Face à la transition écologique, l’urgence de gérer les emplois et compétences sans céder à la panique

Les destructions d’emplois anticipées avec la transition écologique sont sources de fortes inquiétudes. Face à ce sujet, qui fut au cœur de la dix-huitième édition de l'Université d’hiver de la formation professionnelle à Cannes du 25 au 27 janvier, les professionnels de la formation sont partagés entre un sentiment d’urgence et une certaine confiance dans leurs capacités d’adaptation.

​​​​​​"Réussir ensemble les transitions" : le mot d’ordre de l’Université d’hiver de la formation professionnelle (UHFP), qui s’est tenue à Cannes du 25 au 27 janvier, a suscité des appréciations contrastées. Face aux études qui anticipent les destructions d’emplois liés à l’adaptation aux impératifs écologiques, un sentiment d’urgence domine parmi les acteurs de l’emploi et de la formation, attisé ces derniers mois par la guerre en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie ou encore l’explosion du télétravail. "Sur les plans environnemental et numérique, c’est presque des ruptures auxquelles on fait face", résume ainsi Éric Chevée, vice-président aux affaires sociales à la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises). "Les PME disent que cela va trop vite."

Ainsi la capacité à gérer ces évolutions a-t-elle été largement interrogée lors des différents débats. Pour le directeur général du Centre national d’enseignement à distance (Cned), Jean-Noël Tronc, il va falloir aller très vite et donc investir dans la formation à distance ou la réalité virtuelle. "Dans une partie des secteurs professionnels, on n’aura pas le temps de laisser partir des dizaines ou centaines de milliers collaborateurs pour aller se former pendant des jours ou des semaines", estime-t-il. "Les entreprises elles-mêmes ont des difficultés à énoncer leurs vrais besoins", note Jean-Patrick Gille, vice-président délégué à l’emploi, à la formation et à l’insertion de la région Centre-Val-de-Loire. Qui constate aussi la difficulté de sensibiliser le public à ces enjeux : “Les gens n’ont pas idée de ce qu’ils doivent apprendre." "Sur les transitions, notamment écologiques, le nombre de certifications est relativement faible par rapport aux enjeux", ajoute Pierre Courbebaisse, président des Acteurs de la compétences, fédération des organismes de formation. La capacité à conduire des projets, compétence clé, n’est pas assez présente à ses yeux dans les différents référentiels de formation.

Dans une récente étude, le Réseau Action Climat a alerté sur les reconversions à anticiper si l’industrie poursuivait sa décarbonation. Analysant le cas des centrales à charbon en France, qui pèsent 1.400 emplois directs et indirects et dont la fermeture est prévue, l’association estime que les quatre pactes de territoires signés pour anticiper la suite "ne sont pas assez mûrs pour constituer un débouché immédiat pour les salariés". Dans le secteur automobile, qui pèse 800.000 emplois, l’ambivalence des transformations liées à la décarbonation de l’économie s’illustre d’un côté par la fin des moteurs thermiques d’ici à 2035 et de l’autre, par un objectif de 2 millions de voitures électriques produites par an d’ici à 2030. Un autre cas, celui de l’hydrogène, signale l’urgence de préparer rapidement la main d'œuvre : la filière qui pèse aujourd’hui 4.000 emplois selon France Hydrogène, vise les 100.000 d’ici à 2030, ayant d’abord besoin d’opérateurs et de techniciens.

Des "nouveaux métiers" mais pas que…

Et pourtant, face à ces chiffres quelque peu spectaculaires, certains s’emploient à tempérer la situation. "Il y a peu d’emplois qui vont disparaître, mais des nouvelles compétences qui seront développées", déclare Stéphanie Vergaeghe, directrice de l'appui aux branches et action prospective de l'Opco 2i, l’opérateur de compétences qui appuie 32 branches professionnelles dans l’industrie. Marie-Hélène Delobbe, de l'Association nationale pour la formation automobile (Anfa), s’inscrit en faux contre cette idée de rupture "qui crée de l’angoisse et de l’inertie par rapport à la capacité à se former". Dans le secteur automobile, si de "nouveaux métiers“ apparaissent comme l’opérateur en recyclage des batteries de traction, opérateur en maintenance des batteries ou le conseiller en électromobilité), "l’électrique n’est pas si nouveau que cela dans les services automobiles, poursuit la spécialiste. En matière d’intervention sur les systèmes électroniques on a des connaissances et compétences de base, comme la capacité à lire des schémas électriques ou à faire des diagnostics. Ce qui change, c’est tout ce qui concerne la sécurité".

Pour couvrir les besoins émergents, les acteurs de la formation se mobilisent. Avec son programme "incubateur" lancé en 2019, l’Afpa s’est vu confier par l’État une mission d’expérimentation de nouvelles formations en lien avec des besoins remontés par les branches professionnelles. 42 "incubateurs" ont été lancés sur le territoire. L’Afpa a ainsi planché sur la définition de programmes liés à la filière hydrogène, à l’éolien en mer, à la fabrication additive, à la conversion des véhicules thermiques ou encore aux dispositifs d’assistance respiratoire à domicile. "La construction du projet et du dispositif de formation embarque les entreprises et les parties prenantes", précise Magali Sireros, directrice de l'Innovation et de l'Ingénierie en région Paca. Afin d’être la plus pertinente possible, la formation "se réfléchit au plus près des territoires et entreprises", souligne le directeur national du développement de l’Afpa, Fabrice Yeghiayan.

S’appuyer sur des compétences existantes

Illustration avec le cas de Gazelle Tech. L’entreprise, qui a conçu un véhicule léger sécurisé grâce à la conception d’un châssis en matériaux composites plutôt qu’en acier, s’interrogeait sur la bonne formation à mettre en place. L’Afpa lui suggère alors de s’adosser à un titre professionnel déjà existant, plutôt que d’imaginer une formation "maison", afin de favoriser l’employabilité des personnes formées. Un travail d’analyse des besoins a ensuite été entamé.

"Au début, j’avais en tête qu’il fallait savoir apprendre à monter des voitures. Par défaut, on était parti sur un titre d’agent industriel et on est finalement arrivé sur celui de mécanicien de maintenance automobile, qui, lui, avait des compétences extrêmement proches de ce qu’on recherchait", raconte le fondateur, Gaël Lavaud. Une conclusion qui "tombe bien" pour les concessionnaires automobiles sur lesquels l’entrepreneur doit s’appuyer pour produire ces voitures dans des "micro usines" : en raison du passage au véhicule électrique, leur activité de maintenance devrait se réduire considérablement. “Ils vont pouvoir recycler les personnes qui sont déjà chez eux en faisant le complément de formation tout en conservant leur employabilité. Donc on est vraiment sur un système où l’analyse du titre professionnel nous a permis d’aller chercher des compétences très proches de celles qui sont déjà disponibles", se satisfait le chef d’entreprise.