Après la vidéo virale des "ingénieurs qui bifurquent" d'AgroParisTech appelant leurs camarades à "déserter", c'est au tour des Écoles normales supérieures de se mobiliser pour que "la pratique scientifique" s'aligne sur "les enjeux impérieux de ce siècle", à savoir l'urgence écologique et sociale. Cette lame de fond déferle sur la plupart des grandes écoles. "Les futures élites intellectuelles disent stop", commente un normalien. 
"Que restera-t-il du vivant à étudier si nous n’avons rien fait pour l’empêcher de s’effondrer ? Pourra-t-on encore monter de grands projets scientifiques internationaux dans un monde où les conflits climatiques et technologiques proliféreront ?" Ces questions, ce sont les étudiants des Écoles normales supérieurs qui se les posent dans une tribune publiée dans Le Monde le 11 mai dernier. Au début du mois, ils se sont formés en collectif baptisé Effisciences. Leur objectif est clair : développer une recherche "impliquée" qui réponde aux grands enjeux environnementaux et sociaux actuels.


"La communauté mathématique peut mettre à profit sa connaissance des systèmes complexes pour améliorer les modèles avec lesquels les climatologues anticipent l’ampleur des sécheresses à venir, ce qui sert ensuite aux agronomes pour mettre au point des variétés résistantes. De même, des géographes et sociologues peuvent se saisir de ces travaux pour identifier à l’avance les populations vulnérables et des politiques d’adaptation efficaces. La recherche impliquée est suffisamment riche pour que toutes les disciplines puissent y participer et que la recherche fondamentale y trouve une place essentielle", écrivent-ils. 

"Les futures élites intellectuelles disent stop"



"Les futures élites intellectuelles disent stop", croit Hugo Mosneron Dupin, étudiant à l’ENS ULM à Paris et signataire de la tribune. "Il ne s’agit pas de "politiser" la science, mais de remettre les enjeux actuels au cœur de la recherche", avance cet activiste écologiste du collectif Ibiza. Et cet appel n’est pas isolé. Un vent de révolte souffle sur les grandes écoles et les déclarations publiques se multiplient à l’instar de celle d’AgroParisTech qui a créé un véritable buzz. Dans une vidéo rendue publique le 11 mai, au matin de la publication de la tribune de l’ENS, huit ingénieurs agronomes fraîchement diplômés ont appelé leurs camarades de promotion à "déserter". 


"Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours", ont-ils déclaré. "Nous ne nous considérons pas comme les talents d’une planète soutenable". La vidéo qui enregistre près de 800 000 vues a généré un véritable engouement sur les réseaux sociaux. "Dans toutes les grandes écoles et universités, il y a quelque chose qui est en train de se passer", estime sur Twitter le climatologue et membre du Giec François Gemenne. C’est le signe d’une "transformation sociale profonde et bienvenue" pour le chercheur au CNRS Pierre Charbonnier.


"Déserter est lâche"



Avant AgroParisTech, d’autres jeunes diplômés avaient pris la parole dans des discours cinglants. En 2018, Clément Choisne, fraîchement diplômé de la Centrale de Nantes disait ne pas se "reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur en rouage essentiel à un système capitaliste de surconsommation". L’impulsion a été donnée par le collectif "Pour un Réveil écologique". Cette année là, plusieurs étudiants de grandes écoles comme Polytechnique ou HEC publient un appel signé par plus de 30 000 étudiants issus de 400 établissements. Leur mouvement, qui met à la fois la pression sur les écoles pour qu’elles intègrent les enjeux sociaux et environnementaux à leur cursus mais également sur les entreprises qui pourraient perdre des talents par manque d’engagement, va structurer la mobilisation de ces étudiants. 


Mais tous ne  portent pas le même message. Certains entendent changer les écoles et les entreprises de l’intérieur quand d’autres appellent à les quitter. Le choix fait polémique. "Déserter est lâche", tacle l’Opinion. "Si le système doit être changé, faut-il entrer dans les organisations existantes pour les modifier de l’intérieur, ou "déserter", c’est à dire s’y opposer de l’extérieur ? La bonne réponse emprunte probablement aux deux", nuance sur Linkedin l’ingénieur Jean-Marc Jancovici. 
Marina Fabre Soundron @fabre_marina


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