Le dérèglement climatique, ça s'apprend !

Si la transition écologique est un sujet majeur, comment l'enseigner ? En France, l'OCE (Office for Climate Education) a mis au point le premier module pour les enseignants. Mathilde Tricoire nous raconte.

Enseignante agrégée de SVT (Science et Vie de la Terre), Mathilde Tricoire travaille depuis deux ans pour l'Office for Climate Education, une fondation qui opère sous l'égide de l'Unesco, pour former les enseignants au changement climatique et permettre aux jeunes générations d'avoir les clés de la connaissance et de l'action en matière de transition écologique. Elle travaille également pour La main à la pâte, une fondation créée en 2011 par l'Académie des sciences conjointement avec les Écoles normales supérieures de Paris et de Lyon, pour aider les professeurs à faire découvrir à leurs élèves une science vivante et accessible, et favoriser ainsi la compréhension des grands enjeux du 21e siècle. En tant que formatrice en réchauffement climatique, elle fait le point pour nous sur cette tendance éducative d'avenir.

Qu'apprend-on exactement à l'OCE ?

Mathilde Tricoire : Nous prenons comme point de départ les rapports du GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat), qui font régulièrement état des connaissances sur le changement climatique. Ces rapports, rédigés par des scientifiques, sont relativement indigestes pour le citoyen lambda. Une partie de notre action va être de les rendre accessibles aux enseignants. Nous leur fournissons également des guides pédagogiques pour qu'ils puissent appréhender le problème dans toute sa complexité, en intégrant des éléments de sciences sociales, de justice climatique, d'histoire, de géographie, de philosophie… Ce sont des outils théoriques qui permettent de comprendre avec précision les mécanismes du réchauffement climatique et l'influence que celui-ci peut avoir sur les différents secteurs de la société. Pour aller plus loin, ils ont accès sur notre site à des vidéos réalisées par des experts et à un grand nombre de contenus gratuits. Nous proposons des animations multimédias sur des sujets très divers, le cycle du carbone, les réseaux trophiques terrestres, l'impact de notre alimentation, les îlots de chaleur urbains… Nous avons également un programme de séminaires et de webinaires. Nous faisons de la vulgarisation dans le domaine de l'éducation formelle.

C'est assez nouveau ?

M. T. : Oui, et cet effort concerne tous les pays de l’Union européenne. En France, le changement climatique a pris beaucoup de place dans les programmes scolaires. Cela oblige les professeurs à se former pour pouvoir faire cours. Depuis à peu près cinq ans, les lignes ont bougé, et ce à l'échelle européenne. Des pays comme l'Italie, par exemple, l'enseignent depuis peu.

Cet enseignement n'est pas uniquement théorique ?

M. T. : En effet. Nous proposons également des activités clés en main. Nous misons sur les pédagogies actives. Nous avons une série de formations sous forme d'ateliers immersifs, au cours desquels les enseignants vont tester une expérience qu'ils pourront ensuite reproduire en classe. Nous complétons systématiquement ces formations par un éclairage scientifique. Par exemple, si les enseignants travaillent sur la fonte des glaces, ils ont ensuite accès aux principales conclusions du GIEC sur le sujet. Nous avons également des ressources de développement professionnel pour qu'ils puissent apprendre à construire une séquence pédagogique à partir d'un scénario conceptuel et en se basant sur une démarche d'investigation. Ça peut être pour aider les élèves à comprendre les mécanismes de l'effet de serre ou les relations entre l'océan et le climat.

Est-ce que vous présentez également les solutions existantes, comme l'économie circulaire, les biomatériaux, les énergies renouvelables… ?

M. T. : Oui. Dans nos guides pédagogiques, une partie du contenu est tournée vers l'action. L'idée, c'est d'étudier et d'expliquer les différentes solutions qui peuvent être mises en œuvre à l'échelle individuelle et collective. En complément, nous essayons de motiver les enseignants à mettre en place des projets concrets pour leur école ou pour leur ville.

Mathilde Tricoire © DR

Ces formations pourraient également être profitables aux professionnels qui opèrent dans des secteurs très polluants, comme le BTP, le textile ou la mobilité…

M. T. : C'est très probable, mais notre champ d'action se limite à l'éducation. Quand nous formons une dizaine d'enseignants, chacun d'eux va former une soixantaine d'élèves. Notre action rayonne ainsi davantage qu'en ciblant les corps de métiers. En outre, il faut préciser que nous sommes une petite équipe pédagogique, composée de sept personnes basées à Paris. Nous ne pouvons pas démultiplier nos formations.

