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Villes et métropoles "low-tech" : les pistes du Labo de l’économie sociale et solidaire

Pour relever les défis de la transition écologique, le recours à un degré important de technologie n’est pas toujours la meilleure voie, estime le Labo de l’ESS qui a exploré aux côtés de six territoires urbains le concept de "ville low-tech et solidaire". Sobriété, économie circulaire, écoconception et "faire soi-même" sont au cœur de cette approche plébiscitée par des acteurs de l’économie sociale et solidaire mis en avant dans cette étude. Via un guide pratique, le think-tank invite les collectivités territoriales à se saisir de cette grille de lecture pour servir des objectifs divers, de la relocalisation de petites industries en ville à la densification urbaine en passant par l’autonomie énergétique et le réemploi.

Après la "smart city", place à la "ville low-tech" ? Le Labo de l’économie sociale et solidaire (ESS) a récemment publié une étude intitulée "Pour des métropoles low-tech et solidaires – Une ville plus simple, plus sobre, plus humaine". Menée avec le concours des villes et métropoles de Bordeaux, Lille, Strasbourg et Lyon, de la ville de Paris, de la ville et de la communauté urbaine de Poitiers, cette étude soutenue notamment par la Banque des Territoires a donné lieu le 7 avril 2022 à un webinaire co-organisé par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, la Banque des Territoires et le Labo de l’ESS.

"S’il peut susciter le débat, le mot 'low-tech' est désormais retenu par la plupart des gens pour exprimer ce rapport à une technologie plus sobre, plus proportionné", a introduit Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS. Estimant que "l’ESS a un rôle particulier à jouer dans la définition d’un modèle de développement plus sobre" et constatant l’intérêt des métropoles sur ce sujet, le think-tank a choisi de se saisir de ce concept autour d’une question : "De quelles manières les territoires métropolitains peuvent-ils s’appuyer sur l’économie sociale et solidaire pour mettre en place une démarche low-tech systémique ?" Parmi les publications issues de ce travail, un guide pratique est destiné aux collectivités territoriales soucieuses de déployer une démarche low-tech "pour construire un territoire durable, solidaire et résilient".

Des solutions technologiques aux défis écologiques : un réflexe à réinterroger 

"La low-tech est une démarche visant, pour un besoin considéré légitime (…), à y apporter une solution technologiquement proportionnée et soutenable, c’est-à-dire la plus simple et agile, la plus sobre en ressources et en énergie, la plus accessible et appropriable par le plus grand nombre", peut-on lire dans l’étude. Le Labo de l’ESS a mobilisé pour ce travail l’expertise de Philippe Bihouix, auteur notamment de "L’âge des low-tech" publié en 2014.

À Poitiers, la low-tech, "c’est plutôt une boussole politique que la mise en œuvre d’un plan d’action précis low-tech", témoigne Bastien Bernela, conseiller municipal à la ville de Poitiers et vice-président du Grand Poitiers. Par exemple, pour mettre en place un éclairage public moins énergivore, "il nous faut accepter des solutions qui peuvent être moins performantes au sens de l’effet mais plus performantes au sens du process : si l’on met des capteurs partout, les ampoules vont consommer moins, mais tout le dispositif mis en place est énergivore", illustre l’élu.

Il y a selon lui "un combat culturel à mener", les services ayant souvent comme premier réflexe de privilégier des solutions technologiques aux défis de la transition écologique. Cela passe notamment par une évaluation des politiques publiques qui privilégie l’analyse des "process", des "cycles de vie". Ou encore par une prise en compte de ces enjeux de sobriété dans la commande publique, par exemple en systématisant "les diagnostics de réemploi de matériaux quand on fait des travaux sur notre patrimoine".

Des leviers d’action pour les collectivités

L’économie circulaire est d’ailleurs au cœur de l’étude du Labo de l’ESS, le think-tank s’étant intéressé à quatre grands besoins – "habiter, (se) déplacer, accéder à des biens et services de consommation courante, produire et travailler" – et aux réponses "low-tech" déjà apportées par l’ESS dans les métropoles considérées (voir encadré ci-dessous).

Dans le guide qui leur est destiné, les collectivités sont invitées à réaliser un diagnostic de territoire "par le prisme de la low-tech", pour sonder et mobiliser les habitants, pour étudier le "métabolisme urbain", soit "l’ensemble des flux d’énergie et de matières mis en jeu par le fonctionnement d’un territoire donné", et pour identifier secteur par secteur des "poches de dépendance à la high-tech" et des évolutions possibles et souhaitables vers des solutions low-tech. La ville de Bordeaux a ainsi lancé en septembre 2021 un appel à manifestation d’intérêt "ville circulaire et low-tech" pour accompagner de tels projets. 

