Pressions, atteintes à l’intégrité physique, voire assassinats ciblés... De plus en plus de journalistes qui enquêtent sur l’environnement subissent ce triste sort. À l’occasion de la COP26, Reporters sans frontières et 60 journalistes appellent les États à agir en publiant une tribune. 

Un chiffre qui fait froid dans le dos. Selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF), en 10 ans pas moins de 21 journalistes ont été assassinés pour avoir enquêté sur des sujets "sensibles" liés à l’environnement. Près de 30 autres sont actuellement emprisonnés et 75% des incidents ont été enregistrés depuis la signature de l’Accord de Paris (COP21) fin 2015.
À l’occasion de la COP26 à Glasgow, plus de 60 journalistes spécialistes des questions environnementales issus de 34 pays alertent sur la situation en publiant une tribune intitulée "Urgence climatique, urgence informationnelle !". On trouve parmi les signataires la colauréate du prix Pulitzer 2020, Gaëlle Borgia, la journaliste environnement française Anne-Sophie Novel, le Russe Grigory Pasko (prix RSF et prix Sakharov 2002). Les signataires appellent les États "à donner à leur justice nationale les moyens de lutter contre l’impunité persistante des crimes commis contre les journalistes environnementaux".

Des menaces de plus en plus graves


Extraction minière illégale, déforestation sauvage, pollution industrielle, accaparement des terres, les sujets traités par les journalistes environnement touchent de plus en plus souvent à la corruption des États ou des entreprises. D’où le niveau de menaces qui ne cesse d’augmenter selon Pauline Adès-Mével, porte-parole de RSF. "À la différence des journalistes d’investigation qui travaillent sur la corruption politique ou le blanchiment fiscal, l’opinion publique perçoit peu les menaces subies par les journalistes environnementaux. Cette forme d’invisibilité les met davantage en danger. Tout particulièrement ceux qui travaillent en indépendant", explique-t-elle.
Selon la porte-parole de RSF, "les menaces dont ils sont victimes prennent différentes formes et montent le plus souvent crescendo". Les premières sommations impactent d’abord le média ou les conditions de travail des journalistes visés : auto-censure, pressions de la rédaction en chef ou du propriétaire du média, suppression des aides à la presse, désengagement de certains annonceurs pointés par un article. Viennent ensuite les pressions adressées directement au journaliste. Parmi elles, RSF liste des procédures de justice en diffamation fantasques et onéreuses, le harcèlement sur les réseaux sociaux, les lettres ou coups de téléphone anonymes, la violence verbale, les atteintes à l’intégrité physique et l’irréparable… l’assassinat ciblé.

Vivre en démocratie ne protège plus forcément


Si les cas les plus graves sont observés dans des pays où les droits humains sont peu ou pas respectés par les pouvoirs en place, RSF déplore de plus en plus de menaces à l’encontre des journalistes vivant dans des pays démocratiques. Signataire de la tribune de RSF, Morgan Large, journaliste depuis 2001 pour la radio bretonne Kreiz Breizh, peut en témoigner. Spécialiste de l’agro-alimentaire, la reporter de 49 ans a plusieurs fois enquêté sur les dessous de l’agriculture intensive en Bretagne. "Habituée à être interpellée" sur ces sujets en tant que journaliste, elle explique avoir subi des menaces beaucoup plus graves suite à son témoignage dans le documentaire "Bretagne une terre sacrifiée" diffusé sur France 5 en novembre 2020.
Elle raconte : "Les portes de ma radio ont été forcées, j’ai reçu de appels anonymes nocturnes, subi du harcèlement sur les réseaux sociaux, j’ai été diffamée par un magazine agricole local et on m’a menacé verbalement… Mais le plus grave a été l’intoxication de ma chienne et le sabotage de ma voiture. Depuis, je vis dans l’angoisse pour moi et mes enfants et ça c’est terrible en tant que mère. Psychologiquement, on est atteint, on perd sa dignité…"
Soutenue par ses proches, son média, ses avocats et RSF, elle poursuit aujourd’hui tant bien que mal son travail de journaliste sur le terrain. Et Pauline Adès-Mével de conclure : "Au-delà de la médiatisation, il est crucial que les autorités protègent vraiment ces journalistes. De notre côté, on travaille aussi à la création d’un consortium des journalistes environnementaux."
Mathieu Viviani @MathieuViviani 

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