Menu
Libération
Interview

«Il faut préparer l’apparition d’une société de la longévité»

Dominique Libault, auteur en 2019 d’un rapport sur le grand âge, appelle de ses vœux une loi qui permettrait de faire face à la transition démographique en cours. Mais pour lui, c’est la société dans son ensemble qui doit se saisir du sujet.
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 21 octobre 2021 à 5h39

Directeur de la Sécurité sociale de 2002 à 2012, Dominique Libault préside le Haut Conseil du financement de la protection sociale et dirige l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale de Saint-Etienne. En 2018, il a été le maître d’œuvre d’une radiographie inédite des problématiques liées au vieillissement de la population française, où les avis des professionnels du secteur et des acteurs locaux ont été étayés par une consultation citoyenne. Remis au gouvernement en mars 2019, le rapport Libault émet 175 propositions pour bâtir une «stratégie de protection sociale du XXIe siècle cohérente».

En quoi la prise en charge des enjeux du grand âge et de la dépendance est-elle une urgence ?

Ces enjeux interrogent l’action publique sur deux plans, celui de l’urgence mais aussi celui de la capacité d’anticipation. Il ne s’agit pas simplement d’agir en réaction à des crises, mais de pouvoir préparer l’apparition d’une société de la longévité, car la France va être très touchée par la transition démographique. Il y a trois défis à relever : le défi démographique, qui demande une préparation des moyens pour faire face à cette évolution de la population, notamment celle en perte d’autonomie. Le deuxième sujet est celui de la création de solutions répondant mieux aux demandes de nos concitoyens, qui ne sont aujourd’hui pas véritablement satisfaits des offres concernant la dernière partie de leur vie. Le troisième défi, c’est celui de l’amélioration de l’espérance de vie en bonne santé de la population, en mettant en œuvre des stratégies de prévention, car on a un taux d’incapacité nettement plus élevé à ces âges que dans certains pays d’Europe du Nord. Tout ceci repose sur les métiers du grand âge et c’est là qu’est l’urgence : il y a un problème aigu d’attractivité de ces métiers face aux besoins actuels. Sans stratégie de longue haleine, nous allons vers des lendemains très compliqués pour pouvoir accompagner cette société de la longévité.

Une loi dédiée est-elle nécessaire ?

A mon sens, il est souhaitable d’avoir une stratégie systémique portée par une loi au Parlement, qui donne une direction et des ambitions nouvelles dans notre pays. Il s’agit à la fois de travailler sur les métiers, sur l’âgisme, sur la prévention, sur les nouvelles offres de prise en charge, sur les parcours. Une loi peut avoir une vision globale sur la gouvernance, les aspects financiers ou sociétaux que des articles budgétaires ne portent pas complètement. Cependant, il ne faut pas sanctuariser l’idée d’une loi comme le dogme absolu. Au-delà des positions des pouvoirs publics, la réflexion sur le grand âge doit nourrir en profondeur la société, et il y a déjà des évolutions, un certain nombre de choses sont en train de changer car des acteurs se saisissent des sujets.

Rendre les métiers du soin et du lien attractifs, ce n’est pas qu’une question de revalorisation salariale mais aussi d’organisation du travail, de représentations…

En effet, le management est une chose importante et on peut s’inspirer de ce qui se fait aux Pays-Bas avec la méthode Buurtzorg [sur le soin de proximité, ndlr], qui donne beaucoup plus de liberté et d’autonomie aux personnes employées. Certains services à domicile en France commencent à s’en inspirer. Le sens du métier est aussi un vrai sujet : si vous faites essentiellement des toilettes et des gestes techniques, ce n’est pas tellement attractif. Si vous redéfinissez le contenu des postes en mettant l’accent sur l’aspect relationnel, préventif, vous pouvez faire bouger les lignes. Il y a également la question de l’environnement de travail. Des établissements expérimentent par exemple un découpage en unités de petite taille, en «maisons». C’est mieux pour les personnels qui retrouvent un environnement plus circonscrit et pour les pensionnaires qui apprécient d’être dans un hébergement moins collectif.

Le domicile traditionnel n’est pas toujours la bonne solution, il ne faut pas l’idéaliser. Il s’agit de faire bouger l’offre : que l’Ehpad soit moins Ehpad et que le domicile soit plus accessible. C’est tout le travail sur l’hébergement intermédiaire, intergénérationnel, inclusif. Il y a à inventer de nouvelles formes de logement pour les personnes âgées dans les villes et les campagnes. Ça a déjà commencé et c’est là que les mouvements sociétaux doivent être encouragés. Il faut travailler sur des lieux et des moments décloisonnés pour modifier la façon de concevoir le vieillissement de nos aînés.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique