Face à la surchauffe urbaine et au manque d'eau, quelles solutions pour les collectivités ?

Alors que le gouvernement a annoncé ce 14 juin le lancement d'un fonds de 500 millions d'euros pour la "renaturation des villes", l'Ademe a compilé dans un guide très complet les solutions pouvant être déployées pour lutter contre le phénomène d'îlot de chaleur urbain. Le Cerema rappelle également dans une étude les alternatives à la climatisation pour rafraîchir durablement les bâtiments. Pour pallier le manque de pluie l'été, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a en outre présenté récemment des dispositifs de recharge artificielle des nappes phréatiques. Plusieurs projets sont à l'étude avec des collectivités. Mais la démarche est encore balbutiante en France.

Les deux-tiers de la population française vivent en ville aujourd'hui. Des citadins directement exposés à la hausse du thermomètre. Alors que la température en milieu urbain est en moyenne de 4°C plus élevée que dans les zones rurales environnantes, le différentiel peut aller jusqu'à 12°C la nuit en période de fortes chaleurs. Comment expliquer ce microclimat urbain ? A la campagne, la végétation utilise le soleil et l'eau du sol pour la photosynthèse, puis restitue à l'atmosphère l'eau puisée dans le sol, une "évapotranspiration" qui s'arrête la nuit. Mais en ville, les surfaces largement imperméables emmagasinent l'énergie solaire. Et pendant la nuit, les bâtiments, les routes en bitume et les trottoirs relâchent dans l'air la chaleur accumulée.
Connu sous le nom d'"îlot de chaleur urbain" (ICU), ce mécanisme devient "surchauffe urbaine" lorsqu'on y ajoute l'inconfort thermique des habitants, qui dépend aussi de paramètres plus individuels (âge, logement sous les toits mal isolés, métabolisme...). Avec des impacts sanitaires majeurs. "La situation des citadins soumis à ces conditions extrêmes peut conduire à des coups de chaleur et des déshydratations jusqu'à la mort des personnes les plus fragiles", souligne l'Ademe dans son guide "Rafraîchir les villes- Des solutions variées" paru il y a tout juste un an mais qui reste tout à fait d'actualité. Lors de la canicule historique de 2003 qui avait fait plus de 15.000 morts en France, la surmortalité avait ainsi atteint 141% à Paris ou 80% à Lyon, contre 40% dans les villes petites et moyennes, selon Santé Publique France.

Mesures "émergentes ou éprouvées" contre les îlots de chaleur urbains

Les facteurs favorisant ces "bulles de chaleur" urbaines sont connus : beaucoup de surfaces artificielles minérales et sombres qui absorbent la chaleur, pas assez de végétation, propriétés des matériaux de construction, présence insuffisante d'eau, activités humaines, orientation des bâtiments, forme des villes... Sans oublier le cercle vicieux de la climatisation qui en rafraîchissant ceux qui peuvent se l'offrir réchauffe l'air extérieur par ses rejets. La question du rafraîchissement urbain est un domaine de recherche encore récent mais crucial alors que les îlots de chaleur urbains risquent d'amplifier les effets des canicules qui se multiplient et s'intensifient avec le réchauffement de la planète. Des solutions existent pourtant pour faire éclater ces bulles de chaleur, comme l'explique l'Ademe dans son guide qui présente 19 types de mesures "émergentes ou éprouvées" parmi lesquelles les villes peuvent piocher en fonction de leurs spécificités.

Solutions "vertes", "grises"...

