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La persistance du désir de beauté, entretien avec Ariane Mnouchkine

La persistance du désir de beauté, entretien avec Ariane Mnouchkine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Agnès Santi / La Terrasse N°267
juin -juillet 2018 


Que de chemin parcouru depuis 1964, année de création du Théâtre du Soleil par Ariane Mnouchkine et les siens ! Utopie active abritée dans une maison-théâtre, le Théâtre du Soleil est un phare dans notre paysage théâtral. Figure majeure de la création contemporaine, Ariane Mnouchkine a depuis ses débuts présenté au Festival d’Avignon plusieurs spectacles, dont le plus récent fut Les Éphémères en 2007. Étonnamment, le Théâtre du Soleil est depuis lors absent du Festival, dont il représente pourtant l’esprit fondateur.

En quoi votre rapport au théâtre a-t-il changé ?

Ariane Mnouchkine : En 54 ans, chacun au sein du groupe a évidemment évolué. Nous avons vieilli, nos cheveux ont blanchi… Nous avons changé, mais nous sommes aussi les mêmes. J’espère que nous avons mûri, gagné en complexité, en compréhension, en lucidité et en vérité. J’espère que nous n’avons rien perdu, en enfance, en idéalisme, en tout ce qui agace. Que nous avons gardé le désir d’idéal qui était celui que nous avions. Je dis bien idéal, et pas idéologie. Parmi les nouveaux venus, certains sont nés bien après les débuts du Théâtre du Soleil. Et pourtant, ils participent activement à la naissance de chaque jour du Théâtre du Soleil, et en cela, étrangement, ils paraissent aussi enracinés que moi-même. Dans une troupe comme la nôtre, on naît chaque jour, et à chaque représentation. Notre longévité exceptionnelle a aussi nourri un rapport au public particulier, parfois même une sorte de compagnonnage délicieux avec certains acteurs ou actrices. Une dame m’a dit : « Nous vieillissons ensemble ! » La moitié environ de nos spectateurs voit tout ou presque, mais beaucoup ne sont encore jamais venus, et environ 20% sont des collégiens ou lycéens. Certains emmènent leurs enfants et confient avoir connu le Théâtre du Soleil avec leurs parents.

Comment traduisez-vous cet idéalisme qui vous tient à cœur ?

A.M. : Il faut savoir quelle conception de l’humanité nous soutenons. Je ne pense pas que l’humanité soit mauvaise, mais qu’il existe du mauvais dans l’humanité. Si le théâtre ne fait que montrer la face sombre de l’humanité, alors il n’est pas révélation. Nous sommes tous conscients de l’horreur du monde, ce que parfois nous oublions ce sont justement les possibilités d’amélioration, à travers ce qu’accomplissent les êtres humains qui tentent et parfois réussissent à transformer les choses, à travers toutes sortes d’actions qui luttent contre les maux qui nous oppressent, qui peuvent être extérieurs, mais aussi intérieurs ou intériorisés. Si on ne parle que du mal, on finit par lui ériger des statues. Ce n’est pas être naïf ou niais de dire cela. Au contraire, percevoir l’efficacité de ces infimes combats, de ces minuscules constances, nécessite une grande lucidité. Je crois à l’efficacité des petites gens que nous sommes, à notre capacité de rassemblement et d’action à notre échelle, minime mais pas insignifiante.

Aller au théâtre, est-ce aussi une manière de résister au pessimisme ?

A.M. : Aller au théâtre, au cinéma, lire un livre, emmener ses enfants voir une exposition ou écouter un concert : c’est une affirmation, une résistance, d’autant plus dans une société menacée par le terrorisme. Je cite toujours Raymond Aubrac qui, lorsque Hélène Cixous lui demandait : « C’est quoi pour toi, la Résistance ? », répondait : « La Résistance, c’est l’optimisme. » Ces hommes et femmes de l’ombre qui s’engagent dès 1942, au plus profond de l’horreur, à un moment où de l’avis de tous mis à part quelques fous l’Allemagne nazie ne peut être que victorieuse, pourraient être qualifiés d’idéalistes forcenés. Ils ont cru à l’incroyable et ce sont eux qui ont eu raison. C’est pourquoi il est important aujourd’hui de cultiver notre fraternité contre les bâtisseurs de murs vénéneux, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche.

Pourquoi convoquez-vous régulièrement dans votre travail les traditions théâtrales asiatiques ?

A.M. : Ces formes font partie de ma boîte à outils, de mon patrimoine. Alors que la dramaturgie est européenne – grecque, russe, anglaise… -, les arts traditionnels asiatiques constituent un conservatoire de l’art de l’acteur inouï. Ce théâtre ancestral interprète quasi toujours les mêmes épopées et légendes, mais dans une impressionnante diversité de jeu, où souvent se déploient les marionnettes ou les masques. C’est pour nous un véritable trésor, une corne d’abondance. D’autres plus grands que moi comme Brecht ou Meyerhold ont d’ailleurs entrepris de fructueuses recherches dans ces territoires lointains. D’autant que comme le dit Victor Hugo : « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Ethniciser ces formes en supposant que seuls les Asiatiques pourraient y avoir accès me semble une erreur, tant ce postulat prive les acteurs de maîtres extraordinaires, d’expériences et découvertes uniques. Dans Une Chambre en Inde par exemple, nous pratiquons le Terukkuttu, un théâtre Tamoul très ancien. Ces traditions ancestrales et populaires nous aident à véhiculer une certaine complexité, et bien sûr une forme de beauté, une esthétique singulière. C’est justement parce qu’il est très local que cet art touche à l’universel.

« Nous avons besoin au théâtre d’une transformation, d’un plus, de quelque chose qui soit plus vivant que la vie. »

A qui vous adressez-vous lorsque vous créez ?

A.M. : Nous nous adressons à nous-mêmes : nous faisons le spectacle que nous voulons voir, parce qu’il élucide et incarne quelque chose qui nous prend, et qui nous surprend. Cela nécessite souvent un long temps de maturation et d’apprentissage pour savoir comment matérialiser sur scène les enjeux. Nous faisons le pari que les spectateurs nous ressemblent, dans une confiance assumée. Nous commençons à travailler sur un spectacle en étant ignorants, pour finalement devenir après environ neuf mois momentanément experts. Le public réalise en un peu plus de trois heures le chemin que nous avons parcouru en presque un an.

Et le théâtre est un art qui se fabrique…

A.M. : Un art spirituel, concret, matériel, charnel, artisanal… Le travail théâtral ne dévalorise ni le travail manuel, ni le travail corporel, ni le travail intellectuel. La main au théâtre est essentielle. Je pense d’ailleurs qu’il est nécessaire de réhabiliter le travail manuel en France, et qu’il serait bien d’inscrire le travail manuel – plomberie, pâtisserie, électricité, menuiserie ou autre – comme matière obligatoire dans les programmes des lycées pour toutes les sections du baccalauréat. Quelque chose de la “belle ouvrage“ devrait être enseigné, cela ragaillardirait l’enseignement technique.

Quel est votre regard sur les jeunes équipes ?

A.M. : Dans les jeunes équipes, je sens un besoin très fort d’amitié, de travail collectif. Je ne suis pas sûre que les tutelles soient suffisamment attentives à ces projets rêveurs, originaux et un peu fous. Alors qu’aujourd’hui nous sommes éduqués et donc conduits à la méfiance, au soupçon, bref, au sourd refus préalable à toute écoute sincère. Alors que les artistes en général et les actrices et acteurs en particulier, ont besoin de pratiquer l’observation, pénétrante certes, mais aussi la confiance, et même, pour les comédiens, la crédulité. Sinon, les cœurs et les esprits se claquemurent dans le préjugé, la peur, donc l’arrogance, et plus rien n’est possible de ce qui est essentiel à une relation humaine.

Comment développer l’imagination ? Le goût de la beauté ?

A.M. : C’est un muscle l’imagination ! Venir au spectacle est un moment d’éducation, d’initiation à la beauté, à l’émotion, à la notion de métaphore. Dostoïevski souligne dans L’Idiot que « la beauté sauvera le monde ». Je pense que l’éducation à la beauté, la persistance du désir de beauté, la conviction que la beauté existe sauvent le monde. Les discours de mise en question systématique de la beauté conduisent d’ailleurs à une relativisation destructrice. Certaines œuvres expriment clairement une impuissance artistique et sémantique. Fondamentalement, la beauté se différencie, se reconnaît, même s’il y a toutes sortes de conceptions de la beauté. Et l’art, c’est du boulot !

Comment le théâtre peut-il garder ses distances face au monde ?

A.M. : Il me semble qu’aujourd’hui le monde est plus indéchiffrable qu’auparavant, mais peut-être était-il tout aussi incompréhensible à d’autres époques, comme avant-guerre par exemple. Au théâtre, la distance est nécessaire sinon on ne voit rien. Il s’agit d’être perméable et en même temps de voir de haut, de s’éloigner. Sans recul, nous sommes inondés de convictions, d’opinions, d’émotions, d’indignations qui ne sont pas de la connaissance. En ce moment, ce qui est difficile, c’est que nous avons l’impression de ne voir qu’un ou deux rouages sous notre nez sans comprendre ce qui est lointain, sans appréhender l’ensemble des mécanismes. Comme tous les arts, le théâtre est un art de la métaphore, une transformation du réel. En représentant le monde, il approfondit, il éclaire, il ouvre, il déploie, il déplie… Nous recherchons au théâtre une forme de vérité, pas le réalisme qui est un non-théâtre. Si on ne voit au théâtre que ce qui est, pourquoi se déplacer ? Nous avons besoin au théâtre d’une transformation, d’un plus, de quelque chose qui soit plus vivant que la vie.



Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement
Festival d'Avignon
du Vendredi 6 juillet 2018 au Dimanche 29 juillet 2018

Avignon

Les Naufragés du Fol Espoir, un film du Théâtre du Soleil réalisé par Ariane Mnouchkine. Le 15 juillet 2018 à 15h. Auditorium de la Collection Lambert. Entrée libre.

