Marais poitevin : La guerre de l’eau est déclarée !

Prise de la Bassine et bataille du Mignon, récit d’une journée épique
Les soulèvements de la terre

paru dans lundimatin#312, le 8 novembre 2021

Samedi 6 novembre 2021, des centaines d’habitants, de paysans et d’activistes s’étaient donnés rendez-vous à Mauzé-sur-le-Mignon pour s’opposer à la construction de méga-bassines, c’est-à-dire à la privatisation de l’eau par l’agro-industrie. Le 22 septembre déjà, un chantier avait été désarmé par un troupeau de moutons, 20 tracteurs et 600 personnes. Entre temps, c’est une méga-bassine illégale qui avait été démantelée de nuit. Ce samedi, malgré une forte présence policière, un nouveau rassemblement est parvenu à neutraliser une réserve d’eau et à emporter avec lui sa méga-pompe. Récit d’une journée épique et raisons d’une colère.

Mauzé-sur-Bassines

Mauzé-sur-le-Mignon. Une commune rurale de 6 000 habitants. A cheval entre deux paysages radicalement antagonistes.

D’un côté, le marais asséché qui est aujourd’hui devenu un désert agricole avec ses interminables parcelles de maïs irrigué et ses exploitations industrielles aussi rentables que dévastatrices du vivant. Un paysage ravagé au point qu’on peine à se figurer qu’il fut, il n’y pas si longtemps, un vaste bocage.

De l’autre le marais mouillé, ses conches et ses frênes têtards, ses loutres et ses kyrielles d’oiseaux, vestige d’un rapport paysan à l’eau, à la terre, au monde animal. Mais il ne faut pas se fier à ces apparences de carte postale. Les frênes têtards sont malades et menacés de disparition rapide. Les lentilles vertes sont laminées par les pesticides. Le marais s’enfriche. A défaut d’éleveurs et d’installations paysannes, le maraîchage, les vaches maraichines et la culture des mogettes ont presque disparu.

Les effets conjugués du ravage agro-industriel et du changement climatique ont bouleversé un équilibre millénaire entre l’eau, la terre, la mer et les habitants du territoire. Les rivières alentours s’assèchent à cause de la voracité d’une agriculture extractiviste qui fait main basse sur notre plus précieux bien commun : l’eau.

La guerre de l’eau est déclarée !

Depuis des années, des collectifs d’habitants, de paysans et de citoyens en lutte s’organisent pour faire entendre leur point de vue et leur expertise sur la question du partage de l’eau et de la sauvegarde de la biodiversité. Illes enquêtent, expliquent, dénoncent, mobilisent, se pourvoient en justice... en vain ! Le démarrage en septembre d’un premier chantier de bassine à Mauzé-sur-le-Mignon a été la goutte d’eau qui a tout fait déborder. Alors que les pelleteuses commencent à commettre l’irréversible au mépris des oppositions farouches au projet, il ne restait plus que la résistance comme seule issue.

A l’appel de ’Bassines Non Merci !’, de la Confédération paysanne et des Soulèvements de la Terre, un premier acte fort avait été posé le 22 septembre dernier, en plein congrès de la FNSEA. Après un banquet à Niort pour accueillir les tracteurs des paysans en lutte venus des bocages de Loire Atlantique et de Gâtine, un convoi de véhicules avait déjoué le dispositif pour parvenir jusqu’au chantier. Le site avait été envahi par 600 personnes, 20 tracteurs et un troupeau de moutons. Les travaux ont été interrompu tandis qu’une pelleteuse a été désarmée. Un premier pied de nez à la préfecture. Ce jour là, rendez-vous était pris le 6 novembre pour une nouvelle journée de résistance. La guerre de l’eau était déclarée.

Très vite, les évènements s’accélèrent. D’abord, on découvre par voie de presse qu’une bassine illégale a été entièrement démantelée dans la Laigne. Ensuite, des paysans, des citoyens et le porte parole du collectif bassines non merci sont perquisitionnés et interpellés par rapport à la journée du 22 septembre. Leurs ordinateurs et téléphones sont saisis. On leur impute des dégradations mineures, des violences présumées ou des propos conséquents. Ils sont dans l’attente d’une possible convocation au tribunal. L’objectif est limpide : intimider les paysans et les locaux. Pour couronner le tout, la FNSEA et la coordination rurale appellent à une contre-manifestation le 6 novembre dans la bassine en construction pour défendre l’avancement des travaux. Le préfet est en panique. Un important dispositif est mobilisé. Des zones rouges sont décrétées en rase campagne avec interdiction de manifester. La cellule Déméter est en alerte. Le contexte est explosif.

