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Grand âge: «Au-delà des mesures budgétaires, quel modèle voulons-nous pour nos anciens ?»

Une revalorisation de 15% du salaire des auxiliaires de vie est également prévue.
Une revalorisation de 15% du salaire des auxiliaires de vie est également prévue. Chinnapong / stock.adobe.com

FIGAROVOX/TRIBUNE - L'Assemblée a adopté mardi 26 octobre le budget 2022 de la Sécurité nationale. Les 400 millions d'euros consacrés au grand âge ne doivent pas occulter l'absence de réforme d'ampleur sur le vieillissement et la dépendance, estime Laurent Frémont.

Laurent Frémont est le cofondateur du Collectif Tenir ta main, dédié à l'accompagnement des personnes âgées et des patients hospitalisés.


Rendons à César ce qu'il doit à la dette et aux impôts des Français : les mesures budgétaires du gouvernement pour favoriser l'autonomie des personnes âgées sont d'une ampleur inédite et bienvenue.

Ce ne sont pas moins de 400 millions d'euros qui sont consacrés au grand âge dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le tarif plancher de 22€ pour l'allocation personnalisée d'autonomie est un premier pas, certes insuffisant par rapport aux tarifs réclamés par les professionnels pour accompagner dignement les personnes âgées vulnérables. La revalorisation de 15% des salaires des auxiliaires de vie et l'augmentation des effectifs en Ehpad permettront d'améliorer les conditions de travail de ceux qui prennent soin de nos anciens. L'indemnisation du congé de proche aidant contribuera à soutenir les proches des personnes dépendantes dans leur digne effort d'accompagnement.

Allons-nous cesser de considérer nos aînés comme des citoyens de seconde zone ? Pouvons-nous leur garantir accompagnement et respect au soir de leur vie ?

Laurent Frémont

Mais ces mesures budgétaires, si conséquentes soient-elles, ne font qu'occulter le sujet de fond : quel modèle d'accompagnement voulons-nous pour nos anciens ? En sommes-nous réduits à maintenir sous perfusion un modèle à bout de souffle ?

En réalité, ce bricolage budgétaire ne vient que rafistoler à grand-peine un secteur qui se lézarde sous le poids de plusieurs défis.

Un défi démographique tout d'abord, puisque le mur du vieillissement se rapproche : près de 5 millions de Français seront âgés de plus de 85 ans en 2050, soit trois fois plus qu'aujourd'hui. Plus de 2 millions d'entre eux seront en perte d'autonomie, soit deux fois plus qu'à ce jour. Ces chiffres montrent l'ampleur du bouleversement des équilibres familiaux et de notre modèle de solidarité nationale qui nous attend.

Un enjeu de santé publique ensuite, puisqu'il s'agit d'améliorer l'espérance de vie en bonne santé de la population, notamment par des politiques de prévention et d'accompagnement intégral de la personne.

Une question d'attractivité également puisque les besoins de recrutement sont importants, pour des professions souvent perçues comme pénibles et mal rémunérées.

Enfin et surtout, un enjeu sociétal majeur : allons-nous cesser de considérer nos aînés comme des citoyens de seconde zone ? Pouvons-nous leur garantir accompagnement et respect au soir de leur vie ? Le dernier baromètre des Petits Frères des pauvres a mis en lumière la terrible réalité de la solitude des aînés : depuis 2017, le nombre de personnes de plus de 60 ans qui sont isolées des cercles familiaux et amicaux a doublé…

Toutes ces questions devaient être portées par le projet de loi «Générations solidaires», annoncé par le chef de l'État en 2019, qui devait apporter «une réponse globale extraordinairement ambitieuse» aux enjeux liés au vieillissement.

Le modèle du « tout-Ehpad » qui est encore la norme ne semble plus à même de répondre aux aspirations de la société.

Laurent Frémont

Après plusieurs revirements et promesses non tenues, cette réforme d'ampleur est finalement enterrée. Ce serpent de mer est donc condamné à rester dans les cartons, conformément à une habitude prise par tous les gouvernements successifs depuis une vingtaine d'années. Une dizaine de rapports, des revendications unanimes du secteur, une prise de conscience sociétale n'auront donc conduit qu'à des mesures budgétaires à l'ambition réduite à la portion congrue.

Comme le soulignait Marie de Hennezel dans une tribune récente, «Qu'est-ce qui, dans l'inconscient de nos décideurs, explique ces promesses non tenues, sinon l'âgisme rampant qui vise en fin de compte à exclure les vieux et les vieilles de leurs arbitrages politiques, budgétaires, et même sociétaux».

Pourtant, cette loi aurait permis de porter une ambition globale permettant de couvrir avec cohérence un grand nombre de sujets capitaux (prévention, prise en charge, parcours de soins, métiers, innovation…) tout en portant une vision holistique du vieillissement. Sur ces sujets, les travaux sont nombreux et l'opinion publique attend désespérément un changement de paradigme.

En effet, le modèle du «tout-Ehpad» qui est encore la norme ne semble plus à même de répondre aux aspirations de la société. L'habitat collectif, anonyme et médicalisé ne peut plus être la seule réponse aux enjeux de dépendance.

Sur ce terrain, la créativité des nouveaux acteurs du secteur est phénoménale : habitat intergénérationnel, colocations solidaires, béguinages, outils de prévention, vieillissement à domicile... L'éclosion de tant d'initiatives innovantes permet de donner à chacun la forme d'accompagnement et d'hébergement qui lui corresponde. Et les modèles sont infinis, inspirés par de beaux exemples qui fonctionnent et attirent, en ne réduisant plus le grand âge à un marché juteux aux enjeux financiers colossaux.

Enfin, l'adoption de cette loi aurait eu une portée symbolique voire réparatrice après les nombreuses dérives éthiques que nous avons pu observer depuis près de deux ans. Paradoxalement, nos aînés ont été les victimes collatérales de la gestion de la crise sanitaire : réduits à l'isolement, condamnés au « glissement », interdits de contacts avec leurs proches, voire privés de derniers adieux ou de rites funéraires dignes.

Dans ce contexte, on ne peut qu'être dubitatifs face à l'empressement de plusieurs candidats à la présidentielle à faire du «droit à mourir dans la dignité» le grand combat sociétal devant marquer leur quinquennat présumé. Et si, avant de choisir de «bien mourir», nous donnions à nos concitoyens le choix de «bien vieillir» ?

Le grand âge nous concerne tous, à plus ou moins long terme. Il reste pourtant un angle mort des politiques publiques. Ce sujet de société en dit long sur la valeur que nous donnons à l'existence et sur la place que nous souhaitons accorder aux plus fragiles. Après tant de reculades et de démissions, les prétendants à la fonction présidentielle ne pourront en faire l'abstraction.

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1 commentaire
  • Anonyme

    le

    Les BOOMERS ont abandonné leurs parents dans les ephads. Comme leurs dettes, ils laissent tout à payer aux jeunes.

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