Capacitation toi-même! Enquête collective sur un pouvoir d’agir « à la nantaise »

Posted on 25 mars 2021 par Sylvine Bois-Choussy

Comment accompagner la capacité des habitant·e·s, particulièrement les plus éloigné·e·s, à agir sur leur cadre de vie ? Comment (re)vitaliser des dynamiques collectives  sur des thèmes aussi variés que l’énergie, la santé, l’habitat, la sécurité… ? Quelles évolutions dessiner, au sein des administrations publiques, pour offrir des espaces au désir d’engagement, à la prise d’initiative, stimuler le pouvoir d’agir des habitants sur les sujets qui les concernent ? Où placer le curseur du partage des rôles, au service de l’intérêt général ? Entre décembre 2019 et décembre 2020, nous avons appuyé la Ville et de la Métropole de Nantes, dans le cadre de la fin de notre programme La Transfo,  dans une enquête collective pour dessiner ce que serait « la capacitation » à la nantaise…  Si ce registre d’action est depuis longtemps investi par la collectivité, le contexte local et sociétal a profondément évolué : défis énergétique et social, défiance à l’égard des institutions politiques, formes d’engagement renouvelées dans la vie de la cité… Il s’agit donc de contribuer à façonner une culture et une feuille de route partagée sur le sujet.

Dessiner les contours d’un pouvoir d’agir nantais

Une vingtaine d’agents et quelques uns de leurs partenaires, se sont donc embarqués avec nous dans ce projet co-piloté par le Pôle Dialogue Citoyen Évaluation Prospective de la Métropole et le Département Citoyenneté Vie Sociale & Territoires de la Ville. Jeunesse, inclusion sociale, culture, gestion des déchets, proximité, urbanisme, tranquillité publique… la diversité du groupe illustre celle de la notion ; chacun.e  a des expériences, des savoir-faire et des questionnements à partager sur ces sujets.

En guise de première étape, le groupe s’est lancé dans un travail d’enquête  pour cerner les contours, les incarnations, les approches du pouvoir d’agir, à Nantes, mais aussi, un peu, ailleurs. Nous avons ainsi identifié, interviewé, analysé une soixantaine de démarches: fermes urbaines, projets d’habitat participatif, association d’aide aux migrants, professionnels du community organising ou des communs, café associatifs, collectifs militants sur le climat, la santé des femmes, … pour produire une cartographie en archipel, cherchant à faire ressortir les dimensions de transformation portées par chacun de ces projets, individuelle, communautaire, sociétale… ainsi que leur rapport à l’acteur public.

Et l’administration dans tout cela ?

Car c’est bien aussi là qu’est l’enjeu de la démarche : ces expériences viennent questionner le périmètre de responsabilité de la collectivité, le partage des rôles. Qu’est ce qui fait levier, accélérateur, facilitateur ? Quels sont les freins, les obstacles à la mobilisation citoyenne ?

Parmi ce qui fait déclic pour le désir d’engagement, on retient par exemple se retrouver de pair à pair, avoir des outils et des moyens (pas forcément financiers) pour entreprendre, s’appuyer sur des démonstrateurs existants, etc. Parmi les « poisons » qui freinent le pouvoir d’agir des habitants, on a relevé entre autres la mise en concurrence des initiatives, l’ingérence et le contrôle, les cadres trop rigides ou encore la multiplicité des interlocuteurs, avec chacun des enjeux différents… Les participants ont également listé les pratiques et moyens les mieux adéquates pour l’acteur public pour soutenir l’initiative citoyenne : faire de l’intermédiation, valoriser, incuber en donnant le temps, etc.

Tester de nouveaux rôles et postures pour co-porter l’intérêt général…

La démarche a finalement atterri sur 4 axes de transformation et une série de pistes à tester pour les traduire:

Créer des dynamiques de co-apprentissage, pour stimuler de nouvelles coopérations, imaginer ce que seraient des compagnonnages agents publics / acteurs locaux ou citoyens, et une administration en mode « pair à pair ». Et si, par exemple, on testait la mise à disposition d’agents à destination des structures, collectifs du territoire ? De la co-formation entre agents et acteurs locaux ? Des appels à agir citoyens ?

Travailler la souplesse et la bienveillance de l’administration, pour mieux accueillir l’imprévu, développer une culture de la confiance, favoriser l’ingéniosité juridique. Pourrait-on par exemple expérimenter des capacités de financement plus transversales, une logique d’encadrement juridique a posteriori, un guichet unique « qui ne soit pas un guichet » pour notamment appuyer tous ceux qui ‘ne rentrent pas dans les cases’.. ?

Imaginer et stimuler de nouvelles formes d’implication, en offrant par exemple des contreparties à l’engagement pour stimuler la contribution, en créant des cadres d’engagements réciproques collectivité / société civile pour porter le service public à plusieurs, dans le cadre de l’intérêt général. On pourrait par exemple tester des formes de gouvernance d’un espace public ou d’un équipement intégrant mieux l’habitant·e, des agoras éphémères  de résolution de problèmes ou la valorisation symbolique ou non monétaire de l’engagement.

Faire émerger un récit partagé du pouvoir d’agir pour mieux mettre en lumière et faire connaître des initiatives qui contribuent à améliorer la vie sur le territoire et/ou les inscrire dans un récit plus large, à porter une attention à la valeur créée par ces actions, incarner la participation et mettre en lumière les acteur·rice·s qui font vivre le pouvoir d’agir. On pourrait par exemple tester un rapprochement entre des figures artistiques, touristiques et/ou culturelles phares de la métropole et des habitant·e·s dans leurs quartiers pour produire un récit collectif autour d’une gestion collective de la ville.

L’ensemble de ce travail d’enquête, des idées qu’il a produites et des inspirations qui l’ont nourrit est retracé dans un livret final disponible ici.

Notre travail collectif a bien entendu été bousculé, mais aussi accéléré par la crise Covid 19.

Contexte sanitaire oblige, le travail du groupe s’est mis un temps sur pause, non sans être alimenté par la période inédite, révélant et exacerbant les difficultés sociales, mais riche aussi d’enseignements en terme de pouvoir d’agir. Des intuitions et pistes de tests que nous avions imaginées se sont très concrètement traduites dans des dispositifs comme Nantes entraide par exemple. La crise sanitaire a souligné la capacité de mobilisation du territoire, accéléré l’adaptation des modes de faire en interne, pour le temps de la crise au moins…

Ce travail avec la Ville et la Métropole de Nantes résonne évidement avec nos explorations sur les communs, et au-delà les formes de gouvernance qui cherchent à rebattre les cartes entre acteurs publics et société civile. Il donne envie de dresser une cartographie comparative des gouvernements locaux qui, aux quatre coins de l’Europe et ailleurs, testent en filigrane du soutien au pouvoir d’agir des habitants, différents degrés de lâcher prise et de partage des rôles. Entre savoir accueillir les initiatives, les susciter ou encore les laisser vivre sans interférer, quel niveau d’intervention la collectivité adopte-t-elle ? Jusqu’où va t-elle dans ce qui fait l’objet de ce partage des rôles : des espaces et des lieux physiques (de jardins partagés à des friches de plus ou moins grande ampleur) ? des projets d’intérêt collectif (crèches, réseau de telecom, coopératives d’énergie, etc.) ? des sujets de politiques publiques (santé, culture, planification urbaine, etc.) ?  Si l’acteur public n’est plus seul porteur de l’intérêt général, de quoi reste-t-il le garant ? A suivre !