Quelle est la valeur ajoutée pour les élèves ?

M. T. : L'idée, c'est qu'ils acquièrent une base de connaissances adaptée à leur niveau. Il s'agit également de développer leur esprit critique pour qu'ils puissent faire le tri entre toutes les informations qu'ils ingurgitent au quotidien sur le changement climatique. Il faut qu'ils soient en mesure d'identifier les solutions qui ont réellement un impact et de comprendre comment elles fonctionnent. Avant, il y avait déjà des notions de développement durable dans les programmes, mais cela restait assez succinct. Le plus souvent, cela n'allait pas plus loin que le tri des déchets.

Il faut que les élèves puissent avoir les clés de la connaissance mais également celles de l'action ?

M. T. : Exactement. Il s'agit de leur montrer que la lutte contre le changement climatique est un combat dont ils peuvent s'emparer. Nous voulons leur faire comprendre qu'ils ont des interlocuteurs dans leur ville ou dans leur établissement scolaire qui peuvent les aider à agir. Ce sont des sujets qui sont potentiellement anxiogènes pour eux… Le fait de leur proposer de mettre en place des solutions pour réduire leur impact sur la planète leur permet de reprendre le pouvoir. Ils ne sont plus impuissants. Ils peuvent changer la donne.

Est-ce que ce type de formation est bien accueilli ?

M. T. : Indéniablement. Avec la place de plus en plus importante prise par ces notions dans les programmes, les professeurs ont envie d'en savoir plus. Toutes les démarches de pédagogie active, tout ce qui va leur permettre de développer des compétences transversales et tout ce qui leur donne la possibilité de travailler sur un projet avec leur classe suscite un grand intérêt. Il en va de même pour les établissements scolaires. Le label E3D, qui certifie qu'une école met en œuvre des actions en faveur du développement durable, en réduisant par exemple son empreinte carbone, est de plus en plus demandé.

Qu'en est-il dans les autres pays européens, et ailleurs dans le monde ?

M. T. : Nous avons un champ d'action international. Nous faisons des formations en France et à l'étranger, notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. En novembre, nous partons à l'île Maurice pour dispenser une série de cours en anglais et voir dans quelle mesure il est possible de modifier les programmes scolaires locaux pour y intégrer davantage le changement climatique. Nous développons notre rôle d'appui aux politiques publiques dans le but de motiver les gouvernements à rajouter des modules d'enseignement sur ce sujet. Nous ne sommes pas les seuls à faire ça… Par exemple, il y a un programme qui s'appelle Éco-École en France et Eco-Schools à l'international, dont le but est d'accompagner les établissements scolaires dans leur transition écologique.

Demain, est-ce que la transition écologique pourrait devenir une matière à part entière ?

M. T. : Actuellement, ces notions sont éclatées dans presque toutes les matières. Le changement climatique reste un concept trop compliqué pour être abordé en bloc par les élèves les plus jeunes. En primaire, par exemple, les enfants vont aborder la question de la nature, de la biodiversité, de l'environnement. C'est de l'éducation au développement durable. Il faut trouver la bonne astuce pédagogique. Cette répartition transdisciplinaire, sans module particulier, est un atout. L'intérêt, c'est de montrer le caractère systémique et global du réchauffement climatique, qui peut être abordé à travers un grand nombre de prismes. À ce titre, il est important de montrer qu'il ne concerne pas uniquement les sciences. Cela permet une meilleure construction et une meilleure compréhension d'un problème qui concerne la société dans son ensemble. De plus en plus, il apparaît nécessaire que tous les élèves de France, et même du monde, soient formés à ces problématiques, car les jeunes générations sont en première ligne des dérèglements à venir. Ils se sentent donc particulièrement concernés. Cela s'est vu avec les grèves pour le climat lancées par Greta Thunberg. En faire une matière à part entière ne serait pas pertinent compte tenu de la réalité et de la gravité du problème.

Cet entretien est à retrouver dans l'édition 2022 du LIVRE DES TENDANCES DE L'ADN, sortie fin novembre 2021.

Arnaud Pagès

Après des débuts à Technikart à la fin des années 90, Arnaud Pagès rejoint la rédaction de Clark Magazine au début des années 2000, puis devient journaliste indépendant pour de nombreux magazines, dont Nova Mag, Konbini, Vice, Usbek & Rica et Slate. Il rejoint L'ADN en 2019 en tant que rédacteur en chef indépendant des Livres de tendances.
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