Une Chambre en Inde, une création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine. Du 24 octobre au 18 novembre 2018. Théâtre Kléber-Méleau, Palais de Beaulieu, Lausanne, Suisse.

Le chant du cygne, de Tchekhov, avec P.K. Sambandan, maître de Terukkuttu, mes Koumarane Valavane. Du 6 au 29 juillet. Théâtre Al Andalus.

Kodo Next Generation. Du 17 au 22 juillet 2018, dans le cadre du Festival Paris l’Eté. Théâtre du Soleil, Cartoucherie.

Au-delà des ténèbres (Le Dernier jour du jeûne & L’Envol des cigognes), un diptyque de Simon Abkarian. Du 5 septembre au 14 octobre 2018. Théâtre du Soleil, Cartoucherie

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Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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Jérôme Derre, inoubliable - L'hommage d'Armelle Héliot 

Jérôme Derre, inoubliable - L'hommage d'Armelle Héliot  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 18 avril 2024

 

Cet artiste singulier, farouche, interprète extraordinaire, dès son plus jeune âge, s’est éteint il y a deux jours. Saluons sa mémoire.

Emmanuel Meirieu, qui l’admirait et avec qui Jérôme Derre aura souvent travaillé, ces dernières années, lui a consacré un texte très bouleversant, apprenant sa mort, le 16 avril dernier. Jérôme Derre était né en 1958, il s’éclipse à 65 ans, près de 66 ans. C’est encore jeune de nos jours. On l’aurait bien imaginé plus tard dans de grands rôles Shakespeariens. Il aurait fallu qu’il trouvât en lui un apaisement.

 

Jérôme Derre aura travaillé depuis les années 70, à l’orée de ses vingt ans et par exemple, en 1978, sous la direction de Denis Guenoun. On a pu l’applaudir sur les plateaux de théâtre jusqu’il y a quelques saisons, avec, notamment, une reprise en tournée de Mon traître, d’après Sorj Chalandon.  En 2018, il avait embarqué avec Jean-Yves Ruf. Plus de quarante années de théâtre. Sans devenir célèbre au-delà du monde du spectacle vivant. Mais au cœur de ce monde, il était admiré, aimé, considéré comme un poète des tréteaux. Et il figure au générique de films singuliers.

Il aura travaillé avec les metteurs en scène de les plus exigeants de son époque. Pas seulement son exacte génération. Plus âgés pour certains, plus jeunes pour d’autres. Mais tous ayant en partage de fortes personnalités, un amour des textes, le sens de la troupe, du groupe.  Bruno Boeglin, Serge Valletti, Chantal Morel, Jean-Paul Wenzel, Georges Lavaudant, longtemps, Jérôme Derre fit partie de bien des aventures et fut intégré à la troupe de l’Odéon. Il travailla également avec Matthias Langhoff, Ariel Gracia-Valdès, Lukas Hemleb et aussi Emmanuel Meirieu, Jean-Yves Ruf.

Spectateur, on ne le voyait plus guère. On avait des nouvelles par les artistes établis à Hérisson, où il avait choisi de vivre, de survivre. Un destin tragique.

 

 

Les obsèques de Jérôme Derre auront lieu mardi prochain, le 23 avril 2024, à 15h00, au cimetière, 16, Rue Luylier de Couture, 03190 Venas.

 

 

 

En note, son chemin au théâtre, retracé par le site de la BnF :

Les Fils prodigues » (2018) de Jean-Yves Ruf

« Des Hommes en devenir » (2017) de Emmanuel Meirieu

« Mon traître » (2013) de Emmanuel Meirieu avec Jérôme Derre comme Acteur

« La tragédie du Roi Richard II » (2010) de Jean-Baptiste Sastre

« Laissez-moi seule » (2009) de Bruno Bayen

« Mesure pour mesure » (2008) de Jean-Yves Ruf

« Les folles d’enfer de la Salpêtrière » (2007) de Anne Dimitriadis

« La lamentable tragédie de Titus Andronicus » (2003) de Lukas Hemleb

« Les aventures de soeur Solange » (2002) de Bruno Boëglin

« Pawana » (1992) de Georges Lavaudant

« Un jour, au début d’octobre » (1990) de Chantal Morel

« Groom » (1985) de Chantal Morel

« Volcan » (1984) de Serge Valletti

 

 

Armelle Héliot 

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Judith Godrèche, MeToo et le cinéma : ces acteurs qui acceptent (enfin) de parler

Judith Godrèche, MeToo et le cinéma : ces acteurs qui acceptent (enfin) de parler | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Bruno Deruisseau dans Les Inrocks - 16 avril 2024 

Publié le 16 avril 2024 à 19h00
Mis à jour le 26 mars 2024 à 17h36



Nous avons sollicité une trentaine de comédiens. Seuls six d’entre eux, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Reda Kateb, Jérémie Renier, Corentin Fila et Nahuel Pérez Biscayart, nous ont répondu.

“Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas.” Cette phrase prononcée par Judith Godrèche sur la scène de la 49e cérémonie des César résonnait toujours une fois la soirée terminée. Car son discours eut bien peu d’échos durant le reste de la soirée. Quasiment aucune parole masculine publique pour apporter un soutien à l’actrice-réalisatrice, que ce soit avant, pendant ou depuis la cérémonie. Ce silence des hommes sur les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) dans le milieu du cinéma devient assourdissant. C’est pour le briser que nous avons demandé à une trentaine d’acteurs du cinéma d’auteur français de s’exprimer sur la vague MeToo qui arrive enfin sous nos latitudes.

 

De l’absence de réponse au refus non justifié, en passant par la frilosité à se politiser sur ce sujet ou le manque de temps, le malaise de la plupart des acteurs est palpable. Seuls six d’entre eux ont accepté de répondre, avec, il faut le souligner, un vrai souci de précision dans leur parole et un investissement non feint : Melvil Poupaud, Niels Schneider, Reda Kateb, Jérémie Renier, Corentin Fila et Nahuel Pérez Biscayart.

“Nous avons tous quelque chose à nous reprocher”

Pour Melvil Poupaud, c’est “un sujet très sensible chez les hommes, comme chez les femmes ; pas facile pour une personne victime d’abus – et il y en a chez les garçons plus qu’on ne peut l’imaginer – d’oser parler ; délicat pour ceux qui n’ont pas la conscience tranquille d’oser faire leur examen de conscience, voire des excuses, voire des aveux. Sans parler de ceux qui risquent gros…Nous avons tous quelque chose à nous reprocher, de la mauvaise blague à des faits bien plus graves. Il faut du courage pour parler de ce qu’on a subi ; il en faut aussi pour reconnaître ses fautes”.

 

Si Nahuel Pérez Biscayart (la révélation de 120 Battements par minute) évoque la difficulté à “rompre une forme d’allégeance à la masculinité”, tous s’accordent pour témoigner de leur admiration devant le courage et la force des prises de parole de Judith Godrèche. Pour Niels Schneider, “on est arrivé à un moment où la société ne veut plus des VHSS. C’est important que les acteurs, et plus largement les hommes, écoutent et encouragent ces prises de parole dans un premier temps, puis expriment leur soutien par une parole privée, mais aussi médiatique quand cela est nécessaire et réclamé par les premières concernées”.

“J’ai le sentiment que nous, les hommes, avons plus de mal à nous investir dans une cause lorsque nous ne nous sentons pas directement concernés” Jérémie Renier

Tandis que Jérémie Renier observe chez la plupart des hommes une plus grande difficulté à être sensibilisé sur ce sujet : “Je le vois même à travers mon implication dans Cut, une association qui promeut la transition écologique du secteur du cinéma : c’est une majorité de femmes qui s’engagent sur ces questions. Que ce soit les VHSS ou l’écologie, j’ai le sentiment que nous, les hommes, avons plus de mal à nous investir dans une cause lorsque nous ne nous sentons pas directement concernés. Nous avons collectivement une marge de progression sur nos capacités d’écoute et d’engagement.”

Des éducations féministes

La dialectique du privé et du public semble au cœur du soutien des hommes. En plus d’un indispensable mais souvent douloureux examen de conscience, les acteurs prêts à soutenir la parole des actrices ont souvent à leurs côtés une femme engagée sur ces questions, que cela soit une compagne, une fille ou une mère qui a participé à leur éducation féministe. Il s’agit aussi d’hommes dont le parcours est marqué par une mise à distance des clichés liés au patriarcat.

“Si je suis sensible à ces questions, c’est aussi parce que je ne me suis jamais reconnu dans une forme de masculinité hégémonique. J’ai très tôt trouvé ça assez archaïque de devoir réserver la douceur, la tendresse et le soin au genre féminin. Cette binarité n’a, pour moi, pas de sens”, nous dit Niels Schneider.

 

“Il s’agit simplement de protéger la moitié de l’humanité d’agressions graves” Reda Kateb

 

 

De son côté, Corentin Fila, César du meilleur espoir masculin pour Quand on a 17 ans en 2016, revendique l’influence de sa compagne, l’actrice Daphné Patakia, cofondatrice de l’ADA (Association des acteur·rices), dans son éveil sur ces questions : “Elle a fait mon éducation et m’a permis de prendre conscience du caractère systémique de ces violences, des liens avec d’autres formes de discriminations comme le racisme et des ravages en matière de troubles et de pathologies chez les victimes. Je lui suis énormément reconnaissant pour cela. À son contact, j’ai pris conscience des comportements problématiques que j’ai pu avoir par le passé et j’ai réalisé que chaque homme est conditionné à être un potentiel agresseur.” Melvil Poupaud rend quant à lui hommage à sa fille, “très concernée par ces causes, et qui a (re)fait [son] éducation” : “Sans elle, je serais un encore plus gros boomer !”

