roger Planchon, Claude Confortès, Lucian Pintilié, Luc Bondy, Bruno Boeglin, Patrice Kerbrat, Brigitte Jaques, Emmanuel Demarcy-Mota et, au cinéma, elle avait tourné avec Rossellini dans La Prise de pouvoir par Louis XIV, jusqu'à Villa Amalia de Benoît Jacquot, en 2009, en passant par Le Pull-over rouge de Michel Drach où elle incarnait la mère de Christian Ranucci.

 

 

Metteur en scène, elle avait monté ses contemporaines, Madeleine Laïk, Hélène Cixous et signé Don Carlos de Schiller au festival d'Avignon avant de retrouver un texte d'Andreiev. En 2011, on l'avait applaudie dans une lecture de Dea Loher à Théâtre Ouvert. Depuis, elle s'était retirée, entre Paris et sa maison de Saint-Rémy, avec ses chats et les tableaux de Pierre Lesieur, attentive au monde et aux autres.

 

 

Armelle Héliot

 

 

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Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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«Les Vagues» sur scène : Virginia Woolf au fil de l’eau 

Par Lara Clerc dans Libération - 21 mai 2024

 

Dans une courte mise en scène et à l’aide de marionnettes de glace, Elise Vigneron retrace chaque étape de la vie des personnages du roman.

 

Une boule de glace se brise sur scène, et, au même moment, un frigo s’illumine. A l’intérieur, cinq enfants sont gelés, comme endormis. Une première vision presque horrifique de cette adaptation du roman expérimental les Vagues de Virginia Woolf, pourtant les gestes des marionnettistes sont tellement délicats quand ils viennent tirer leurs doubles de leur sommeil. Ils manipulent ces petits êtres de glaçons, qui bougent parfois par à-coups, parfois gracieusement, à l’unisson avec leurs maîtres ou non, ils voltigent, tombent… Et fondent, réchauffés par la lumière des projecteurs.

 

 

 

C’est sans doute à cause de ces marionnettes de glace que la mise en scène d’Elise Vigneron réduit le texte écrit en 1931 par Virginia Woolf à peau de chagrin – une heure de représentation seulement –, au péril de la profondeur de ses personnages. Si un des six protagonistes originels est effacé, les cinq restants peinent à devenir complexes, à quitter la surface, faute de temps, ce qui leur permet paradoxalement de mieux se fondre les uns dans les autres, devenant plusieurs facettes d’une même humanité, d’abord enfant puis adulte. A chaque étape de la vie, ils prononcent une courte tirade, peut-être même une réplique, s’attardant sur ces évènements qui sont presque des détails de l’enfance, mais qui forgent une personnalité (petite, Jinny a embrassé Louis, une heureuse découverte pour elle, mais une déchirure pour Suzanne, qui ne peut réfréner sa jalousie).

Une mare sur scène

Mais aux longs monologues originels, la mise en scène favorise souvent le mouvement. Celui de ses marionnettes, qui sont envoyées dans les airs, mettent un genou à terre, se recroquevillent… Mais aussi celui de ceux qui en tirent les (très nombreuses) ficelles, qui saisissent les corps gelés, les entraînent et dansent avec eux. On retrouve alors cette fragilité des personnages, comme celle de Rhoda alors qu’elle est tiraillée dans les airs, enfant proche d’Antigone qui se refuse au moindre compromis.

 

 

Elle, comme les autres, se désintègre à mesure que le temps passe. Une mare se forme sur scène, alimentée par les «plic-ploc» des gouttes qui tombent des blocs glaçons. Ça y est, les enfants amaigris sont devenus grands. Il leur manque un pied, un bras, un torse… Ils se réunissent une fois de plus, et découvrent le décès de Percival, personnage jusque-là jamais évoqué, mais l’évènement achève de les vieillir.

La brume qui entoure le récit prend un nouveau tour, alors que la marionnettiste Azusa Takeuchi dispose très lentement des corbeaux dans l’eau laissée par les marionnettes en suspension, dans un silence le plus complet. Elle aura magnifiquement dansé avec Jinny, la détruisant pour de bon dans la lumière crépusculaire. Comme ses quatre compagnons de scène, Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro, Zoé Lizot et Chloée Sanchez, elle se sera aussi contorsionnée, manipulant les fils avec ses mains, ses bras, ses pieds. Les questions existentielles ont réduit les cinq enfants-glaçons en êtres de fils de fer.

 

Lara Clerc / Libération

Les Vagues mis en scène par Elise Vigneron, d’après Virginia Woolf, théâtre de la Tempête, 75012, jusqu’au 26 mai, puis les 10 et 11 octobre au Mfest (Amiens), le 8 novembre à Les Salins (Martigues), le 19 novembre à Scènes 55 (Mougins), les 22 et 23 novembre au Théâtre de Nice et les 27 et 28 novembre au Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence)
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«La Réunification des deux Corées» de Joël Pommerat, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre 

«La Réunification des deux Corées» de Joël Pommerat, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération- 21 mai 2024

 

Créée il y a une douzaine d’années, la pièce, qui porte sur la puissance de l’amour et son absence, revient au Théâtre de la porte Saint-Martin avec les mêmes acteurs qu’à l’origine. Plus poignante encore.

 

On les avait quittés il y a une douzaine d’années, et les voici qui reviennent comme dans un songe. Ce sont les mêmes, les mêmes acteurs dans les mêmes rôles, les mêmes mots, les mêmes obsessions, mais lestés du poids des années, comme cette femme qui, inlassablement – qu’elle ait 30, 50, 60 ans – éprouve le besoin de faire croire et de se persuader qu’elle est mère et convoque une nouvelle baby-sitter afin qu’elle garde son enfant fictif. Lors de sa création à l’Odéon-Berthier, la Réunification des deux Corées écrit et mis en scène par Joël Pommerat était un triomphe, le genre de spectacle où il est impossible de dénicher une place, ce qui n’est pas si fréquent au théâtre. Et c’était un triomphe paradoxal porté entièrement par des situations familières et étranges d’échecs. Les acteurs – Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu – fabuleux de subtilité, tous partie intégrante de l’aventure de Joël Pommerat depuis ses débuts, avaient l’âge des situations qu’ils jouaient. On recevait de plein fouet cette traversée cruelle et épurée des émotions les plus partagées.

Intense mélancolie

Est-ce seulement possible ? Une douzaine d’années plus tard, la pièce, constituée d’une succession de scènes qui portent sur le délitement des liens amoureux, la crainte de l’abandon, l’aridité d’une vie sans amour, est devenue encore plus poignante. L’oripeau des années écoulées teinte le noyau même de la pièce d’une intense mélancolie, un peu à la manière des nouvelles de l’écrivain américain Raymond Carver. L’excellente idée de Joël Pommerat est d’avoir conservé au fil du temps exactement la même distribution qu’à la création de la pièce. Si bien que tout se passe comme si, en notre absence, les personnages avaient continué à buter sur les mêmes incongruités, souffrances, déchirements, absurdités sur une même scène intérieure. De manière légèrement fantomatique, ils portent des costumes impossibles à dater, qui correspondent, imagine-t-on, à leur jeunesse perdue. La pièce n’a pas vieilli, mais elle s’est comme creusée, élimée au fil du temps.

Exigence artistique

Comme toujours chez Pommerat, la scène est vide, sans décor, et le trouble surgit du noir profond et total du théâtre, d’un bruit de talon dans l’obscurité ou d’un rond de lumière soudain, petite lampe de poche qui éclaire les ténèbres. On croit voir des escaliers, l’arrière-fond d’un mariage qui n’aura pas lieu, un terrain vague où une prostituée s’échine à ce qu’un potentiel client lui dise qu’elle est avant tout désirée. Ou encore un appartement bourgeois. On les hallucine. Le sculptage du son et de la lumière propulse l’imagination de manière bien plus puissante que tout décor réel. Lors de la création aux ateliers Berthier, la pièce se jouait en bifrontal, les spectateurs dans des gradins face-à-face enserraient les personnages, qu’on suivait de profil.

 

Aujourd’hui, dans la grande scène du Théâtre de la porte Saint-Martin, ils sont face à nous, mais aussi parmi nous, dans la travée centrale. C’est une nouvelle mise en scène conçue pour l’espace de ce lieu avec une jauge de 700 places alors que le dispositif d’origine ne pouvait accueillir que 200 spectateurs environ. De Contes et Légendes à la Réunification des deux Corées, le théâtre privé de la porte Saint-Martin propose donc depuis janvier et jusqu’à la mi-juillet sept mois entièrement dévolus à Joël Pommerat, metteur en scène exigeant, tandis que ce même théâtre a ouvert sa saison avec une création, Un chapeau de paille d’Italiemontée par Alain Françon, lui aussi plutôt habitué aux scènes subventionnées publiques et qui, lui aussi, ne transige pas sur l’exigence artistique. Dans les deux cas, les spectacles jouent salle comble et longtemps. Un choix et des exceptions notables si l’on songe à la durée de vie de plus en plus éphémère de la plupart des créations. On y reviendra.

 

Anne Diatkine / Libération 

La Réunification des deux Corées de et mis en scène par Joël Pommerat, au Théâtre de la porte Saint-Martin (75010), jusqu’au 24 juillet.
 
Légende photo : Les acteurs de «la Réunification des deux Corées», fabuleux de subtilité, sont tous partie intégrante de l’aventure de Joël Pommerat depuis ses débuts. (Agathe Pommerat)
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“Terrasses” de Laurent Gaudé : au Théâtre de la Colline, le récit poignant de la nuit des attentats du 13 novembre

“Terrasses” de Laurent Gaudé : au Théâtre de la Colline, le récit poignant de la nuit des attentats du 13 novembre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama - 21 mai 2024

 

Retour sur les attentats de novembre 2015 à Paris. Un spectacle choral déchirant, sobrement mis en scène par le Canadien Denis Marleau.


TTT Très Bien

 

"Moi, je ne savais pas encore. Je repassais dans ma boutique. Et puis une cliente est arrivée au moment où je fermais. Elle avait l’air secouée, comme si on venait de lui voler son sac. “Vous avez vu ?”, m’a-t-elle demandé. Je ne savais pas de quoi elle parlait. “Il y a des attentats à Paris…” » Cette mère de jumelles s’apprête à recevoir la plus déchirante des nouvelles. Comme cent trente personnes ce soir du 13 novembre 2015, ses filles viennent de perdre la vie. À ces victimes s’ajouteront des centaines de blessés, des milliers de traumatisés et autant de proches endeuillés : une communauté s’est constituée malgré elle, dans l’horreur. Près de dix ans après, se joue à La Colline à Paris un spectacle retraçant à hauteur d’homme cette nuit noire de l’histoire de France.

 

 

Sur scène, pas moins de dix-sept comédiens donnent chair au très beau texte de Laurent Gaudé. Et il fallait probablement un étranger, le Canadien Denis Marleau, pour le transposer au plateau. Lui qui n’a pas vécu directement ces attentats a opté pour une évidente sobriété dans sa mise en scène, afin de ne pas écraser des mots déjà lourdement chargés. La scénographie se concentre ainsi sur des plateformes nichées dans le sol, qui se lèvent, basculent et déplacent les personnages.

Des comédiens bouleversants

En fond, sur un gigantesque écran, de vagues images en noir et blanc sont projetées au long des dix tableaux que compte le spectacle. Elles suggèrent plus qu’elles n’illustrent un lieu, une atmosphère : les rues de Paris, les façades d’immeubles, puis les chaises en canevas tressé d’un restaurant, les murs de ce qu’on devine être l’intérieur du Bataclan où un groupe de personnages dansent jusqu’à l’ivresse, avant les premiers tirs et les gyrophares des voitures de police… Sans jamais tirer la corde facile de l’émotion, les comédiens – citons notamment Axel Ferreira, Lucile Roche, Monique Spaziani, simplement bouleversants – reconstituent avec justesse et engagement cette nuit-là. Tout y est : couples, parents, enfants, pompiers, policiers, médecins, infirmières…

 

Pour raconter l’ampleur de cette tragédie, Laurent Gaudé a fait le choix des faits. Les personnages sont œuvres de fiction, mais pas les événements qui les frappent de plein fouet. Si le cinéma et la littérature se sont emparés du sujet ces dernières années, le théâtre, lui, n’avait encore jamais accueilli de spectacle de cette envergure. C’est désormais chose faite avec Terrasses à La Colline. Les six cent cinquante-cinq spectateurs de la grande salle vibrent à l’unisson. Seul le théâtre permet une telle expérience.

2h05. Mise en scène Denis Marleau. Jusqu’au 9 juin à La Colline, Paris 20e.
  • Terrasses

     

    de Laurent Gaudé

     

    La Colline - Théâtre national, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

    Du 15/05/2024 au 09/06/2024

 
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Création d’une commission d’enquête sur les violences dans le cinéma et le spectacle vivant

Création d’une commission d’enquête sur les violences dans le cinéma et le spectacle vivant | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'ARTCENA - 6 mai 2024

 



POLITIQUE CULTURELLE
Cette résolution a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.
 

Auditionnée le 14 mars 2024 par l’Assemblée nationale, la comédienne Judith Godrèche – qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour viols sur mineure – avait conclu son propos liminaire en demandant aux députés de « prendre l’initiative d’une commission d’enquête sur le droit du travail dans le monde du cinéma, et en particulier ses risques pour les femmes et les enfants ». Le jour même, la députée écologiste de la 2e circonscription des Hauts-de-Seine, Francesca Pasquini, émettait une proposition de résolution allant dans ce sens. Justifiée,  a-t-elle rappelé  dans l’exposé des motifs, par la nécessité de « briser les mécanismes d’omerta autour de ces violences », cette commission d’enquête   concernera les violences commises dans le secteur du cinéma, mais aussi ceux de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. La députée a également précisé que ses travaux devront porter sur « toutes formes d’abus, qu’ils soient sexuels, physiques ou psychologiques », ce qui permet de définir le champ des atteintes aux mineurs.

 

Soumise au vote le 2 mai 2024la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité par les  52 députés présents.

 

 

La commission d’enquête sera chargée :

• d’évaluer la situation des mineurs évoluant au sein des secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ;

• de faire un état des lieux des violences commises sur des majeurs dans ces secteurs ;

• d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces éventuels abus et violences et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ;

• d’émettre des recommandations sur les réponses à apporter.

Le texte complet du rapport déposé Francesca Pasquini tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode est disponible ici

 

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2451_rapport-fond

 

 

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Jean-Louis Martinelli, metteur en scène : « Il faut réaffecter l’argent du Pass culture en direction de la création »

Jean-Louis Martinelli, metteur en scène : « Il faut réaffecter l’argent du Pass culture en direction de la création » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune par Jean-Louis Martinelli, publiée dans Le Monde - 20 mai 2024

 

 

Les nouvelles réductions budgétaires du ministère de la culture risquent d’ouvrir une crise sans précédent pour les institutions culturelles et les compagnies de théâtre et de danse. Pour l’éviter, le ministère doit réorganiser ses priorités financières explique, dans une tribune au « Monde», le metteur en scène.

 

Lire l'article sur le site du "Monde":

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/20/jean-louis-martinelli-metteur-en-scene-il-faut-reaffecter-l-argent-du-pass-culture-en-direction-de-la-creation_6234402_3232.html

En 1993 déjà, [les metteurs en scène] Patrice Chéreau [1944-2013], Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent [1942-2020] et Alain Crombecque [(1939-2009), ancien directeur du Festival d’Avignon] signaient une lettre ouverte alors qu’une baisse de 5 % était annoncée, après des réductions budgétaires successives. Ils manifestaient leurs inquiétudes, en écrivant notamment : « La considération du rôle réservé aux pratiques artistiques dans cette lutte incessante entre barbarie et civilisation est un des critères selon lequel on juge une société, un gouvernement. »

 

 

Le mal est ancien, certes, mais la situation d’alors n’avait pas le caractère désespérant qu’elle revêt aujourd’hui. En effet, il n’est pas une semaine depuis des mois où l’on ne puisse lire des articles alarmants sur la situation des théâtres de France.

 

 

Toute la pyramide des équipes de création est concernée, des théâtres nationaux jusqu’aux compagnies – équipes de création de théâtre, de danse, de musique, de cirque, etc., qui sont la plupart du temps sans lieu fixe d’implantation. Et ne tombons pas dans le piège qui consiste à opposer les uns aux autres car, dans tous les cas, ce sont bien tous les acteurs, techniciens, auteurs, metteurs en scène, etc. qui seront réduits à l’inactivité. Chacun des secteurs a besoin de l’autre.

Démantèlement programmé

Dernièrement, afin prétendument de résorber le déficit de la nation, 200 millions d’euros ont été amputés au petit budget du ministère de la culture, qui pourrait connaître en 2025 des réductions encore plus sensibles. Cette situation ouvre une crise à venir sans précédent. Choisissant l’affaiblissement, la mise en sommeil de nombre de lieux, voire la disparition des plus fragiles des compagnies, le politique accélère le fait que le monde se défasse.

