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Méthanisation dans le Lot : le grand emmerdement

Un méthaniseur agricole à Grandris (Rhône, France).

La multiplication des projets de méthaniseurs dans le Lot révèle pour les auteurs de cette tribune la volonté de transformer des régions entières en décharges absorbant les déchets de la société industrielle. Il faut selon eux stopper cette « valorisation du territoire » qui met en danger son eau potable et ses habitants.

Les Amis du Lot, femmes et hommes sans qualités, vivent dans et hors de ce pays-là. Leur commune dilection pour ce qu’il demeure encore de la nature les amène à s’opposer, avec les moyens du bord, aux trop nombreuses nuisances de la société techno-industrielle.




En automne 2017, l’entreprise Bioquercy installait à Gramat, dans le Lot, une unité de méthanisation après que l’enquête publique qui devait précéder ces travaux se soit opportunément déroulée du 18 juillet au 19 août 2016, alors que la majorité des habitants étaient en vacances.

Bénéficiant de subventions publiques d’un montant de 2,9 millions d’euros, de l’aide de la région, de la préfecture et de l’accord tacite de la commune de Gramat et du bien nommé Parc naturel régional des causses du Quercy, l’usine s’est imposée malgré l’inquiétude de la population. Elle traite aujourd’hui 65 000 tonnes de déchets par an, issus d’élevages industriels appartenant à la Quercynoise, coopérative d’élevage et de production de foie gras [1].

Abeilles mortes et sales odeurs

Depuis son installation, cette usine engendre nombre de nuisances. Des odeurs nauséabondes ont pu se faire sentir jusqu’à deux kilomètres autour du site, provoquant des malaises chez certaines personnes. Un article du Monde du 29 janvier 2019 rapporte les propos d’un apiculteur ayant constaté une forte mortalité de ses abeilles quelques jours après un épandage de « digestat », ainsi que des mortalités de vers de terre les jours suivants sur les parcelles épandues.

Il faut en effet savoir que la méthanisation produit un déchet : le digestat, substance le plus souvent liquide qui charrie nombre de résidus d’antibiotiques, de métaux lourds, de perturbateurs endocriniens et de bactéries pathogènes. Présenté par l’entreprise Bioquercy comme un « fertilisant », il est légitime de se demander ce que contient son propre digestat répandu sur plus de 10 000 hectares de terre agricole répartis sur le causse et dans le Ségala — le Ségala qui, non content d’être le château d’eau de cette région (il alimente 70 % des Lotois en eau potable), possède un relief pentu qui favorise le ruissellement et devrait donc interdire tout épandage.

Les dégats du digestat

Ce digestat s’infiltre facilement dans le mince sol lotois et contamine les captages d’eau potable, déjà régulièrement souillés par les effluents de l’agriculture intensive. Les sols subissent en outre un apport massif d’azote sous forme ammoniacale, qui entraîne leur stérilisation, avec un impact sur leur capacité à nourrir les plantes mais aussi sur leur capacité de rétention en eau et en éléments minéraux [2].

Si certains germes contenus dans le digestat peuvent être éliminés par de coûteux traitements au chlore, d’autres résistent à la chloration, une chloration importante, comme peuvent le sentir les Lotois dans l’eau du robinet, qui n’est pas sans conséquence sur la santé humaine, notamment sur le cancer de la vessie [3].

Cette ahurissante réalisation va faire des petits : quatre méthaniseurs sont en chantier dans le Ségala à Espeyroux, Gorses, Labathude et Viazac, subventionnés par les pouvoirs publics à hauteur de 33 %. Le projet a été éclaté en quatre lots de façon à déjouer l’obligation d’enquête publique et d’étude d’impact et de danger. Ces unités produiront 81 500 tonnes de digestat, qui seront épandues sur 4 000 hectares dans le Lot…

Des régions destinées à devenir des décharges publiques

On voit de quelle façon pouvoirs publics et entreprises privées conçoivent la « valorisation du territoire » : avec la transformation de lieux encore préservés en parcs de loisirs ou en réserve de biomasse pour les métropoles, on prévoit un nouvel avenir pour ces pays, devenir une décharge publique. Ainsi, après avoir fermé écoles, maternités, bureaux de poste et hôpitaux, l’État y encourage l’enfouissement de déchets toxiques, hérisse leurs hauteurs d’éoliennes ou de panneaux solaires, projette de polluer leurs sous-sols par l’extraction de gaz de schiste, y construit des incinérateurs ou rêve de créer des aéroports au milieu de zones protégées…

Pourquoi se priver ? Faiblement peuplés d’une population vieillissante et souvent précarisée, ces pays-là représentent des espaces où enfouir le revers honteux de notre monde, ce que les métropoles et autres smart cities connectées ne sauraient voir : les déchets d’une organisation sociale qui, pour assouvir son démentiel besoin d’énergie et de consommation, ne peut que souiller et détruire ce qui l’entoure. Ici, la méthanisation, qui est présentée, avec l’habituelle faconde des bateleurs du green washing, comme une façon de diversifier les apports énergétiques et d’éponger les importantes quantités d’effluents générées par l’agriculture industrielle, n’est qu’une des nuisances d’un système qui a réduit la nature à un stock de ressources et à un collecteur pour ses effluents et déchets [4].

Faire face à l’avenir désastreux promis par la société industrielle

Pour le Lot, l’avenir est clair comme un verre de digestat : ce pays, à l’image de la Bretagne ravagée par l’élevage industriel du porc, semble être condamné à voir son eau, son air et sa terre pollués. La Bretagne justement, déjà bien enfoncée dans cette ornière, peut témoigner des ravages de la méthanisation : pollution des eaux, multiplication des accidents dans les unités de méthanisation, emploi abusif de fourrage et de verdure destinés aux bêtes pour augmenter les performances de ces unités, industrialisation des paysages, trafic incessant de camions, endettement massif des paysans fourvoyés dans cette démarche…

Notre société industrielle, au stade où elle est parvenue, n’est sûrement pas la première à se donner pour achevée, à se montrer obsédée d’elle-même, inapte à se représenter ou à se concevoir autrement. Les catastrophes écologiques, politiques, sociales et sanitaires que nous connaissons, et la façon dont nos « élites » y font face, en est la plus terrible des preuves. Nature et politique sont intimement liées. Oublier que l’histoire des efforts de l’homme pour asservir la nature est également l’histoire de l’asservissement de l’homme par l’homme [5], c’est se condamner aux déclarations de principes, à l’impuissance consternée devant les ravages du présent. Il ne faut jamais l’oublier : toute résistance conséquente contre les nuisances du système techno-industriel ne peut faire l’impasse sur la remise en question du système lui-même. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, les solutions ou les possibles portes de sortie, quoi qu’elles puissent être, ne naîtront jamais que de l’initiative et de l’organisation des habitants de ce pays.

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