Retrait-gonflement des argiles : la Cour des comptes prône plus de prévention et de contrôles

Face à l’explosion annoncée des sinistres sur les maisons individuelles en raison du changement climatique, la rue Cambon soulève la question de la soutenabilité de leur prise en compte par le régime Cat Nat.

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Retrait-gonflement des argiles : la Cour des comptes prône plus de prévention et de contrôles
Retrait-gonflement des argiles

Le retrait-gonflement des argiles (RGA), résultant de phénomènes de sécheresse-réhydratation des sols, et affectant singulièrement l’habitat individuel, est le premier risque de catastrophe naturelle en matière de coût des dommages (fissures, décollements de dallages, ruptures de la structure…).
La Cour des comptes, saisie fin 2020 par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale sur la prévention et l’indemnisation des dommages causés par le RGA, a mené une enquête dont elle publie les conclusions ce 15 février. Celles-ci sont alarmantes : « Compte tenu du poids financier déjà important du RGA dans le régime Cat Nat (40 % des coûts entre 1982 et 2020), la perspective d’une intensification des épisodes de RGA jointe à l’aggravation de la fréquence et de l’intensité d’autres catastrophes naturelles fait craindre pour la pérennité du régime, à situation inchangée ». Un récent rapport de la fédération France Assureurs a ainsi estimé que le coût cumulé du risque sécheresse pour les assurances devrait passer de 13,8 Md€ cumulés sur la période 1999-2019 à 43 Md€ pour les 30 prochaines années.

Le RGA : quelques données-clés issues du rapport de la Cour des comptes

- Le risque sécheresse au sens du RGA représente 36 % de la sinistralité Cat Nat sur la période 1989-2019.

- Sur les 20 événements les plus coûteux sur la période 1989-2019, 11 sont liés à des épisodes de sécheresse dont celui de 2003 qui représente 1,9 Md€, celui de 1990 1 Md€ et ceux de 2017 et 2018 estimés à environ 800 M€.

- Le coût moyen d’un sinistre RGA est estimé à 16 300 € et apparaît comme la plus élevée des garanties « dommages ».

- Le phénomène touche l’ensemble du territoire national, mais certaines régions apparaissent historiquement plus touchées que d’autres : Île-de-France, Occitanie, Paca, Nouvelle-Aquitaine. Sur les 19,2 millions de maisons individuelles en France métropolitaine, 10,4 millions, soit 54,2 % sont en zone d’exposition moyenne ou forte.

- Sur les neuf dernières années, 50 % en moyenne des demandes communales de reconnaissance Cat Nat au titre du RGA n’ont pas abouti.

Des mesures tardives


Premier constat fait par la Cour des comptes dans son rapport, qui revient sur l’historique de la lutte contre le RGA : beaucoup de temps perdu sur le sujet. Car si les terrains argileux bougent, le droit, lui, est resté relativement inerte en termes de prévention. Alors que les risques étaient identifiés depuis plusieurs décennies, il a fallu attendre la loi Elan de 2018 pour qu’une véritable politique de prévention soit mise en place, avec des études de sol impératives facilitant le recours à des solutions constructives adaptées.

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Côté assurances, le phénomène de RGA est pris en charge par le régime Cat Nat institué en 1982, système d’assurance mixte associant les sociétés d’assurance aux pouvoir publics via la Caisse centrale de réassurance (CCR). Ce régime est financé par une surprime prélevée sur les contrats d’assurance contre les dommages aux biens. Mais il suppose que soit menée à bien une procédure assez lourde de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle à la demande de la commune concernée. Depuis de nombreuses années, le constat de l’inadaptation du régime Cat Nat au RGA a été fait par les pouvoirs publics, souligne la Cour des comptes. Qui rappelle d’ailleurs que selon un rapport rendu par CGEDD/IGF/IGA en 2021, étudiant la situation dans six pays (Belgique, Espagne, États-Unis, Hongrie, Italie et Royaume-Uni), « la France fait figure d’exception avec un modèle public-privé sans équivalent en Europe ». Tous ces Etats ont en effet « exclu le RGA du régime des catastrophes naturelles au motif que ce risque est connu d’avance et qu’il est possible d’agir préventivement par des techniques appropriées de construction ».