 

Être un allié consiste notamment pour Reda Kateb à “choisir consciencieusement ses collaborateurs et collaboratrices en plaçant l’éthique au centre”, à militer pour généraliser la présence de référent·es VHSS sur les plateaux et de coordinateur·rices d’intimité sur les scènes de sexe “pour travailler dans un climat sain et rassurant pour tout le monde” et, enfin, à récuser le terme de “chasse aux sorcières, alors qu’en fait il s’agit simplement de protéger la moitié de l’humanité d’agressions graves”.

Des collaborations problématiques

Alors, que se passe-t-il lorsqu’on fait remarquer aux acteurs ayant accepté de répondre qu’ils ont travaillé avec des cinéastes accusés d’agressions ou de harcèlement sexuels, que cela soit Woody Allen (Melvil Poupaud et Niels Schneider), André Téchiné (Nahuel Pérez Biscayart et Corentin Fila), Benoît Jacquot (Nahuel Pérez Biscayart et Niels Schneider) et Roman Polanski (Melvil Poupaud) ?

Il y a ceux qui affirment en toute bonne foi qu’ils n’étaient pas au courant à l’époque du tournage, ceux qui revendiquent le fait de ne pouvoir se substituer à la justice et ceux qui jugent le sujet trop complexe pour motiver leur décision en quelques mots. Complexe, le sujet l’est assurément, les faits reprochés et les situations judiciaires de chacun des cinéastes étant tous différents.

“Je n’ai rien remarqué de particulier sur le tournage. Cependant, avec ce que je sais aujourd’hui, ce que raconte le film m’interroge” Nahuel Pérez Biscayart

Comme le souligne Niels Schneider : “Il est important de laisser aussi la possibilité d’une rédemption, dans certains cas et selon la gravité des faits, sans parler de justice, car la façon dont la justice peine à condamner les agresseurs est un autre débat tout aussi important. Mais le préalable à toute rédemption, c’est la reconnaissance de la souffrance infligée aux femmes. Le fait d’accepter que, non, ce n’était pas rien, qu’au contraire, c’est très grave. La négation de la parole des femmes est insupportable et pourtant quasi systématique. C’est à cet endroit que la révolution que nous vivons se joue.”

D’autres se désolidarisent des cinéastes en question ou mettent en perspective leur œuvre avec les accusations dont ils font l’objet. “Quand j’arrive sur le tournage du film de Benoît Jacquot, je ne parle pas un mot de français., se souvient Nahuel Pérez Biscayart. Je comprends assez vite que l’actrice principale du film, Isild Le Besco, a été en couple avec le cinéaste. Mais je n’ai rien remarqué de particulier sur le tournage. Cependant, avec ce que je sais aujourd’hui, ce que raconte le film m’interroge.

J’y joue une sorte de sauvage qui ensorcelle le personnage d’Isild pour l’amener à lui. Pour moi, le film parle clairement du consentement : est-elle avec mon personnage parce qu’elle le veut ou parce qu’elle est sous emprise ? Quant à Téchiné, avec qui j’ai fait un film qui va sortir, je lui reproche des choses qui n’ont rien à voir avec les VHSS. Il a été méprisant et violent verbalement avec moi. J’ai dû mettre un frein à son comportement.”

La fin de l’impunité sur les plateaux ?

Pour Jérémie Renier, signataire comme Nahuel Pérez Biscayart d’une tribune contre le sexisme dans le cinéma français lors du dernier Festival de Cannes, apporter son soutien à la cause des femmes passe aussi par le choix d’incarner de nouveaux récits : “En choisissant de faire un film comme Slalom de Charlène Favier, où je joue un coach de ski qui exerce une emprise et abuse sexuellement de son élève, il y a, entre autres, le désir de participer à l’ouverture d’un nécessaire débat sur ces questions.

Tous ont vu ou entendu des histoires de harcèlement ou  d’agressions durant leur carrière, comme l’affirme Nahuel Pérez Biscayart : “Depuis cinq ans, j’entends des histoires qui me glacent le sang. L’abus de pouvoir des cinéastes et des producteurs en France est très grave. Tout le monde est au courant. Ce que nous savons aujourd’hui n’est que la partie émergée de l’iceberg.” Alors comment réagir ?

“Ce qui est révoltant, c’est que le cinéma ait servi à certains de couverture à des comportements qui n’ont rien à voir avec de l’art” Niels Schneider

“Il est arrivé que j’apprenne que plusieurs actrices avaient été agressées par un acteur avec qui je devais tourner. J’ai prévenu le producteur que s’il se passait le moindre problème sur le tournage, je quitterais le projet”, affirme Niels Schneider. Corentin Fila nous confie qu’en 2018, il a “été témoin des attouchements auxquels s’est livré un chef opérateur libidineux d’une cinquantaine d’années sur une actrice de 17 ans. Personne n’a rien fait, je n’ai rien osé dire, ce serait différent aujourd’hui”.

Quant à l’impunité particulière dont jouissent les auteurs de VHSS en France, tous s’accordent à dire qu’il existe particulièrement chez nous une confusion entre liberté créatrice et abus de pouvoir : “Ce qui est révoltant, c’est que le cinéma ait servi à certains de couverture à des comportements qui n’ont rien à voir avec de l’art”, dit Niels Schneider, tandis que selon Reda Kateb, “la pire période va des années 1970 aux années 1990. Durant cette période, il y a eu une vague d’abus dont la presse était d’ailleurs complice. Abus dont ne sont pas seulement victimes les femmes d’ailleurs. Au-delà de la condition féminine, le débat mérite d’être aussi élargi à la protection des enfants et des personnes vulnérables”.

“Un système d’allégeance et de complicité envers les agresseurs”

Pour Nahuel Pérez Biscayart, “il y a une grande confusion entre le travail et la vie intime en France. C’est arrivé qu’après que j’ai décroché un rôle, le réalisateur m’écrive pour réclamer qu’on se mette au travail et qu’on s’aime, comme si ça allait de pair. Il n’y a qu’en France que l’expression ‘on ne peut plus rien dire’ est si populaire. Je crois que ces personnes confondent liberté d’expression et privilèges. Il n’y a aussi qu’en France qu’on parle de ‘la grande famille du cinéma’.

 

Quand on sait à quel point les VHSS sont d’abord intrafamiliales, ce terme est révélateur et symbolise bien le système d’allégeance et de complicité envers les agresseurs, système dont le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] fait partie en conservant à sa tête un président accusé d’agression sexuelle par son filleul. En tant qu’hommes, nous avons comme devoir d’écouter et de croire la parole des femmes, d’être solidaires de leur combat. J’essaie pour ma part de tisser un réseau de tendresse et de bienveillance avec les gens avec qui je travaille. Il faut faire comprendre aux agresseurs qu’il y a de moins en moins de complices de leurs actes”.

 
 
 

Légende photo : Reda Kateb et Melvil Poupaud © Francois Berthier et Sebastien Vincent//Contour by Getty Images

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Coupes budgétaires : vers la fin de “l’exception culturelle” française ?

Coupes budgétaires : vers la fin de “l’exception culturelle” française ? | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Marie Durand dans Les Inrocks - Publié le 16 avril 2024 

 

 

Le 4 avril dernier, le ministère de l’économie annonçait des baisses conséquentes de subventions pour des grandes institutions théâtrales, musicales et muséales. Une mise en péril d’un service public.

 

À quelques semaines du lever de rideau sur les festivals d’été, qui du théâtre à la danse, de la performance au cirque, de l’art à la musique, traduisent la vitalité en France du spectacle vivant et de la création contemporaine, le sens de la fête risque d’être affecté par un sentiment d’inquiétude généralisé : l’État sonne la fin de la “party”, en activant ce que Pierre Bourdieu appelait “la main droite de l’État” (jamais généreuse avec le culturel et le social).

 

En annonçant le 4 avril dernier des baisses conséquentes de subventions pour des grandes institutions théâtrales, musicales et muséales (Comédie française, Théâtre national de la Danse-Chaillot, Théâtre de la Colline, Louvre, Philharmonie, Opéra de Paris…), Bercy contraint le ministère de la rue de Valois à faire plus de 200 millions d’euros d’économies, dont 99,5 millions d’euros sur le patrimoine et 96 millions d’euros sur la création. 10 % du budget de la création (doté d’un millard) va être ainsi amputé. Ce qui, observe le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), va impacter l’ensemble de l’activité culturelle en France, dont l’emploi des artistes et des technicien·nes. Certes, pour le moment, les scènes nationales et les centres dramatiques nationaux semblent passer à travers les gouttes du dessèchement annoncé. Mais tous·tes les directeur·trices de théâtre, de compagnies, de collectifs, de centres de création…, déjà affecté·es par la hausse des coûts de l’énergie, l’inflation et les charges financières de plus en plus pesantes, mesurent bien à quoi iels seront tenu·es dans les mois à venir : la diète, sur les cendres de la fête. Les publics curieux des formes aventureuses et de la jeune création en subiront probablement les effets. Car des millions d’euros d’économies imposés signifient à terme moins de créations, moins de prises de risque artistique, comme le regrettait le directeur de la Colline, Wajdi Mouawad, le 2 avril sur France Inter.

La mise en péril d’un service public de la création

Au-delà du spectacle vivant, ce régime sec touche aussi les centres d’art. Et même les écoles d’art, depuis que la ministre de la Culture Rachida Dati a estimé qu’il fallait tailler dans leur “jungle”. Ce à quoi répondait une tribune collective de 110 enseignant·es en école d’art, défendant ces écoles qui “abritent des conversations et des rencontres, des conférences, des ateliers, des expositions et des performances”, qui alimentent la vie culturelle. “Attaquer les écoles, c’est refermer l’horizon de la création contemporaine française”, écrivent les auteur·trices. “Les étudiant·es qui font la vie de ces écoles sont nos futur·es artistes, nous ne pouvons accepter que leurs vies soient ainsi empêchées. Si nous commençons à vouloir mesurer les écoles d’art en termes de ‘performance’, à les évaluer et les traiter comme des entreprises, comment maintenir l’idée même d’un service public de l’art ?“.

