Automne 2020, la deuxième vague de Covid-19 déferle sur l’Allemagne : 10 000 contaminations par jour début octobre, 20 000 mi-novembre, 25 000 à Noël… Au pic de la première vague, début avril, le nombre de cas quotidiens n’avait jamais dépassé les 7 000. La courbe des morts, elle aussi, monte en flèche : 16 000 décès en décembre, soit autant que de mars à novembre inclus. Dans le pays, le choc est d’autant plus violent qu’il est inattendu. Au printemps, l’Allemagne avait fait figure d’exception en Europe. Six mois plus tard, elle se découvrait aussi fragile que ses voisins.
Juillet 2021, des pluies diluviennes s’abattent sur la Rhénanie. En l’espace de quelques heures, de petites rivières tranquilles se transforment en torrents impétueux. Des ponts sont arrachés, des maisons décapitées, des routes éventrées. Du jamais-vu depuis les inondations de 1962 dans la région de Hambourg. Deux cent mille foyers sont privés d’électricité, 600 kilomètres de voies ferrées détruits. Le bilan humain est terrible : près de 200 morts. La sidération est totale devant ces scènes vues et revues dans des pays pauvres, mais que personne n’aurait cru possibles dans la région de Bonn. « La langue allemande n’a pas de mot pour décrire une telle dévastation », s’émeut alors la chancelière, Angela Merkel.
La pandémie, les inondations… A quelques mois d’intervalle, ces catastrophes ont rappelé à l’Allemagne qu’elle était plus vulnérable qu’elle ne l’imaginait. Coïncidant avec le départ prochain de Mme Merkel, après seize années passées au pouvoir et au terme d’une décennie de croissance exceptionnelle, elles marquent surtout la fin brutale d’une certaine complaisance des Allemands vis-à-vis de leur modèle et de leurs institutions. Comme s’ils découvraient que leur Etat, qu’ils considéraient comme moderne, efficace et exemplaire par sa gestion rigoureuse des deniers publics, n’avait pas été à la hauteur des enjeux. Comme si les indicateurs de réussite – quatrième puissance économique mondiale avec un PIB de 3 666 milliards d’euros, troisième pays exportateur de la planète, cinquième taux de chômage le plus bas de l’Union européenne (UE) – avaient occulté les faiblesses.
« De l’extérieur, l’Allemagne donne l’impression d’une force impressionnante. C’est vrai si l’on regarde le secteur marchand, la production industrielle, les revenus, les avoirs : dans tous ces domaines, les années Merkel ont été exceptionnelles. Mais si on regarde l’Etat, le secteur public, certaines grandes infrastructures, le tableau est beaucoup moins reluisant », note l’économiste Moritz Schularick, professeur à l’université de Bonn et à Sciences Po Paris, et auteur d’un essai publié cet été sous le titre Der entzauberte Staat : Was Deutschland aus der Pandemie lernen muss (« l’Etat désenchanté : ce que l’Allemagne doit apprendre de la pandémie », C.H. Beck, non traduit).
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