 

Pour tenter de refaire du commun, nous avons besoin de débats, de confrontations d’idées et d’espaces sensibles dont les fictions sont porteuses en nous offrant un accès à l’autre. Ces confrontations sont nécessaires et stimulantes dans toute société ayant l’ambition d’être une démocratie. Les porte-parole des discours les plus réactionnaires ont-ils définitivement imposé leur « hégémonie culturelle » ?

 
Si cette situation se maintenait, ce ne pourrait être que la première étape d’un démantèlement programmé. Une fois les moyens octroyés à la création amputés, il sera alors aisé de déclarer que, des lieux de création aux compagnies, aucun ne remplit sa mission et donc, dans un deuxième temps, d’en réduire encore les moyens.
 
 
 
 

Et ce d’autant plus aisément que des voix ne manqueront pas de s’élever pour dire que certaines entreprises privées, qui se passent ou presque de subventions, sont à même de mettre en œuvre des spectacles qui rencontrent un large public. Va-t-on saccager cet héritage de la décentralisation culturelle, qui, malgré quelques dysfonctionnements ponctuels, nous est enviée partout dans le monde ?

Un art relégué à la marge

Il est urgent de se mettre au travail si l’on ne veut pas assister à ce que le philosophe Gilles Deleuze [1925-1995] prévoyait au début des années 1980 lorsqu’il nous mettait en garde contre le  façonnement d’espaces juridiques, économiques et culturels complètement préfabriqués où toute création et toute pensée allaient devenir impossibles.

 

 

A cet égard, la quasi-absence permanente de troupes d’artistes dans nos théâtres vient confirmer cette prédiction. Dans le même ordre d’idées, alors que la fabrique de l’art est ce qui fonde la légitimité de l’existence des théâtres publics, on nomme « marge artistique » la somme restant disponible aux fins de création, une fois pris en compte les montants affectés à la marche des lieux. Alors, oui, l’art du théâtre est bien relégué à la marge.

 

Certes l’état des finances publiques semble alarmant et le théâtre est bien le symptôme de la difficulté à faire tenir debout l’ensemble du secteur public (santé, éducation, recherche). Sans entrer dans un débat sur une politique fiscale qui pourrait et devrait être plus juste (taxation des superprofits, revenus du capital, évasion fiscale, etc.) et au lieu de s’en prendre aux plus faibles (chômeurs), une solution me semble évidente à partir de l’enveloppe actuelle du ministère de la culture.

 

Car il est erroné de dire qu’il n’y a plus d’argent lorsque, d’après un rapport de la Cour des comptes, l’Etat devrait consacrer 327 millions d’euros au fonctionnement du Pass culture en vitesse de croisière et que, dès cette année, le seul ministère de la culture le finance à hauteur de 210 millions d’euros. Ce dispositif devient ainsi le deuxième opérateur du ministère, après la BNF.

« Un effet d’aubaine »

Ce Pass culture n’est en fait qu’une aide à la consommation. Et ce sont bien sûr les produits les plus en vue, les mieux marketés qui seront les plus consommés. Après avoir reproché durant des années aux théâtres que la fréquentation de leurs lieux était principalement assurée par un public d’enseignants et d’enseignés, on leur présente aujourd’hui le Pass comme la panacée.

La Cour des comptes elle-même a émis de sérieuses réserves quant à l’évaluation de cet outil. Le Sénat de son côté signale que ce Pass « risque de confirmer les habitudes culturelles et de s’avérer être un effet d’aubaine pour ceux qui ont déjà une pratique culturelle », et cette remarque est déjà vérifiée.

 

 

 
 
 

Certes sa mise en place a pu apparaître judicieuse, voire généreuse, mais en période de crise elle doit être réexaminée. Il n’y a pas de honte à reconnaître une erreur à moins qu’il ne soit pas possible de remettre en cause un projet voulu par l’Elysée qui en avait fait « un chantier culturel prioritaire ».

 

Mais si ces 210 millions sont réaffectés en direction de la création, on sortira de la crise annoncée. Les institutions seront confortées et pourront poursuivre leur mission absolument nécessaire, car leur disparition serait un signe de plus de la destruction de notre société. Et les compagnies, maillon porteur d’avenir – mais le plus fragile –, pourront voir s’éloigner cet horizon de désespérance. Il est encore temps

 

 

Jean-Louis Martinelli est l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg (Bas-Rhin) et du Théâtre des Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine).

 

Jean-Louis Martinelli (Metteur en scène)

 

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Comment Judith Godrèche est devenue icône du combat contre les violences sexuelles 

Comment Judith Godrèche est devenue icône du combat contre les violences sexuelles  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Editorial d'Alexandra Schwartzbrod dans Libération - 17 mai 2024

 

Il a suffi d’une vidéo postée sur X dans laquelle le réalisateur Benoît Jacquot s’exprime de façon abjecte sur sa relation avec l’actrice pour que celle-ci cesse de trembler et sorte de son silence.

 

 

C’est l’histoire d’une actrice, longtemps femme-enfant comme on le disait à la fin du XXe siècle, qui, au cours des premiers mois de 2024, s’est muée du jour au lendemain en guerrière contre ceux qui l’avaient utilisée et agressée, avant de devenir icône du combat contre les violences sexuelles. Que s’est-il passé pour que Judith Godrèche, qui avait quitté la France et les écrans depuis de nombreuses années, sorte soudain de son silence, aimantant journalistes, politiques et surtout ces milliers de femmes victimes comme elle d’hommes prédateurs ? La colère. L’indignation. Le trop, c’est trop. Il y a d’abord eu le succès de sa série, Icon of French Cinema, une autofiction pleine d’autodérision qui lui a sans doute redonné confiance en elle. Il a suffi ensuite d’une vidéo postée sur X dans laquelle le réalisateur Benoît Jacquot – avec qui elle a vécu dès l’âge de 15 ans – s’exprime sur cette relation de façon abjecte pour que Judith Godrèche cesse de trembler. Et l’ouvre. Conseillée par différentes femmes, agressées elles aussi dans le passé par des hommes assurés de leur impunité, parmi lesquelles Hélène Devynck, qui fédère les victimes de PPDA.

C’est ça que raconte notre enquête, ce long processus qui a conduit l’actrice à se révéler figure de proue du mouvement #MeToo dans le cinéma. Cette métamorphose ne s’est sans doute pas faite sans casse, elle a laissé des zones d’ombre que nous tentons d’éclaircir. Mais à tous ceux et peut-être aussi toutes celles qui murmurent leur ras-le-bol de ce déchaînement de haine contre des hommes vieillissants soudain cloués au pilori, il faut expliquer que les abus des hommes de pouvoir sur des jeunes filles ou des femmes sans défense – il ne se passe pas de semaine sans que de nouveaux exemples émergent – ont été tels, année après année et dans la plus parfaite indifférence si ce n’est approbation de la société, qu’il est normal que le balancier soit entraîné dans l’autre sens. Il faut que ça sorte. Un jour il reviendra à l’équilibre et l’on repensera avec émotion à ces femmes qui l’ont forcé à bouger.

 
Légende photo : Judith Godrèche à Paris, le 8 mai. (Marie Rouge/Libération)
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Festival de Cannes 2024 : le geste hommage de Judith Godrèche aux victimes de violences sexuelles 

Festival de Cannes 2024 : le geste hommage de Judith Godrèche aux victimes de violences sexuelles  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc dans Libération - 16 mai 2024

 

Mercredi 15 mai, lors de la montée des marches sur la Croisette à l’occasion de la projection de son court métrage «Moi aussi», Judith Godrèche et son équipe ont posé leurs mains devant leur bouche en soutien aux victimes de violences sexuelles contraintes au silence.

 

Mercredi 15 mai, alors que Judith Godrèche, actrice et réalisatrice venue présenter son court métrage Moi aussifoulait le tapis rouge des marches du Festival de Cannes, elle et son équipe, ainsi que Rokhaya Diallo, ont posé leurs mains devant leurs bouches, symbole du silence imposé aux victimes de violences sexuelles.

Un geste lourd de sens, alors que l’actrice de 52 ans est devenue une figure de proue du mouvement #MeToo dans le cinéma français depuis sa plainte visant les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour «viol sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant autorité», déposée en février. Judith Godrèche dit avoir reçu, depuis, plusieurs milliers de témoignages de victimes de violences sexuelles via une boîte mail créée à cet effet, auxquels elle dit avoir voulu faire honneur et «redonner un visage».

Moi aussi, qui a été projeté pour la première fois le mercredi 15 mai lors de la cérémonie d’ouverture de la sélection un Certain regard, met en scène plusieurs centaines de victimes ainsi que Tess Barthélémy, la fille de Godrèche et de l’acteur Maurice Barthélémy, présente aux côtés de sa mère sur la Croisette. Après la première projection de son court métrage, une seconde projection publique a eu lieu au Cinéma de la plage.

 
 

Après cette montée des marches remarquée, de nombreux internautes ont relayé l’image sur les réseaux sociaux et repris le geste symbole de Godrèche pour témoigner de leur solidarité et soutenir cette mise en lumière des victimes de violences sexuelles dans le cinéma. Parmi eux, l’actrice et réalisatrice Ariane Labed, l’Association des acteur·ices (ADA), la journaliste Camille Nevers ou encore le directeur de casting et créateur du #MeTooGarçons Stéphane Gaillard.

 

Lara Clerc / Libération

 

Légende photo Judith Godrèche et son équipe, ainsi que Rokhaya Diallo, à Cannes, le 15 mai. (CHRISTOPHE SIMON/AFP)

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L’affaire Rosalind Franklin, ou Rosalind Franklin et la structure en double hélice de l’ADN, texte Elisabeth Bouchaud, mise en scène Julie Timmerman, à La Reine Blanche. –

L’affaire Rosalind Franklin, ou Rosalind Franklin et la structure en double hélice de l’ADN, texte Elisabeth Bouchaud, mise en scène Julie Timmerman, à La Reine Blanche. – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Louis Juzot dans Hottello - 16 mai 2024

 

L’affaire Rosalind Franklin, ou Rosalind Franklin et la structure en double hélice de l’ADN, texte Elisabeth Bouchaud, mise en scène Julie Timmerman. Avec Isis Ravel, Balthazar Gouzou, Matila Malliarakis, Julien Gallix.

 

A travers une série intitulée « les Fabuleuses », Elisabeth Bouchaud rend hommage à trois femmes, scientifiques de génie mais dont les découvertes et les recherches majeures ont été occultées par une société patriarcale et profondément misogyne. « Exil  intérieur » s’attachait à la vie tourmentée de Lise Meitner, co-découvreuse avec Otto Hahn de la fission nucléaire, c’est pourtant à lui seul que sera décerné le Nobel de chimie en 1944.

 

Circonstances aggravantes à sa condition féminine, Lise Meitner était d’origine juive et travailla à Berlin jusqu’en 1938 avant de fuir l’Allemagne nazie. «  Prix no’ Bell » racontait un déni encore plus parlant quant à l’attribution du prix Nobel de physique pour la découverte des pulsars à Anthony Hewish en 1974 alors que l’irlandaise Jocelyn Bell en était l’unique découvreuse. 

 

 

L’affaire Rosalind Franklin qui clôt provisoirement la série expose un cas assez proche de celui de Jocelyn Bell. Rosalind Franklin est déjà une physico-chimiste réputée et spécialiste des rayons X quand elle rejoint le laboratoire du King’s College de Londres alors qu’elle travaillait à Paris. Mais ce qui aurait pu être une opportunité pour poursuivre ses recherches sur la structure de l’ADN se transforme en chemin de croix dans un microcosme scientifique aux traditions pesantes, méprisant pour  les femmes, qui plus est dominé par une compétition acharnée pour publier les découvertes dans Nature. La revue publiera en 1953 un article majeur sur le sujet de Francis Crick et James Watson, deux chercheurs de Cambridge avant celui de Maurice Wilkins, confrère de Rosalind Franklin au King’s College et enfin en troisième position, celui de la seule vraie découvreuse de la structure en hélice de l’ADN. C’est Maurice Wilkins qui recevra le prix Nobel pour cette découverte en 1962 alors que Rosalind Franklin est déjà décédée des suites d’un cancer vraisemblablement  dû à sa surexposition aux rayons X, en1958,  à l’âge de 38 ans.

 

La pièce est conçue comme un thriller avec de vrais méchants, Crick et Watson interprétés par Julien Gallix et Balthazar Gouzou qui joue également Raymond Gosling (un gentil pleutre,  assistant de Rosalind Franklin) et Vittorio Luzzatti ( collègue italien qui défend la mémoire de la vraie découvreuse de la structure de l’ADN). Isis Ravel est Rosalind et Matila Malliarakis Maurice Wilkins

 

 

La mise en scène est démonstrative, chacun des protagonistes se tenant face à face, prêts à s’affronter dans ce monde qui rappelle celui de la guerre des gangs. Caricatures taillées à la serpe. Rosalind Franklin se bat avec détermination, ne cédant jamais rien, victime aussi de sa passion pour la recherche qui la maintient dans une bulle où l’autre existe à peine. Maurice Wilkins est plus humain, salaud qui vole le cliché de l’ARN réalisé par Franklin et Gosling, mais amoureux de la chercheuse et englué dans les traditions sexistes de son milieu.

 

La pièce a le mérite de la clarté et de la pédagogie pour ce qui est du déni fait aux femmes de sciences, comme une inversion sur le mode thriller des Femmes Savantes. A contrario malgré un début en fanfare, elle reste appliquée comme un exercice un peu lisse, une démonstration implacable mais froide. C’est voulu sans doute mais le théâtre a besoin aussi d’émotions pour emporter l’affaire.

Il n’en reste pas moins une leçon d’histoire et de combat pour l’égalité entre les sexes dans un monde a priori désintéressé où les intérêts carriéristes  et les coups bas sont souvent plus acérés qu’ailleurs. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », avertissait  Rabelais qui avait eu affaire aux « savants » de son temps.

 

Louis Juzot

Jusqu’au  dimanche 9 juin , du mardi au vendredi 19h, samedi 18h, dimanche 16h au Théâtre de La Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle 75018 Paris Tel : 01 40 05 06 96 www.reineblanche.com

Puis  en juillet au Festival off d’Avignon 2024, la Reine Blanche – Avignon

 

 
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Dans « Qui a peur », Tom Lanoye passe le théâtre belge à la moulinette

Dans « Qui a peur », Tom Lanoye passe le théâtre belge à la moulinette | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 13 mai 2024

 

Le texte corrosif du dramaturge néerlandophone, qui met face à face deux couples de comédiens, est mis en scène par Aurore Fattier au Théâtre 14, à Paris.


 

Lire l'article dans le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/13/dans-qui-a-peur-tom-lanoye-passe-le-theatre-belge-a-la-moulinette_6232967_3246.html

Le théâtre belge contemporain va-t-il si mal qu’il en est au point où la seule possibilité qui lui reste est une autoflagellation sans filtre ? Au Théâtre 14, à Paris, Aurore Fattier met en scène, avec énergie mais quelques maladresses, Qui a peur, un texte corrosif, retors, dérangeant et, pour toutes ces raisons, intrigant de Tom Lanoye.

 

Né en 1958, ce solide auteur néerlandophone (qui a adapté Shakespeare et travaillé sur les figures de Médée ou de Méphistophélès) est un explorateur des parts maudites de l’être humain. Le monstrueux ne lui fait pas peur. Il ne prend d’ailleurs pas de gants avec les héros de sa pièce. Sur le plateau protégé par un tulle (où s’inscrivent d’incertaines projections en noir et blanc de leurs visages filmés en gros plan), pas un des protagonistes n’inspire la sympathie. Ce qui n’est pas pour déplaire.

 

Dans Qui a peur, le dramaturge place face à face deux couples de comédiens fictifs. Cultivant le trouble jusqu’à donner à ses personnages le prénom de leurs interprètes, il précipite le quatuor dans un conflit diaboliquement pensé qui entremêle considérations politiques sur le théâtre comme il va (mal) et affrontement de générations d’acteurs que tout sépare, sauf un pressant besoin d’argent. Les joutes verbales s’accomplissent sur fond d’une mise en abyme du théâtre dans le théâtre que l’auteur entretient jusqu’au vertige. Impossible de savoir si ce qui se dit est un leurre ou la vérité, si celui qui parle joue un rôle ou ne le joue pas. Entre la fiction et la réalité, les lignes fluctuent.

Entre hystérie et perversité

En scène dès le début du spectacle, le duo Claire (Bodson) et Koen (De Sutter). Deux quinquagénaires usés jusqu’à la corde qui n’en peuvent plus de tourner depuis des années dans des salles miteuses le blockbuster d’Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ?, qui donne la moitié de son titre à la pièce de Lanoye et en inspire l’état d’esprit de A à Z. L’ambiance flotte entre hystérie et perversité, domination et humiliation. Ce recyclage du drame américain est habile, même s’il laisse songeur quant aux limites esthétiques du décalque effectué depuis l’original datant de 1962.