Ce 6 novembre 2021 est un jour qui restera gravé dans la mémoire de tous les habitants de Mauzé-sur-le-Mignon. A la lisière entre ces deux paysages, à cheval entre marais mouillé et désert agro-industriel, deux mondes se font face.

Paysans et habitants vs Complexe agro-industriel

A l’est de la N11, les irrigants, les syndicalistes de la FNSEA, les bénéficiaires de ces méga-bassines. Qu’on ne se méprenne pas, ce ne sont pas des paysans mais des patrons de grosses sociétés agricoles arrosées de subventions publiques. Des paysans, des fermes, des cultures diversifiées et du petit élevage ? Dans le coin, il n’en reste hélas presque plus ! Ils ont laissé place aux agris-managers qui pilotent depuis leur smartphone les milliers de m3 d’eau que prélèvent leurs bassines, les hectolitres de pesticides épandus sur leurs champs, l’optimisation fiscale et l’accaparement d’argent public qui fait tourner leur exploitation. Ils sont 500 à tout casser, terrés dans cet immense cratère de plusieurs hectares et protégés par les gendarmes. L’image est une parfaite métaphore de ce complexe agro-industriel qui chaque jour creuse un peu plus notre tombe.

A l’ouest de la N11, sur le champ de foire de Mauzé-sur-le-Mignon, nous sommes un peu plus de 3000 personnes. Il y a des locaux de l’étape et des personnes qui ont traversé la France, des enfants et des ancêtres, des élus et des activistes masqués, des gilets jaunes et des syndicalistes, des paysans enracinés et des urbains précaires, des ornithologues et des artistes... Bref une foule déterminée à passer à l’action et définitivement écœurée par le blabla des gouvernants face au ravage écologique et social.

Entre ces deux mondes, l’Etat. Les gendarmes sont postés sur chaque pont avec des grilles anti-émeutes et des canons à eau. Les routes sont bloquées pour protéger le chantier et la FNSEA et conjurer l’affrontement tant redouté. Le dispositif est délirant et absurde. La préfecture laisse la FNSEA se rassembler au cœur de la zone d’interdiction de manifestation sur présentation d’un laisser passer. Dans le même temps elle barricade l’accès aux opposants et envoie ses émissaires avertir que tout incursion dans la zone rouge sera repoussée manu militari.

A l’abordage de la Bassine de Cram-Chamban

Après un repas, une conférence de presse et des prises de paroles, la manifestation s’ébranle. Le toit de la mairie est investi. Les fumigènes colorent le ciel et la façade du bâtiment tandis qu’une énorme banderole ’Mauzé-sur-Bassines’ est déployée. Le matin même, tous les panneaux de signalisation avaient été ainsi modifiés par des habitants facétieux. Les tracteurs ouvrent la marche. Les musiciens donnent la cadence. La foule franchit le Mignon. Il est déjà à sec alors même que les nouvelles bassines ne sont pas encore construites !

Le cortège progresse. Deux options s’offrent à lui. A gauche le pont de la 4 voies, l’affrontement frontal avec la police pour pénétrer la zone rouge et aller chercher la FNSEA. Comme convenu, le cortège continue tout droit pour contourner le dispositif. La Confédération paysanne et le porte parole de Bassines Non Merci l’avaient annoncé : le but n’est ni l’affrontement direct avec les forces de l’ordre, ni de s’en prendre aux agriculteurs en tant qu’individus. Il s’agit de résister au système agro-industriel par des actions collectives et massives de résistance et de désobéissance qui visent les infrastructures.

En nous voyant les ignorer royalement, les flics comprennent (trop tard !) que nous nous dirigeons en réalité vers une autre bassine illégale à un kilomètre de là, en dehors de leur zone rouge. Tandis que nous progressons, les gendarmes installent à la hâte une grille anti-émeute et un petit escadron sur notre route. Ils bloquent le pont de pierre qui passe sous la voie ferrée, espérant ainsi nous dissuader d’aller plus loin. Mais nous sommes nombreux. Et nous sommes l’eau. Rien ne nous arrête.

Nous partons à pied sans les tracteurs. Quelques personnes essaient de franchir la voie ferré en grimpant le talus, tandis que le gros de la foule suit la tête de cortège et s’engouffre dans le champ à droite juste avant le barrage policier. Derrière la haie, un deuxième pont sous lequel coule le Mignon... à sec ! Progressivement, malgré les gazs lacrymogènes, la foule s’y engouffre. Nous avons passé la voix ferré. La bassine est désormais à notre portée, à quelques champs de là. Mais avant il faut traverser un ruisseau. Il y a donc de l’eau ? Oui... mais c’est celle de la station d’épuration !