Le Labo de l’ESS propose ensuite des pistes d’action dans cinq politiques publiques. En matière de développement économique et d’emploi, il appelle les collectivités à "favoriser le développement et la relocalisation de petites industries en ville" et à "redynamiser l’artisanat urbain". Est cité l’appel à projets ParisFabrik de la ville de Paris visant à soutenir des formations sur "des activités en lien avec la transition et le développement du ‘faire’ en ville".

Dans le domaine de l’urbanisme et de l’habitat, les leviers identifiés ont trait à la densification et à la transformation des usages des bâtiments publics, aux projets d’occupation temporaire ou encore à l’écoconstruction. La ville de Bordeaux expérimente actuellement un label "Bâtiment frugal" visant à encourager les particuliers et les entreprises à choisir "la rénovation des bâtiments plutôt que la construction, et privilégier la frugalité à l’installation de systèmes high-tech" (des systèmes de ventilation naturelle et la présence "d’îlots de fraîcheur végétalisés" par exemple). D’autres pistes sont avancées dans les domaines de l’environnement et du cadre de vie, de la mobilité, de la culture et de l’éducation. Pour sensibiliser sur ce sujet encore mal connu et favoriser "l’innovation low-tech", la communauté urbaine de Poitiers s’est alliée au réseau associatif SPN des professionnels du numérique pour organiser un hackaton en janvier 2022 rassemblant développeurs, startups et étudiants.   

  • Économie circulaire, durabilité, sobriété, "faire soi-même"… La "low-tech" à la croisée de plusieurs concepts

Quelles solutions "low-tech" aux besoins liés à l’habitat, la mobilité, la consommation de biens et de services, la production et le travail ? Avec les six territoires de l’étude, le Labo de l’ESS s’est penché sur ces quatre grands ensembles pour identifier des recommandations et des solutions issues de l’ESS.

Ainsi, l’enjeu d’une politique de l’habitat low-tech serait de "moins construire en densifiant la ville" dans un esprit d’"urbanisme circulaire" – intensification des usages et mutualisation des espaces, transformation de l’existant, etc. –, mais aussi de "mieux construire et équiper" – rénovation énergétique, écoconstruction, choix d’"équipements frugaux" type toilettes sèches… Plusieurs démarches visant à une économie circulaire des matériaux du BTP sont valorisées, dont le projet de "Métabolisme urbain" de l’établissement public territorial Plaine commune (Seine-Saint-Denis). Coordonné par la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Bellastock, ce projet consiste à mobiliser et accompagner les acteurs locaux de la construction et de l’aménagement dans une démarche de réemploi, réutilisation et recyclage inter-chantiers des matériaux issus du BTP. Il a notamment conduit à la réalisation d’un "diagnostic de la mine urbaine" destiné à identifier des gisements locaux de matières pour les valoriser dans le cadre de nouveaux projets.

En matière d’aménagement de l’espace public, "la multiplication des panneaux d’affichages notamment sous formes d’écrans" apparaît au Labo de l’ESS comme un "contre-modèle" à une approche low-tech qui favoriserait "un mobilier urbain écoconstruit et socialement utile", mais aussi la nature en ville.

Les "mobilités actives" et le vélo en particulier sont au cœur du chapitre dédié aux déplacements. Sur ce thème, les initiatives de l’ESS ne manquent pas et le think-tank en cite plusieurs, dont l’association "Les Jantes du Nord" qui propose des ateliers d’autoréparation de vélos et qui œuvre à la valorisation des déchets issus de ces réparations. D’autres exemples ont trait à l’autopartage (la Scic Citiz), au covoiturage (Mobicoop), aux activités de location et de réparation de garages associatifs…

La démarche low-tech est ainsi largement une invitation à acquérir des savoir-faire et à ‘faire soi-même’, ou à échanger localement des services dans le cadre par exemple d’une "Accorderie" – celle de Lille étant citée. Outre le renforcement de l’autonomie de chacun, "le ‘faire soi-même’ favorise une reconnexion à l’acte de produire et sensibilise donc à la valeur réelle du travail (…) et aux ressources nécessaires à la production", peut-on lire dans l’étude. À Poitiers, l’association L’Atelier du soleil et du vent propose des formations au travail de matériaux et à la fabrication d’objets, mais aussi à l’installation de panneaux et de chauffe-eau solaires.  

C. Megglé