 
Edward Albee organisait la confrontation dévastatrice entre un couple manipulateur et alcoolique et un universitaire brillant et ambitieux, flanqué de son épouse écervelée. Tom Lanoye, pour sa part, positionne dans l’arène des comédiens n’ayant que le théâtre à la bouche, quand bien même celui-ci leur promet une vie où chaque épiphanie créative va se payer au prix fort. Le cynisme (ou le désespoir) de Claire et Koen est tel que, recrutant deux partenaires pour finaliser leur distribution, ils les choisissent non pour leur talent mais pour leur couleur de peau. Qui dit diversité sur le plateau dit aussi subventions de l’Etat. Tom Lanoye ne louvoie pas avec les vérités, et son constat d’un théâtre subventionné belge en piètre santé fait froid dans le dos.

Voici donc Leïla (Chaarani) et Khadim (Fall) qui, venus passer l’audition, se retrouvent précipités dans un jeu de dupes. Ils n’en comprendront que tard les tenants et les aboutissants, après des salves d’échanges acérés opposant leur conception militante, postcolonialiste et utopiste de l’art à celle, désenchantée, paternaliste, voire raciste, de leurs aînés. L’auteur, un orfèvre de la dialectique, prend un malin plaisir à allumer des feux, puis leurs contre-feux en désamorçant constamment les tensions naissantes. L’issue de la représentation ne laisse pas de place au doute : qu’ils soient aguerris ou débutants, les saltimbanques sont prêts à tous les compromis. Ce n’est plus l’art dans sa pureté qui les guide, mais la précarité économique de leur quotidien.

Le public, qui, dans l’absolu, ne devrait jamais savoir sur quel pied danser, tant il est soumis au flux et au reflux de postulats qui s’entrechoquent, se heurte malheureusement à des interprètes qui livrent d’emblée les clés de leurs personnages respectifs et oublient la finesse d’incarnation qu’appelle cette dramaturgie. Pas assez de profondeur dans des proférations qui se déclinent sur une seule note. Seuls les jeunes accèdent à une forme de nuance. Mais cela ne suffit pas à extirper la pièce d’une dimension psychologique réductrice (alors qu’elle vaut clairement mieux que ça), ni à gommer ce sentiment diffus que, face à soi, sur la scène, se déploie, en bout de course, un entre-soi de théâtreux infréquentables qui se contemplent en s’autoflagellant.

 

 

Qui a peur, texte de Tom Lanoye mis en scène par Aurore Fattier. Avec Claire Bodson, Leïla Chaarani, Koen De Sutter, Khadim Fall. Théâtre 14, 20, avenue Marc-Sangnier, Paris 14e. Jusqu’au 25 mai. Mardi, mercredi et vendredi à 20 heures, jeudi à 19 heures, samedi à 16 heures. De 10 € à 25 €. Theatre14.fr

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

Légende photo : Claire Bodson et Koen De Sutter dans « Qui a peur», de Tom Lanoye, mis en scène par Aurore Fattier, au Théâtre 14, à Paris. PRUNELLE RULENS

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Zakary Bairi, un comédien mû par le désir

Zakary Bairi, un comédien mû par le désir | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde  12 mai 2024

 

A 21 ans, le performeur franco-algérien autodidacte, qui enchaîne les projets depuis ses 14 ans, est à l’affiche de « Plutôt vomir que faillir », de Rébecca Chaillon, et de « Cabaret Khalota », de David Wampach.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/12/zakary-bairi-un-comedien-mu-par-le-desir_6232839_3246.html

Zakary Bairi ne compte plus les kilos de purée de pomme de terre qu’il a ingurgités pour les besoins de la cause. La cause ? Celle du spectacle Plutôt vomir que faillir, dont le titre vous projette illico au bord des toilettes régulièrement récurées sur le plateau. Créée en 2022 par la metteuse en scène et performeuse Rébecca Chaillon, cette pièce nerveuse sur l’adolescence, l’identité, le genre et la nourriture compte déjà 114 représentations et des dizaines de sachets de flocons déshydratés. « Plus de quatre cents saladiers de purée pour le moment, car je mange vite, et j’ai parfois le hoquet en parlant en même temps, déclare Zakary Bairi, tout sourire. Une chose est sûre, je ne peux plus voir une assiette de rosbeef-purée au restaurant. Sans compter que j’avale aussi du ketchup, de la moutarde, et que j’ai des boutons sur le torse. »

 

Faire la connaissance de Zakary Bairi autour d’un café en hiver, le rencontrer au printemps entre un jus d’orange et un verre de vin blanc, promet au moins deux choses : passer de très bons moments et repartir en pleine forme après chaque conversation. Entre anecdotes existentielles, commentaires artistiques et tirades inopinées tirées du solo Klein, conçu en 2020 autour d’Yves Klein par la chorégraphe Olivia Grandville, le jeune homme, qui a fêté ses 21 ans le 14 avril, aime se raconter. « Au début, je ne parle pas trop et, une fois lancé, je ne sais plus m’arrêter », reconnaît-il.

 
Il faut dire qu’avec déjà sept ans de travail derrière lui auprès d’artistes de tout poil, ce fan d’Alain Cuny, de Gérard Philipe et de Jacqueline Maillan ne manque pas de munitions. « Parfois, j’ai l’impression d’avoir 70 ans et je me sens très vieux, poursuit-il. Je suis tiraillé entre ma vie d’adulte et le fait que je me sente encore ado. J’ai beaucoup de chance, le luxe de vivre mon désir. Même si je ne me sens pas légitime, car je ne sors pas d’une école, comme certains. »

Syndrome d’illégitimité

Un coup d’œil sur son agenda gomme pourtant vite le syndrome d’illégitimité de celui qui « traverse les formes ». Théâtre, danse, performance, vidéo, il enchaîne les projets et rêve de cinéma. Parallèlement à la tournée de Plutôt vomir que faillir, où il irradie auprès de trois comédiens aussi épatants que lui, il va participer à un spectacle de cabaret intitulé Khalota, avec le chorégraphe David Wampach, connu pour ses expériences extrêmes. « Je serai présentateur avec mon amie la chanteuse Dalila Khatir, indique Zakary Bairi. Nous allons travailler à partir de slogans des manifestations algériennes de ces dernières années. » En ligne de mire de l’automne, les répétitions d’Edouard III, de Shakespeare, avec le metteur en scène Cédric Gourmelon. « Ce sera la première fois que j’interpréterai un classique, encore jamais monté en France », se réjouit-il avec gourmandise.

 

Zakary Bairi est né et a grandi à Pessac (Gironde), près de Bordeaux. Père algérien et mère française. Il a une sœur aînée, Anissa, et un petit frère, Ilhan, handicapé, de sept ans plus jeune que lui, dont la naissance et les difficultés ont concentré l’attention maternelle. « Je me suis mis à faire l’intéressant pour attirer les gens, confie-t-il. Je jouais tout le temps, je me déguisais… » Le regard qui sauve est celui de la grand-mère maternelle, Michèle, qui entend le désir brûlant de son petit-fils de faire du théâtre et l’encourage à s’inscrire à l’atelier de son collège. « Elle m’a également abonné au magazine L’Avant-Scène, glisse-t-il. J’étais assez déprimé ado et le théâtre est la seule raison pour laquelle je suis resté vivant. »

 

Il a 14 ans lorsqu’il auditionne pour la pièce Cheptel, conçue en 2017 avec des adolescents par Michel Schweizer. « Je jouais un peu trop comme “Au théâtre ce soir”, que je regardais sur YouTube, mais Michel m’a engagé quand même, raconte-t-il. On a tourné pendant quatre ans. Je voyageais, je gagnais de l’argent, je n’allais pas souvent au lycée. J’ai commencé à me gaver de spectacles et à aller au théâtre régulièrement. » Quant à Michel Schweizer, il se rappelle que « Zakary détonnait parmi les autres par sa maturité intellectuelle et émotionnelle ». Il ajoute : « C’est un phénomène. Ça va très vite pour lui, car c’est vital. Il a un élan relationnel incroyable et ne veut rien rater. Il possède une lucidité sur la vie et le milieu assez rare pour un jeune de son âge. »

Talent et persévérance

Comment fonctionne donc Zakary Bairi, nourri à YouTube et grand lecteur depuis l’enfance, qui semble déjà connaître toute la planète spectacle de France ? « J’écris des mails aux personnes que je rêve de rencontrer. J’adore écrire, c’est mon truc », dit-il. Il a 16 ans lorsqu’il prend contact avec Marie-Noëlle Genod, avec qui il entretient une correspondance pendant deux ans avant de jouer dans une performance au Carreau du Temple, à Paris. « Vous parlez aussi bien que vous écrivez », le complimente Genod, qui le fait improviser au milieu de cent danseurs.

 

Quelque temps plus tard, il lui propose de lire le Kama-sutra avec l’accent arabe pour Ainsi parlait Kamasutra (2021). A 17 ans, en janvier 2021, Zakary Bairi envoie une lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, publiée dans Mediapart, dont le contenu trouve un écho chez le chorégraphe François Stemmer. « Et on parle, on parle, on parle », se souvient-il. Jusqu’à la création, en 2022, de RIMB, sur Rimbaud.

 

De ces années de jeunesse, Zakary Bairi a conservé des soutiens plus qu’indéfectibles. A 12 ans, il participe au festival Les Toiles filantes, piloté par le cinéma Jean-Eustache, à Pessac. Il fait partie du jury d’enfants et visionne des films pendant une semaine. C’est là qu’il croise Florence Lassalle, conférencière et au conseil d’administration du cinéma. « Il donnait son opinion avec beaucoup de précision et a suivi deux éditions du festival, souligne-t-elle. On est devenus amis et je l’ai emmené au théâtre. Zakary sait se faire aimer, et rencontrer quelqu’un comme lui n’arrive pas souvent dans une vie. »

 

 

Mais ce réseau ne serait rien sans talent ni persévérance. Celui qui veut « apprendre des choses qu’[il] ne sai[t] pas faire » donne des ateliers autour des thèmes présents dans la pièce de Rébecca Chaillon. Il a écrit une autobiographie, intitulée Testament Adolescent, pendant le Covid-19 et vient de livrer un manifeste : Je fais de l’art pour que les méchants se suicident. « Pourquoi certains continuent-ils de vouer leur existence à l’acte de création quand n’importe quel morceau de musique peut être fabriqué par un ordinateur et un texte pondu par une intelligence artificielle ?, y demande-t-il. Peut-être parce que l’Art n’est pas une option, parce que l’Art n’est pas un “plus” ni un divertissement ni même un passe-temps… Peut-être aussi parce qu’il y a des virtuoses et que cette virtuosité a une fonction dans nos sociétés : nous prouver qu’au-delà de ses petites bassesses biologiques, l’Homme est capable de grandes choses. »

 

Plutôt vomir que faillir, de Rébecca Chaillon. Du 14 au 16 mai au Théâtre Sorano, à Toulouse ; du 24 au 26 mai à La Minoterie, à Dijon ; du 29 mai au 2 juin, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse).

Cabaret Khalota, de David Wampach. Le 16 mai au Cratère, à Alès (Gard) ; le 17 mai à La Berline, à La Grand-Combe (Gard).

 

Rosita Boisseau

 

 

Légende photo : Zakary Bairi, à Paris, en février 2023. MÉLODIE LAURET
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«Héliogabale» et «Mademoiselle» : deux Genet perdus de vue et retrouvés 

«Héliogabale» et «Mademoiselle» : deux Genet perdus de vue et retrouvés  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Mathieu Lindon dans Libération, publié le 10 mai 2024

 

 

 

«Héliogabale» est un «drame en quatre actes» écrit à Fresnes, en 1942 et «Mademoiselle» est le scénario de 1951 du film que réalisa Tony Richardson avec Jeanne Moreau.

 

 

 

Voici que surgissent deux textes de Jean Genet dont on connaissait l’existence mais dont on ignorait où ils se trouvaient (et s’il en restait quelque chose). Le célèbre prisonnier né en 1910 et mort en 1986 a écrit Héliogabale, ce «drame en quatre actes», à Fresnes, en 1942, après son premier roman Notre-Dame-des-Fleurs. Le texte a été retrouvé dans une bibliothèque de Harvard. L’histoire romaine a évidemment inspiré Genet, mais également  Antonin Artaud dont Héliogabale ou l’Anarchiste couronné, «le fond même de notre littérature sauvage» selon J. M. G. Le Clézio, est paru en 1934 et s’ouvre sur cette phrase : «S’il y a autour du cadavre d’Héliogabale, mort sans tombeau, et égorgé par la police dans les latrines de son palais, une intense circulation de sang et d’excréments, il y a autour de son berceau une intense circulation de sperme.» Rien pour déplaire à Genet qui, dès les didascalies, fait savoir de quelle mise en scène il se chauffe. Il indique comment sont vêtus les personnages et, pour le «cocher favori» et amant du jeune empereur, il est juste écrit : «splendidement». «Les personnages se parleront de très près, s’envoyant les répliques au visage comme s’ils se crachaient à la figure» quoiqu’il n’y ait «pas d’éclats» : «C’est un drame sec.»

Les «scélératesses magnifiques» de la grand-mère

L’empereur de 18 ans, à qui sa grand-mère souhaitant sa perte trouve un «triste petit vieux visage de gamin vicieux», met toute sa «gloire à n’être pas respecté». «Le mépris, c’est ce que je veux.» Il ressemble à un masochiste mégalomane. «Il ne me suffit pas de m’enlaidir, j’enlaidis la beauté.» Ou : «Il faut que nous franchissions l’abject afin de nous retrouver seuls dans notre désespoir. Nous serons plus forts que le monde puisque nous habiterons l’immonde.» Sa naissance ayant mensongèrement porté sur le trône l’empereur travesti, ça donne : «Je suis le fils de la nuit. Sorti de la nuit enceinte par la verge monstrueuse d’un porcher juif, peut-être.» Il vante les «scélératesses magnifiques» de sa grand-mère : «Elle est grande et terrible, donc doublement ridicule», ou : «La garce veut ma mort. Elle pue ma mort comme si elle m’avait déjà dévoré.» Puis vient le temps de la décadence, Héliogabale détrôné fuit : «Les garçons comme moi ne savent apporter que l’anarchie, et tant qu’ils sont enfants, qu’ils ont le toupet de jouer avec les choses sacrées.» Mais on peut toujours tomber plus bas. «Pourvu que je ne sois pas réduit à devenir intelligent. Ce serait bien le pire des malheurs qui puisse m’arriver.» «Le lecteur familier de l’œuvre de Jean Genet aura reconnu les éléments structurants de son imaginaire avec ses thèmes de prédilection (le secret, le complot, la violence, la lâcheté, la trahison, la dérision, etc.)», écrit François Rouget dans son avant-propos.

 

 

Mademoiselle est le scénario de 1951 du film que réalisa Tony Richardson en 1966, avec Jeanne Moreau (Louis Malle, Georges Franju et Joseph Losey n’avaient pas mené le projet à terme). En 1950, Genet avait tourné son mythique court-métrage Un chant d’amour en bénéficiant pour les extérieurs de la propriété de Jean Cocteau, «son protecteur originel», comme l’écrit Yves Pagès, l’écrivain et éditeur de Verticales, dans la première préface sur l’«envie de cinéma» de Genet. La seconde est de Patric Chiha et le réalisateur autrichien de la Bête dans la jungle s’interroge sur ces pages qui ne ressemblent pas pour lui à un scénario : «Mais si ce n’est pas un scénario, qu’est-ce que ce texte ? Disons le simplement,  Mademoiselle est un film. C’est déjà une suite de gestes, une suite de gestes filmés en gros plans./ Exemple : “Comme ivre, sa bouche baisa l’écorce tendre.”»

 

L’intrigue se déroule dans un village où des immigrés polonais sont si peu appréciés qu’on leur fait porter la responsabilité des divers drames qui s’y produisent (incendies, inondation, empoisonnement).  Alors que «Mademoiselle», la jeune institutrice, est au centre de tout, Mademoiselle et son désir, Mademoiselle et sa pénurie d’hommes, Mademoiselle et son quasi silence synonyme de dénonciation calomnieuse. Un des Polonais est un très séduisant homme dont le fils est élève de Mademoiselle. Le texte est la plupart du temps au passé simple ou à l’imparfait, ce qui ne correspond guère à l’image d’un scénario. Genet donne des conseils au réalisateur : «S’il était possible, il faudrait montrer  l’odeur de ces chambres.» Il y a «un mouchoir de dentelle» et surtout des pantalons et de quoi les «remplir».