C’est bien ce que la crise budgétaire actuelle traduit : la mise en péril d’un service public de la création, qui plus de quarante ans après la volonté de Jack Lang de sanctuariser son périmètre, est définitivement devenu un secteur comme les autres. “L’exception culturelle”, expression que l’ancien ministre des années 1980 avait inventée, s’est faite avaler par la norme financière.

 

Jean-Marie Durand / Les Inrocks

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Chatouiller les pleurs par le rire : "Les Chatouilles" d'André Bescond, reprise par l'autrice dix ans après la création 

Chatouiller les pleurs par le rire : "Les Chatouilles" d'André Bescond, reprise par l'autrice dix ans après la création  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Callysta Croizer dans La Croix - 15 avril 2024

 

Dix ans après sa création au Théâtre du Chêne noir, à Avignon, Andréa Bescond reprend « Les Chatouilles » au Théâtre de l'Atelier. Seule en scène, la comédienne-danseuse raconte l'horreur d'un viol pédophile et ses séquelles, avec une énergie sans faille et un humour cathartique.


Créé au Chêne noir d'Avignon en 2014, « Les Chatouilles ou la danse de la colère » a d'abord été adapté au cinéma. Dix ans, un Molière et deux Césars plus tard, le seule-en-scène d'Andréa Bescond n'a (hélas) pas pris une ride. Au Théâtre de l'Atelier, dans la mise en scène d'Eric Métayer, la danseuse comédienne replonge dans le récit d'Odette (son quasi-double fictionnel) pour exorciser un traumatisme de viol par la danse et le rire.

 

Ce titre enfantin de « Chatouilles » renvoie, non pas à d'innocents jeux tactiles, mais bien aux manipulations d'un adulte pédophile. En l'occurrence, Gilbert profite de ses visites chez un couple d'amis pour retrouver Odette, 8 ans à peine, en cachette dans la salle de bains.

Pour échapper à la douleur de ces rendez-vous interdits, la jeune fille se sauve dans et par la danse, les shots et les rails de coke. Devenue jeune femme, elle veut recoller les morceaux de son enfance et renouer avec sa mère, emmurée dans le déni. Au fil des allers-retours entre souvenirs, séances de thérapie et fantasmes, Andréa Bescond donne corps et voix à une vie de tabous.

 

Exutoire salutaire

Avec ses jeux de lumières et ses transitions rythmées, la mécanique du spectacle est d'une précision impeccable. Du gala de danse du village aux tournées mondiales des comédies musicales, Odette danse sur « Coppélia » et sur « Mamma Mia » comme il lui chante. Dans cette odyssée intérieure où l'imagination ne souffre d'aucune limite, Andréa Bescond prend tous les rôles à bras-le-corps.

 

Passant d'un personnage à l'autre avec une fluidité et une énergie brillantes, elle maîtrise aussi bien le phrasé occitan de la prof de danse que le verlan de Manu, le pote alcolo-toxico d'Odette. Entre sketch et confessions, la comédienne et féministe engagée met aussi le doigt sur des stéréotypes qui infusent le monde de l'art chorégraphique. Assignations genrées, hypersexualisation des corps, précarité des contrats, autant de violences qu'elle traverse par ses gestes convulsifs et contorsionnés.

 

Face à ces sujets lourds, l'autrice a su trouver un subtil équilibre entre une ironie mordante et irrévérencieuse, et une pudeur tout en délicatesse. A l'évocation des agressions traumatisantes lors du procès de Gilbert, ses mots restent muets tandis que la musique et la danse prennent le relais.

Entre la création et la reprise actuelle, #MeToo et #BalanceTonPorc sont passés par là. Aujourd'hui, son texte entre en résonance avec les voix qui ébranlent le monde du cinéma et évoque les affaires de violence policière et judiciaire. En une décennie, Andréa Bescond a fait des « Chatouilles » un exutoire salutaire et poursuit son chemin de résilience, main dans la main avec son enfance.

 

 

LES CHATOUILLES OU LA DANSE DE LA COLÈRE  d'Andréa Bescond.

Mise en scène d'Eric Métayer. 1 h 40.

Jusqu'au 1er juin, au Théâtre de l'Atelier (Paris).

theatre-atelier.com

 

Callysta Croizer / LA CROIX 

 

 

 

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« Moman », un beau moment   -  Critique de Jean-Pierre Thibaudat 

« Moman », un beau moment   -  Critique de Jean-Pierre Thibaudat  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog de Mediapart - 11 avril 2024

 

En couple dans la vie, voici enfin l’actrice Clotilde Mollet et le comédien Hervé Pierre ensemble sur une scène dans « Moman » sous-titré « pourquoi les méchants sont méchants », un texte fait main …

 

« L'ENFANT. Moman ?

MAMAN. Mets ton pyjama !

L. Moman !

M. Quoi acore ? »

Ça commence comme ça.

 

C’est l’histoire d’un petit garçon (Clotilde Mollet) qui vit seul avec sa mère, « moman » (Hervé Pierre), le « popa » est ailleurs, pire, il ne paie plus « l’électric » de la maison. Comme tous les enfants de son âge, l’enfant pose des questions.

 

« L. Pourquoi la nuit on dort moman ?

M. Pasque c'est comme ça depuis la nuit des temps. On cause le jour, on dort la nuit. Dors !

L. Même quand c'est la guerre moman ?

M. C'est pas la guerre j'te dis ! Ferme les yeux, compte les moutons !

L. Quels moutons moman ?

M. Les moutons que t'as dans ta tête.

L. Quand je ferme les yeux, c'est-pas des moutons que je vois moman.

M. C'est quoi ?

L. Des méchants.

M. Et c'est qui ces méchants-méchants ?

L. Je sais pas moi moman. Dès que je ferme les yeux y sont là. Y profitent de ce que tu dors pour venir me voir, dans le noir, dans mon lit. 

M. Pourquoi ils viennent te voir toi et pas moi ?

L. Pour me prendre. Pasque c'est la guerre moman.

M. Aaaaaaah !

L. Et que pendant la guerre on prend les enfants

M. Bon, acoute-moi bien !»

La guerre n’est jamais très loin dans les écrits de l’auteur dont le père (juif), arrêté par la police française, n’est jamais revenu des camps. La guerre comme l’enfance, motifs récurrents, traversent bien des textes de Jean Claude Grumberg, frontalement ou pas. « Pourquoi t’es ma moman à moi et pas celle d’un autre ? » demande l’enfant lequel est en bois comme une marionnette et aime une fille qui a « un cœur de pierre » et qui en aime un autre. Comme Moman, certains jours, l’enfant a « la blouse » (le blues). Grumberg sème de la tendresse partout. C’est ce qu’il connaît de mieux pour réparer les jouets cassés de la mémoire.

Dans un épilogue littéralement renversant, Hervé Pierre devient l’enfant devenu grand et Clotilde Mollet la Moman devenue vieille. Le plaisir du jeu s’en trouve redoublé comme celui du spectateur. Le temps a passé. le petit Louistiti est devenu Louis et sa moman veut qu’on l’appelle madame. «Madame ma maternelle »  dit Louis qui gagne sa vie et veille sur sa mère qui subit les assauts de la vieillesse comme l’auteur.

« Je suis heureux et fier comme un p’tit banc, d’avoir Clotilde et Hervé pour donner voix et vie, à ma Moman de papier et à son Chipounet chéri » écrit Jean-Claude Grumberg dans la programme. Plaisir partagé. La salle piccolo en forme d’œuf de la Scala est parfaite pour ce duo aux multiples complicités, mis en scène, avec les comédiens, par la jeune Noémie Pierre. On reste en famille, à la ville comme à la scène.

 

Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 

 

 

Scala de Paris , le mardi à 21h30, le mercredi à 14h et 21h30 jusqu’au 19 juin.

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Bordeaux : avec Fanny de Chaillé, le TNBA se réinvente pluriel

Bordeaux : avec Fanny de Chaillé, le TNBA se réinvente pluriel | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hanna Laborde dans La Scène - 15 avril 2024

 

Un pas de côté. Est-ce le geste opéré par la nouvelle directrice du TNBA (Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine) et de l’ESTBA (École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine), Fanny de Chaillé, qui a succédé à Catherine Marnas en janvier 2024 ? Un pas de côté pour que s’ouvrent les portes du TnBA et que se réorientent certains de ses axes. Même intention pour son école adossée, une particularité de ce CDN qui « intéressait beaucoup » la metteuse en scène. Fanny de Chaillé ne « se sent pas perdue dans cette énorme maison », puisque son labeur de directrice s’articule autant avec ses expériences d’artiste associée qu’avec son travail de création. 

 

Ses deux dernières pièces, Le Chœur (2020), et Une autre histoire du théâtre (2022-2023), mettent en abyme la question de la transmission, qui lui est chère, et l’art dramatique, du point de vue de l’acteur. Ces problématiques irriguent ainsi ses intentions pour la direction du TNBA et de l’ESTBA : « La question de l’école est vraiment née de manière cohérente, à partir de ces créations-là. » Le projet de l’école s’élaborera avec un collège pédagogique composé surtout d’acteurs et actrices, afin de « penser la pratique du jeu avec celles et ceux qui l’exécutent », et de replacer la figure de l’acteur au centre de l’enseignement. Il s’agit d’« opérer un vrai décalage par rapport à ce qui se fait dans les écoles ».

 

Dynamique d’ouverture 


Malgré l’implantation de sa compagnie Display à Bordeaux, Fanny de Chaillé ne connaît pas autant la ville que sa fidèle collaboratrice, Isabelle Ellul, directrice déléguée du TNBA. Elles ont postulé en duo avec un projet qui manifeste leur « envie de rouvrir le TNBA », notamment à des « collaborations étroites », soit avec La Manufacture CDCN, le CAPC (musée d’Art contemporain de Bordeaux), la Scène nationale Carré-Colonnes (Saint-Médard-en-Jalles), et le festival Trente Trente. Des dialogues qui font sens dans une ville « où se manifeste à présent un vrai désir de fabriquer ensemble ». Ces projets seront dévoilés en septembre dans la programmation 2024-2025 parmi de « gros spectacles de théâtre » et les créations des neuf artistes associés, dont cinq régionaux. Le choix de ces compagnonnages, allant de Gwenaël Morin au bordelais Collectif Rivage, en passant par Rébecca Chaillon, témoigne d’une volonté de « diversité d’esthétiques et de pratiques ». Avec eux, Fanny de Chaillé entend mener « un accompagnement sur mesure », fondé sur l’écoute de chacun. 

