Frances Haugen : "Toutes les démocraties sont vulnérables par rapport aux choix que fait Facebook"

Frances Haugen ©AFP - Christophe Michel / Hans Lucas
Frances Haugen ©AFP - Christophe Michel / Hans Lucas
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La lanceuse d'alerte Frances Haugen, qui a dévoilé de nombreux documents internes sur Facebook après avoir quitté l'entreprise, est l'invitée du Grand Entretien de France Inter.

La lanceuse d'alerte Frances Haugen, ex-employée de Facebook, était en Europe cette semaine, et a fait un arrêt en France où elle a pu s'exprimer devant les députés et les sénateurs, pour mettre en garde contre les dérives de l'entreprise-mère du réseau social le plus fréquenté du monde, sur lequel elle a fait fuiter de nombreux documents internes. "La seule chose à laquelle je m'attendais c'était que j'allais rendre ces documents accessibles aux agences du gouvernement. Je ne m'attendais pas à cette onde de choc, mais je suis très reconnaissante que le contenu de ces révélations soit pris tellement au sérieux", raconte-t-elle. 

"Pendant des années, des militants dénonçaient ce qui était contenu dans les révélations. Ce n'est pas nouveau. Mais désormais, il en existe des preuves. Et les preuves qu'à de nombreuses reprises ils auraient pu réparer ces problèmes, et qu'ils ne l'ont pas fait." 

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Frances Haugen rejoint Facebook en juin 2019. En mai 2021, elle copie des milliers de pages de documents internes : "J'ai travaillé dans quatre grosses entreprises de réseaux sociaux et j'ai pu constater la manière dont ces grandes entreprises gèrent les problèmes. Chez Facebook, il y a une culture de "vive le positif, il ne faut pas faire attention à ce qui est délétère". Or, à de maintes reprises, Facebook a montré qu'ils préféraient avoir comme priorité la croissance, l'expansion, plutôt que d'investir l'argent qu'il faut dans la sécurité", déplore-t-elle. 

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Des manquements sur la modération des contenus en français

Elle dénonce notamment le fait que Facebook a décidé de ne pas investir de manière équitable dans la garantie des systèmes de sécurité par rapport à toutes les langues du monde, et à presque tout investir sur l'anglais. "Je suis certaine que les systèmes de sécurité mis en place pour les réseaux anglophones ne le sont pas dans la langue française", dit-elle, "et ça risque de mettre en danger des régions qui sont déjà fragiles".  

Le Facebook français est-il plus dangereux que celui en anglais ? "Les documents internes nous montrent combien ils ont surinvesti dans la langue anglaise pour détecter la désinformation", répète Frances Haugen, qui avance un chiffre de 87% du budget consacré à la modération uniquement destiné à l'anglais. "J'ai appris hier que le gouvernement français a demandé à plusieurs reprises à Facebook combien de modérateurs étaient francophones. Facebook a toujours refusé de répondre".  

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"Lorsque les premières étiquettes de désinformation sur le Covid ont été mises en place, les mécanismes pour détecter la désinformation ne prenaient en charge que 15 langues. La France était dans les derniers rangs." 

Alors que la présidentielle approche, faut-il s'inquiéter de vivre ici ce qui s'est passé aux États-Unis ? "Toutes les démocraties sont vulnérables par rapport aux choix que fait Facebook. La plateforme sait que beaucoup de changements doivent être opérés pour garantir la sécurité de ces élections. Ce que j'ai constaté, c'est qu'ils ne sont pas prêts à garantir le même niveau de sécurité partout", répond Frances Haugen, qui reconnait que parfois Facebook traite des élections comme des enjeux particuliers, et applique des processus de sécurisation particuliers – mais, dit-elle, elle ne sait pas si c'est le cas en France, alors que ça l'était avant son départ vis-à-vis de l'Allemagne. 