Jean Genet Héliogabale. Edition établie et présentée par François Rouget. Gallimard, 108 pp., 15 € (ebook : 10,99 €). Mademoiselle, Gallimard, «l’Imaginaire», 166 pp., 7,50 €.

Mathieu Lindon / Libération

Légende photo : Photo non datée de Jean Genet à Paris. (UPI. AFP)

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 La fête du slip, de et avec Mickaël Délis, au Théâtre de la Reine Blanche

 La fête du slip, de et avec Mickaël Délis, au Théâtre de la Reine Blanche | Revue de presse théâtre | Scoop.it

ff article de Denis Sanglard dans Un fauteuil pour l'orchestre - 9 mai 2024

Il est parfois dommage de ne s’arrêter qu’au titre d’une œuvre, aussi maladroit soit-il, occultant de fait son contenu qui vaut bien mieux que son annonce. La fête du slip, blason un rien racoleur, est pourtant une création d’une belle acuité, d’une intelligence abrasive jusque dans l’écriture lardée d’humour corrosif,  et dont le propos s’avère plus que pertinent à l’heure du retour en force du masculinisme, de ses coups de boutoir, réaction de mâles inquiets, en perte de repère et d’autorité devant les questions aussi bien de genre que de la remise en question du patriarcat, où la parole des femmes depuis #metoo se libère dénonçant désormais les violences sexistes et sexuels, et l’intolérable male gaze qui l’accompagne. Pourtant homosexuel, mais là c’est sans doute une question de génération et de milieu, Mickaël Délis n’échappait pas à cette injonction impérative et culturelle de la performance et du jouir sans entrave, qu’il définit comme un tantinet pathologique. La fête du slip n’exprime rien d’autre que le trouble d’une défaite libératoire, une remise en question salutaire de la toute-puissante verge érectile (et de ses vantards centimètres comme échelle de valeur) qui oblige à la performance jusqu’à la névrose, la compulsion jusqu’à la saturation, la perfection jusqu’au contrôle. Autrement dit, je bande donc je suis . Mickaël Délis fait de son membre suractif, et de la relation privilégiée qu’il entretient avec, le centre du monde, tourne autour comme on regarde son nombril, interrogeant cette quête performative que l’activité sexuelle compulsive et obsessionnelle dénonce pour enfin vouloir s’en affranchir. Pas facile, la route est ardue, aussi raide et parfois douloureuse qu’une bite en érection sous viagra.

 

Sur ce chemin de Damas il y a foule qui de sa mère, de son père, de son frère jumeau, de son agent, de feu son psy, de ses ex, d’un centre d’addiction sexuelle, de l’hôpital public et de ses médecins, et même le metteur en scène Jean-François Sivadier, ce dernier pointant lucidement de son doigt le nœud du problème de Mickaël Délis et provoquant par cette claque sévère une déflagration,  sont autant de questionnements, d’obstacles et de réponses dans cette quête d’une masculinité désintoxiquée, décomplexée et débarrassée de ses couilles encombrantes, ce qui ne veut pas dire être émasculé, la question d’en avoir ou pas n’étant plus dés-lors d’actualité.

 

Portraits incisifs, dessinés avec beaucoup d’humour, de tendre vacherie aussi (sa mère castratrice, inénarrable), parfois de tendresse bouleversée (son père, en phase terminale), ou encore d’autorité scientifique pour caution, autant de réactions ou d’objections qui de lui et de son rapport conflictuel avec son pénis dressent un portrait éclaté mais avec une constante et une révélation, n’être que la reproduction et le produit d’un ordre social et familial, d’un milieu (la communauté homosexuelle n’échappant pas à cette injonction mais pour d’autres raisons, le VIH étant passé par là), un désastre en somme, où le genre n’étant plus qu’une construction n’a plus rien à voir avec le sexe biologique vous laisse sur le flanc. L’hubris turgescent résidant symboliquement  et inconsciemment dans le chibre en érection de tout mâle normalement constitué n’est que le symptôme d’un système malade, vérolé, où l’appendice masculin conditionné dès l’enfance, conforté à l’adolescence par l’industrie pornographique, autoriserait le pire dans sa rhétorique machiste et guerrière. Mais il suffit d’une contre-performance inattendue, la débandade honteuse et redoutée, et de bras simplement ouverts sans apriori pour prendre conscience que, oui, la simple tendresse peut-être un antidote et qu’un pavillon traitreusement baissé n’empêche nullement d’aimer et d’être aimé. Dans cette mise en scène épurée qui libère le propos, éclairée astucieusement de quelques néons pour scénographie, Mickaël Délis se met à nu et sans jamais quitter son survêtement, joue un peu cabot de l’impudeur et du scabreux (relatif) de ses aveux mais avec le sel et le poivre d’un humour qui n’oblitère jamais le sérieux d’une réflexion pertinente bien plus large que ce soliloque égocentré autour de son pénis et de ses performances. Coup de pied dans les parties du patriarcat,

 

La fête du slip c’est surtout l’histoire d’une gueule de bois et de lendemains qui débandent.

 

Denis Sanglard - Un fauteuil pour l'orchestre 

 

 

La fête du slip, écriture, interprétation et co-mise en scène de Mickaël Délis

Co-metteurs en scènes : Papy de Trappes, Vladimir Perrin, David Délis

Consultant chorégraphique : Clément Le Disquay

Création lumière : Jago Axworthy

Collaboration à l’écriture : Romain Compingt

 

 

 

Du 8 mai au 14 juin 2024 à 21h

Les mercredis et vendredis, le dimanche à 18h

 

Théâtre de la Reine Blanche

2bis passage Ruelle

75018 Paris

Réservations : www.reineblanche.com

https://www.reineblanche.com/calendrier/theatre/la-fete-du-slip

 

 

Tournées :

3/21 juillet, festival d’Avignon, Avignon Reine Blanche à 21h45

Dans le cadre d’un diptyque avec Le premier sexe, au même date à 20h15

 

 

 

 

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Stéphane Freiss, ô capitaine, lui capitaine 

Stéphane Freiss, ô capitaine, lui capitaine  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nathalie Rouiller dans Libération - 23 mai 2024

 

 

Rayonnant sur scène dans «le Cercle des poètes disparus», le comédien de 63 ans injecte de la sérotonine dans sa vie.

 
 

En préambule, il y a la Nuit des Molières, grand-messe que l’on suit généralement d’un œil morne. Le 6 mai, tempo lento bazardé, le molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé a été décerné d’entrée. «Séché», Stéphane Freiss, que le public ovationne depuis janvier dans le Cercle des poètes disparus, a dû s’improviser une contenance, tandis que Vincent Dedienne se levait pour récupérer le trophée.

 

 

Le lendemain, on retrouve le comédien au théâtre Antoine, à Paris. Couché à 4h30, horaire presque classique pour qui carbure à l’adrénaline, il n’a ni les cernes mordorés ni le teint œuf brouillé des marathoniens de la nuit. On lui imaginait la veste velours de son personnage, le professeur Keating, libertaire patché aux coudes. Il habille son dynamisme de basiques sans esbroufe, jean, chemise de lin blanche, Nike à virgule orange. Les positions sont vite définies, à Roméo, le bichon, la moquette, à l’artiste, le sofa, qu’il ne quittera que pour défenestrer ses volutes de fumée. On dévide quelques souvenirs en accéléré. 1989. Césarisé meilleur espoir pour Chouans ! l’histrion déboule sur scène pendu à une corde. Une audace de timide qui vaut au Tarzan en costume de dîner en tête-à-tête avec sa compression. Formé au Cours Florent, puis au Conservatoire et au «Français», il alterne plateaux et tréteaux. Varda, Miller, Ozon, Spielberg, Eastwood ou Yasmina Reza lui font confiance. Mais, imperceptiblement, l’envie s’effiloche. A la cinquantaine, il surnage dans les baïnes de ses questionnements, cale ses respirations sur des engagements plus ou moins motivants. Comprend qu’à se noyer dans d’autres identités, il ne fait que fuir la sienne.

 

Quoique le sexagénaire ait raté le film de Peter Weir à sa sortie, l’assertion de Robin Williams, «je suis le capitaine de mon âme, le maître de mon destin», reflète ses propres évolutions. Aux collines molles de la routine, qui doucement descendent vers l’absence, il a préféré l’escarpé des remises en question. Séparé de sa femme, Ursula, mère de ses trois enfants, il s’affiche désormais avec Delphine Horvilleur, rabbine et intellectuelle d’envergure.

 

Du coin de l’œil, on le regarde lisser le drap qui recouvre son canapé. Systématiquement, le tissu glisse de l’accoudoir, systématiquement, il le recale. Son histoire à lui, fuyante, s’est construite en creux, autour d’une impossibilité à verbaliser. Le grand-père paternel est mort à Auschwitz. Le père de sa mère, tailleur en Pologne, juif et communiste, a survécu en traversant les frontières. Cachés pendant la guerre, ses parents ont intégré le mode de survie des rescapés. Se taire, ne jamais se plaindre. «A la maison, il n’y avait pas de religion, ni de politique», constate le non-pratiquant qui ne mange pas casher mais s’évite le porc. «D’un côté, je trouve parfaitement exemplaire de ne pas avoir transmis ce chagrin. Et en même temps, peut-être que ça nous a manqué. Tout le monde a joué à cache-cache.» Chirurgien-dentiste, hédoniste à Jaguar rutilante, son géniteur va sur ses 92 ans. Celui-ci ne s’est jamais soucié d’obédience, la Shoah ayant, à ses yeux, définitivement disqualifié toute présence divine. Face à nous, gobant ses gélules de maca, un ginseng péruvien certifié sans pesticides, son fils s souvient du divorce de ses parents et de la quête ésotérique de sa mère entre yoga, méditation zen et préceptes tibétains. Avant qu’elle n’entre «de manière totale, comme une presque noyée, dans sa religion». A l’adolescence, sujet aux crises d’angoisse et de tétanie, Freiss vit des moments chaotiques qu’il narre avec humour. De la colonie dans un centre ultra orthodoxe en Israël à l’école Steiner, où on lui attribue brouette et lopin de terre avant l’interro écrite. «On se retrouve face à un mec, Krivine, mais en plus fou, qui nous regarde et dit : “La propriété, c’est le vol”, Proudhon, vous avez six heures. Et pour ceux que ça n’inspire pas, je suis en bas, à jouer au foot.» Son «Keating», il le rencontre en terminale, un illuminé vêtu du même complet toute l’année, revers maintenus par des agrafes, Grâce à lui, il effectue une incroyable remontada en physique-chimie. «Sa foi me parvenait à son insu. Du fait de sa théâtralité inconsciente, sa discipline devenait un art.»

 

 

Buvard autoproclamé, il se compare à Zelig, l’homme-caméléon de Woody Allen, et adore s’entourer de réflexifs de haut vol. La journaliste Caroline Fourest, l’humoriste Sophia Aram, l’écrivain Kamel Daoud, le directeur du Théâtre de la Colline, Wajdi Mouawad, évidemment Delphine Horvilleur. «Ils ont souvent en commun d’avoir été déracinés, et de s’en sortir sans jouer le misérabilisme.» Son sentiment d’imposture bâillonné, il avoue sa fierté d’avoir récemment participé à l’émission Talmudiques de Marc-Alain Ouaknin sur France Culture et à la Conversation scientifique d’Etienne Klein. Quant à son pouvoir d’attraction, il le malmène avec ruse : «On peut être le pire des cons, et être séduisant. Ça fait partie de l’ADN de l’acteur. J’aime ce trouble qu’on peut créer […]. Je ne m’en sers pas de manière putassière, c’est une constituante de ce que je suis, ça se fait malgré moi.»

 

 

Incapable de faire des choix, animal à la fois social et contemplatif, il s’est fait violence en réalisant. Tu choisiras la vie, son beau long métrage, met en scène deux personnages qui se débattent sous le joug des traditions, une juive orthodoxe, un cultivateur italien attaché à ses terres. Il avait envisagé le film comme un pont affectif, une bouteille à la mer, mot à orthographier avec un accent grave et un «e». Son inspiratrice est hélas morte pendant le montage. Sinon, malgré son indécision constitutive, celui qui truffe sa pensée de «et si» dévie peu de sa ligne sur l’actualité. Choqué par les bloqueurs de Sciences-Po, keffieh autour du cou, «prisonniers de mensonges assénés comme des vérités», il tacle «l’islamo-gauchisme qu’[il] exècre». On comprend vite qu’aux européennes, La France insoumise n’aura pas son vote.

 

Logiquement, il devrait aller vers Glucksmann. Sinon, au chapitre de ses détestations, le wokisme et l’identitarisme tiennent la corde.

Nul en matières financières, il avait investi dans un fonds immobilier, sans doute à cause de l’adjectif. Il a tout perdu, est locataire d’un cinquième sans ascenseur près d’Odéon, et ne possède qu’une Fiat 500 vieillissante. Son retour dans les faveurs devrait lui permettre d’acheter une résidence secondaire sur une île éolienne. Non par instinct propriétaire, mais pour qu’existe un lieu infusé de souvenirs, où ses trois enfants, une chanteuse-comédienne, un bourlingueur, une lycéenne, pourraient se réunir.

Sa bibliothèque déborde d’ouvrages non lus. Trop respectueux du travail d’écriture, il ne grappille jamais en diagonale. En interview, il est intarissable sur l’esprit Charlie et l’importance du cadre de la parole, sujets largement débattus dans son cercle d’amis pas du tout disparus. En œillade décalée, signalons pour finir que l’homme se démaquille avec une lotion 3 en 1 de… Vichy, et s’asperge d’une fragrance qui résume son état d’esprit : Heaven Can Wait.

 

Nathalie Rouiller / LIBERATION

 

22 novembre 1960 Naissance à Paris.

 

2004 5x2 (François Ozon).

 

2008 Bienvenue chez les Ch’tis (Dany Boon).

 

2023 Réalise Tu choisiras la vie.

 

2024 Le Cercle des poètes disparus au théâtre.

 
Légende photo : Stéphane Freiss à Paris, le 22 mai 2024. (Cyril Zannettacci/VU' pour Libération)
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Avec la pièce « Terrasses », Laurent Gaudé orchestre un oratorio polyphonique sur les attentats du 13-Novembre

Avec la pièce « Terrasses », Laurent Gaudé orchestre un oratorio polyphonique sur les attentats du 13-Novembre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 21 mai 2024

 

 

Au Théâtre de la Colline, à Paris, le Québécois Denis Marleau met en scène le texte de l’écrivain d’une manière qui glace le sang.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/21/avec-la-piece-terrasses-laurent-gaude-orchestre-un-oratorio-polyphonique-sur-les-attentats-du-13-novembre_6234623_3246.html

Dix-sept comédiens sur scène au Théâtre de la Colline, à Paris, forment la foule de celles et ceux qui, le 13 novembre 2015, ont vécu de plein fouet les attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Victimes, familles, témoins, secouristes, infirmières, policiers : le texte de l’écrivain Laurent Gaudé est un enchaînement méthodique de monologues qui suivent un fil chronologique (avant, pendant et après les attaques). Moins de dix ans après la tragédie, l’auteur la passe au tamis de son écriture. Sans lyrisme excessif – malgré le surplus de phrases qui semblent parfois s’écouter elles-mêmes –, sa langue cherche le souffle poétique et épique qui saura convertir le réel en littérature.

Même s’il résulte d’une longue enquête préalable, Terrasses n’est donc pas un texte documentaire. Pas davantage la transcription retravaillée de propos recueillis. Les sources du dramaturge sont les traces journalistiques, historiques, politiques, qu’il a compulsées. Il ne livre pas un témoignage, mais un oratorio polyphonique et une élégie fictionnelle, puisque les paroles prononcées relèvent de sa seule imagination.

 

Le théâtre sait faire cela : ressusciter les morts, provoquer leur retour parmi les vivants et édifier pour eux un catafalque de mots. La cérémonie mémorielle qui se déploie dans la grande salle de La Colline est mise en scène par le Québécois Denis Marleau. L’artiste aménage un plancher de métal sombre qui se désarticule, s’incline par pans entiers, se redresse à l’oblique au-dessus de vides béants. Les acteurs circulent sur un sol anxiogène, troué de toutes parts.

Derrière eux, tenant lieu de paroi, un immense écran vidéo sur lequel sont diffusées des images en noir et blanc. Prises de vues allusives de rues sombres, de lumières qui tremblotent ou de rails de projecteurs suspendus. Rien de vraiment concret dans ces images monumentales qui dominent les silhouettes des interprètes. Elles ne sont pas là pour illustrer, mais pour suggérer un double hors-champ : les lieux assiégés et les états intérieurs des personnages.

