Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Climat

La sobriété est une urgence, alerte le Haut conseil pour le climat

Dimanche 28 mars 2021, des milliers de manifestants ont réclamé une « vraie loi Climat ».

Adaptation inévitable de la France au réchauffement climatique, émissions de gaz à effet de serre toujours trop importantes, politiques insuffisantes... Le nouveau rapport du Haut Conseil pour le climat est alarmant. Et recommande vivement la sobriété.

Les années passent, les bilans se succèdent et l’inquiétude du Haut Conseil pour le climat persiste. Au terme d’un processus houleux marqué par des dissensions internes et sur fond de manque de moyens révélés par Le Monde, l’instance consultative indépendante chargée d’évaluer la compatibilité de la politique du gouvernement avec l’Accord de Paris de 2015 a publié son quatrième rapport annuel mercredi 29 juin tard dans la soirée. Elle y recense quelques avancées, comme la baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2021. Mais y aligne aussi les sujets de préoccupation. Reporterre vous en livre un résumé en cinq points.

1. La France doit désormais s’adapter aux effets du changement climatique

Lors de la présentation du rapport à la presse, Corinne Le Quéré, présidente de l’instance, a commencé par insister sur les effets déjà sensibles du changement climatique en France et sur la nécessité de s’adapter. « En France, le réchauffement est de 1,7 °C depuis 1900, a indiqué la climatologue franco-québécoise. Les impacts s’aggravent, notamment du fait de l’intensification des extrêmes chauds, exacerbés dans les villes par le phénomène d’îlot de chaleur urbain, et de l’intensification des sécheresses et des précipitations extrêmes dans certaines régions, notamment le Sud-Est. » Avec des conséquences désastreuses sur les infrastructures, la production agricole, les écosystèmes et la santé humaine.

Or, pour Benoît Leguet, directeur général de l4CE et membre du conseil, « la France n’est pas prête à faire face au risque climatique ». « Les politiques d’adaptation manquent d’objectifs stratégiques, de moyens et de suivi », juge-t-il. Il préconise d’adapter l’aménagement du territoire et l’urbanisme, d’anticiper davantage les relocalisations en cas d’érosion côtière et les réaménagements des villes et des stations de ski, et de mieux identifier la « maladaptation » qui, à long terme, pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions — typiquement, « la climatisation pour répondre à une vague de chaleur ». Le tout, en tenant compte de « la question de l’équité, de la soutenabilité et de la justice ».

2. Les émissions de gaz à effet de serre baissent, mais pas assez rapidement

Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 6,4 % en 2021 par rapport à 2020, mais ont diminué de 3,8 % par rapport à 2019, rapporte le Haut Conseil pour le climat. Dit plus simplement, la tendance à la baisse observée depuis 2005 se confirme malgré un rebond post-Covid. « Pour la première fois cette année, tous les grands secteurs émetteurs connaissent désormais une baisse de leurs émissions », a salué Corinne Le Quéré.

Voilà pour les bonnes nouvelles. Mais des zones d’ombre persistent. Si les émissions de la période 2019-2021 sont inférieures aux seuils fixés par la Stratégie nationale bas carbone pour la période 2019-2023, c’est « principalement dû aux effets de la pandémie de Covid-19 ainsi qu’au relèvement du plafond d’émissions du deuxième budget carbone », observe la présidente du conseil. Ce dernier tour de passe-passe avait été dénoncé par les écologistes en 2021.

Manifestation à Nestier (Hautes-Pyrénées), le 29 mai 2021. © Alain Pitton/Reporterre

Par ailleurs, les puits de carbone n’ont pas fonctionné aussi bien qu’espéré. « Jusqu’en 2019, ils ont été 60 % moins forts que ce que prévoyait la Stratégie nationale bas carbone », alerte Marion Guillou, membre du conseil. En cause, l’état désastreux des forêts françaises. La mortalité des arbres a augmenté de 35 % sur la période 2011-2019 par rapport à 2005-2013, « à cause des sécheresses, des tempêtes, des incendies et de conditions météo favorisant un certain nombre de ravageurs comme les scolytes », explique-t-elle.

