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Brigitte Bourguignon : “Nous proposons un renversement total de la vision politique de l’autonomie”

Dans une interview pour Acteurs publics, la ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l’Autonomie, revient sur le financement des politiques qu’elle porte et qui relèvent aussi de la compétence des collectivités territoriales.

Les annonces concernant l’aide à domicile et les Ehpad ne feront finalement pas l’objet d’un projet de loi, puisqu’elles sont intégrées au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2022. Premiers concernés par la prise en charge de la perte d’autonomie, les départements ont regretté des “annonces sans concertation préalable”. Comment réagissez-vous ?
Cela fait trente ans que je travaille dans le secteur et deux ans que je concerte ! Élue locale dans le Pas-de-Calais, j’ai conservé en moi un fort attachement à l’échelon local et à la collaboration entre les différentes strates. À chacun de mes déplacements, je rencontre les présidents de département. Le lien est continu avec l’Assemblée des départements de France, j’étais d’ailleurs à Dijon fin septembre avec le président [de cette association d’élus, François] Sauvadet pour un point global. Nous ajustons nos dispositifs en fonction des retours que nous avons, comme sur la “dotation qualité”, où nous avons entendu les départements et amélioré le PLFSS 2022 par un amendement du gouvernement voté à l’unanimité. Sur la revalorisation des auxiliaires de vie, nous suivons une ligne qu’auraient probablement prise les départements. Le gouvernement a mis 200 millions d’euros pour financer à hauteur de 70 % le montant de la ­revalorisation en 2021 et 50 % les années suivantes. Cet engagement est pluriannuel et inscrit dans les comptes de la Sécurité sociale. Souvent, les présidents me disent même soutenir la démarche. Alors, regardons le résultat : nous avons fait beaucoup pour nos aînés. Le gouvernement comme les collectivités en sortent grandis. Il n’est pas interdit de ­travailler, ni surtout de réussir ensemble !

Les départements disaient attendre “une grande réforme à la mesure des enjeux du grand âge et de l’autonomie” et ont le sentiment de se trouver “face à un nouveau rendez-vous manqué même si un premier effort a été annoncé par le gouvernement”. Que leur répondez-vous ?
Que faut-il retenir de ma réforme ? Que c’est un effort historique pour les personnes âgées, les professionnels et leurs proches, avec 400 millions d’euros dès 2022 prévus dans le cadre de ce PLFSS. Que ce sont de grandes avancées pour eux tous, pour lesquels je me bats au quotidien depuis ma nomination, et bien avant aussi. Que c’est une réforme ambitieuse qui propose un renversement total de la vision politique de l’autonomie. Je porte en effet une stratégie très novatrice pour le bien-être des personnes âgées, avec une priorité donnée sur le virage domiciliaire. C’est ce que 85 % des Français souhaitent. Cela passe par le renforcement de tout le secteur de l’aide à domicile : avant tout en payant mieux les salariés grâce à l’avenant 43 pour la branche associative et au tarif plancher instauré pour le secteur privé. Également en améliorant la formation, grâce à 12 600 places ouvertes pour les infirmiers, aides-soignants, etc., ainsi que 2 210 parcours qualifiants d’aides-soignants et d’accompagnants éducatifs et sociaux. Le deuxième axe de la réforme consiste à transformer complètement l’Ehpad, modèle qui a montré de manière criante ses limites pendant la crise du Covid-19. On note, depuis, une désaffection des Français, qui réclament autre chose ou des établissements davantage médicalisés. C’est autre chose, c’est le nouvel Ehpad, plus respectueux de l’humain avec des lieux de vie chaleureux, plus ouverts sur leur territoire, et enfin plus médicalisés pour de meilleurs soins, car le degré de perte d’autonomie l’exige. De plus, le plan d’investissement s’étend sur quatre ans et va répartir 1,5 milliard d’euros du “Ségur de la santé” dans tout le territoire. La ventilation est actuellement entre les mains des agences régionales de santé, qui ont pour mission de bâtir un schéma local d’investissement et pour obligation de consulter les acteurs du secteur. J’ai été très claire, dans mon instruction, à ce sujet : je veux que 100 % des départements soient consultés !

Le PLFSS prévoit notamment un tarif plancher national pour le financement de l’aide à domicile via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Un tarif fixé à 22 euros. Les départements l’avaient toujours refusé. Ils déplorent l’incertitude sur la pérennisation de ce financement…
Que les départements se rassurent. Ce tarif plancher est entièrement financé par l’État ! C’est également le cas pour la “dotation qualité”, qui représentera en moyenne 3 euros par heure pour atteindre un tarif moyen à 25 euros. Quant au financement sur le long terme, avec la création de la cinquième branche de la Sécurité sociale, dédiée à l’autonomie, nous avons prévu un financement pérenne, car elle bénéficiera, à partir de 2024, d’une fraction de CSG. Les professionnels du secteur se réjouissent de l’instauration d’un tarif plancher qui permet de remettre de l’ordre dans un univers où, dans certains départements, le niveau de financement peut être parfois à 16 euros/heure contre 23 ou 24 euros dans d’autres. J’ai voulu mettre fin à ces pratiques afin de renforcer les structures d’aide à domicile, parfois trop fragiles. C’est une mesure de vrai progrès et une condition sine qua non pour réaliser le virage domiciliaire. À l’Assemblée nationale, en première lecture, ce tarif plancher et la dotation qualité ont été votés à l’unanimité, toutes tendances politiques confondues. Preuve que les mesures sont bonnes et que mon combat a payé !

Le PLFSS 2022 promeut également la mise en place d’un système d’information unique pour la gestion de l’APA à domicile. Pourquoi ? Les processus de gestion étaient-ils défaillants au sein des départements ?
Prenons avant tout un peu de recul. Le secteur de l’autonomie accuse un très grand retard dans le domaine du numérique, en particulier en ce qui concerne les systèmes d’information. L’Ehpad de demain ne peut pas vivre au siècle dernier, avec de simples fichiers Excel et des logiciels désuets. Cette révolution en cours, les hôpitaux l’ont faite il y a plusieurs années. Le secteur de l’autonomie doit suivre ce grand mouvement. Ainsi, le PLFSS 2022 prévoit la création d’un système d’information national fourni par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux départements pour la gestion de l’APA. L’Assemblée des départements de France (ADF) a été consultée et les départements seront étroitement associés à la conception et à la mise en œuvre du projet, qui se déploiera en 2024. De cet outil de gestion de l’APA commun à tous les départements, il devrait notamment résulter une harmonisation des processus de gestion entre ceux-ci, à la faveur d’une égalité de traitement accrue des demandeurs de l’APA, des bénéficiaires de la prestation et de leurs aidants. De même, ce système d’information national permettra l’organisation de remontées de données régulières à la CNSA, afin de mieux identifier les différences de pratiques entre départements. De fait, il constituera un levier pour que la CNSA puisse davantage accompagner les départements en tant que caisse nationale de cette cinquième nouvelle branche. Ce système global renforcera le pilotage de la politique en faveur de l’autonomie.

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Club des acteurs publics

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