Un soin de l’autre matérialisé jusque dans le Projet Kids, qu’elle a expérimenté à Chambéry (Savoie), et qui entrelace la question de l’ouverture et de la transmission. Une « université d’arts pour les enfants et adolescents » qui leur permet de pénétrer les coulisses du théâtre pendant les vacances : « Partager nos pratiques aux enfants et leur raconter ce qui se passe dans un théâtre est très important », dit celle qui y sera animatrice. Pas de distinction, donc, entre le théâtre de la relation créé par la metteuse en scène et celui que bâtit la directrice.

 

Hanna Laborde / LA SCENE

En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°556

 

Légende photo : Fanny de Chaillé

Crédit photo : D. R.

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Quand le cirque a l’esprit de famille

Quand le cirque a l’esprit de famille | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 12 avril 2024

 

Les dynasties de circassiens existent jusque dans les formes plus contemporaines, où il s’agit pour chaque génération de trouver une voix propre, au-delà de l’héritage.




Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/11/quand-le-cirque-a-l-esprit-de-famille_6227279_3246.html

On connaît les familles Pinder, Zavatta ou Bouglione. Leurs noms sont devenus des labels lorsqu’ils ne signent pas en lettres plus nobles des dynasties. Alors qu’Alexis Gruss, dont les ancêtres ont démarré en 1854, est mort le samedi 6 avril, sa compagnie, forte de ses enfants et petits-enfants, maintient haut la barre de la virtuosité équestre. « Chez nous, travailler ensemble a une particularité : la télépathie est vive, souligne Firmin Gruss, directeur. On utilise les mêmes formules, on a le même esprit, et ça crée une communion unique. Et, dans les moments difficiles, cela donne une énergie supplémentaire. »

 

Ce phénomène familial constitutif des arts traditionnels de la piste se déploie aussi dans le contemporain. Depuis le 13 mars jusqu’au 21 avril, le festival Spring, programmé dans 70 lieux en Normandie, met en avant quelques-unes de ces tribus. Le Circus Ronaldo, piloté par le clown Danny Ronaldo, sixième génération Ronaldo, cousine avec les performances burlesques d’Alain Reynaud, qui se produit avec sa femme et leurs deux enfants, « tombés dedans quand ils étaient petits ».

 

« Le canal familial est celui du cirque traditionnel, alors que ce sont les écoles qui forment les artistes contemporains, rappelle Yveline Rapeau, directrice de Spring. Il existe néanmoins une minorité de troupes aujourd’hui dont les spectacles s’enracinent dans la famille en ouvrant de nouvelles voies esthétiques. »

Défricher sa route

A la tête de Circus Ronaldo, originaire de Malines (Belgique), Danny Ronaldo aime raconter l’histoire du grand-père de son arrière-grand-père qui quitta Gand à l’âge de 15 ans pour s’enrôler en 1842 dans le cirque Wulff. « Il était tombé amoureux de l’atmosphère du chapiteau, de la liberté et des chevaux, dit-il. Il devient palefrenier, puis acrobate à cheval. On a retrouvé des gravures de lui au cirque impérial de Saint-Pétersbourg. Il s’est marié à une comédienne itinérante et, ensemble, ils ont créé leur compagnie. » Depuis, l’aventure Ronaldo additionne ses chapitres, plus rocambolesques les uns que les autres.

 

En tournée, Da capo témoigne de cette mirifique saga où le cirque, le théâtre ambulant et la variété font copain-copain. « Cette longue histoire donne de la force, confie Danny Ronaldo. Je sens derrière moi une armée d’artistes vivants. Je sens leur soutien, leur pression même, et je suis fier d’être leur héritier. » Parallèlement à La Cucina dell’arte, interprété avec son frère David, et énorme succès, Danny Ronaldo joue Sono io ? avec son fils Pepijn, 25 ans, à l’affiche du 30 mai au 16 juin, au Théâtre du Rond-Point, à Paris. « Le pari est de profiter de la puissance que donne cette transmission et de s’en détacher aussi, précise-t-il. Pour mes quatre enfants, qui ont tous eu envie de cirque, il s’agit de trouver sa propre personnalité. Pepijn est très différent de moi, mais on a le même désir de faire rire et de comprendre nos émotions. Il n’y a malheureusement pas de GPS pour ça. »

 

Ce besoin de défricher sa route, Marie Molliens, fil-de-fériste et directrice de la compagnie Rasposo, l’a vécu de façon douloureuse. En 2012, celle qui a participé aux spectacles de ses parents dès l’âge de 4 ans prend la succession de sa mère, Fanny Molliens. Elle se heurte au poids de vingt-cinq ans de productions grand public. « J’ai donné des coups de poing pour casser les habitudes, et amener mon univers nourri de théâtre et de danse contemporaine avec ce côté provocation qui vient de la rue », déclare-t-elle. Les « anciens » partent. « Ça a été un tournant difficile », glisse celle dont les engagements féministes et sociétaux explosent bien crus dans des pièces telles que La Dévorée.

 

Pour la trapéziste Liam Lelarge, 24 ans, fille de Danielle Le Pierrès et Christophe Lelarge, à la tête du P’tit Cirk depuis 2004, l’enjeu est là. Celle qui a grandi, comme son frère Louison, acrobate et musicien, au gré des tournées de ses parents et appris sur le terrain, a choisi de monter ses propres projets. « Je n’avais pas envie d’être “la fille de”, assure-t-elle. J’avais besoin de séparer ma famille et le travail. Ce qui ne nous empêche pas de nous voir, de nous conseiller mutuellement. » En 2023, Liam Lelarge, en duo avec Kim Marro, s’est fait connaître avec La Boule, superbe casse-tête vivant.

Etat d’esprit indépendant

Si la transmission du geste par les parents opère dans la continuité du quotidien, elle n’empêche pas aujourd’hui la fréquentation des écoles spécialisées. Liam Lelarge a étudié au Centre national des arts du cirque (CNAC), à Châlons-en-Champagne. Léna Reynaud, fille du clown Alain Reynaud, a intégré l’école Balthazar, à Montpellier. L’expert en corde lisse et metteur en scène Fragan Gehlker, fils de l’acrobate Jörn Gehlker, a peaufiné sa technique au Centre national des arts du cirque, tandis que sa sœur Nolwen, voltigeuse équestre, a fréquenté l’Académie Fratellini, au début des années 2000. « C’est la particularité de ces artistes de ne pas se contenter du patrimoine familial, mais de chercher une identité, une autonomie et une reconnaissance de leur individualité dans les écoles, confirme Gaëtan Rivière, responsable de la recherche au CNAC. Au-delà la tradition de la famille que l’on retrouve dans certains spectacles, ils explorent d’autres manières d’exprimer leur singularité par de nouvelles esthétiques, souvent issues d’une écriture de soi. »

 

Actuellement en tournée, Nolwen Gehlker présente le duo Métamorphoses, avec trois chevaux. « Ma mère était comédienne et mon père, auprès de qui j’ai commencé le trapèze à 8 ans, était danseur, bricoleur, acrobate, raconte-t-elle. J’avais 9 ans lorsque, sur la route, on a rencontré des gens en roulotte qui avaient des chevaux. » La suite file vite : les collaborations avec le Théâtre du Centaure et le cirque équestre Pagnozoo s’enchaînent. Avec son mari, Calou Pagnot, et leurs deux enfants, elle fonde la Compagnie Lawen en 2023.

 
 

Au-delà de la technique, l’héritage du cirque s’inscrit dans un état d’esprit indépendant. Après sa pièce sidérante Le Vide (2014), Fragan Gehlker, programmé le 15 mars à Cherbourg-en-Cotentin (Manche), dans le cadre de Spring, avec Suzanne : une histoire (du cirque), a conservé de son enfance l’amour de la marge et une ardeur à la défendre. « On n’allait pas à l’école, on vivait en camion, en squat, en roulotte, à cheval, on participait à la vie d’artiste de mes parents. J’ai gardé un goût pour cette marge. Je ne me suis jamais senti “dans les clous” où que je sois. » Alors qu’il entame les répétitions de La Nostalgie de l’acrobate, il évoque les figures de l’acrobate et du guerrier, « entre honneur, admiration et une certaine marginalisation ».

 

Quant à la communauté, elle enveloppe et protège les membres de ces familles de cirque toujours en vadrouille. « C’est une dimension dont j’ai hérité, poursuit-il. Il y avait beaucoup d’entraide, de solidarité, d’engagement au sein des troupes. Les gens faisaient communauté autour d’un projet de spectacle. Je trouve que ma génération a vécu un renversement plus individualiste dans sa manière de travailler, chaque artiste est devenu une sorte de microentreprise. »

 

 

Les Etablissements Félix Tampon chez vous, d’Alain Reynaud. Festival Spring, du 21 au 26 mai, Communauté de communes Lyons-Andelle (Eure). Festival-spring.eu

 

Oraison, de Marie Molliens. Les 19 et 20 avril à Saint-Céré (Lot) ; du 24 au 28 avril à Tarbes.

 

Métamorphoses, de Nolwen Gehlker. Du 16 avril au 3 mai à Hennebont (Morbihan).

 

La Boule, de Liam Lelarge et Kim Marro. Le 25 avril à Trévou-Tréguignec (Côtes-d’Armor) ; le 27 avril à Bagneux (Hauts-de-Seine) ; les 18 et 19 mai à Metz.