D'abord des solutions "vertes", fondées sur la nature (végétation et eau) : développement de parcs qui forment de vrais îlots de fraîcheur, l’effet de refroidissement dépendant de la taille et du type de parc (s’il est constitué de pelouses ou de parties ombragées), des caractéristiques des plantes, de l’eau disponible pour la végétation et de la configuration spatiale du parc ; plantation d'arbres pour l'ombrage ; pelouses et prairies qui, lorsqu'elles sont ombragées, limitent l’échauffement de la ville dans la journée ; toitures végétalisées pour le confort intérieur ; façades végétalisées pour limiter l'inconfort des piétons ; plans d'eau et rivières avec leurs berges végétalisées ; ouvrages paysagers de gestion des eaux de pluie qui, de façon temporaire ou permanente, créent des milieux humides favorisant l’évaporation et l’évapotranspiration des végétaux, ce qui contribue au refroidissement de l’espace.
Parmi les solutions "grises", liées aux infrastructures urbaines et éléments techniques, l'Ademe met notamment en avant des formes urbaines "bioclimatiques" qui permettent une meilleure circulation des vents, de limiter le piégeage de la chaleur la nuit et de créer de l’ombrage le jour. Autres solutions proposées : les fontaines et les jets d’eau, l'arrosage de l'espace urbain, les structures d'ombrage, les panneaux solaires pour remplacer les surfaces qui emmagasinent la chaleur (ils ont l'avantage de refroidir plus vite dans la nuit) ou encore des revêtements drainants. Ceux-ci prévoient un ouvrage de récupération des eaux en cas de pluie. À partir de ce stockage sous-terrain, l’eau pluviale est réinjectée goutte-à-goutte à travers les pavés par capillarité et s’évapore, créant un effet de refroidissement. L'Ademe retient aussi les matériaux à changement de phase, autrement dit capables de changer d’état physique (de solide à liquide) selon la température. Ils s’appliquent dans les espaces publics (chaussées ou trottoirs), sur les bâtiments (toits ou murs) et permettent d’augmenter la capacité de stockage de chaleur du bâtiment, tout en limitant ses besoins de refroidissement (donc de diminuer la demande de climatisation). Enfin, l'isolation des bâtiments constitue une stratégie de gestion passive du confort thermique qui se traduit par une réduction des besoins de refroidissement.

... et "douces"

Dernière piste évoquée, les solutions "douces" qui agissent sur les usages et les pratiques de la ville, à l’échelle individuelle, comme collective. On trouve dans cette catégorie la réduction du trafic routier et des moteurs thermiques - limitation de la circulation pour tous les véhicules motorisés (péages urbains, piétonnisation des rues, mise en place de zones de rencontre…) ; limitation des vitesses de circulation ; sensibilisation à la conduite économe ; encouragement à l'utilisation de véhicules électriques, à la sobriété des déplacements, au report modal et à la mobilité active. Autres solutions détaillées dans le guide : la limitation de la climatisation, qui en refroidissant l’intérieur du bâtiment, contribue au réchauffement de l’extérieur, ou l’ajustement des comportements qui peuvent aider à réduire les impacts de la vague de chaleur comme l’installation d’un système de rafraîchissement, l’ouverture des fenêtres la nuit, le décalage des heures de sommeil ou encore la réduction des activités en extérieur.
Mais attention, "aucune solution ne peut résoudre seule la problématique de la surchauffe urbaine", prévient l'Ademe qui suggère une combinaison de plusieurs solutions. "Il est alors important de prendre en considération le fait que certaines solutions ne sont pas compatibles, voire s'annulent entre elles, tandis que d'autres agiront en synergie". Il faut également dans le choix des solutions possibles se pencher sur l'effet recherché de chaque solution: rafraîchissement global de la ville ou à l'échelle du confort du piéton. Ainsi par exemple, les fontaines et jets d'eau ont un impact fort pour le confort thermique mais aucun à l'échelle de la ville. Au contraire, des revêtements réfléchissant la lumière (peinture blanche ou matériaux innovants) sur les sols, les murs ou les toits, réduisent l'îlot de chaleur urbain mais peuvent créer de l'inconfort pour les passants à cause du rayonnement.

Fraîcheur des bâtiments

De son côté, le Cerema, qui vient de consacrer un document destiné aux élus visant à inscrire la nature dans les stratégies d'aménagement de la ville, a aussi publié le 14 juin sur son site une étude sur les solutions alternatives à la climatisation pour rafraîchir les bâtiments et contribuer ainsi à réduire les phénomène des îlots de chaleur urbains. Ces réponses techniques peuvent être mises en place dès la construction des bâtiments, pour les protéger au mieux de la chaleur, ou lors d'opérations de rénovation.
Deux leviers d’actions existent. L'un consiste à protéger les bâtiments du rayonnement solaire, pour éviter qu’ils se réchauffent. "Ce levier d’action inclut certes des enjeux de conception bioclimatique initiale : avec la limitation des baies vitrées et la création de zones d’ombre avant les ouvertures (alcôves, terrasses…)  mais aussi des solutions à mettre en place sur les bâtiments existants, détaille le Cerema. La plus courante est l’isolation des toitures. La mise en place et la bonne utilisation de volets bien conçus est une solution efficace et utile pour se protéger du rayonnement solaire, et les brise-soleils également s’ils laissent entrer le soleil en hiver." L'autre levier d'action consiste à faire sortir la chaleur entrée dans le bâtiment ou générée par l’occupation (occupants nombreux, appareils). "Cela passe par l’aération nocturne, facilitée par la conception des bâtiments 'traversants', qui ont au moins deux ouvertures sur façades distinctes pour créer un courant d’air, et par des fenêtres pensées pour cet usage", explique l'étude.
Le choix de matériaux renouvelables et/ou biosourcés  (bétons végétaux, qui peuvent être associés à des isolants comme la laine de chanvre ou de bois et la ouate de cellulose), favorisés dans le cadre de la réglementation environnementale 2020 (RE 2020), est aussi un élément clé. Le Cerema insiste en outre sur la sensibilisation des usagers des bâtiments et sur la pertinence de certains équipements - volets à lame orientables ne supprimant pas les vues en période d’ensoleillement, fenêtres sécurisées contre le risque d’intrusion, mais aussi ventilateurs de plafond.

