dièses contre les préconçus

L’état de santé comme motif de discrimination : quelques réflexions


« Si le dispositif législatif contre les discriminations pour raison de santé apparaît protecteur, il n’est pas sans faille, et les fragilités de la réglementation (...) sont trop bien connues des employeurs. »
par #Nathalie Ferré — temps de lecture : 5 min —

Dans le but d’assurer une meilleure protection des personnes atteintes d’une maladie chronique évolutive, le législateur, en 19901Loi n°90-602 du 12 juillet 1990 relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap., ajoute parmi les motifs discriminatoires la santé et le handicap. L’employeur ne saurait donc prendre en compte ces critères pour écarter une personne d’un recrutement, pour rompre un contrat de travail ou encore pour justifier tout traitement défavorable dans l’évolution de la carrière ou du salaire2Voir les articles L. 1132-1 du code du travail et 225-1 et suivants du code pénal.. À cette règle portée par le droit des discriminations, s’ajoute l’obligation pour les employeurs d’assurer la santé physique et mentale de leurs travailleurs. Autrement dit, non seulement l’employeur ne doit pas « discriminer » mais il doit agir, en évaluant les risques du travail sur la santé et les prévenir. Si le dispositif apparaît protecteur, il n’est pas sans faille et les fragilités de la réglementation, accompagnées par la jurisprudence, sont trop bien connues des employeurs.

Un dispositif protecteur…

La loi frappe de nullité toute mesure patronale fondée sur le critère de l’état de santé. La nullité signifiant le retour à la situation antérieure, ainsi la réintégration du travailleur dans l’entreprise, sauf si ce dernier préfère une réparation indemnitaire3Ce qui est la situation la plus fréquente.. Si le salarié a connu une évolution de carrière ralentie par la maladie, le juge prononcera une sanction visant à combler ce retard. Lorsque la discrimination est inscrite dans une convention collective, alors la clause litigieuse n’est pas applicable. Elle ne peut être présumée légitime au seul motif qu’elle a été négociée et signée par des organisations syndicales représentatives4Une telle présomption de légitimité existe, notamment pour « soutenir » les avantages catégoriels.. C’est le cas d’une disposition qui, pour évincer le versement d’une prime, ne prendrait pas en compte pareillement toutes les absences et qui met en place pour son attribution un système d’abattement pour les seules absences pour maladie. Bref : le dispositif pour chasser les pratiques patronales et les clauses discriminatoires apparaît solide, pour peu que la preuve soit faite.

L’employeur est tenu à l’égard de ses salariés par une obligation de sécurité. Gardien de leur santé, il doit conduire dans son entreprise une politique de prévention en suivant les prescriptions du code du travail : évaluation des risques, information et formation constituent le cœur des mesures qu’il doit décliner, outre le respect des normes techniques prévues par type de risques. Dans la conception et la mise en œuvre de sa politique, l’employeur doit intégrer les fragilités physiques et/ou mentales propres et connues de certains travailleurs. Ainsi il lui appartient d’accompagner les comportements addictifs5La dépendance à l’alcool en particulier constituant une maladie, l’employeur doit la prendre en charge, proposer un suivi médical. Licencier pour cette raison constituerait une discrimination., avant éventuellement de songer à sanctionner ceux qui constitueraient pour eux-mêmes ou la collectivité un danger. Comme il doit veiller à ce que des catégories de salariés considérés comme vulnérables, notamment du fait de leur exposition à certains risques, bénéficient d’une surveillance médicale spéciale.

Mais qui connait des limites…

En premier lieu, l’arsenal législatif fait une exception pour le cas de l’inaptitude. Ainsi comme l’énonce l’article L. 1133-3 du code du travail, « les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées ». En conséquence, l’employeur peut rompre une relation contractuelle avant son terme ou licencier un travailleur en raison de son inaptitude. Cette inaptitude peut être le produit de son exposition prolongée à certaines tâches, d’une usure prématurée du corps ou encore la cause d’une maladie ou d’un accident. Certes, la loi encadre mieux aujourd’hui qu’hier6La loi dite travail du 8 août 2016 a revu en profondeur la procédure conduisant à une déclaration d’aptitude et a mieux défini les missions attendues du médecin du travail. la procédure de constatation de cette inaptitude et oblige l’employeur à suivre les préconisations du médecin du travail, en particulier dans la recherche de possibilité de reclassement du salarié concerné. Mais cette recherche ne vaut que si le médecin n’a pas complètement fermé la porte, ce qui implique qu’il ait déclaré le salarié potentiellement apte à occuper un poste dans l’entreprise. L’employeur est en effet dégagé de toute obligation de reclassement lorsque le médecin a considéré que le maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable pour sa santé et que celle-ci rend impossible tout reclassement dans un emploi. Par ailleurs, pour que le dispositif fonctionne réellement et qu’il ne s’abandonne pas aux facilités – écarter la personne qui n’est plus apte à exécuter les tâches pour lesquelles elle a été recrutée –, il faut que les médecins du travail connaissent les postes des entreprises relevant de leur périmètre d’intervention et les risques qu’ils comportent, qu’ils disposent de temps pour réaliser les études préconisées et que les employeurs respectent leur obligation. Dans la très grande majorité des cas, les déclarations d’inaptitude se traduisent par une rupture du contrat de travail. La loi apparaît dès lors comme une belle enveloppe… vide, aboutissant à une éviction du salarié.

Il est de jurisprudence constante que si l’état de santé ne peut pas constituer une juste cause de licenciement, la situation objective produite sur l’entreprise peut justifier la rupture du contrat. L’employeur doit alors démontrer, pour être dans les rails des exigences des juges, que l’absence prolongée ou les absences prolongées du travailleur malade perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise et qu’il est dans l’obligation de procéder à son remplacement définitif. Selon la Cour de cassation, le remplacement du salarié malade s’opérant par la voie d’un CDI – qui subordonne la légitimité du congédiement – intervient soit au moment de la rupture, soit à une date proche, soit encore « dans un délai raisonnable ». Cette notion de « délai raisonnable » laisse une certaine marge aux juges… et aux employeurs. Et il est trop facile de se prévaloir d’une désorganisation alors même qu’il est possible de recruter par CDD ou intérim pour pallier l’absence. Et quand le salarié malade parvient à démontrer – ce qui suppose d’avoir la force d’aller devant le juge – que l’employeur est sorti des « rails », alors il ne peut prétendre qu’à des dommages et intérêts : le licenciement est jugé seulement abusif, non frappé de nullité.

Outre ces deux exemples permettant d’illustrer les limites de la protection juridique, il existe de nombreux écarts dans la pratique que le contentieux ne révèle que pour partie. Le Défenseur des droits indique dans son rapport 2020 que le handicap et la santé représentent 32,5% des saisines qui lui ont été adressées en matière de lutte contre les discriminations. Sans oublier que la crise sanitaire a produit des situations discriminantes en exposant à la Covid-19 certaines catégories de travailleurs, quand d’autres peuvent largement recourir au télétravail.

Nathalie Ferré est chercheuse à l’Université Paris 13 en droit du travail, droit des étrangers et droit des discriminations.


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