 

Rosita Boisseau / LE MONDE

Légende photo : « Sono io ? », de Danny et Pepijn Ronaldo, lors de la création du spectacle au cirque Miramiro, à Gand (Belgique), en juillet 2021. JEAN PHILIPSE
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Accusé de “liens” avec Israël, Wajdi Mouawad voit sa pièce annulée au Liban et quitte le pays

Accusé de “liens” avec Israël, Wajdi Mouawad voit sa pièce annulée au Liban et quitte le pays | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama, le 11 avril 2024

 

 

Le dramaturge libano-québécois fait l’objet d’une campagne de harcèlement. Au théâtre Le Monnot, à Beyrouth, sa “Journée de noces chez les Cromagnons” ne se jouera finalement pas. Hier, il a quitté le territoire libanais.

 

Ce mardi 9 avril, Wajdi Mouawad, le directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, a été notifié d’une plainte à son encontre émanant du parquet militaire de Beyrouth. Le metteur en scène franco-libanais était alors en répétition pour sa nouvelle création, Journée de noces chez les Cromagnons. Dans un communiqué transmis à la presse, le théâtre Le Monnot, à Beyrouth, qui devait accueillir ce spectacle indique « devoir annuler la première mondiale de la pièce […] programmée le 30 avril prochain ». Contactée, Josyane Boulos, la directrice du théâtre, explique cette décision de renoncer à jouer la pièce par le climat de tension qui régnait ces derniers jours. « Depuis dix jours, l’ensemble des équipes fait l’objet d’une campagne de boycott et de harcèlement sur les réseaux sociaux. »

 

En cause, notamment, les anciennes collaborations de Wajdi Mouawad avec des artistes israéliens. Le metteur en scène avait écrit et monté, en 2017, la pièce Tous des oiseaux, centrée autour de personnages israéliens. Plus récemment, il a accueilli au Théâtre de la Colline House, de l’artiste israélien Amos Gitaï.

Éviter une arrestation

Au nom de la loi libanaise, qui interdit à ses ressortissants la normalisation des relations avec Israël, l’organisation CBSI (Campagne de boycott des partisans d’Israël au Liban) a plusieurs fois appelé publiquement les comédiens du nouveau spectacle de Wajdi Mouawad à se retirer, et l’ensemble des artistes libanais à se mobiliser pour faire interdire la pièce. L’organisation ne serait cependant pas en mesure de mener une action en justice, n’ayant pas la personnalité juridique nécessaire. De son côté, le Comité des représentants des prisonniers et détenus libérés des geôles israéliennes, par la voix de son avocat, a saisi le tribunal de Beyrouth, évoquant les chefs d’accusation suivants : liens (ou communications) avec l’ennemi israélien, et non-respect de la Loi sur le boycott d’Israël.

 

 

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Ce mercredi 10 avril, Wajdi Mouawad a quitté le Liban (son pays natal, qu’il a fui à l’âge de 10 ans pour la France, puis le Québec) où il travaillait depuis plusieurs jours. « C’est très triste d’en arriver là, regrette Josyane Boulos. Wajdi Mouawad est un homme d’une humanité peu commune et un artiste très apprécié des Libanais. Pour nous, ce spectacle est une œuvre de paix. Nous continuerons à résister ! » Désormais, Journée de noces chez les Cromagnons doit être jouée au Printemps des comédiens de Montpellier du 7 au 9 juin. Le rendez-vous devrait vraisemblablement être honoré. Wajdi Mouawad s’apprêterait à poursuivre les répétitions de son nouveau spectacle dans les locaux de la Colline.

 

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Beyrouth : la nouvelle création de Wajdi Mouawad annulée après des menaces

Beyrouth : la nouvelle création de Wajdi Mouawad annulée après des menaces | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Lara Clerc et AFP publié par Libération le 11 avril 2024

 

Le directeur du théâtre de la Colline à Paris devait mettre en scène sa nouvelle pièce au théâtre Le Monnot dans la capitale libanaise à partir du 30 avril. Mais en raison d’une campagne contre lui, que certains jugent trop pro-israélien, la direction a été contrainte d’annuler les représentations.

 

 

 

 

Une nouvelle conséquence du conflit au Proche-Orient. Le théâtre Monnot à Beyrouth a annoncé mercredi 10 avril l’annulation de la nouvelle pièce de théâtre de Wajdi MouawadJournée de Noces chez les Cromagnons. La création du dramaturge devait démarrer dès le 30 avril dans la capitale libanaise, pays en proie à de vives tensions en raison de la guerre entre le Hamas et Israël.

La cause de cette rétractation : une campagne menée contre l’auteur libanais et québécois, directeur du théâtre de la Colline à Paris depuis huit ans, accusé par des militants de «normalisation avec Israël». Cette campagne a entraîné des «pressions inadmissibles et de menaces sérieuses faites au théâtre Le Monnot et à certains artistes et techniciens», selon le communiqué de l’établissement. «Les acteurs ont été harcelés via leur téléphone» précise Josyane Boulos, la directrice du théâtre.

Une ONG demande l’interdiction de la pièce et l’arrestation de Wajdi Mouawad

En plus de ces pressions, l’ONG The Commission of Detainees Affairs (chargée du bien-être des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes) a annoncé lundi avoir demandé au Parquet militaire «l’ouverture d’une information judiciaire contre Wajdi Mouawad […] pour délit de communication avec l’ennemi israélien, en contravention de la loi sur le boycott d’Israël». L’ONG demande aussi l’interdiction de la pièce et l’arrestation de Wajdi Mouawad. Pour cette ONG créée en 1998, les pièces du dramaturge seraient «financées par l’ennemi israélien» et feraient «la promotion de la normalisation» avec Israël.

 

En cause, la pièce Tous des Oiseaux en 2017 sur le conflit israélo-palestinien et l’identité, création accusée par des militants d’avoir été financée par l’ambassade d’Israël à Paris et le théâtre Cameri de Tel-Aviv – ce que Wajdi Mouawad a réfuté dans un entretien à L’Orient - Le Jour en 2017 : «l’ambassade a payé les billets d’avion des artistes israéliens qui sont sur ce plateau, comme il se fait très régulièrement dans le théâtre. Rien de plus». Autres points de tensions : la présence d’une actrice israélienne dans Tous des Oiseaux, et la collaboration du dramaturge en 2023 avec le réalisateur israélien Amos Gitai dans l’adaptation théâtrale de sa trilogie documentaire House. Autant d’éléments qui ont poussé le 6 avril le collectif «Campagne de boycott des partisans d’Israël au Liban» à demander l’interdiction de la pièce de Mouawad, mentionnant son «passif de normalisation et de promotion de l’occupation israélienne».

 

 

Ce «passif» est également alimenté par les prises de position de Mouawad sur le conflit israélo-palestinien loin de correspondre à la ligne de «boycott d’Israël» portée par le Hezbollah, qui interdit à ses ressortissants de se rendre en Israël ou d’avoir des contacts avec cet Etat. Un mois après l’attaque terroriste du Hamas en Israël, le dramaturge publiait une tribune dans Libération avertissant des risques de montée d’antisémitisme et expliquant comment il s’est émancipé d’une haine «par héritage». Le 2 avril, il expliquait au micro de France Inter que «depuis toujours, l’artiste a pris position dans les guerres», et que la solution dans ce conflit était un cessez-le-feu et une empathie pour les deux camps.

Son équipe rentre donc en France pour la suite des répétitions de sa nouvelle création. La première de Journée de Noces chez les Cromagnons aura lieu à Montpellier au Printemps des Comédiens, du 7 au 9 juin 2024.

 

 

 Lara Clerc avec AFP / LIBERATION

 

Légende photo : La pièce du dramaturge libano-québécois fera finalement sa première à Montpellier le 27 juin 2024. (Stéphane de Sakutin/AFP)

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A Trappes, les jeunes se font ambassadeurs culturels de la ville

A Trappes, les jeunes se font ambassadeurs culturels de la ville | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Roxana Azimi dans Le Monde - 9 avril 2024

 

Le dispositif, lancé en 2022, par la commune des Yvelines vise à encourager l’accès à la culture des adolescents.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/09/a-trappes-les-jeunes-se-font-ambassadeurs-culturels-de-la-ville_6226853_3246.html

Sur la scène du théâtre et centre d’art L’Onde, à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), neuf danseurs s’agrippent et s’éloignent, s’apostrophent et s’esclaffent, sous l’œil bienveillant d’une femme aux longs cheveux blancs. Calé dans son fauteuil, Aziz, 13 ans, croque dans son sandwich sans perdre une miette de l’entraînant Portrait, signé du chorégraphe Mehdi Kerkouche. « L’ambiance est très bizarre », chuchote le collégien à sa voisine. « Chut ! », lui intime un spectateur. Un siège plus loin, Kande, 13 ans elle aussi, gratte son cahier. « Le spectacle paraissait bien, les gens dansaient et bougeaient. On aurait dit une secte bizarre, mais c’était bien, ils n’arrêtaient pas de balancer et de tourner », a-t-elle griffonné, surlignant certains mots avec des feutres violet, vert et bleu. « J’aurai plein de choses à écrire au retour », murmure l’adolescente à sa sœur jumelle, Assita. « Moi, ça me fait penser à carpe diem, le temps qui passe », extrapole cette dernière, poétique.

Aziz, Kande et Assita font partie de la troisième promotion des jeunes ambassadeurs culturels (JAC) de Trappes (Yvelines). Pendant une saison, une trentaine de jeunes Trappistes assistent à des spectacles en Ile-de-France avant d’en sélectionner plusieurs, qui seront programmés l’année suivante à la halle culturelle La Merise.

