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Projet de loi 3D : le quatrième "D" l'emporte auprès des élus

Après Rodez, c'est à Blois que Jacqueline Gourault a posé ses valises le 12 octobre dernier pour une réunion de concertation avec les élus de la région Centre-Val de Loire sur les contours du futur projet de loi "Décentralisation, différenciation, déconcentration". Aux termes des débats, c'est toutefois un quatrième D qui a emporté les suffrages des élus : celui de la "décomplexification".

Comme elle l'avait annoncé, Jacqueline Gourault a repris son bâton de pèlerin afin de recueillir les contributions des élus locaux sur le futur projet de loi "3D" de décentralisation, différenciation et déconcentration. Après Rodez, c'est toutefois en regagnant ses terres que la ministre a conduit à Blois, en "son" Loir-et-Cher, la session de concertation avec les élus de la région Centre-Val de Loire (par visioconférence pour les élus des cinq autres départements), le 12 octobre. "On ne peut pas se limiter aux relations avec les associations d'élus nationales", explique la ministre, qui estime que les associations locales peuvent parfois "jouer des petites musiques différentes" qu'il faut savoir écouter. Au-delà de l'objectif de "co-construction" revendiqué, l'exercice a sans doute d'ailleurs une visée psychologique : "Les élus ont besoin d'être rassurés", confie Jacqueline Gourault, alors que des critiques se font jour ici ou là. Des reproches que le ministre des Relations avec le Parlement et autre local de l'étape, Marc Fesneau, également présent, balaye d'un revers de main : "On ne peut pas faire le procès d'une loi qui n'existe pas encore !"

Pas de "grand chambardement" 

Des échanges conduits avec les élus présents physiquement ou à distance (étaient conviés parlementaires, présidents du conseil régional, des conseils départementaux, des EPCI et des associations départementales des maires ainsi que les maires des villes chef-lieu) – en présence d'Yves Le Breton, à la tête de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, et de Stanislas Bourron, directeur général des collectivités locales, qui avaient tous deux fait le déplacement – il ressort paradoxalement que le "D" qui emporte les suffrages est le seul qui ne figure pas, du moins pas encore, dans l'intitulé du texte : celui de la "décomplexification". Tout au long de la matinée, en Eure-et-Loir comme dans l'Indre, la grande majorité des intervenants ont essentiellement revendiqué davantage de clarté, de lisibilité, de souplesse et de soutien (ingénierie). Disant leur lassitude face à des changements législatifs et réglementaires incessants, les élus ont plaidé pour la stabilité, rejetant toute idée de "big-bang", de "grand chambardement" ou de "grand soir" institutionnel. Bref, un simple toilettage, en se gardant bien de jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce qui correspond peu ou prou à la ligne jusqu'ici esquissée par le gouvernement.

Les transferts de compétence ne font pas recette

Les transferts de compétences n'ont ainsi pas fait recette auprès de la plupart des élus. "Posons-nous", exhorte le maire de Blois à leur évocation. Seuls ceux entre collectivités – et singulièrement entre EPCI et communes – ont été, une fois de plus, évoqués. Mais "il ne s'agit pas de détricoter ce qui vient d'être fait", précise la directrice adjointe du cabinet de la ministre, Pauline Malet, en évoquant la récente loi Engagement et proximité que la loi 3D n'a pas vocation à prolonger, "sauf si la demande est forte". Sa ministre se montre plus ferme encore : "Le gouvernement ne reviendra pas sur un certain nombre de dispositions de la loi Notre, notamment les compétences économiques." Une loi Notre – précisément de clarification, ou du moins voulue comme telle – qui n'a pourtant pas manqué de contempteurs, au premier rang desquels Marc Fesneau, qui dénonce sa logique du "big is beautiful", substituant "une centralisation régionale à une centralisation nationale".

Crash-test pour le pouvoir dérogatoire du maire

Le "D" de différenciation devrait selon le ministre permettre de remédier à cette "décentralisation centralisée", en favorisant l'adaptation aux situations locales. Pour le coup, "la différenciation fait à peu près l'unanimité", observe Jacqueline Gourault. Elle suscite en tout cas des attentes, qui devraient être en partie comblées avec le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations – "qui conduira de facto à la différenciation". Le texte sera examiné en première lecture au Sénat le 2 novembre prochain et devrait l'être à l'Assemblée nationale "avant les prochaines élections régionales". Reste qu'en la matière, les élus apparaissent parfois timorés. Au cours des "ateliers" conduits dans chaque département, Pauline Malet a ainsi testé l'idée d'un pouvoir dérogatoire du maire, sur le modèle de celui récemment accordé aux préfets. Sans grand succès, la proposition suscitant davantage de réticences que d'enthousiasme : "Ce pouvoir dérogatoire devra être validé par l'assemblée délibérante", préconise-t-on dans le Loiret. "Pas de pouvoirs sans responsabilités, pas de responsabilités sans pouvoirs", avait insisté en préambule le président de la région, François Bonneau. Un avertissement qui aura peut-être résonné de façon trop aiguë chez certains maires présents.

Le préfet, loué mais muet

Le "D" de déconcentration a été lui globalement le grand absent des propositions, même si le concept a été vanté çà et là. En notant que les deux préfets siégeant à la tribune n'ont pas été conviés à prendre la parole sur ce sujet qui les concerne au premier chef. Leurs retours auraient été d'autant plus éclairants que les élus n'ont cessé d'encenser l'action de cet "État de proximité", que les préfets incarnent, au cours de la crise, louant une fois encore le désormais incontournable couple "maire-préfet". C'est d'ailleurs à un autre couple "local" – préfet et président de région – que les élus souhaiteraient confier la tête des agences régionales de santé, qui une nouvelle fois n'ont pas été épargnées par la critique. Au même titre que d'autres "opérateurs" publics, comme l'Ademe, l'Anah ou la SNCF, François Bonneau déplorant au passage "le rythme hyper lent d'assimilation des évolutions" de cette dernière.

"Arrêter de fonctionner à l'enveloppe"

"J'ai été frappée par le souhait de projets globaux de territoire et de contractualisation globale avec l'État, notamment en matière de transition écologique", a spécialement relevé Jacqueline Gourault en conclusion des débats. Tout au long de la matinée, les élus locaux ont effectivement invité l'État à prendre de la hauteur, à donner "du sens" à ses actions – une revendication formulée par Marc Fesneau, pour qui "depuis les lois de 1982, on a surtout fait de la tuyauterie" –, à développer une "vision du territoire et d'arrêter de fonctionner à l'enveloppe", selon les mots du président Bonneau (qui y voit un moyen pour l'État de conserver un pouvoir). Une nécessaire cohérence – souvent mise à mal, par exemple à l'égard du foncier – qui passe notamment en l'espèce "par un travail interministériel très important" actuellement en cours, comme l'a souligné Jacqueline Gourault. Une gageure, puisque la ministre a confirmé l'objectif de présenter le projet de loi en conseil des ministres d'ici la fin de l'année pour un débat au Parlement "au premier semestre 2021". 

 

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