Tout le monde se motive et franchit progressivement l’obstacle. Chacun-e avec son style propre. Certaines se jettent dans le ruisseau sans hésitation. D’autres enlèvent leurs chaussures, d’autres encore se déshabillent carrément. Peu à peu la colonne s’organise. Des mains attentionnées permettent à chacun de traverser à son rythme. Le cortège progresse, les gendarmes jettent de nouveau quelques grenades lacrymogènes, mais ça y est : la bassine est en vue !

Au même moment, un autre petit cortège échaudé par la traversée et guidé par des mauzéens fait le tour par l’ancien petit port pour gagner la bassine par un autre chemin. Le dispositif est complètement débordé. Sur place, les gendarmes ne sont pas assez nombreux pour défendre la bassine de Cram-Chaban. Ils finissent par lâcher le blocus du pont de la voie ferrée. La route est libre. Les tracteurs et toutes celles et ceux qui n’avaient pas pris la voie des champs s’engouffrent. De l’autre côté de la 4 voies, le gros des troupes de gendarmes est absolument impuissant et inutile.

Devant la bassine, la situation se tend brièvement. Une personne parvient à y pénétrer seule et gambade sur la digue. Mais voyant les tracteurs et la foule arriver au loin, les gendarmes en sous nombre finissent par battre en retraite, piteux... Les grilles tombent. Les manifestants pénètrent alors l’édifice. La bassine est partiellement débâchée.

Pendant ce temps, un petit groupe mené par le porte parole national de la confédération paysanne s’attelle depuis de longues minutes au démontage méticuleux de la pompe qui assèche le Mignon pour remplir la bassine. Les clefs à molette et les meuleuses sont de sortie ! Méthodiquement, la pompe est démontée. Au prix d’un peu d’huile de coude et de beaucoup d’ingéniosité l’eau fini par jaillir. La bassine commence à se vider dans le Mignon, il y a du débit, l’eau retourne à la nappe ! Un morceau de la pompe est prélevé en vue d’être remis publiquement aux responsables politiques. Par ce geste la confédération paysanne renoue avec la tradition de lutte des paysans travailleurs et du syndicalisme révolutionnaire.

Peu à peu tout le monde se retrouve dans la bassine noire de monde. Images incroyables. Le ciel orange, un bateau pirate tiré par un tracteur, des enfants et des mamies, le blanc immaculé du géotextile, les bouts de bâches qui flottent, les reflets de la foule dans l’eau, des petites mains qui plantent des saules. Une personne des Soulèvements de la terre, une personne de Bassines Non Merci et le porte parole de la confédération paysanne prennent brièvement la parole pour affirmer le sens et la portée du geste et célébrer la victoire du jour. La foule danse un rock’n’roll endiablé.

Nous repartons tous ensemble en convoi, en musique et sans encombre jusqu’à la salle des fêtes mise à disposition par le maire d’une commune voisine. Le soir, concerts, chants, accordéons et récits enjoués et épiques de la journée viennent clore cette nouvelle bataille victorieuse dans la guerre de l’eau.

Ce qui s’est passé ce 6 novembre à Mauzé-sur-le Mignon est une étape déterminante dans la lutte contre les projets de bassines en Deux-Sèvres et partout en France. La FNSEA et l’État savent désormais qu’ils vont devoir se heurter à une résistance farouche. Jamais, ils ne pourront protéger toutes les chantiers de bassines à venir et encore moins toutes les bassines existantes. Aujourd’hui, il n’ont d’autre choix que de suspendre les travaux ou d’aller au devant de nouvelles batailles dans la guerre de l’eau.

Ce qui s’est passé ce 6 novembre est également très important bien au delà de la lutte contre les bassines. Plus personne n’attend rien de la COP 26 et des gouvernants qui ont précipité le désastre. Et pourtant plus personne ne peut ignorer son ampleur catastrophique. Tout le monde sait que les marches climats ne suffisent plus. Et pourtant personne ne semble savoir quoi faire. Alors que tout s’accélère, il convient de franchir un seuil. Il ne s’agit plus de marcher pour réclamer au gouvernement telle ou telle mesure écologique. Il s’agit de reprendre en main le destin du monde vivant, de s’organiser pour passer à l’action. De s’organiser pour démonter, désarmer, neutraliser toutes les machines de morts qui ravagent le monde ; pour bloquer la course folle de l’agro-industrie qui empoisonne la terre ; pour reprendre la terre aux machines et remettre la terre aux mondes. C’est la vocation des Soulèvements de la Terre.

C’est ce que nous avons fait une nouvelle fois ce 6 novembre 2021 et c’est ce que nous continuerons à faire dans les mois qui viennent. Pendant que la France jouera à se chercher un homme providentiel détenteur de solutions miracles, alors que l’extrême droite a imposé ses obsessions identitaires et que la gauche n’a rien d’autre à offrir que le pathétique spectacle de sa division, seules nos actions résolues permettront de remettre les pieds sur terre.

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