 

Dans cette commune populaire de 32 000 habitants, qui a vu émerger une génération de stars, comme l’humoriste Jamel Debbouze, le rappeur La Fouine et le comédien Omar Sy, mais dont sont aussi originaires une soixantaine de djihadistes qui, de 2014 à 2016, ont rejoint les rangs de l’organisation Etat islamique, la mairie fait mieux que transformer ses plus jeunes administrés en consommateurs de la culture. « On veut sensibiliser les jeunes à des univers artistiques et à des lieux auxquels ils pensent ne pas avoir accès, mais aussi les aider à développer leur propre argumentaire, se mettre dans la peau d’un programmateur culturel et décider ce qui, à leurs yeux, serait bon à voir pour leur communauté », résume Yohann Nivollet, directeur de la culture à Trappes. Et aussi piquer suffisamment leur curiosité pour leur donner envie d’aller plus loin, par eux-mêmes.

 

Partenariat avec la Comédie-Française

« La culture, ce n’est pas un luxe, c’est un droit, martèle le maire, Ali Rabeh, qui dégage chaque année 35 000 euros pour financer l’opération. Mon obsession, c’est que les gamins aient accès à ce que je n’ai pas eu à leur âge. » Grandi en politique dans le giron de Benoît Hamon, qu’il a suivi à Génération.s après son départ du Parti socialiste, lui-même n’a découvert le théâtre qu’à l’âge de 27 ans – « et encore, c’était pour accompagner mon enfant ». Aussi l’édile a-t-il sauté sur l’occasion de nouer, en 2023, un partenariat avec la Comédie-Française, permettant à 2 500 jeunes Trappistes de découvrir gratuitement des dizaines de pièces pendant trois ans.

 

C’est Alain Degois, surnommé « Papy », qui lui a soufflé l’idée de ce jumelage, comme il a encouragé le lancement, en 2022, des JAC. « Je suis le plus vieux des jeunes ambassadeurs de la culture », blague cette figure locale, connue pour avoir révélé Jamel Debbouze au Déclic Théâtre, la compagnie d’improvisation qu’il a fondée en 1993. « Missionnaire de la culture laïque », selon ses mots, l’inlassable militant croit dur comme fer dans la méthode : « C’est une façon de dire aux jeunes : l’espace culturel est aussi à vous. On croit en vous, en votre intelligence et en votre perception du monde. »

 

Les deux premières années, les équipes municipales embarquaient les adolescents, à l’instar d’une colonie de vacances, au Fest’arts, le festival international des arts de la rue de Libourne (Gironde), et au festival Au bonheur des mômes du Grand-Bornand (Haute-Savoie). Le dispositif, toutefois, ne touchait que les jeunes déjà passionnés de culture. Car les freins, symboliques et géographiques, restent puissants. Apprendre à vaincre le poids des représentations et des codes n’a rien d’aisé. S’aventurer hors de son quartier, prendre le RER pour Versailles ou Paris ne va pas de soi.

 

 

Pour ferrer les moins captifs, accros au ballon ou aux consoles de jeux, les animateurs jeunesse de la ville ont été appelés cette année en renfort afin de bâtir six parcours autour du spectacle vivant, de la danse, du cinéma, des musiques actuelles, de la littérature et de la comédie. Rompue à la psychologie adolescente, Sandra Fekir déroule ses arguments : « Je leur dis : “Tu fais quoi vendredi soir ? Rien ? Tu ne veux pas faire autre chose que rester seul chez toi sur ta PlayStation ?” »

Pouvoir transformateur

Pauline Crépy, responsable adjointe de La Merise, le sait. Pour attirer les réticents, il faut « associer la culture au plaisir ». Une sortie dans un théâtre parisien s’accompagne parfois d’un dîner dans un café. Quant au programme, il obéit à un savant dosage de spectacles populaires et exigeants. Car tout l’enjeu, « c’est de ne pas les perdre en cours de route », ajoute-t-elle. Pour harponner les JAC 2024, elle a trouvé un « argument massue » : Le Roi Lion, au Théâtre Mogador, à Paris.

 

La comédie musicale estampillée Disney a captivé Aziz, regard espiègle, la tchatche qui va avec. « Je me sentais riche, les gens autour de nous étaient en costard-cravate, ils avaient tous payé le prix fort, alors que, pour nous, c’était gratuit, savoure-t-il. Tout est intelligent, bien pensé, les décors sont sublimes. C’est un peu long, mais t’es sûr que tu ne vas pas t’endormir. A côté, tout le reste est fade. » Enfin, presque tout, rectifie le volubile garçon, également bluffé par 3D, un spectacle de cirque à l’Espace Alphonse-Daudet, à Coignières (Yvelines), qui a fait l’unanimité dans le groupe. Du haut de ses 17 ans, Linda a préféré Cendrillon, un opéra de Jules Massenet joué à l’Opéra Bastille, à Paris. « C’était vraiment un autre monde, tout était grand, tout était beau », se souvient-elle, les yeux brillants. Aziz acquiesce : « Les décors étaient magnifiques, surtout le cœur qui brillait. Mais je n’ai pas aimé le chant, qui partait trop dans les aigus, et j’avais mal aux yeux à force de lire les sous-titres. »

 

Quoique conscient de ne pas atteindre la frange la plus radicalisée des Trappistes, M. Rabeh veut croire dans le pouvoir transformateur de la culture. « Pour certains, c’est juste un intermède, mais, pour d’autres, ça va changer leur vie. » Yasmine Khiari, 21 ans, première génération des JAC, inscrite en 2022, le confirme : il y a un avant et un après. « Avant, je n’allais pas de moi-même au théâtre. Ce n’est pas que j’en avais pas envie, je n’y pensais tout simplement pas, confie l’étudiante en promotion immobilière, vacataire à La Merise en parallèle de ses études. Maintenant, prendre une place à la Comédie-Française, ça me semble banal » − la salle parisienne propose des places à 10 euros pour les moins de 28 ans. Conquise, elle a inscrit cette année sa sœur de 18 ans au parcours littérature des JAC. « Elle est déjà mordue ! »

 

Roxana Azimi

 

Légende photo : Présentation du dispositif Jeunes ambassadeurs culturels aux candidats de la saison 2024 au Conservatoire de Trappes (Yvelines), le 12 janvier 2024. VILLE DE TRAPPES

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« Nom » ou le droit de vivre libre

« Nom » ou le droit de vivre libre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog - 8 avril 2024

 

« Nom » ou le droit de vivre libre
Seule en scène sur un plateau entièrement nu, Victoria Quesnel se lance dans une poursuite effrénée de liberté, une quête absolue de soi, époustouflante d’intensité et de rage. Adapté du troisième roman de Constance Debré, « Nom » est un combat, celui d’une femme contre les faux-semblants d’une société qui se ment à elle-même. À quel point peut-on vivre libre ?

 

« J’ai un programme politique.

Je suis pour la suppression de l’héritage, de l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants, je suis pour la suppression de l’autorité parentale, je suis pour l’abolition du mariage, je suis pour que les enfants soient éloignés de leurs parents au plus jeune âge, je suis pour l’abolition de la filiation, je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut. »

 

D’abord, il y a les mots, ceux qui sont projetés sur le mur en fond de scène et qui, tel un prologue, mettent en garde, préviennent, quant à ce patronyme encombrant : cela aurait pu être n’importe quel nom, n’importe quelle famille, l’histoire aurait été la même. C’est l’histoire d’une mue, une transition vers la liberté, l’amour, l’absolu. L’histoire d’une urgence, celle éprouvée par Constance Debré, dont l’œuvre littéraire fait l’objet d’une première adaptation au théâtre à travers la proposition du jeune metteur en scène Hugues Jourdain qui s’empare de « Nom », troisième roman autobiographique, l’aboutissement d’une quête de liberté, une quête de soi, entamée avec « Playboy » en 2018 et « Love me tender » en 2020.

 

 

« Le Christ a une gueule d’assassin et il porte des Nike Requin, je l’ai croisé souvent, je l’ai croisé dans les taules et les tribunaux, devant les juges… » C’est par ces mots que commence la pièce. Avant de devenir autrice, Constance Debré était avocate. Issue d’une famille de la grande bourgeoisie française, petite-fille de Michel Debré, premier ministre de Charles de Gaulle, nièce du ministre Jean-Louis Debré et du médecin Bernard Debré, elle va se défaire de son milieu, tout quitter. Dans quelques instants, Victoria Quesnel incarnera, seule sur scène, le personnage du roman avec une incroyable puissance, une force bien nécessaire pour porter le récit qui vient, celui d’un dépouillement extrême, un renoncement pour une renaissance. S’émanciper vraiment. S’émanciper de tout : condition sociale, travail, mode de vie, famille… « Mes affaires tiennent dans deux sacs. Je jette quand ça déborde[1] » dit-elle. « Règle morale. Règle esthétique ». Dans l’œuvre littéraire qu’elle élabore depuis 2015, Constance Debré épure, fait le vide, liquide sa vie d’avant. Seule désormais, elle essaie de trouver un moyen de vivre comme elle l’entend, loin des simulacres de la société. Du mieux qu’elle peut, être vraie. Accorder ses actions avec ses convictions nécessite de se battre contre les impensés. Elle accompagne ici son père dans la mort en dehors des voies convenues, sans tabou ni langue de bois, contrairement à sa sœur qui, comme dans un jeu de miroir inversé, en prendra le contrepoint en faisant tout ce qu’on attend d’elle.

 

Une soif éperdue de liberté

 

Si le texte se veut libérateur, il dit des choses qui questionnent, qui peuvent agresser parfois. Les écrits de Constance Debré autorisent à penser par soi-même, en tout cas ils démontrent cette possibilité et c’est vertigineux.  Elle dit tout, assène tout, convaincue de détenir la vérité. Le spectacle tente de montrer cela, la vérité de quelqu’un qui essaie de trouver la vérité, une mise à nu bouleversante dans la force mais aussi la vulnérabilité qu’elle offre au monde. La mise en scène s’efface devant le texte si puissant. Être au plus près de soi, se laisser traverser, nécessite de se délester des contraintes matérielles. Sur le plateau laissé vide, seuls une chaise et une paire de Nike requins serviront d’accessoires, Victoria Quesnel – vu chez Julien Gosselin et très récemment dans la création française de « Finlandia » de Pascal Rambert – déploie la pensée et les mots de Constance Debré. Crus, violents, implacables, ils sont prononcés sans le moindre regret par un « corps vivant, seul sur scène, qui dit « Je » et se propose en héros » explique Hugues Jourdain dans sa note d’intention. Ils vont jusqu’à chercher à tuer les symboles : « Ma chance ce n’est pas ma famille de ministres. Ma vraie chance, celle vraiment que tout le monde devrait m’envier, c’est les parents camés ».  