Grandiloquence

Ce spectacle esthétisant, hiératique et mortuaire ne bouleverse pas. Il glace le sang. Parce qu’il creuse et recreuse sans relâche les raisons de s’inquiéter, de s’effrayer, de frémir et de sangloter, en déplaçant, de personnage en personnage, l’inéluctable constat d’un bain de sang qui, quoi que pensent, fassent, disent, les protagonistes, conclura la soirée du 13-Novembre. Quel est le but de cette litanie de l’impuissance et du désespoir mêlés ? Il se peut que ce cortège de paroles émeuve, répare et apaise certains spectateurs. Si tel est le cas, cela veut dire que le texte aura fait son office.

 

Mais, pour d’autres, moins prêts sans doute à accepter que la brutalité des faits, même drapée de littérature, devienne si vite et si tôt un spectacle de théâtre, la grandiloquence à laquelle s’abandonne insensiblement Denis Marleau est une gêne tenace (pour ne pas dire plus). Musiques qui montent en puissance, traits blancs qui fusent sur la vidéo lorsque sont évoqués les tirs au Bataclan, irruption d’un acteur costumé en CRS avec cagoule sur la tête et rangers aux pieds : était-il, à ce point, besoin d’en rajouter ?

 

 

Terrasses, de Laurent Gaudé. Mise en scène : Denis Marleau. Théâtre de la Colline, Paris 20e. Jusqu’au 9 juin.

 

Légende photo : Charlotte Krenz, Sarah Cavalli Pernod, Alice Rahimi, Marilou Aussilloux, Nathanaël Rutter, Axel Ferreira, Anastasia Andrushkevich et Lucile Roche dans « Terrasses », de Laurent Gaudé, mise en scène de Denis Marleau, au Théâtre de la Colline, à Paris, le 13 mai 2024. Photo © SIMON GOSSELIN

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

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Banc public avec fantômes : Place de la République de Clément Hervieu-Léger 

Banc public avec fantômes : Place de la République de Clément Hervieu-Léger  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 19 mai 2024

 

 

Sous le titre « Place de la République », Clément Hervieu-Léger organise la rencontre brève d’une jeune femme et d’un photographe en quête perpétuelle. Juliette Léger et Daniel San Pedro sont subtilement accordés.  

Rien, presque rien. Une rencontre aussi improbable que banale –un paradoxe, oui. Une toute jeune femme et un homme plus mûr. Il se balade armé d’un sac de voyage et d’un appareil photo de type « Polaroid », grande folie de la fin des années 60 et un peu au-delà. Elle flotte, semble attendre tandis qu’il va d’un pas décidé et cherche.

 

Lui, on l’imagine tout de suite un peu retenu par des fils reliés au passé. Séduisant, visage bien structuré, légèrement hâlé. Quelque chose de sportif, en lui. Un beau regard, un sourire ouvert. Elle se laisse photographier, le tutoie d’emblée. Bizarre. Elle n’a pas l’air d’une fille à tutoyer les inconnus. Mais qu’importe. On les regarde, on les écoute. Parfois, il parle comme un livre. Ils ont des terrains d’entente, et pas n’importe lesquels. Amitiés flamboyantes, disparitions, ruptures. Ce sont des contes d’entente et d’évanescence. Ne disons ni amour, ni mort. Rimbaud est au cœur. Il raconte, des voyages, une rencontre bouleversante. Elle racontera, une amitié à racines profondes. Ils ont en commun des évaporations, des blessures.

 

Lui, Daniel San Pedro, est un comédien, un metteur en scène, que l’on connaît très bien et que l’on a souvent applaudi. Il est d’une vérité bouleversante. Au Paradis, on est au plus près des interprètes et l’on s’en veut, parfois, d’être dans une posture d’indiscrétion. Mais Clément Hervieu-Léger qui a composé ce texte, le met en scène, parvient à établir une distance pudique entre les acteurs, les « personnages » et les spectateurs. Dans la partition de la toute jeune fille, Juliette Léger, fascine avec ses troublantes ressemblances avec la jeune Juliette Binoche. On l’a déjà vue, ici ou là. Fine, fluide, voix très belle –d’ailleurs elle chante-, grâce –d’ailleurs elle danse- justesse de tout l’être.

 

 

Autant le dire, on adhère profondément à la proposition dramatique de Clément Hervieu-Léger. On est admiratif et touché par ces deux personnalités délicates. On ne comprend pas les pleins feux, un moment, ni que Daft Punk et Veridis quo prennent tant de place. Pinaillages de spectatrice.

 

Armelle Héliot 

 

 

Lucernaire, salle Paradis, à 19h00 du mercredi au samedi, à 15h30 le dimanche. Tél : 01 45 44 57 34. Durée : 1h00.

www.lucernaire.fr

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"Terrasses", le requiem poignant de Laurent Gaudé

"Terrasses", le requiem poignant de Laurent Gaudé | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Céline Nivière dans L'Oeil d'Olivier - 18 mai 2024

 

 

Dans son dernier récit, mis en scène par le Québécois Denis Marleau, l’écrivain donne voix à tous ceux, morts et vivants, qui ont vu leur destin se briser cette terrible nuit du 13 novembre 2015.

 

Cette nuit d’automne, il y a neuf ans, nous apprenait « qu’on pouvait mourir de marcher dans la rue, de s’attarder autour d’un verre avec des amis ». Les attentats de Paris appartiennent désormais à notre histoire collective. Avec TerrassesLaurent Gaudé signe un chant polyphonique saisissant destiné à porter « la parole de ceux qui ont vécu la joie puis la terreur », mais aussi à « restituer les gestes, les regards échangés, la sidération partagée » et de faire entendre ainsi un hymne à la vie, celle qui se conjugue avec liberté.

« Y a-t-il un bruit que le malheur aurait fait en se levant et que nous aurions dû reconnaître ? »

Qui a oublié où il se trouvait et ce qu’il faisait le 13 novembre 2015 ? En frappant dans plusieurs lieux à la fois, les terroristes ont étendu la notion d’être là au mauvais endroit au mauvais moment — “MEMM”, tel que le contractait, dans son spectacle éponyme, l’acrobate-voltigeuse Alice Barraud. Pour réparer les vivants, parce que c’est son rôle, le théâtre s’est vite emparé de ce traumatisme :  Vous n’aurez pas ma haine par Raphaël PersonnazLes Vivants  de Jean-Philippe Daguerre13, Love is all you need  par Alex Metzinger, et plus récemment Les Consolantes de   Pauline Susini.

 

 

Laurent Gaudé est connu pour son écriture poétique et son style lyrique. Son texte est donc tout sauf une pièce documentaire. Le dramaturge a choisi d’explorer les voix intérieures, les pensées de ceux qui de près comme de loin ont traversé cette terrible épreuve. Tous les personnages sont des êtres de fiction dont l’ADN appartient à plusieurs. Ce processus narratif est très fort, d’autant plus que la plupart des personnages savent le sort que le hasard leur a réservé. Leur petite voix intérieure, qui exprime une envie de vivre, vient résonner en chacun de nous intensément.

« Chacun d’entre nous se sentira abîmé, même s’il n’a pas été blessé »

Autre particularité, l’auteur a mis l’accent sur trois personnages. Il y a ces deux jeunes filles fraîchement amoureuses qui découvraient la beauté de leurs sentiments (Marilou Aussilloux et Alice Rahimi), et cette jumelle (Sarah Cavalli Pernod) qui retrouvait sa sœur pour fêter leurs trente ans et que la mort ne séparera pas. Dans un jeu d’atemporalité, on les retrouve présent sur tous les lieux des attentats, les diverses terrasses et le Bataclan.

Elles tiennent le fil d’Ariane qui permet de sortir de ce labyrinthe de haine et de violence. Autour d’elles, gravitent tous les autres, les victimes, les rescapés, les forces de l’ordre, le corps médical, les anonymes, les familles endeuillées, etc., incarnés par Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk ainsi qu’Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche et Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de la Colline.

« Si l’enfer existe, nous y sommes. »

Puisque l’on parle de la tragédie des attentats, le ton dramatique choisi est bien celui de ce style théâtral caractérisé par la gravité de son langage et par l’action qui mène les personnages à une issue fatale. S’inscrivant dans cette tonalité, alternant les monologues aux parties chorales, la mise en scène de Denis Marleau est remarquable. La scénographie est signifiante. Il n’y a rien sur la scène, et pourtant, tout sera là. Le plateau mouvant s’ouvre, laissant apparaître l’abîme dans lequel l’insouciance vient de basculer. « Et pourtant, il faut continuer. Vivre. Comme on aime. Au nom de ceux qui sont tombés. Nous serons tristes, longtemps, mais pas terrifiés. Pas terrassés. »

Marie-Céline Nivière - L'œil d'Olivier

 

Terrasses de Laurent Gaudé (éditions Acte Sud)
La Colline – Théâtre National
15 rue Malte-Brun
75020 Paris.
Du 15 mai au 9 juin 2024.
Durée 2h05.

Mise en scène de Denis Marleau.
Avec Marilou Aussilloux, Sarah Cavalli Pernod, Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Alice Rahimi, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk et Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche, Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de La Colline.
Scénographie, vidéo et collaboration artistique de Stéphanie Jasmin.
Musique originale de Jérôme Minière enregistrée avec Guido Del Fabbro au violon, Philippe Brault à la contrebasse et Guillaume Bourque à la clarinette et clarinette basse.
Lumières de Marie-Christine Soma assistée de Raphael de Rosa
Costumes de Marie La Rocca assistée d’Isabelle Flosi et Claire Hochedé.
Maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar assistée de Mityl Brimeur.
Montage et staging vidéo de Pierre Laniel.
Design sonore de François Thibault.
Conseil chorégraphique de Stéfany Ganachaud.
Assistanat à la scénographie Marine Plasse, à la mise en scène Carol-Anne Bourgon Sicard et Sérine Mahfoud.
Fabrication des accessoires et costumes par les ateliers de La Colline.
Construction du décor par l’atelier de La Colline en collaboration avec Hervé Cherblanc.

 
 
Crédit photo © Simon Gosselin
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Vagues de glace au coeur de la Tempête

Vagues de glace au coeur de la Tempête | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Callysta Croizer dans Les Echos - 18 mai 2024

 

 

Au Théâtre de la Tempête, Elise Vigneron plonge dans « Les Vagues », l'oeuvre énigmatique de Virginia Woolf. La metteure en scène, également marionnettiste et plasticienne, confie le « poème-jeu » à des figures de glace et signe une adaptation à l'esthétique saisissante.

 

 

Publiée en 1931, « Les Vagues » est une oeuvre emblématique de Virginia Woolf. Inspirée par ce mystérieux « poème jeu », dans lequel l'autrice britannique a déployé la quintessence d'une écriture expérimentale, Elise Vigneron s'est jetée à l'eau. De la cité phocéenne à la Tempête du bois de Vincennes, la metteure en scène, marionnettiste et plasticienne, façonne un spectacle pour choeur de glace en une expérience sensible du temps qui s'écoule, de l'enfance à la maturité.

 

Dans un faisceau de lumière blanche, une boule de glace tournoie suspendue au bout d'un fil, avant de s'écraser en mille morceaux sur scène. Le geste, fatal, préfigure le destin des six marionnettes à taille humaine, chacune sortie par un interprète… d'un congélateur. Car ces poupées translucides, finement sculptées et articulées, ne sont pas de cire mais de glace. Doubles des personnages littéraires, elles se nomment Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny et Louis (seul Percival brille par son absence).

Mis en mouvement et en voix par les comédiennes et comédiens, qui tirent leurs longues ficelles dans l'ombre, ces pantins de gel oscillent entre gestes anthropomorphes et ballet aérien. Au son du roulement tantôt apaisant, tantôt menaçant des vagues, leurs flux de leurs consciences elliptiques traversent les questionnements existentiels d'amour et de haine, de vie et de mort.

 

Vague à l'âme

Adapter un texte de Virginia Woolf au théâtre est un exercice périlleux. La dramaturge Marion Stoufflet Un défi de taille relevé honorablement. Certes, l'écriture elliptique et diffractée entre six personnages peut laisser perplexes les moins familiers de l'autrice britannique. Mais ici, l'arrangement du flou spatio-temporel et narratif est au service d'une mise en scène qui parvient à capter de façon singulière l'obscurité du récit. Ainsi les longs silences donnent à sentir le vide laissé par la perte d'un être cher et l'arrachement brutal à une enfance insouciante.

Le travail d'Elise Vigneron frappe par sa sensibilité esthétique unique. Face à une quête de sens toujours fuyant, la porosité totale des marionnettes à l'atmosphère environnante saisit, par une métaphore matérielle originale, la fragilité d'une vie et d'une existence éphémère. Tandis que la glace fond sous la lumière des projecteurs, la précaution et la douceur des interprètes interagissant avec ces corps froids suscitent une empathie intrigante. Voltigeant avec grâce entre les doigts de Zoé Lizot et Chloée Sanchez, ou dans un fascinant pas de deux avec la danseuse Azusa Takeuchi, les figures finissent, inévitablement, par voler en éclats. Reste alors leur structure métallique à découvert et le clapotement des gouttes dans une piscine d'eau douce, symbole de finitude et de renaissance. Et d'un pari réussi.

LES VAGUES

D'après Virginia Woolf

Mise en scène Elise Vigneron

Paris, Théâtre de la Tempête - Cartoucherie

www.la-tempete.fr

Jusqu'au 26 mai, puis au Mfest - Amiens (10 et 11 octobre), Les Salins - Martigues (8 novembre), à la Scène 55 - Mougins (19 novembre), au Théâtre de Nice (22 et 23 novembre).

 

 

Callysta Croizer / LES ECHOS

 
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Après les coupes budgétaires, les compagnies de théâtres en crise: «On ne pourra plus prendre de risque artistique» 

Après les coupes budgétaires, les compagnies de théâtres en crise: «On ne pourra plus prendre de risque artistique»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc pour Libération - 19 mai 2024

 

 

Les restrictions budgétaires historiques annoncées fin février par Bercy et Matignon risquent de contraindre les institutions culturelles, déjà fragilisées par l’inflation, à réduire le nombre de leurs spectacles et à mettre en danger les compagnies qui s’y produisent.

 

 

«En deux saisons, nous sommes passés de 101 dates à 24… Au mieux. A cause de cela, nous allons devoir nous séparer de notre administratrice avec qui nous travaillons depuis dix ans.» Bess Davies ne peut s’empêcher de parler vite quand elle évoque le manque de moyens qui frappe sa compagnie de théâtre bordelaise, le collectif OS’O. «Je suis désolée, je vous bombarde d’informations…» Il faut dire que son équipe subit de plein fouet les effets de la politique d’austérité culturelle récemment mise en place par le gouvernement.

 

 

Les restrictions budgétaires historiques annoncées fin février par Bercy et Matignon risquent de contraindre les institutions culturelles, déjà fragilisées par l’inflation, à réduire le nombre de leurs spectacles et de leurs représentations, et, par ricochet, à mettre en danger les compagnies qui s’y produisent. Une donnée en particulier a fait réagir les professionnels du spectacle vivant : en avril, l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (Lapas) prédisait une baisse de 54% de représentations  pour la saison prochaine, en comparaison avec la saison actuelle. «L’augmentation des coûts fixes qui n’ont cessé de croître ces deux dernières années, comme ceux de l’énergie par exempleréduit énormément la marge artistique des théâtres, c’est-à-dire la somme allouée aux pièces, aux artistes», explique la coprésidente de l’association, Véronique Felenbok. Les budgets, eux, stagnent, les aides financières ne sont pas indexées sur l’inflation et certaines subventions régionales ont même été baissées. «La seule façon de ne pas perdre d’argent est de réduire le nombre de levers de rideau, notamment dans les scènes subventionnées. Cela peut paraître contradictoire, mais le théâtre public survit principalement grâce aux subventions – sans elles, une place coûterait 90 euros. Alors moins jouer, c’est perdre moins d’argent.»

«Je n’ai pas la clé de l’équation»

Même constat du côté de l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN), ces salles qui, dans cet écosystème du spectacle vivant, ont un rôle crucial de soutien à la création. Emmanuelle Queyroy, sa présidente, produit des données moins catastrophiques mais elles aussi alarmantes : elle table sur une baisse de représentations de 7,5% entre 2023 et 2024 (à noter qu’il s’agit de l’année civile et non de la saison, de septembre à juin, comme pour Lapas), et une baisse de 9% de spectacles programmés pour la même période. «C’est le résultat d’un cumul entre la baisse de moyens d’une part, et le plan “Mieux produire mieux diffuser de l’autre», selon l’ACDN. Le but de ce plan lancé par le ministère de la Culture en juin 2023 est simple : limiter une offre culturelle saturée, dans une logique «d’écologie de la création». Mais Emmanuelle Queyroy s’alarme, «il n’est pas accompagné du financement adéquat, et pire à présent, on nous retire des millions d’euros. C’est un couperet pour un secteur en crise, et une catastrophe pour les compagnies».

