La question est technique mais elle recèle des enjeux éminemment politiques : faut-il revoir l’articulation entre l’assurance-maladie obligatoire et les organismes complémentaires santé ? Autrement dit, le régime de base de la Sécurité sociale doit-il étendre son périmètre, quitte à s’arroger une très large partie du marché occupé aujourd’hui par les mutuelles, les assureurs et les institutions de prévoyance ?
C’est en ces termes que le débat a été récemment posé par Olivier Véran. Le ministre de la santé a, en effet, décidé d’instruire le dossier de la « grande Sécu » en sollicitant l’avis du Haut Conseil à l’avenir de l’assurance-maladie. Cette instance consultative, qui planche sur le sujet depuis plusieurs mois, devait l’aborder à nouveau, jeudi 18 novembre, en discutant d’un « projet de rapport », dont le contenu a fuité dans plusieurs médias et que Le Monde a pu consulter.
Une éventualité jugée sérieuse
Dans ce document, quatre scénarios sont passés en revue, dont celui d’un régime de base qui prendrait en charge plus de la moitié des remboursements actuellement assurés par les complémentaires. Le fait que cette hypothèse, nullement nouvelle, ressurgisse au commencement de la campagne présidentielle n’est pas le fruit du hasard : plusieurs spécialistes du dossier soupçonnent M. Véran de vouloir la tester afin qu’Emmanuel Macron puisse se l’approprier dans l’optique d’une deuxième candidature pour la course à l’Elysée. Cette éventualité est jugée suffisamment sérieuse pour que des prétendants à la magistrature suprême prennent d’ores et déjà position : ainsi, Xavier Bertrand a publié une tribune dans Le Journal du dimanche du 7 novembre pour dire tout le mal qu’il pense d’un tel projet.
La démarche du ministre de la santé provoque aussi beaucoup d’appréhension car elle bouscule les missions et les intérêts de nombreux protagonistes. « D’habitude, ça reste à l’état de réflexion, estime un fin connaisseur du monde des mutuelles. Mais là, on sent le vent du boulet un peu plus fort qu’avant, ça n’avait jamais pris une telle consistance politique. »
Ces cogitations autour d’une grande Sécu sont liées « à la manière dont le système s’est structuré peu après la Libération », décrypte Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. « Il y a eu une sorte de “Yalta” de la Sécurité sociale débouchant sur la création d’un régime de base auquel s’est superposé un étage complémentaire, avec – en particulier – les mutuelles, qui existaient déjà avant la deuxième guerre mondiale, poursuit-il. Celles-ci ont pu déployer leurs activités en remboursant les tickets modérateurs, la fraction de dépenses de santé que l’assurance-maladie obligatoire laisse à la charge des personnes. »
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