Recharge maîtrisée des nappes phréatiques : des solutions émergentes

Autre problématique liée au réchauffement pouvant toucher tous les territoires, particulièrement l'été : la difficile recharge naturelle des nappes phréatiques par les eaux de pluie, du fait de précipitations trop rares ou de prélèvements importants. La baisse drastique du niveau des nappes peut avoir des impacts sur le débit des sources et des rivières et provoquer des restrictions d’usage parfois très pénalisantes, notamment dans l’agriculture et l’industrie. De plus, une roche réservoir qui se vide de son eau douce peut, dans certains sous-sols, être remplacée par une eau salée qui était jusqu’ici maintenue éloignée de l’aquifère, ce qui détériorera la qualité de la nappe à long terme. Il existe aujourd'hui des solutions de recharge "maîtrisée" de ces nappes que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a présentées ce 14 juin.  Cette pratique, qui vise à augmenter les volumes disponibles d’eau souterraine en favorisant, par des moyens artificiels, son infiltration jusqu’à l’aquifère, nécessite une bonne connaissance du sous-sol et de la nature de l’aquifère sous-jacent. La nappe doit en effet pouvoir stocker l’eau un certain temps et dans des conditions d’interactions hydro-biogéochimiques entre l’eau et roche assurant une qualité acceptable, explique le BRGM. "Ces conditions favorables à la recharge naturelle, l’écoulement et au stockage naturel de l’eau en sous-sol peuvent être trouvées dans des formations rocheuses à porosité d’interstices (sables, grès, etc. ou à double porosité d’interstices et de fissures (craie par exemple)", détaille-t-il.

Une cinquantaine de sites recensés en France

Pour le BRGM, "le premier critère fondamental concernant la faisabilité d’un projet de recharge maîtrisée est la disponibilité de l’eau de recharge à proximité du site d’injection, ce afin d’assurer un apport régulier en eau et de limiter les coûts potentiels de son transport". Un aquifère peut en effet être alimenté à partir de plusieurs types d’eau, les principaux étant les eaux de surface issues de cours d’eau, les eaux usées traitées et les eaux de pluie. Mais en France, en raison de choix réglementaires, seules les eaux de surface sont utilisées actuellement, comme sur les grands sites de recharge artificielle de Houlle-Moulle, Croissy-sur-Seine, Flins-Aubergenville ou Crépieux-Charmy pour l’alimentation en eau potable. Mais selon l'organisme public, des recherches menées sur le site expérimental d’Agon-Coutainville en Normandie montrent que les eaux usées traitées peuvent offrir une qualité élevée suite à leur infiltration dans une nappe et pourraient représenter une alternative disponible tout au long de l’année et plus particulièrement en période d’étiage, lorsque les ressources conventionnelles comme les rivières sont fortement sollicitées voire indisponibles. Le BRGM a aujourd'hui recensé une cinquantaine de sites de capacité industrielle en France - dont la moitié en activité – gérés par des entreprises spécialisées dans la gestion des eaux et concernant essentiellement des filtrats en berge de rivière ou de fleuve pour une utilisation rapide de l'eau infiltrée à destination de captages en eau potable in situ. Les agences de l'eau peuvent aujourd'hui soutenir ces projets de recharge d'aquifère comme le fait l'agence d'Adour-Garonne avec Bordeaux Métropole. Le projet consiste à cartographier le potentiel d'infiltration et de stockage d'eaux pluviales à l'échelle métropolitaine et à prévoir un démonstrateur en milieu urbain. Une étude du même type a été menée avec Rennes Métropole, dans le cadre de son plan local d'urbanisme. Mais la démarche reste encore embryonnaire en France, contrairement à des pays européens proches comme l'Allemagne et surtout les Pays-Bas.