 

En décembre, le directeur du théâtre de l’Odéon à Paris, Stéphane Braunschweig, annonçait qu’il ne se présenterait pas à sa propre succession, faute de budget suffisant. Un signal d’alerte pour le milieu. «Je n’ai pas la clé de l’équation. Il faut inventer un nouveau modèle économique. Mais on ne peut pas le disjoindre d’un projet artistique», expliquait-il alors à Libération. Deux mois plus tard – et bien qu’il se réjouisse d’avoir finalement réussi à programmer la saison prochaine son spectacle la Mouette, qu’il pensait condamné faute de moyen – il se désole lui aussi de devoir baisser le nombre de levers de rideaux, et de l’impact que cela aura sur les compagnies «Nous avons préparé une saison 2024-25 avec un petit moins de représentations que ce dont nous avons l’habitude. Elle en comptera 250, soit une grosse quarantaine de moins que les années précédentes, pour un total de douze spectacles, ce qui représente un ou deux de moins que d’habitude.» D’un ton résigné, il liste calmement les impacts que laissent les coupes budgétaires, notamment sur les sommes allouées aux coproductions avec des compagnies. «Avant le budget allait de 30 000 euros pour les petites  productions à 100 000 euros pour les grandes, aujourd’hui on est entre 20 000 et 50 000 euros.» Pour l’heure, son théâtre ne survit que grâce à ses réserves qui réussissent à amortir son déficit (qui s’élève à 1,3 million d’euros pour l’année 2022). «Mais elles fondront.»

 

 

Sans coussin amortisseur, les compagnies accusent le coup. «Les marges artistiques des théâtres sont réduites et ils ne peuvent donc pas soutenir autant d’artistes qu’auparavant», soupire Hugo Mallon, qui a fondé la compagnie l’Eventuel Hérisson bleu. Active depuis 2009, elle met en scène grosses comme petites productions, mais peine actuellement à obtenir des confirmations pour ses représentations. «On pensait qu’avec le temps, on allait réussir à mieux s’en sortir, finalement on a la même impression de galère qu’il y a dix ans, c’est assez alarmant», explique-t-il. Pour sa prochaine production, une adaptation d’Emma Bovary, seule une série de dates est sûre et certaine : celle des premières représentations, au théâtre le Phénix de Valenciennes à l’automne 2025. Au-delà de celles-ci, deux dates sont probables mais «pas calées» – «dangereux», commente-t-il – et six autres lieux doivent encore confirmer leur accueil dans les mois qui viennent. «En temps normal, je devrais déjà connaître les dates de tournée pour l’année 2025-26. Mais là, je constate que de nombreux lieux se disent intéressés sans s’engager.»

«Nous raterons des artistes auxquels nous ne nous attendons pas»

A l’incertitude s’ajoutent des conditions de travail de plus en plus difficiles, témoigne Aurélia Lüscher, cofondatrice du collectif Marthe et de la compagnie le Désordre des choses : «Les théâtres sont obligés de nous demander de couper dans certaines dépenses.  Pour une prochaine production, je vais être obligée de réduire mes frais de transporteur et pour ce spectacle que j’ai écrit sans aide financière, je vais devoir acheminer moi-même le décor, conduire le camion, monter le décor en arrivant puis jouer dans la foulée…» Elle aussi a déjà commencé à recevoir des annulations de dates de la part de certaines salles dans lesquelles elle devait jouer, et cette année encore, comme depuis deux ans, le collectif a renoncé à augmenter ses cachets. La question des revenus inquiète sérieusement les professionnels, et tout particulièrement ceux qui bénéficient du statut d’intermittent : la réduction du nombre des représentations rime potentiellement avec l’impossibilité de boucler ses 507 heures de travail, condition sine qua non pour se qualifier à l’allocation.

 

«Entre les restrictions budgétaires et le plan Mieux produire, mieux diffuser, les jeunes metteurs en scène ne pourront plus faire de spectacles que tous les deux, trois ans, confirme Stéphane Braunschweig. Or, c’est par l’expérience qu’on apprend son métier.» Même lui, avec ses trente ans d’expérience dans le théâtre public, redoute les conditions dans lesquelles il se replongera dans la mise en scène indépendante. «Serais-je en mesure de réaliser une mise en scène par an comme je le fais depuis trente ans ? Je n’en suis pas sûr.»

 

Dans tous les témoignages revient une inquiétude : les œuvres proposées au public parviendront-elles à être aussi diverses et inventives si elles sont moins nombreuses et plus fragiles ? «On ne pourra plus se permettre de prendre des risques, de se planter… Avant, le conventionnement le permettait, on pouvait rebondir après une pièce qui n’avait pas marché», explique Bess Davies. Noëmie Ksicova, metteuse en scène depuis plus de dix ans qui a donné l’Enfant brûlé au théâtre de l’Odéon cette année, renchérit : «Nous ne jetons pas la pierre aux théâtres. A présent, leurs contraintes sont telles que même en étant de bonne volonté, ils ont du mal à sortir de cette logique économique. Ils ne peuvent plus se permettre certains choix et seront dans l’obligation de prendre des spectacles qui rempliront la salle à coup sûr, car la billetterie deviendra une ressource financière de plus en plus centrale. Nous raterons des artistes auxquels nous ne nous attendons pas. Et c’est ça précisément, qui fait la force du service public et la fameuse exception culturelle.»

 
 
 
Légende photo :  L’Association des centres dramatiques nationaux table sur une baisse de représentations de 7,5% entre 2023 et 2024. (photo © Leonard Mc Lane/Getty Images)

 

 
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Agnès Jaoui, à Cannes : « Il y a eu comme une conjuration pour terminer “Ma vie ma gueule”, de Sophie Fillières »

Agnès Jaoui, à Cannes : « Il y a eu comme une conjuration pour terminer “Ma vie ma gueule”, de Sophie Fillières » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Jacques Mandelbaum dans Le Monde

Publié le 15 mai 2024 

La comédienne, qui campe l’alter ego de la réalisatrice morte en 2023 dans le film qui ouvre la Quinzaine des cinéastes, le 15 mai, évoque, dans un entretien au « Monde », les deuils qui l’ont récemment touchée.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/15/agnes-jaoui-a-cannes-il-y-a-eu-comme-une-conjuration-pour-terminer-ma-vie-ma-gueule-de-sophie-fillieres_6233287_3246.html

Dans Ma vie ma gueule, comédie dépressive qui fait l’ouverture de la Quinzaine des cinéastes, Agnès Jaoui campe un alter ego de la réalisatrice du film, Sophie Filières, cinéaste à la fantaisie intranquille disparue le 31 juillet 2023, avant même qu’elle ne puisse travailler au montage de son film. Funeste coïncidence, pour l’artiste, que la fatalité contraint depuis quelques années à porter le deuil. Celui de son compagnon de vie et d’écriture, Jean-Pierre Bacri, en compagnie duquel elle a signé ses plus remarquables succès comme scénariste et actrice (Cuisine et dépendances, Un air de famille, On connaît la chanson), ajoutant sa qualité de réalisatrice dans son premier long-métrage, Le Goût des autres (2000). Mais aussi celui de membres de sa famille, assassinés durant les massacres du 7 octobre 2023 en Israël.

A 59 ans, l’écriture comme suspendue, la vie comme assombrie, cette femme d’une vitalité tellurique se recentre ainsi sur une carrière d’actrice dont les rôles expriment, tel celui qu’elle a encore récemment tenu dans Le Dernier des juifs, de Noé Debré, la souffrance diffuse qu’elle tente d’exorciser.

 

Vous incarnez dans le film de Sophie Fillières une héroïne dont le rapport tant à son propre désir qu’à celui de la réalité laisse à désirer. Vous reconnaissez-vous dans cet accommodement compliqué au monde qui vous entoure ?

Cela peut m’arriver, en effet. Mais j’ai d’abord ressenti très fortement que je l’incarnais elle. Ses amis, ses broches et ses bagues qu’elle me donnait tous les matins et que je lui rendais tous les soirs. D’ailleurs, en voyant le film, surtout la première partie, je ne me reconnais pas, je la vois elle. Cette façon de marcher au bord du gouffre, en trouvant malgré tout de la vie et de la gaieté. Il y a un élan vital chez elle.

Saviez-vous que la réalisatrice était malade en tournant le film ?

Oui, nous étions quelques-uns à le savoir évidemment, le tournage avait été repoussé. Mais nous n’en parlions pas sur le plateau. La volonté de tous, c’était que le film se fasse coûte que coûte. Sophie était très entourée, elle avait des amitiés très solides. Il y a eu comme une conjuration pour le terminer.

N’est-ce pas une étrange situation de porter aujourd’hui le film en son absence ?

Evidemment. Cette projection à Cannes va être émotionnellement très chargée. Et, en même temps, il y a eu une telle solidarité pour finir le film en son absence, avec ses enfants, il y a un tel soutien de la Quinzaine des cinéastes et de tous ses amis, je ne sais pas comment dire, c’est un peu comme si elle était encore là.

 

Vous avez été récemment frappée par des disparitions dont on pressent combien elles vous ont affectée, à commencer par celle de Jean-Pierre Bacri, dont vous avez laissé entendre qu’elle vous empêche peu ou prou d’écrire…

Evidemment que Jean-Pierre me manque de toute façon à chaque instant, mais il est vrai qu’il est particulièrement compliqué d’écrire seule quand on a toujours écrit et joué à deux. Nous avions une complémentarité et une compréhension mutuelle, une sorte de méthode que nous nous étions créée de manière empirique, qu’il est impossible pour moi de retrouver.

Pensez-vous surmonter cet écueil ?

J’espère être en train d’y parvenir. En renonçant à remplacer Jean-Pierre, et en écrivant seule mais avec d’autres, plusieurs autres, de sorte qu’aucun ne soit tenu à devoir se substituer à lui. Et je travaille notamment à un projet de cinéma, assez chaud, sur la relation homme-femme.

Sujet rendu même brûlant par le mouvement #metoo, tout particulièrement dans le milieu du cinéma. Pensez-vous que ce milieu, qui fonctionne sur le désir, soit plus touché que d’autres ?

Sûrement pas. C’est très bien d’en parler, mais on sait bien que les abus sont partout, simplement plus visibles ici parce que les gens sont connus et parce qu’en effet il y a du désir qui circule sans arrêt au cinéma. C’est la chose délicate à comprendre : dénoncer les abus ne doit pas conduire à tout mélanger.

 

En 2020, vous aviez évoqué lors des assises du collectif 50/50 les violences sexuelles dont vous avez été victime dans votre enfance, et plus largement l’aliénation de la femme au cinéma. Vous reconnaissez-vous dans le féminisme des nouvelles générations ?

Pas complètement, et pas davantage avec celui de la génération de ma mère. Il y avait chez elle une terrible colère, sans doute légitime, mais qui avait pour corollaire l’idée qu’il n’y avait pas un mec pour rattraper l’autre. C’est un peu la même colère que je retrouve chez certaines jeunes femmes, aujourd’hui. J’ai l’impression d’avoir vécu avec ma génération un moment très particulier, où le féminisme était à la limite perçu comme ringard parce que la cause était considérée comme gagnée. Des dissensions internes au sein du mouvement féministe, j’en ai connu beaucoup. Elles sont parfois désespérantes, traumatisantes même, parce qu’on se rend compte qu’on a beau combattre pour une cause commune, cela n’empêche pas certaines divergences de prendre le dessus. Ce sont des raisons de cette nature qui ont fini par me faire quitter le collectif 50/50, même si je continue à leur apporter mon soutien parce que je considère que leur cause est juste.

Pensez-vous que les mouvements contemporains en faveur des minorités développent une pensée dont la radicalité se révèle, à certains égards, liberticide ?

Je crois, en effet, que la présomption d’innocence doit être respectée et qu’on ne doit pas jeter en pâture les gens tant qu’ils n’ont pas été jugés. Ça tourne au jeu de massacre. On en est au point où certains journalistes vous tarabustent uniquement pour que vous donniez des noms. Cela me met moralement très mal à l’aise. Je pense, par ailleurs, que l’exigence d’une pureté et d’une hygiène des comportements est très largement illusoire, et par surcroît dangereuse. Toutes les fois qu’un tel argument a été énoncé dans l’histoire, les conséquences ont été dramatiques.

Un autre drame vous a récemment frappée, l’assassinat de certains membres de votre famille durant les massacres du 7 octobre 2023 en Israël. Qui étaient-ils ?

Ce sont des cousins du côté de mon père qui habitaient le kibboutz Nir Oz, près de la frontière avec Gaza. Une grand-mère et sa petite fille ont été tuées. Une de ses filles, Hadas Jaoui-Kalderon, vient d’écrire un livre sur l’enlèvement de son mari et de ses deux enfants, 52 jours sans eux [Alisio, 220 pages, 19 euros]. Les enfants ont été relâchés. Le mari, s’il est en vie, est toujours otage.

 

Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin d’en parler publiquement ?

Parce que je ne m’attendais pas à un tel manque de compassion, à un tel déni tant des massacres que de la vie des otages. J’ai été choquée par la logique nauséabonde qui s’est mise en place dans certains milieux de gauche. Comme si on était dans une nouvelle narration qui fait d’Israël, dans sa fondation, son être même, une puissance colonisatrice, donc un Etat d’emblée illégitime qu’il faudrait, selon cette définition de l’antisionisme, rayer de la carte. Il en va de même de l’usage du mot « génocide ». Je condamne la politique menée depuis des décennies par le gouvernement israélien et les épouvantables massacres qui sont en cours à Gaza, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a une certaine perversité, ou peut-être un certain soulagement moral, à tant vouloir que les descendants des victimes de la Shoah soient à leur tour des génocidaires.

 

Jacques Mandelbaum / LE MONDE

 

Légende photo : Barberie Bichette (Agnès Jaoui), dans « Ma vie ma gueule », de Sophie Fillières. CHRISTMAS IN JULY / JOUR2FÊTE

 

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Le Petit Chaperon rouge – Das Plateau – Céleste Germe

Le Petit Chaperon rouge – Das Plateau – Céleste Germe | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Hottello - 16 mai 2024

Le Petit Chaperon rouge – Das Plateau – Céleste Germe. Texte de Jacob et Wilhelm Grimm, traduction de Natacha Rimasson-Fertin (Corti), et des fragments de Futur, ancien, fugitif d’ Olivier Cadiot, mise en scène Céleste Germe. Avec Antoine Oppenheim et Maëlys Ricordeau, collaboration artistique Maëlys Ricordeau, composition musicale et direction du travail sonore J. Stambach, scénographie James Brandily, création vidéo Flavie Trichet-Lespagnol, dispositif son et vidéo et régie Jérôme Tuncer, création lumière Sébastien Lefèvre, costumes Sabine Schlemmer, conseils dramaturgiques Marion Stoufflet.

 

 

Le Petit Chaperon rouge est l’un des premiers contes qu’on lit aux enfants, l’un des plus connus, au charme envoûtant pour des générations qui ont grandi avec lui. Il faut l’entendre à nouveau, ne serait-ce que pour la complexité et l’ambivalence de ses thèmes, « aussi denses et noueux que les arbres centenaires, pour l’épaisseur poétique de l’histoire dont la trace perdure en de longs sillons dans nos imaginaires, pour l’imagerie : la forêt profonde, la tâche rouge, le soleil qui éclate dans les canopées sombres. » Telle est la formulation rédigée avec rigueur, perspicacité et poésie du projet de « Das Plateau ».

 

Montrer aussi une nouvelle fois Le Petit Chaperon rouge pour faire entendre la version mature et positive des Frères Grimm dans laquelle cette petite fille qui se promène joyeusement dans la forêt n’est ni imprudente ni naïve, mais au contraire, vaillante et courageuse, traversant les dangers et luttant contre les clichés réducteurs, voulant vivre. 

 

« Tout est là, la peur, la dévoration, la forêt obscure, les liens familiaux d’abord féminins – transmission, piège, victoire, déguisement, métamorphose :  un conte solaire grâce à cette fille vive, sa capacité à garder la tête haute, traversant les dangers pour retourner le sort. »

 

Et faire voir cette fillette dans ses promenades – joie, beauté enfantine, jugement sûr. Soit la réécoute du récit initiatique, qui, par-delà les temps et les générations, magnifie la solidarité féminine et raille les affreux loups méchants, et redécouvrir ce conte émancipateur subversif, qui affirme le droit au mystère, au plaisir, à la liberté et à la peur. 

 

Un spectacle à l’intensité visuelle et sonore qui ouvre à des paysages sensibles et inédits, à la fois légendaires et quotidiens, imaginaires et familiers, vertigineux et inventifs. Bel envoûtement véritable d’un spectacle d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant.

 

L’expérience immersive et plastique est fascinante, plus subversive qu’on ne le pense, tel est ce Petit Chaperon rouge, en résonance avec notre présent incertain et improbable.