Enfin, la trajectoire de réduction des émissions de la France est en décalage complet avec les objectifs européens fixés en 2021 par la loi européenne sur le climat et le paquet Fit for 55 — réduire les émissions brutes de 50 % d’ici 2030 par rapport à 1990 et les émissions nettes (calculées après prise en compte des absorptions par les puits de carbone) de 54 %. « Ces nouveaux objectifs impliquent plus d’un doublement du rythme annuel de réduction des émissions », évalue Corinne Le Quéré, qui appelle à réviser d’urgence les objectifs de la France pour 2030.

3. Des politiques sectorielles et une planification globalement insuffisantes

Pour préparer son rapport, le Haut Conseil pour le climat a passé au crible les vingt-cinq orientations sectorielles de la Stratégie nationale bas carbone. Le bilan n’est pas fameux. Seules six permettent de respecter les budgets carbone inscrits dans ce même document. « La majorité ne suffisent pas et quatre sont en déphasage », juge Marion Guillou.

L’agriculture, qui représente 19 % des émissions nationales, est particulièrement en retard. « En 2021, 1,4 milliard d’euros de dépenses fiscales ont été accordés au secteur pour sa consommation d’énergie, indique Marion Guillou. Résultat, les émissions liées à la consommation d’énergie dans le secteur agricole ont augmenté de 5 % entre 2019 et 2020. Et je ne parle pas du plan de résilience de mars 2022, qui n’entre pas dans le cadre du rapport, mais qui a ajouté de nouvelles aides à la consommation de gaz et de carburant. »

L’agriculture, qui représente 19 % des émissions nationales, est particulièrement en retard. Pxhere/CC0

Financements inadaptés pour les rénovations énergétiques globales et accompagnement erratique de l’éradication des passoires thermiques, déploiement des énergies renouvelables insuffisant... Le rapport est sévère au niveau sectoriel. Et tout aussi critique quant à la gouvernance. « C’est bien d’avoir des objectifs, c’est tout aussi bien d’avoir les moyens budgétaires de les mettre en œuvre, tance Benoît Leguet. L’absence de programmation de long terme des financements publics pour le climat n’apporte pas la visibilité nécessaire aux entreprises, aux ménages et aux acteurs publics pour mettre en œuvre la transition. »

4. Les crises actuelles fragilisent la transition énergétique

La guerre en Ukraine, qui a débuté en février, n’entre en principe pas dans le cadre du rapport. Mais elle est au centre des inquiétudes des membres du conseil. « Elle a révélé la vulnérabilité de la France et de l’Europe aux importations d’énergies fossiles et d’engrais minéraux », observe Benoît Leguet. Les mesures d’urgence adoptées par les États face à la flambée des prix de l’énergie qui en a résulté consistent pour la plupart en des subventions à la fourniture de gaz et d’électricité et à l’achat de carburant. Elles « auront des conséquences structurelles sur la trajectoire d’émissions si elles sont maintenues sur le long terme », alerte le directeur général de l4CE.

L’autre risque est que le gouvernement renonce à financer la lutte contre le changement climatique au profit de crises présentées comme plus urgentes. « Quand il était candidat à sa réélection, Emmanuel Macron s’était engagé à consacrer 10 milliards d’euros supplémentaires chaque année à la transition écologique, rappelle Benoît Leguet. Depuis, la remontée des taux a fait augmenter la charge de la dette pour l’État français. La question est : comment s’assure-t-on collectivement que les 10 milliards d’euros promis ne deviennent pas une variable d’ajustement ? »

5. L’appel à la sobriété

Pour améliorer la résilience de la France à ces crises externes, le Haut Conseil pour le climat préconise la réduction la plus rapide possible des émissions de gaz à effet de serre. Et se livre à un véritable plaidoyer en faveur de la sobriété. « À l’heure actuelle, beaucoup d’infrastructures et d’usages qui utilisent de l’énergie, mais aussi des matériaux et des aliments, sont surdimensionnés. Par exemple, on chauffe des bâtiments vides, on conduit des véhicules trop lourds, déplore Corinne Le Quéré. C’est pourquoi on recommande fortement de prioriser des mesures structurelles de sobriété. » Davantage de repas végétariens dans la restauration collective, limitation du chauffage dans certains bâtiments, mais aussi contrôle de la publicité « qui encourage les usages très très carbonés » font ainsi partie des mesures préconisées par l’instance indépendante. Pourra-t-elle se féliciter de leur adoption dans son prochain rapport annuel ?

Fermer Précedent Suivant

legende