L'hôpital face à la cinquième vague. Avec Jean-Luc Jouve et Michèle Lévy-Soussan

une chambre du service de réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) Pierre Zobda-Quitman de Fort-de-France, le 1er décembre 2021. ©AFP - ALAIN JOCARD
une chambre du service de réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) Pierre Zobda-Quitman de Fort-de-France, le 1er décembre 2021. ©AFP - ALAIN JOCARD
une chambre du service de réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) Pierre Zobda-Quitman de Fort-de-France, le 1er décembre 2021. ©AFP - ALAIN JOCARD
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La cinquième vague de covid-19, ce sont des chiffres, mais c’est surtout un nouveau regain de pression pour l’hôpital et les soignants.

Avec
  • Michèle Levy Soussan Médecin responsable de l’unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs, co-animatrice de la cellule de support éthique, sur le groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière – Sorbonne Université.
  • Jean-Luc Jouve Chirurgien pédiatre, président de la commission médicale de l'AP-HM

Alors que la cinquième vague frappe désormais l’hôpital de plein fouet, et que le pire est encore à venir, les services de santé se retrouvent une nouvelle fois sous pression, comme si rien n’avait changé depuis le début de la crise sanitaire. Cela peut surprendre, dans la mesure où la pandémie a pourtant conduit à une prise de conscience collective de la situation difficile, et même désastreuse selon les soignants, que traverse depuis maintenant de longues années l’hôpital public en France. 

Malgré le « Ségur de la santé », les soignants semblent plus épuisés que jamais, et ils dénoncent la soumission de l’hôpital à une logique de rentabilité. Le métier donne par conséquent de moins en moins envie, et on assiste à une crise des vocations, si bien qu’au manque de lits s’ajoute le manque de personnel : dans de nombreux hôpitaux français, il n’y a pas assez de soignants disponibles pour que tous les lits soient en service. De biens sombres nouvelles alors que la résistance des vaccins décline et que le variant Omicron fait peur au monde entier. 

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Avec le début de la campagne présidentielle, les soignants en colère, réunis samedi pour une importante manifestation, espèrent que la santé publique et l’hôpital vont enfin occuper la place qui leur revient dans le débat et l’action politiques, en accord avec les préoccupations des citoyens français en la matière. 

Avec Michèle Lévy-Soussan, médecin responsable de l’unité mobile d’accompagnement, co-animatrice de la cellule de support éthique, sur le groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière–Sorbonne Université, et Jean-Luc Jouve, chirurgien pédiatre, président de la commission médicale de l'AP-HM.

L'état de l'hôpital

Dans quel état est aujourd'hui l'hôpital, alors que commence la cinquième vague ?

On est dans le même état qu'avec les vagues précédentes, ce qui désespère un peu. L'hôpital était déjà bien fatigué en 2019 avant la première vague. On est descendu dans la rue pour le dire. Après avoir accumulé les vagues de Covid, on se retrouve devant une cinquième vague qui nous atteint ; elle a un impact moins fort grâce à la vaccination, mais elle perturbe fortement l'hôpital. On voit arriver les vacances de Noël avec inquiétude : on déprogramme des malades, et on lance des plans blancs. Jean-Luc Jouve

Est-ce qu'aujourd'hui, la pression est encore relativement faible, ou déjà forte ? Comment la vivez-vous ?

Elle est forte parce que l'outil "hôpital" est à bout de souffle. Si l'on avait un hôpital en bon état et des soignants qui ne sont pas malmenés, la pression serait bien plus supportable. Jean-Luc Jouve

Je pense qu'il nous faut chérir l'inquiétude et la complexité pendant un long temps. Cette crise hospitalière est doublée par une crise sanitaire sans précédent qui vient percuter toutes les dimensions de notre existence. L'hôpital était l'objet d'un vaste programme parce qu'il fallait réformer en profondeur le système de santé, et pas seulement l'hôpital. Michèle Lévy-Soussan

A l'hôpital, rien de nouveau

Depuis le début de cette pandémie, est-ce que des choses ont changé à l'hôpital ? Est-ce que vous avez obtenu des moyens en plus ? On évoque le Ségur de la Santé, mais tout cela est un peu abstrait pour celles et ceux qui sont à l'extérieur de l'hôpital. Michèle Lévy-Soussan, qu'est-ce qui a changé, ou pas, au niveau de votre quotidien ?

