Michel Dubois est directeur de recherche CNRS au groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de Sorbonne Université. A l’occasion du colloque international de culture scientifique et technique « Science & You », dont l’université de Lorraine a pris l’initiative et qui se tient à Metz du 16 au 19 novembre, il commente les résultats de la huitième édition de l’enquête nationale « Les Français et la science ».
Pourquoi cette enquête ?
En matière d’attitude du public à l’égard des sciences et techniques, la France possède un petit trésor sous la forme d’une suite ininterrompue de données sur un demi-siècle. Avec Pauline Hervois (université de Lorraine), Martin Bauer (London School of Economics and Political Science), nous avons dirigé cette huitième édition qui a été financée par l’université de Lorraine. Notre travail a consisté à prolonger les enquêtes antérieures tout en tenant compte des événements les plus récents, en particulier la pandémie. La passation de notre questionnaire à la fin de l’année 2020 à une population de plus de 3 000 personnes a été complétée par une série d’entretiens dans la région du Grand-Est. L’objectif est d’alimenter la recherche sur ce thème, dont l’importance a fortement augmenté depuis le début de la crise sanitaire. Mais il s’agit aussi de faire connaître nos résultats aux acteurs de la médiation scientifique et aux décideurs chargés des politiques publiques.
Certains commentateurs évoquent une défiance du public à l’égard des sciences. Qu’en est-il ?
En matière de culture scientifique, il faut éviter de se laisser enfermer dans de faux débats. Et celui de la supposée défiance des Français en est un. Nos résultats révèlent une réalité plus complexe. Ils soulignent un certain désenchantement à l’égard des sciences et techniques. En effet, depuis la fin des années 1980, une majorité d’enquêtés, 62 % en 2020, déclarent estimer que la recherche apporte « autant de mal que de bien ». Ce niveau d’ambivalence record est spécifique à notre pays. Ailleurs, notamment en Europe du Nord, c’est plutôt l’enthousiasme qui est la norme.
Nos résultats soulignent également les interrogations de plus en plus fortes du public quant à la capacité des chercheurs à conserver leur indépendance vis-à-vis des grands groupes industriels. La question des liens d’intérêt des chercheurs a été beaucoup évoquée au cours de ces deux dernières années, notamment par la presse.
Toutefois, ces deux exemples ne suffisent pas à conclure à une défiance généralisée à l’égard des sciences. Lorsqu’on les interroge, les Français, même les plus jeunes, répondent toujours de manière très positive. Ils continuent à accorder massivement leur confiance aux chercheurs et à leurs institutions et montrent un intérêt constant pour les grandes avancées dans les domaines de la médecine et de la biologie ou encore des énergies renouvelables. Ce constat va à l’encontre du discours ambiant qui tend à surreprésenter les opinions « complotistes » et les croyances irrationnelles qui ont, sans doute, un caractère plus spectaculaire. Cette observation n’implique pas une absence de problèmes. Comme nous l’avons vu, il y en a à résoudre.
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