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"On sait que la Russie s'intéresse à compliquer des élections démocratiques. Si on ne change pas la plateforme, des pays vont continuer d'utiliser Facebook comme une arme contre nos sociétés ouvertes." 

Facebook est-il vraiment responsable de la crise démocratique ? N'est-ce pas trop facile de dire cela ? "Je n'ai jamais dit que Facebook était responsable de tous les problèmes. La haine a toujours existé, les intentions préjudiciables aussi. Le problème ce ne sont pas quelques individus néfastes, c'est qu'il y a un schéma d'amplification des idées les plus extrêmes, les plus polarisantes", dit Frances Haugen. Et pour contrer ce schéma, il faudrait réécrire les algorithmes dans toutes les langues, ce qui n'est pas fait. "Pour 50 à 60% de la population, Facebook, c'est très bien. Le problème, c'est la radicalisation : il suffit de 3% d'émeutiers pour déclencher une révolution", explique la lanceuse d'alerte.  

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"Choisir de ne pas utiliser Facebook, aujourd'hui, ça revient à ne pas utiliser Internet. Et ça, tant que c'est vrai, cela continuera de faire grandir Facebook", explique-t-elle, affirmant que dans certains pays, l'accès à Internet est permis par Facebook, qui rend gratuite la connexion Internet en échange d'une inscription au réseau social.  

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Réguler un réseau social incontournable

Dès lors, que faut-il faire ? "Pour la nourriture, le gouvernement ne nous dit pas quoi manger. Mais il exige des producteurs qu'ils donnent des informations sur la composition. Facebook s'abrite derrière la loi, et a nié l'existence de certains problèmes", dit-elle, promouvant un plan en trois temps (déjà évoqué à l'assemblée), qui commence par un audit de l'entreprise par elle-même, puis un échange avec un régulateur, et enfin la responsabilisation, l'obligation pour Facebook de rendre des comptes. "Il faudrait que des données nous soient montrées pour qu'on sache s'ils font des progrès sur la question", dit Frances Haugen.  

Quels aspects positifs peut-on reconnaitre à Facebook ? "Nous relier à nos amis, à notre famille : ça c'est merveilleux. Et je crois qu'il y a des bienfaits incontestables", reconnaît-elle, "mais on a vu sur d'autres réseaux sociaux des moyens plus sûrs de relier des gens dans des groupes". Or, pour le moment, elle maintient que les idées les plus extrêmes sont les plus diffusées.  

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Alors, quels conseils donner à des parents dont les enfants passent du temps sur les réseaux sociaux ? "Il y a deux types de solutions accessibles pour les parents. La première c'est qu'il existe des applications qui vous permettent de limiter le temps passé sur une application quelle qu'elle soit. Je ne dis pas qu'un adolescent de 14 ans ne devrait pas aller sur Instagram, mais je dis que Facebook sait cibler les groupes les plus susceptibles d'être addict". Elle appelle aussi les parents à poser des questions, à s'intéresser à ce que font les enfants sur les réseaux sociaux.  

"Je vis sur mes économies"

Aujourd'hui, quelle est la vie d'une lanceuse d'alerte ? "Un trait commun entre beaucoup de lanceurs d'alerte, c'est que d'une manière ou d'une autre ils sont marginalisés", raconte celle qui pendant des années a souffert d'une maladie qui l'empêchait de marcher. "Ma vie m'a fait comprendre ce qu'il y a de plus important : pour paraphraser Camus, une fois qu'on arrive à surmonter la peur de la mort, tout devient possible. Si vous avez cet état d'esprit qu'il y a des choses plus importantes que l'argent, beaucoup de choses deviennent possibles. Moi je vis actuellement sur mes économies, mais beaucoup de gens de mon âge qui ont travaillé dans la big tech peuvent vivre de leurs économies. Et j'ai une tripotée d'avocats qui travaillent gratuitement, qui travaillent pour une association qui aide les donneurs d'alerte".  

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