Membre de l’Institut de France, historien devenu sociologue, puis philosophe, résolument difficile à enfermer dans une seule discipline tant il envisageait sa réflexion sur la nature humaine sans exclusive des matrices culturelles, Jean Baechler est mort, le 13 août, à l’âge de 85 ans.
Né à Thionville (Moselle), le 28 mars 1937, Jean Baechler étudie au lycée Charlemagne de cette ville avant, bachelier en 1954, d’intégrer la faculté de Strasbourg, puis celle de Paris. Reçu à l’agrégation d’histoire-géographie, il enseigne au lycée du Mans (1962-1966) avant d’entrer au Centre national de la recherche scientifique – attaché (1966), puis chargé (1969), enfin directeur de recherches (1977-1988) –, l’année même où il assure un cours de sociologie à la Sorbonne (1966-1969). Résolument tourné vers cette discipline, l’historien donne également des conférences de sociologie, dès 1968, à la VIe section de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), section qui deviendra, en 1975, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Quand il quitte le CNRS, il retrouve Paris-IV, où il enseigne la sociologie historique jusqu’à l’heure de l’éméritat (2006).
Cessant toute forme d’enseignement, il se consacre alors à la publication de ses travaux, largement issus des séminaires qu’il a animés au fil de son parcours, d’enseignant comme d’académicien. Parallèlement, il propose des ouvrages destinés au grand public, synthèses limpides de sa pensée (Qu’est-ce que l’humain ?, Hermann, 2014), ou des mises en lumière d’enjeux contemporains brûlants (Modèles d’humanité. Humanisme et mondialisation, Hermann, 2019 ; De l’art à la culture, Hermann, 2019 ; Ecologie ou écologisme ? Raison et pertinence des politiques environnementales, Hermann, 2020).
Aron plutôt que Foucault
Car rien n’est classique dans le parcours de Jean Baechler. Depuis ses 14 ans, une préoccupation le hante : comprendre le règne humain. Et, bientôt, le rapport de l’humain à l’absolu. Pas étonnant que, optant pour l’histoire, il se soit désolidarisé des enjeux épistémologiques du moment pour se tourner vers la pensée de Raymond Aron (1905-1983), qui avait fondé, au sein de l’EPHE, grâce à une bourse de la Fondation Ford, un Centre de sociologie européenne, dont Pierre Bourdieu (1930-2002) sera, un temps, le secrétaire général.
Désormais, Jean Baechler s’engage résolument sur le terrain encore mouvant de la sociologie historique – dès que Bourdieu rompt avec Aron, le second fonde le Centre européen de sociologie historique, quand le premier, émancipé, propose un Centre de sociologie de l’éducation et de la culture (CSEC, 1968). Baechler suit Aron et le choisit pour diriger sa thèse, qu’il soutient en 1975. Entre-temps, le jeune essayiste rompt des lances contre les valeurs en vogue. Et si c’est en universitaire qu’il propose le recueil de textes Politique de Trotsky (Armand Colin, 1968), qui évite, par sa sobre rigueur, le double écueil de l’hagiographie et du dénigrement, ou Les Phénomènes révolutionnaires (PUF, 1970), il s’engage plus frontalement, interrogeant Les Origines du capitalisme avant de se demander Qu’est-ce que l’idéologie ? (Gallimard, 1971 et 1976).
Il vous reste 52.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.