Il y a eu, surtout lors de la première vague, une réorganisation hospitalière, avec des filières Covid et des filières non-Covid, ce qui a été assez efficace. Malgré tout, on a trop focalisé sur l'hôpital et sur la réanimation. C'est notre hospitalocentrisme et notre technocentrisme : il eût fallu, en amont, avoir le temps de mieux travailler sur notre système de santé et de rééquilibrer les rôles respectifs de l'hôpital et de la ville. Comme on n'a pas eu le temps de faire cela, on se retrouve avec une pression hospitalière très forte. Les soignants sont très fatigués, et on en manque sur le terrain. Michèle Lévy-Soussan

Et vous, Jean-Luc Jouve, avez-vous des choses changer depuis la crise ?

Le problème, c'est que sur le terrain, on n'a pas vu les choses changer. On n'a pas tiré d'enseignements d'une crise sur l'autre. On a des Agences régionales de santé qui, en tout cas en province, redécouvrent le Covid à chaque fois qu'une vague arrive. Les moyens sont toujours mis à disposition au lance-pierres, à base de CDD et de recrutements. On a l'impression que les vagues se succèdent, et qu'on redécouvre le Covid à chaque fois. Ce qui touche les soignants, c'est la résignation, ce n'est pas la révolte. Jean-Luc Jouve

Manque de lits et de personnel

Y a-t-il des lits fermés, aujourd'hui ? 

Bien sûr : des lits sont fermés par manque de personnel. On est dans un système où l'on a une administration qui est navrée parce qu'elle constate qu'il y a de nombreux postes vacants et qu'elle n'arrive pas à recruter des personnes qui vont venir occuper ces postes. Jean-Luc Jouve

Quelle catégorie de personnel fait défaut ?

Actuellement, ce qui nous fait le plus défaut au CHU, c'est le personnel paramédical : les infirmières spécialisées, notamment. Jean-Luc Jouve

Crise des vocations et perte de sens

Comment expliquer ce manque de personnel ? Est-ce qu'il y a des gens qui partent pour faire complètement autre chose, est-ce surtout à cause d'un épuisement désormais impossible à assumer ?

C'est multifactoriel, avec pour point commun la résignation. Certains vont aller dans des postes de travail libéraux qui sont fatigants, d'autres veulent sortir du bloc opératoire... Le pire, c'est ceux qui disent que leur vocation, c'était le soin, mais que maintenant, ils veulent faire autre chose. Jean-Luc Jouve

Il y a une très grave crise des vocations. Dans une administration hospitalière, il y a deux catégories : les PM (personnels médicaux) et les PNM (personnels non-médicaux). Cela veut dire que tout ce qui n'est pas médical est simplement qualifié comme "non-médical" ou de "paramédical". C'est tellement loin de l'esprit d'équipe qui aujourd'hui, est la seule réalité permettant d'accueillir, de soigner un patient. Michèle Lévy-Soussan

On voit bien le décalage énorme entre une gestion comptable, administrative, avec des structures énormes où l'on déplace un soignant du jour au lendemain à des horaires incompatibles avec une vie de famille. Le cœur du métier, le soin, demande une attention, une humanité, une disponibilité pour l'accueil. On a fait comme si l'on était un grand plateau technique. Mais l'essentiel, c'est le soin : pouvoir répondre à l'appel d'une sonnette, entendre la souffrance d'une famille et ses questions. On a construit des structures qui nous déconnectent des réalités de terrain. Michèle Lévy-Soussan

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