De sombres perspectives

La situation n’est déjà pas idéale, mais elle devrait s’aggraver, projette la Cour des comptes, à l’unisson des professionnels de l’assurance notamment. Depuis 2015, les demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre du RGA montent en flèche, les épisodes de sécheresse se multipliant. Le phénomène gagne tout le territoire métropolitain, alors qu’il était plus localisé auparavant (70 départements concernés en 2009-2012, 92 en 2019). Mais si le nombre de sinistres indemnisés augmente, celui « de maisons sinistrées et non indemnisées [croît également] compte tenu des règles de reconnaissance appliquées », relève la rue Cambon. Sans compter que même si la commune est reconnue Cat Nat, l’indemnisation n’est pas automatique : encore faut-il que l’expert mandaté par l’assureur admette que l’intensité anormale du phénomène est bien la cause déterminante des dégâts.

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Pour la Cour des comptes, il est aujourd’hui urgent de se demander si le RGA constitue réellement une catastrophe naturelle, tant il est devenu un « phénomène universel sur le territoire métropolitain, qui se déploie dans le temps long, dont la survenance peut être anticipée, et pour lequel les mesures de prévention peuvent être considérées comme efficaces ».

Prévenir, surtout

Que faire, alors ? La Cour des comptes axe prioritairement ses préconisations autour de la prévention, et de l’effectivité de la mise en œuvre des mesures prises par Elan.

Elle propose ainsi de systématiser une information à destination des particuliers dans les mairies situées en zone d’exposition au RGA, en associant les assureurs. Mais aussi que, dans le cadre d’un projet d’acquisition d’un bien immobilier, l’acheteur soit prévenu plus en amont que ne le prévoit la loi Elan de la situation de celui-ci au regard du risque de RGA, c'est-à-dire via l'état des risques et pollutions (ERP) qui serait remis lors de la première visite.

Les Sages engagent également le ministère de la Transition écologique à mieux suivre, à l’aide d’indicateurs, la réalisation des études de sol prescrites par la loi Elan… mais surtout à la contrôler ! Est ainsi préconisée une modification du Code de l’urbanisme pour subordonner la délivrance d’un permis de construire une maison sur sol argileux à la remise d’une attestation par un expert ou un architecte garantissant des dispositions constructives adaptées au RGA. Et pareillement au moment de la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux. Pour compléter le tout, il faudrait « faire du non-respect des dispositions [Elan] une infraction constatable au même titre que les […] infractions à la réglementation parasismique, à la réglementation acoustique, aux règles d’accessibilité des bâtiments, etc. »

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Tout cela ne s’appliquant qu’à la construction neuve, demeure l’immense réservoir à sinistres que constituent les maisons édifiées avant la loi Elan. Généraliser les solutions lourdes telles que la reprise des fondations s’avèrerait beaucoup trop coûteux, sans doute davantage que la réparation des sinistres. La Cour propose donc « d’accélérer la recherche et développement afin de disposer en 2025 d’un panel de mesures de remédiation applicables aux constructions antérieures à 2020 et exposées au phénomène de RGA, en s’assurant du meilleur rapport coût/efficacité. »

Le législateur s’active

Reste la question épineuse du dispositif d’indemnisation. La Cour des comptes refuse de préconiser directement une sortie du régime Cat Nat pour le RGA – même si elle insiste lourdement sur son caractère inadapté – et se contente de poser les options sur la table. Elle souligne que si cette voie devait prévaloir, « les pouvoirs publics devraient choisir entre une mutualisation du risque à la charge des assurés ou une mutualisation à la charge des contribuables ».

A l’inverse, si le RGA devait demeurer dans le giron de la Cat Nat, une réforme s’imposerait. Celle-ci a déjà commencé par petites touches, avec la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles. Le législateur y renforce notamment l’étendue de l’indemnisation due par les assureurs en cas de désordres liés au RGA, allonge le délai dont disposent les communes pour demander la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle… et impose au gouvernement de remettre un rapport au Parlement d’ici fin juin pour proposer des dispositifs de prévention et évaluer l’opportunité d’un régime d’indemnisation spécifique. Encore !

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La loi 3DS, qui sera très prochainement promulguée, s’est aussi attelée à la question en habilitant le gouvernement à agir par ordonnance dans le délai d’un an pour – là aussi – améliorer la prise en charge des conséquences des désordres causes par ce phénomène climatique. Mais en restant dans le cadre du régime Cat Nat, et en conditionnant l’indemnisation au respect des obligations légales résultant d'Elan.

Pour la suite de ces travaux, les Sages insistent sur l’importance qui devra être accordée à la question de l’expertise (accès à l’expertise, coût, caractère contradictoire) ; et sur celle de la transparence des données déclenchant la reconnaissance Cat Nat.

Rapport de la Cour des comptes, "Sols argileux et catastrophes naturelles - Des dommages en forte progression, un régime de prévention et d'indemnisation inadapté"

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