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ReportageForêts

À Chantilly, des citoyens aident les scientifiques à « sauver la forêt »

Une bénévole dans la forêt de Chantilly, le 11 juillet 2022.

Jusque fin juillet, un collectif de 300 bénévoles accompagnés de chercheurs se mobilise pour cartographier la forêt de Chantilly. Un travail colossal. Ce domaine forestier, très vulnérable au réchauffement climatique, est dans un état critique.

Forêt de Chantilly (Oise et Val-d’Oise), reportage

Un groupe prélève des échantillons au sol, certains prennent des notes, d’autres s’attellent à cartographier l’espace... En ce début juillet, les bénévoles du collectif Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly s’activent au milieu des arbres de cette forêt. Objectif : la maintenir vivante pour les cinquante années à venir. Car si à première vue elle semble en parfait état, avec ce feuillage vert sombre omniprésent, quand on lève les yeux, le paysage est moins idyllique : de nombreuses branches sont dégarnies.

« Vous voyez là, l’arbre est en train de dépérir. » Daisy Copeaux, directrice du domaine forestier et immobilier du château de Chantilly, situé à une quarantaine de kilomètres au nord de Paris sur les départements de l’Oise et du Val-d’Oise, tend le bras vers un chêne pédonculé, essence qui constitue les deux tiers de la forêt. Si son feuillage est touffu, certaines branches situées à son sommet sont complètement nues. L’arbre manque d’eau. S’il continue à puiser dans ses réserves, il finira par mourir, comme celui qui se trouve à quelques mètres de lui et dont le feuillage est inexistant.

40 % du domaine de Chantilly est touché par le dépérissement. © Mathieu Génon / Reporterre

Pour éviter cela, le collectif tente de comprendre comment sauver la forêt. Depuis la mi-mars et jusqu’à fin juillet, les bénévoles s’adonnent à une tâche colossale : réaliser la cartographie la plus fine possible des 6 300 hectares que compte le domaine. Leur mission est importante, puisqu’en plus de ces bénévoles et usagers de la forêt (qu’ils soient chasseurs ou issus d’associations de défense de l’environnement), le collectif réunit de nombreux experts : l’Institut de France, propriétaire de la forêt, mais aussi une quarantaine de chercheurs, des instituts de recherche [1] et les pouvoirs publics locaux.

Bénévoles et scientifiques à Chantilly. © Mathieu Génon / Reporterre

« L’état actuel est critique »

Une équipe conséquente, à la hauteur de l’urgence. Car ces chênes en difficulté sont loin d’être des cas isolés dans la forêt de Chantilly. Ce domaine est « une sentinelle du réchauffement climatique, explique Daisy Copeaux, et son état actuel est critique ». « Ici, on a cinq ans d’avance sur le réchauffement climatique en raison du climat sec et de la nature sableuse du sol », qui retient peu l’eau de pluie, confirme Hervé Le Bouler, conseiller scientifique de la direction du domaine forestier de Chantilly.

Un tronc en train de dépérir à Chantilly. © Mathieu Génon / Reporterre

C’est en 2019 que les équipes de l’Office national des forêts (ONF), qui gèrent la forêt, mesurent l’ampleur du problème. 40 % du domaine et 47 000 arbres sont touchés par le dépérissement, réalisent-ils. Dans la forêt, la température moyenne a déjà augmenté de 1,5 °C depuis 1990. Selon les modélisations, le climat y sera celui de Périgueux en 2050 ; celui d’Albi en 2080. Or, les chênes pédonculés, pivots de cet écosystème, sont capables de vivre plus de 80 ans en moyenne. Ayant besoin de grandes quantités d’eau, ils ne sont plus adaptés au climat d’aujourd’hui, et encore moins à celui de demain.