Pour donner vie à ce récit initiatique, s’impose une scénographie de filtres et de miroirs – le mystère de l’enfance et le merveilleux à portée de main. Un toit mobile, un plafond en miroir, reflète les personnages sur la scène – l’étrange réverbération d’un portrait inversé.

 

Le Petit Chaperon rouge – narratrice et adulte – que campe Maëlys Ricordeau, qui revêt sa capeline rouge, ou bien son bonnet de dentelle pour incarner la grand-mère – et le loup enfin dont le rôle revient à Antoine Oppenheim, qui jouera le Chasseur éclairé plus tard.

En attendant, il porte avec foi une fourrure significative de loup aux pattes longues et fines.

Le dispositif optique est ingénieux, déployé en tableaux-paysages successifs : forêt profonde, rayons du soleil dans les arbres, chemin caillouteux qui mène chez la grand-mère : les images tournées d’un livre de conte, et les trois dimensions où on se promène.

 

Récit et dialogue, narration et incarnation, les interprètes habiles jouent de tous les codes. Ce poème visuel et jubilatoire souffle la libération, affirmant le mystère, le plaisir, la liberté. Un verbe clair articulé sur des dispositifs scénographiques et visuels à la composition subtile: images, musique, lumière, sons, jeu, voix, musique avec harpe, trombone et orgue. Les noirs sont prégnants aussi, diffusant cette terreur et cette angoisse universelle qui serre le coeur quand l’être se sent inquiété par l’inconnu, exposé encore à la menace.

 

Or, il s’agit, pour la fillette, de respirer, de continuer à être soi sans faillir face à l’hostilité.

 

 

Véronique Hotte

 

 

Du 15 au 18 mai  2024, dès 5 ans, au  Théâtre Silvia Monfort 106 rue Brancion 75015 Paris • 01 56 08 33 88 • theatresilviamonfort.eu Du 21 au 24 mai, Théâtre de la Cité, Toulouse. Du 30 mai au 1er juin, Théâtre National de Nice. Du 5 juin au 7 juin 2024, Théâtre de l’Auditorium de Poitiers, Poitiers.

 

 

Crédit photo : Simon Gosselin.

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Lionel Lingelser le possédé 

Lionel Lingelser le possédé  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 15 mai 2024

 

L’acteur Lionel Lingelser, co-fondateur du Munstrum théâtre, a confié à l’auteur Yann Verburgh le soin de conter sa vie en la brodant. Ainsi est née une pièce pleine de fantômes, « Les possédés d’Illfurth », où l’acteur joue tous les rôles. Éblouissant.

 

Tel un chaman, tambourin en main éloignant de son fracas les mauvaise ondes, l’acteur Lionel Lingelser traverse la salle pour monter sur la scène où il restera seul, avec, en bouche, le récit sa vie librement mise en mots, et sans fards à sa demande, par l‘auteur Yann Verburgh.

 

Né en Alsace dans le petit village d’Illfurth, Lionel Lingelser a étudié le théâtre au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris tout comme son compère Louis Arène. Ensemble, ils ont fondé le Munstrum théâtre en Alsace et la Filature de Mulhouse coproduit la plupart de leurs spectacles dont celui-ci, créé il y a trois ans, et, présentement, à l’affiche du Théâtre du Rond-Point

 

 

Le titre, Les possédés d’Illfurth, fait référence à une histoire ancienne du village natal de l’acteur où, en 1864, deux enfants atteints d’une possession démoniaque selon l’église ont été exorcisés. Lionel Lingelser est lui aussi un possédé puisqu’il a le démon du théâtre dans la peau. Mais ce n‘est pas suffisant pour atteindre l’excellence du jeu. Un metteur en scène lui conseille la lecture du texte de Lorca sur el duende en martelant : « S’il n’y a pas cet esprit qui te possède, cette inspiration qui t’élève, il n’y a rien ! ».

 

Ainsi la pièce commence-t-elle avec son double Hélios, faisant face à un « sorcier » à l’accent ibérique qui lui fait répéter le rôle de Scapin. L’acteur Lingelser a effectivement joué Les Fourberies de Scapin  il y a une quinzaine d’années dans une mise en scène d’Omar Porras.

 

 

La pièce avance ainsi en entrelaçant habilement la légende des possédés d'Illfurth, le pouvoir démoniaque du sorcier sur l’acteur et sa quête du el duende. Et, pour finir, le plus cruel, le plus enfoui, la façon dont un certain Bastien, compagnon d’entraînement de son âge, cinq ans durant va abuser de lui, va le posséder.

 

A sa mère qui pense que le plus dur au théâtre, « c’est d’apprendre le texte » , son fils Hélios lui dit que non, le plus dur c’est « être au présent ». C’est aussi ce qu’il répondra à Bastien le jour où il décide de ne plus jamais le voir. Être au présent, c’est le Graal de tout comédien et Lionel Lingelser le possède.

 

 

Théâtre du Rond Point, du mar au ven 19h30, sam 18h30, jusqu’au Ier juin.

Le texte de la pièce est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs

 

Crédit photo : Lionel Lingelser dans "Les possédés d'Illfurth" Photo © Jean-Louis Fernandez

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Julie Duval, boxe office 

Julie Duval, boxe office  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gilles Renault dans Libération - 12 mai 2024

 

Seule sur scène, dans un spectacle qui cartonne depuis deux ans, la comédienne retrace une histoire personnelle d’émancipation, à coups de mots et de poings.

 

 
 

Aurait-on beau préconiser un équilibre absolu des relations homme-femme, que certaines questions achopperaient encore sur la bienséance. Comme celle consistant à demander son poids à une personne du sexe jadis présumé faible. Pourtant, dans le cas de Julie Duval, le sujet froisse d’autant moins que l’interlocuteur valse illico dans les cordes : «Catégorie moins de 54 kilos.» Option boxe thaïe, en l’occurrence. «Tout sauf un sport de riches, mais avec des valeurs nobles, beaucoup de discipline, de rigueur, et un excellent remède pour évacuer la colère qu’on peut avoir en soi.» En témoignent une dizaine d’années de pratique, acharnée – «Jusqu’à six jours sur sept, et deux entraînements quotidiens» –, complétée par de la course à pied et du renforcement musculaire, que valident trois combats officiels au compteur : deux victoires, une défaite.

Un palmarès modeste qui, avouons-le, ne suffirait pas à éveiller la curiosité médiatique. Sinon que ladite boxe accapare le spectacle de Julie Duval, l’Odeur de la guerre. Une victoire par KO qui, pour le coup, met tout le monde OK : du off d’Avignon à la salle parisienne de la Scala, chaque séance, à guichets fermés, récolte son lot de vivats. Et la critique suit, jusqu’à l’aréopage radiophonique du Masque et la Plume, arbitre volontiers vipérin des élégances germanopratines, qui, sur France Inter, a même baissé la garde. Une heure quinze durant, seule sur scène, Julie Duval se raconte, volubile et cash – doutes, regimbements, blessures et rédemption compris –, englobant dans la performance une dizaine de personnages qui, famille, proches ou enseignants, ont jalonné la sortie de la chrysalide.

C’est au premier étage d’une maison, dans une rue calme de Montreuil, propriété de son compagnon, le cinéaste Léopold Legrand (le Sixième Enfant), que la trentenaire rembobine le cheminement. Une certaine quiétude émane du salon au parquet de bois foncé, tout juste démentie par l’intitulé des ouvrages dispersés sous le verre de la table basse, de l’antédiluvien Art de la guerre de Sun Tzu aux bourlingues du Jack London photographe, via les cartes de la Féminité sacrée, «oracle thérapeutique de la femme sorcière» dont l’argumentaire garantit qu’il «libère de tous les carcans afin de vivre pleinement sa destinée et ses rêves».

 

Un vade-mecum qui conduit donc à cette hôtesse gracile qui, jeans noir, pull gris et jambes repliées dans le fauteuil, transite sans barguigner de la scène au séjour ; une différence notable résidant néanmoins dans le ton, la faconde de la comédienne se substituant, hors plateau, à la parole posée, limite studieuse de quelqu’un qu’on devine peu rompu à la joute médiatique. Pourtant, comme on le disait en préambule, l’Odeur de la guerre a bien la baraka, après déjà plus d’une centaine de rounds et la perspective de nombreux mois fructueux encore à venir. .

Un marathon qui nécessite des plages de récupération, comme ces deux semaines de vacances, en Martinique, puis en Normandie, qui ramènent la brunette au teint hâlé, reposée, à défaut de rassérénée. «De même qu’il faut enchaîner des centaines de gauche droite avant d’en placer une correctement, presque un an de travail a été nécessaire pour parvenir à cette version , moins vindicative et plus joyeuse qu’à l’origine. Et si je pense avoir évacué certaines fêlures du passé, je n’en reste pas moins une grande anxieuse qui, malgré les encouragements, peine à savourer le moment présent. Peut-être en souvenir de ce combat où, ayant convié plein de gens autour du ring, tu te retrouves au sol et dois te relever.»

 

«A ses débuts, Julie était très organique et sauvage. Au point qu’elle a pu faire presque peur à des profs d’art dramatique qui, à tort, ont cherché à lui mettre un carcan», se souvient Juliette Bayi, qui la connaît depuis une douzaine d’années et a vécu avec elle en colocation. «Mais je pense qu’elle a appris à soigner ses blessures et ses démons, jusqu’à être en mesure d’accepter la notion de vulnérabilité. De même qu’elle commence à se protéger un peu, face aux sollicitations de plus en plus nombreuses, et, succès aidant, à rêver de faire pleinement ce métier», complète celle qui, avec Elodie Menant, cosigne la mise en scène.

 

Quiconque a déjà humé l’Odeur de la guerre apprendra fatalement moins de choses, en lisant ces lignes, que les profanes, tant l’on suit un fil autobiographique que l’autrice évalue elle-même à «100 %». De fait, Jeanne (qu’elle incarne) est Julie. Qui égratigne un cadre familial frustrant, entre un père taiseux et brutal, et une mère dépassée qui escamote les sujets sensibles en préférant parler du chien. Détaille l’éveil cru à la féminité, des premières règles à une sortie alcoolisée en boîte où un connard fait fi du mot «consentement». Galèje une scolarité foireuse, bordurée par une bonne copine certifiée cagole et une sœur cadette, aujourd’hui aide-soignante. Célèbre l’arrivée à Paris, rimant avec épiphanie, quand la Varoise, qui vivote avec un CAP esthétique et un BEP hôtellerie-restauration, découvre le poids des mots, de Hugo, de Molière, de Racine, avant François ChengAnnie Ernaux, ou bell hooks, en s’inscrivant au cours Florent – avec la bénédiction de son parrain, qui la sponsorise –, et le choc des jabs et high kicks, à la Team Alamos, un club parisien symbolisé sur scène par un banc et un sac de frappe.

 

Autant de contextes dont les authentiques acteurs ont poussé, un soir ou l’autre, la porte du théâtre pour découvrir la performance de Julie Duval. «Mes parents, purs transfuges de classe, aujourd’hui retraités, mais autrefois commercial et employée à Pôle Emploi, se souciaient plus des conventions que des émotions. Si bien qu’à la maison, on ne parlait pas. D’où une adolescence compliquée, marquée par un renvoi du collège et ce goût de la bagarre donnant à une fille, qui voulait être tout sauf elle-même, l’illusion d’exister. Mon père a pleuré, en comprenant, à travers le spectacle, ce que fut notre vie à l’époque. Ma mère, d’un tempérament pudique, a préféré ne pas se reconnaître. Mon coach de boxe, qui avait mis un costume pour l’occasion, lui, s’y est retrouvé.»

 
 

Préférant «écouter les poètes, plutôt que les candidats politiques», qui jusqu’à présent ne l’ont jamais incitée qu’à «voter contre», Julie Duval n’en est pas moins, dans son style, une activiste, qui a participé à des collages nocturnes pour dénoncer la précarité et les violences faites aux femmes. De même qu’elle enseigne la boxe au Palais de la femme, emblématique centre d’hébergement parisien, et va régulièrement raconter son parcours dans des bahuts de banlieue. Où elle s’inquiète de trouver les jeunes «bien sages, sans envies ni repères, comme épuisés, sinon résignés», tandis qu’elle les enjoint à prendre en main leur destinée. A ses heures perdues (sic), la jeune femme dessine aussi, «d’un trait, qui ne lâche jamais la feuille». Ni, elle, l’affaire.

 

Gilles Renault / Libération 

 

 

1989 Naissance à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes).

 

2014 Découverte de la boxe thaïe.

 

2021 Création de l’Odeur de la guerre au Théâtre La Flèche (Paris).

 

2022 et 2023 Off du Festival d’Avignon.

 

2024 L’Odeur de la guerre à la Scala (Paris) et à Avignon.

 
 
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« Dans ton cœur », à la folie

« Dans ton cœur », à la folie | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 9 mai 2024

 

 

Pour la troupe d’acrobates de la compagnie Akoreacro, Pierre Guillois a réglé un formidable spectacle qui s’appuie sur l’excellence des artistes. Ayons une pensée pour Titouan Maire, brillantissime élève du CNAC, mort après une chute, lors d’une répétition.

 

Que dire ? Ils ont trouvé le metteur en scène idéal qui donne à leurs époustouflantes prouesses ce « petit plus » qui fait de Dans ton cœur, spectacle déjà bien rodé, né il y a plusieurs années, un supplément d’esprit, d’humour, et de fluidité narrative.

 

Au Rond-Point, dans la grande salle, ce soir-là, la jeunesse est en présence forte ! Et quel bonheur sentir comment ils retiennent leur souffle, comment ils font crépiter des applaudissements qui disent à la fois bravo et merci avant l’explosion finale.

 

C’est en 2018 qu’a été créé cette merveilleuse pièce liant une compagnie exceptionnelle d’art circassien et d’acrobatie, en particulier, à un homme de théâtre d’une intelligence et d’une sensibilité bouleversantes. Comment a-t-on fait pour qu’il faille attendre le Rond-Point pour les applaudir ?! Sous la haute charpente de ce qui fut le théâtre de la compagnie Renaud-Barrault à la gare d’Orsay (bien avant le Musée !), les artistes d’Akoreacro sont chez eux : au cirque !

 

Sur le très large plateau, des éléments scéniques translucides ou opaques, selon les lumières de Manu Jarousse, assurant la régie générale au millième de seconde, glissent, composant, défaisant, recomposant, un univers urbain d’immeubles silencieux. Et, perchée à cour, une plate-forme qui ne cache pas qu’elle est un tremplin pour envols et autres hallucinants numéros de trapèze. Un décor circassien de Jani Nuutinen et Circo Aero, avec la touche onirique d’Alexandre de Dardel…

 

Ici, il faudrait citer chacune et chacun, des accessoires aux costumes, car tout est réglé d’une manière aussi plaisante et harmonieuse, qu’efficace. Du grand art, à tous les postes. Pas de secret. Une rigueur qui se farde d’humour, jusqu’aux clowneries, mais quelle maîtrise !

 

 

On ne vous racontera pas tout, mais saluons le couple des amoureux-voltigeurs, qui s’envoient en l’air avec les bébés (de chiffon, rassurez-vous), l’hallucinante Marion Rouillard, un Tanagra tout en jolis muscles et présence d’esprit, une plume qui doit peser quarante kilos toute mouillée, et sans doute moins… Ravissante, forte d’une autorité naturelle, harmonieuse, espiègle, irrésistible. Face à elle, Antonio Segura Lizan, un Puck des pistes et des airs, merveilleux comédien, en plus !

 

Saluons les acrobates, porteurs, jongleur ou as du trapèze Washington, des mecs, des vrais, comme les dessine le metteur en scène, saluons les musiciens, indissociables du projet de la compagnie, intégrés au jeu, contrebasse, batterie, percussions, guitare, saxophone, claviers, flûte.

 

 

L’orchestration spectaculaire est aussi sublime que jubilatoire. On retient son souffle. Ils sont dans les airs comme portés par une grâce, une poésie qui illuminent tout. C’est magnifique.

Théâtre du Rond-Point, du lundi au vendredi, sauf mardi, à 20h30, samedi 19h30, dimanche 15h00. Jusqu’au 26 mai. Durée : 1h15. Relâches, jeudi 9 mai, dimanche 19, lundi 20 mai. Tél :01 44 95 98 21.

theatredurondpoint.fr

 

Distribution au Rond-Point :

Manon Rouillard Voltigeuse
Romain Vigier Acrobate, porteur
Maxime Solé Acrobate, trapèze Washington
Basile Narcy Acrobate, porteur, jongleur
Maxime La Sala Porteur cadre Antonio Segura Lizan Voltigeur
Pedro Conscienca ou Tom Bruyas porteur, acrobate Joan Ramon Graell Gabriel porteur, acrobate.

 

 

Saluons Pedro, qui va vers d’autres chemins, pensons à Titouan Maire, mort d’une chute au CNAC, lors d’une répétition. Mourir à 23 ans, au sortir d’une troisième année, cela ne devrait pas être possible La Ministre de la Culture, Rachida Dati, demande une enquête. 