Le dérèglement climatique favorise aussi la prolifération de hannetons, une espèce d’insectes dont les larves se nourrissent des racines d’arbres. Complètement tailladés par les larves, ceux-ci éprouvent encore plus de difficultés à puiser l’eau dont ils dépendent. « Si rien n’est fait, les espèces graminées vont prendre le dessus et empêcher la forêt de repousser. D’ici un siècle on aura une savane, qui brûle à l’automne, ou bien des steppes, comme en Ukraine », prédit Hervé Le Bouler.

Hervé Le Bouler : « Ici, on a cinq ans d’avance sur le réchauffement climatique. » © Mathieu Génon / Reporterre

« Plus de 1 400 jours de travail cumulé »

Depuis 2020, les 300 bénévoles de ce collectif mettent donc leur temps à la disposition des chercheurs pour affiner la connaissance de la forêt. Un projet d’une ampleur probablement inégalée à l’échelle mondiale, selon Hervé Le Bouler. En deux ans, ils ont déjà réalisé un inventaire de plusieurs centaines de parcelles et participé à un programme d’observation des insectes présents dans la forêt.

Depuis la mi-mars et jusqu’à fin juillet, les bénévoles doivent prélever 13 000 échantillons de sol, soit un tous les 70 mètres. La tâche n’aurait jamais pu être réalisée par les quelques personnes chargées de l’entretien et de l’exploitation de la forêt. À eux tous, les bénévoles auront effectué fin juillet « plus de 1 400 jours de travail cumulé », selon les calculs de Jean-Charles Bocquet, coordinateur des bénévoles.

Un bénévole avec un échantillon de sol. © Mathieu Génon / Reporterre

Ces échantillons sont ensuite envoyés en laboratoire et analysés. En plus de ce travail, une fine cartographie en 3D de la forêt va être réalisée, et des généticiens vont étudier le patrimoine génétique des arbres afin d’identifier si cela pourrait expliquer une meilleure résistance de certains par rapport à d’autres.

En deux ans, les bénévoles ont déjà réalisé un inventaire de plusieurs centaines de parcelles. © Mathieu Génon / Reporterre

« Cela va servir à comprendre pourquoi, à quelques mètres près, on trouve un chêne en bonne santé et un autre en mauvais état. On n’a pas le temps d’attendre vingt ans pour sauver la forêt. Ce travail nous permettra de savoir quoi couper et quoi planter », détaille Hervé Le Bouler.

Ce travail permettra de savoir quoi couper et quoi planter. © Mathieu Génon / Reporterre

Importer des arbres plus adaptés à un climat méditerranéen

Car la forêt n’est pas condamnée. « Peut-être que nous pouvons travailler avec des espèces différentes, l’espoir est là », explique Daisy Copeaux. Les gardiens de la forêt de Chantilly souhaitent accompagner la migration naturelle d’essences plus adaptées au climat de demain, chose qui prendrait des milliers d’années à la nature.

Chênes-lièges, chênes sessiles, cyprès de l’Arizona… Sur quelques parcelles du domaine, des arbres plus adaptés à un climat méditerranéen ont été plantés à titre d’expérimentation. Leur croissance est surveillée de près afin de déterminer quelles essences sont les plus susceptibles de prendre le relais des chênes pédonculés. En choisissant des essences cousines de celles présentes dans la forêt de Chantilly, qui ont coévolué avec les mêmes plantes, les forestiers limitent les risques de dérégler l’écosystème complexe du domaine.

Christophe Blanchet et Jean-Michel Henriou, bénévoles du collectif Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly. © Mathieu Génon / Reporterre

Le plus important sera d’introduire davantage de métissage dans la forêt de Chantilly afin de la rendre plus résistante. « Aujourd’hui, elle est constituée aux deux tiers de chênes pédonculés du même âge. Si nous voulons éviter à nos successeurs de connaître les mêmes difficultés que nous, il faut plus de diversité », explique Daisy Copeaux.

La directrice du domaine forestier ambitionne de « faire de Chantilly un laboratoire à ciel ouvert ». Les cinq années d’avance que connaît la forêt sur le réchauffement climatique sont une tragédie pour le domaine, mais cela pourraient bien aider d’autres chênaies à faire face à l’Anthropocène.


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