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Le château d’Hardelot, son théâtre élisabéthain et son « Roi Lear » revisités par Irina Brook

Le château d’Hardelot, son théâtre élisabéthain et son « Roi Lear » revisités par Irina Brook | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 10 mai 2024  

 

La metteuse en scène s’est fixée pour trois ans dans ce lieu singulier du Pas-de-Calais, où elle ouvre un nouveau chapitre de son aventure artistique avec « Lear ? », présenté les 11, 17 et 18 mai.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/10/le-chateau-d-hardelot-son-theatre-elisabethain-et-son-roi-lear-revisites-par-irina-brook_6232541_3246.html

Planté sur la Côte d’Opale, d’où il observe les rives britanniques voisines (à 30 kilomètres à vol d’oiseau), le château d’Hardelot (Pas-de-Calais), avec ses pierres claires arc-boutées les unes sur les autres, détonne dans un paysage verdoyant où les forêts domaniales d’Hardelot et d’Ecault s’étendent à perte de vue. Construit au XIXe siècle par un Anglais sur les ruines d’une forteresse médiévale, il est surmonté d’un drapeau franco-britannique et agrémenté, sur ses pelouses, d’un théâtre en bois circulaire.

 

L’ensemble est devenu, en 2009, le Centre culturel de l’Entente cordiale. Une volonté du département du Pas-de-Calais, qui en finance à lui seul le train de vie : 1,1 million d’euros de crédits en 2024. C’est assez pour que le directeur, Eric Gendron, entrecroise, dans une programmation binationale, expositions, concerts, cinéma en plein air, ateliers pour les scolaires ou spectacles de théâtre.

 
« Nous sommes une vingtaine de permanents. A l’exception de janvier, nous ne fermons jamais. Du British Jazz Festival au Printemps médiéval, en passant par les Shakespeare Nights, chaque mois est consacré à un thème. Notre mission est d’être attractif sur les plans touristique et culturel », explique le patron, qui se désole, trousseau de clés à la main, du caractère singulier de la visite, ce mardi 7 mai. « Les tempêtes qui ont ravagé la région ne nous ont pas épargnés. A cause des infiltrations d’eau, nous devons mettre les œuvres à l’abri. »
 

Sur place, les équipes déménagent avec précaution peintures à l’huile, sculptures et meubles ouvragés. Un crâne en marbre attend son heure, le canon offert par la reine Victoria également. Le fumoir, la bibliothèque, la salle à manger, l’immense escalier de bois : pas un mètre carré qui ne soit sécurisé. Les randonneurs devront se contenter, pendant quelques mois, d’admirer le château de ses jardins.

Réplique du Globe de Londres

Même le théâtre circulaire, autre atout (et non des moindres) de ce site éclectique, a subi les caprices de la météo. Les hauts bambous qui l’encerclent ont été retirés, pour éviter le risque de les voir chuter sur les passants. L’édifice n’en reste pas moins impressionnant. Et pour cause : surgi de terre en 2015, il est la réplique du Théâtre du Globe, qui, à Londres, accueillait les pièces de Shakespeare.

C’est donc ici qu’avec évidence se sont dirigés les pas d’Irina Brook, pour qui l’œuvre de l’élisabéthain est une source de jouvence permanente (elle a adapté et mis en scène Roméo et Juliette, Tempête !, Le Songe). L’artiste franco-britannique n’est pas pour rien dans la construction de cet écologique bâtiment : « Avec l’architecte Andrew Todd, nous l’avions rêvé comme le croisement entre le Globe londonien et les Bouffes du Nord parisiens. A l’origine, il devait être implanté en bordure de Seine, près de Ris-Orangis [Essonne]. Je me suis retirée du projet, et c’est finalement sur la Côte d’Opale qu’Andrew l’a bâti. »

 

 

Lire aussi sur le château d’Hardelot (2016) | Article réservé à nos abonnés Tempête pour un théâtre élisabéthain
 

En 2023, la metteuse en scène était venue, pour la première fois, jouer à Hardelot. Elle en garde le souvenir inoubliable de l’énergie naissant des rondeurs boisées de la salle, un pur violoncelle où résonnent et vibrent les mots des acteurs. « Les murs parlent », affirme Irina Brook. Le choc est tel qu’elle n’envisage plus de repartir. Associée au Centre culturel de l’Entente cordiale, elle sera son ambassadrice pour les trois ans à venir. Une fonction qu’elle souhaiterait assumer au-delà du temps imparti : « J’aimerais obtenir des financements européens pour pérenniser ma présence. Le théâtre a besoin de plus de temps pour se déployer. »

 

« Changer le monde est mission impossible »

A-t-elle enfin trouvé son port d’attache ? Celle qui partage désormais son temps entre la France et le Kent (elle peut voir Hardelot de son appartement de Folkestone) a quitté en 2019 la direction du Centre dramatique national de Nice après un unique mandat. « Je suis partie pour sauver ma peau. Je m’étais épuisée dans le désir idéaliste de rallier le public au théâtre. Je n’avais que ça en tête, je ne me suis occupée de rien d’autre, jusqu’à ce que je comprenne que changer le monde est mission impossible. »

 

Faute de changer le monde, elle se réinvente. Une métamorphose qui n’est pas sans rapport avec la mort de son père, Peter Brook, en juillet 2022. « Je pense avoir passé ma vie à essayer de faire du théâtre pour lui plaire. Je suivais ses préceptes. Je m’acharnais à concevoir des spectacles simples et pour tous. Il me semblait que je n’avais rien de personnel à raconter. » Ces entraves ont volé en éclats. Si aujourd’hui Irina Brook revient à Shakespeare, elle le fait en ne cachant rien de ce qu’elle ressent « au plus profond » d’elle-même. Elle monte donc Lear ?, d’après Le Roi Lear. Un drame qu’elle projette dans une maison de retraite et dans lequel elle greffe des textes inédits, fruits d’improvisations menées avec ses comédiens. Une histoire d’enfants et de parents, de vieillards au seuil de la mort. « Nous passons par l’esprit de Lear, une folie qui nous autorise à circuler dans toutes sortes de mondes. »

Sur la scène, un lit médicalisé et un fauteuil roulant. Les filles de Lear portent des robes à paillettes sous leurs blouses d’infirmière. Le roi endosse un manteau de fourrure élimé. A quelques jours de la première, l’acte V de la pièce est encore à inventer. Irina Brook travaille d’arrache-pied et dort trois ou quatre heures par nuit. Elle ne s’en plaint pas, au contraire. Elle sait qu’elle ouvre un nouveau chapitre de son histoire artistique. Et qu’elle s’apprête à livrer d’elle, au théâtre, ce qu’elle n’a jamais osé y déposer. « Quand les croulants tombent, la jeunesse se dresse ! » : les mots claquent sur le plateau. Sont-ils de Shakespeare ou de la metteuse en scène ? Le doute est permis.

 

 

Lear ?, adaptation et mise en scène d’Irina Brook d’après Shakespeare. Avec Geoffrey Carey, Kevin Ferdjani, Marjory Gesbert, Emmanuel Guillaume, Maïa Jemmett, Irène Reva, Augustin Ruhabura, Maximilien Seweryn. Château d’Hardelot, Condette (Pas-de-Calais), dans le cadre de la 7e édition des Shakespeare Nights. Les 11, 17 et 18 mai à 20 heures. De 3 € à 12 €. Chateau-hardelot.fr

 

 

Joëlle Gayot (Condette (Pas-de-Calais)) / LE MONDE

Légende photo : Les répétitions de « Lear ? », d’après Shakespeare, par Irina Brook, au château d’Hardelot, à Condette (Pas-de-Calais), en avril 2024. IRINA JANE BROOK
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Molières : une 35ᵉ cérémonie féministe et politique marquée par un palmarès éclectique

Molières : une 35ᵉ cérémonie féministe et politique marquée par un palmarès éclectique | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 7 mai 2024

 

 

« 4 211 km », d’Aïla Navidi, a été récompensé deux fois tout comme « Le Cercle des poètes disparus » et Rudy Milstein pour « C’est pas facile d’être heureux quand on va mal ».

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/07/molieres-une-35-ceremonie-feministe-et-politique-marquee-par-un-palmares-eclectique_6231976_3246.html

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Féministe et politique dans ses discours, éclectique dans son palmarès : la 35e Nuit des Molières, retransmise lundi 6 mai sur France 2, n’a pas attribué une flopée de statuettes à un même spectacle, pour une fois, mais elle n’a pas échappé aux sujets d’actualité qui bouleversent le monde et aux inquiétudes du secteur du spectacle vivant en France.

 

 

 

Sur la scène parisienne des Folies-Bergère, l’humoriste Caroline Vigneaux, maîtresse de cérémonie, a eu beau promettre, avec énergie, que le « seul but » de la soirée était de « divertir », les intermèdes sans grand éclat n’ont pas suffi à détendre l’ambiance. L’heure était surtout aux messages.

 
Sophia Aram (Molière du spectacle d’humour pour Le Monde d’après) a dénoncé le « silence » du monde de la culture après les massacres du 7 octobre. « Comment être solidaires des milliers de civils morts à Gaza sans être aussi solidaires des victimes israéliennes ? Comment exiger d’Israël un cessez-le-feu sans exiger la libération des otages israéliens ? Comment réclamer le départ de Nétanyahou sans réclamer celui du Hamas ? », s’est interrogée la chroniqueuse de France Inter, largement applaudie.

Des « nuages qui s’amoncellent »

La cause des femmes, le sexisme et les violences qu’elles subissent, a presque été le fil rouge de la soirée, sous l’impulsion de la féministe Caroline Vigneaux. Quant à la ministre de la culture, Rachida Dati, elle n’a pas seulement été interpellée par un comédien de la CGT-Spectacle sur les coupes budgétaires qui touchent la culture. Même le président des Molières, Jean-Marc Dumontet, toujours prompt, habituellement, à vanter les bienfaits de la politique culturelle, n’a pas caché ses inquiétudes face aux « nuages qui s’amoncellent » sur le système de l’intermittence du spectacle.

 

S’adressant à la ministre, le producteur a également souligné à quel point, « dans une société fragmentée et face à la montée des extrêmes, la culture a un vrai rôle à jouer ». Rappelant avec force que « sans liberté d’expression et de création, il n’y a pas de démocratie », le président des Molières a aussi évoqué le sort du rappeur iranien Toomaj Salehi, « un jeune artiste victime de la barbarie et de l’obscurantisme d’un régime moyenâgeux condamné à mort pour une chanson ».

 

Côté palmarès, c’est d’ailleurs un spectacle évoquant l’exil en France d’un couple iranien fuyant dans les années 1980 le régime islamique, 4 211 km, d’Aïla Navidi, qui a été récompensé à deux reprises (meilleur spectacle de théâtre privé et révélation féminine pour Olivia Pavlou-Graham).

Plusieurs surprises

Une fois n’est pas coutume, les pièces qui cumulaient le plus de nominations n’ont pas tout accaparé. Ainsi de Courgette, mise en scène par Pamela Ravassard et Garlan Le Martelot. Spectacle tout public, plein de bons sentiments, sur l’histoire d’un enfant d’une dizaine d’années placé dans un foyer, il figurait dans sept catégories. Finalement, il repart uniquement avec le prix de la comédienne dans un spectacle de théâtre public pour Vanessa Cailhol. Quant au Cercle des poètes disparus (adaptation du film de Peter Weir, qui fait salle comble au Théâtre Antoine à Paris), nommé six fois, il obtient deux récompenses, celle de la mise en scène dans le privé pour Olivier Solivérès et celle de la révélation masculine pour Ethan Oliel.

 

Les surprises sont aussi venues des victoires remportées par des outsiders au détriment de têtes d’affiche. Ainsi, à la statuette reçue par la jeune comédienne Vanessa Cailhol, pourtant opposée à un trio renommé – Emmanuelle Bercot, Laetitia Casta et Marina Hands – est venue s’ajouter l’attribution du Molière du meilleur seul en scène à Eva Rami, pour son saisissant Va aimer ! préféré à Dominique Blanc, Ludivine Sagnier et Franck Desmedt.

Rudy Milstein n’en revenait pas, lui aussi, de décrocher non seulement le Molière de la meilleure comédie (en concurrence notamment avec Vidéo Club, de Sébastien Thiéry), mais aussi de l’auteur francophone pour sa pièce C’est pas facile d’être heureux quand on va mal, qui met en scène cinq quadragénaires seuls et dépressifs.

Cristiana Reali enfin récompensée

Moins surprenant, et justifié : Vincent Dedienne, désopilant Fadinard dans l’excellent Chapeau de paille d’Italie, mis en scène par Alain Françon, a été récompensé du Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé et Micha Lescot de celui du comédien dans le théâtre public pour sa prestation étincelante dans Richard II, mis en scène par Christophe Rauck. Quant à Cristiana Reali, elle a enfin décroché, après avoir été nommée à six reprises ces dernières années, son premier Molière de la meilleure comédienne dans le privé pour sa prestation émouvante dans Un tramway nommé désir.

 

Spectacle issu de la décentralisation, le provocant et hilarant 40° sous zéro, créé à La Filature de Mulhouse par la compagnie Munstrum Théâtre, a décroché les deux convoités Molières de la mise en scène (pour Louis Arene) et du théâtre public.

Multirécompensée en 2022 pour Féminines, Pauline Bureau brille de nouveau grâce à son féerique Neige qui obtient deux Molières (jeune public et création visuelle et sonore). « Je partage ces prix avec toutes les compagnies qui travaillent dans des conditions de plus en plus précaires et avec des moyens de tournée en baisse », a souligné la metteuse en scène.

 
Le palmarès de la 35ᵉ cérémonie des Molières
 

Molière du théâtre privé

4 211 km, texte et mise en scène d’Aïla Navidi, Studio Marigny et Théâtre de Belleville.

 

Molière du théâtre public

40° Sous zéro, de Copi, mise en scène de Louis Arene, Compagnie Munstrum Théâtre.

 

Molière de la comédie

C’est pas facile d’être heureux quand on va mal, de Rudy Milstein, mise en scène de Rudy Milstein et Nicolas Lumbreras, Théâtre Lepic.

 

Molière de la création visuelle et sonore

Neige, texte et mise en scène de Pauline Bureau, scénographie d’Emmanuelle Roy, costumes d’Alice Touvet, lumière Jean-Luc Chanonat, Compagnie La part des anges.

 

Molière du spectacle musical

Spamalot, d’Eric Idle, mise en scène de Pierre-François Martin-Laval, Théâtre de Paris.

 

Molière de l’humour

Sophia Aram, dans Le Monde d’après, mise en scène de Sophia Aram et Benoît Cambillard.

 

Molière du jeune public

Neige, texte et mise en scène de Pauline Bureau, Compagnie La part des anges.

 

Molière du seul/e en scène

Va aimer ! de et par Eva Rami, Théâtre Lepic.

 

Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public

Micha Lescot, dans Richard II, de William Shakespeare, mise en scène de Christophe Rauck.

 

Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public

Vanessa Cailhol, dans Courgette, de Paméla Ravassard et Garlan Le Martelot, mise en scène de Paméla Ravassard.

 

Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé

Vincent Dedienne, dans Un chapeau de paille d’Italie, d’Eugène Labiche, mise en scène d’Alain Françon.

 

Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé

Cristiana Reali, dans Un tramway nommé désir, de Tennessee Williams, mise en scène de Pauline Susini.

 

Molière du metteur en scène dans un spectacle de théâtre public

Louis Arene pour 40° sous zéro.

 

Molière du metteur en scène dans un spectacle de théâtre privé

Olivier Solivérès pour Le Cercle des poètes disparus.

 

Molière de la révélation féminine

Olivia Pavlou-Graham, dans 4 211 km, texte et mise en scène d’Aïla Navidi.

 

Molière de la révélation masculine

Ethan Oliel, dans Le Cercle des poètes disparus, adaptation de Gérald Sibleyras, mise en scène d’Olivier Solivérès.

 

Molière du comédien dans un second rôle

Guillaume Bouchède, dans Je m’appelle Asher Lev, d’Aaron Posner, mise en scène d’Hannah-Jazz Mertens.

 

Molière de la comédienne dans un second rôle

Jeanne Arènes, dans L’Effet miroir, de Léonore Confino, mise en scène de Julien Boisselier.

 

Molière de l’auteur/trice francophone vivant/e

Rudy Milstein pour C’est pas facile d’être heureux quand on va mal.

 

 

Sandrine Blanchard / Le Monde

 

Légende photo : L’actrice Olivia Pavlou-Graham reçoit le Molière de la révélation féminine pour « 4 211 km » lors de la 35ᵉ cérémonie de remise des Molières, aux Folies-Bergère, à Paris, le 6 mai 2024. THOMAS SAMSON/AFP

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