La pièce est née de la rencontre entre Victoria Quesnel et Hugues Jourdain, de l’envie de travailler ensemble et d’une profonde admiration pour le travail de Constance Debré, en particulier pour ce troisième roman. Elle est toutefois augmentée de scènes provenant de ses romans précédents : lorsqu’elle explique son besoin vital de natation, seule activité régulière qui lui permet aussi de prendre conscience du temps : « Alors je nage tous les jours, je ne réfléchis même plus. Je le fais et puis c'est tout. C'est ma discipline, ma méthode, ma folie pour échapper à la folie  [2] ». Si le titre fait bien sûr référence au patronyme de Constance Debré, il s’entend aussi, dans le jeu de l’homonymie, comme le refus, la négation de ce patronyme. « …c’est rien le nom, c’est comme la famille, c’est comme l’enfance, je n’y crois pas, je n’en veux pas… » dit-elle. Peut-on vivre et aimer plus librement ? Quel en est le prix à payer ? À quel point peut-on vivre libre ? La pièce et le texte font naitre chez le spectateur quelque chose d’essentiel, la conscience amère de l’absurdité du monde. « Je trahis pour prouver que la base du monde est un mensonge » dit-elle, « qu’il faut tout réinventer, mais qu’avant il faut tout détruire, que si on veut pouvoir se regarder dans la glace une fois avant de mourir, il faut tout passer par l’acide, l’essence et le feu, avoir fait ça ». On ne sort pas indemne de la pièce, pourtant, on ne s’est jamais senti aussi vivant.

 

Guillaume Lasserre

 

 

[1] Constance Debré, Nom, Paris, Flammarion, 2022, 176 pp.

 

[2] Constance Debré, Love Me Tender, Paris, Flammarion, 2020, 192 pp.

 

NOM - Adapté du roman de : Constance Debré. Mise en scène : Hugues Jourdain. Avec : Victoria Quesnel. Création lumière : Coralie Pacreau. Création sonore : Hippolyte Leblanc. Création musicale : Samuel Hecker. Régie générale à la création : Roméo Rebière. Administratrice de production : Virginie Hammel / Le Petit Bureau. Texte publié aux éditions Flammarion. Production Cie Je t’embrasse bien. Coproduction Maison du Théâtre d’Amiens MétropoleAvec l'aide à la diffusion de la Ville de Paris. Avec le soutien du Channel – Scène nationale, Malakoff – Scène nationale, Théâtre Ouvert - CNDC. Compagnie en résidence à la Maison du Théâtre d’Amiens Métropole. Spectacle créé le 16 janvier 2024 à la Maison du Théâtre à Amiens, vu le 5 avril 2024 au Théâtre du Rond-Point, Paris.

 

Théâtre du Rond-Point Paris, du 19 mars au 6 avril 2024.

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Ulysse déconstruit au Vieux-Colombier

Ulysse déconstruit au Vieux-Colombier | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 8 avril 2024

 

Dans « Trois fois Ulysse », Claudine Galea explore les zones d'ombre du héros grec et rend hommage aux femmes puissantes qui l'ont façonné. Son texte, répétitif et ampoulé, peine à convaincre. Transformé en oratorio tragique par la metteuse en scène Laëtitia Guédon, le spectacle est sauvé partiellement par le jeu des comédiens-français et le beau chant du choeur Unikanti.

 

« Hécube, Pas Hécube », la tragédie d'Euripide revisitée par Tiago Rodrigues, sera créée cet été au Festival d'Avignon par la troupe de la Comédie-Française dans le cadre magique de la Carrière de Boulbon. Mais, dès ce mois d'avril, la reine de Troie transformée en chienne déploie sa vindicte sur la scène de Vieux-Colombier, deuxième salle du Français. Avec Calypso et Pénélope, elle est l'une des trois héroïnes de la pièce de Claudine Galea, inspirée de l'Odyssée, « Trois fois Ulysse ».

Tentative de déconstruction du héros grec, elle prend la forme d'un poème lyrique, voire d'un oratorio. La metteuse en scène Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages, a en effet adjoint aux six comédiens-français (dont trois Ulysse), huit chanteurs du choeur de chambre Unikanti.

Décor symbolique

L'argument est simple : en étant confronté à trois femmes qui ont marqué son odyssée, Ulysse dévoile sa vraie nature et ses zones d'ombre. Face à Hécube, humiliée et trahie, il est ce jeune guerrier, fou de conquête et brutal derrière son allure aimable. Face à la nymphe Calypso qui l'a ensorcelé, il montre son caractère pusillanime et dépressif avant de la quitter subitement et de reprendre la mer. Face à sa femme Pénélope, qu'il retrouve à Ithaque, il est ce héros vieilli qui a surfé toute sa vie sur le temps perdu et marche vers la mort.

 

 

Le texte recèle quelques beaux passages. Mais, répétitif et ampoulé, il s'avère indigeste à la longue. Succession de monologues, il impose aux acteurs un jeu déclamatoire périlleux. Laëtitia Guédon fait ce qu'elle peut pour créer une atmosphère onirique et opératique. Son décor symbolique - un crâne de cheval géant qui pivote pour révéler la grotte de Calypso ou une colline d'Ithaque, des vidéos de ciels et de mer impressionnistes - ne manque pas de charme. Le côté oratorio est plutôt bien maîtrisé. Mais cela ne suffit pas à maintenir l'attention durant toute la représentation.

On se consolera avec les belles envolées du choeur Unikanti qui nous balade d'un chant araméen au traditionnel breton Tri Martolod. Et on appréciera la performance de la troupe, attachée à faire vibrer les mots de cette odyssée postmoderne : Clotilde de Bayser, reine déchue vibrante de colère ; Eric Génovèse (qui sera aussi de l'aventure avignonnaise), Ulysse anéanti et revenu de tout ; Séphora Pondi, lumineuse Calypso… Avec le plaisir de découvrir en scène un jeune pensionnaire plein de promesses : Sefa Yeboah, qui campe avec charisme un Ulysse fougueux et tragique.

Philippe Chevilley / LES ECHOS

 

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Anne Tanguy accède à la direction du Quartz, scène nationale de Brest

Anne Tanguy accède à la direction du Quartz, scène nationale de Brest | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'Artcena  - 19 avril 2024

 

De ses années d’études en géo-architecture vécues à Brest, Anne Tanguy conserve un souvenir marquant, auquel Le Quartz est nullement étranger. « Découvrir cette salle à l’histoire exceptionnelle a complètement bouleversé mon parcours », confie-t-elle.

 

 

Fédérateur, son projet se construira autour de trois valeurs cardinales : la coopération, l’altérité et la solidarité envers les artistes.

De ses années d’études en géo-architecture vécues à Brest, Anne Tanguy conserve un souvenir marquant, auquel Le Quartz est nullement étranger. « Découvrir cette salle à l’histoire exceptionnelle a complètement bouleversé mon parcours », confie-t-elle. C’est pourquoi la nouvelle directrice de la scène nationale se réjouit aujourd’hui de renouer avec un territoire artistiquement et culturellement très riche, mais aussi de disposer d’un magnifique outil rénové après trois ans de travaux impulsés par des partenaires (Ville, Métropole, Région et Département) qui ont fortement contribué, et contribuent encore, à son rayonnement sur les plans régional, national et international.

Dans la lignée de ses prédécesseurs, proche (Matthieu Banvillet) ou plus lointain (le tout premier directeur, Jacques Blanc), Anne Tanguy poursuivra le « travail exemplaire » accompli sur les champs de la danse et des musiques populaires en maintenant – tout en les réinterrogeant – ces deux festivals emblématiques que sont No Border et Dañsfabrik. Durant la saison, son goût de l’éclectisme la portera vers des propositions pluridisciplinaires (le théâtre et la marionnette, entre autres)

 

comme transdisciplinaires (un axe qu’elle a beaucoup creusé à la scène nationale de Besançon), aptes aussi à rassembler un large public. Une nécessité, compte tenu de la jauge conséquente – 1 500 places, l’une des plus grandes de l’Hexagone – du Quartz. « Je ferai en sorte d’allier spectacles fédérateurs et productions audacieuses, afin de former non pas le public de demain, mais celui d’aujourd’hui », ajoute la directrice, qui introduira également une programmation jeune public et familiale, jusqu’ici peu présente. Cette inflexion satisfera un double objectif : favoriser, dès l’enfance, la rencontre avec l’art, et attirer de nouveaux spectateurs qui fréquentent rarement la scène nationale en famille. Enfin, l’accueil de productions internationales reposera sur la coopération avec d’autres scènes et festivals, notamment européens, Anne Tanguy initiant, par exemple, un jumelage avec Charleroi Danse à Bruxelles.

 

Plus globalement, sa démarche s’articulera autour de trois fondamentaux appliqués à l’ensemble des activités du Quartz. « L’Alliance » tout d’abord, illustre une volonté de consolider les partenariats avec des lieux de dimensions diverses, des associations, des compagnies et des structures sociales afin de mener des actions culturelles mais aussi optimiser la production et la diffusion. « L’Altérité » ensuite s’incarnera dans l’ouverture du lieu à de multiples usages, d’ores et déjà induite par l’organisation régulière de congrès dans l’établissement. « Partager l’équipement avec d’autres professionnels issus de secteurs différents est très enrichissant et permet d’éviter l’écueil de l’entre soi », fait valoir Anne Tanguy ; laquelle mettra aussi à profit les nouveaux espaces de convivialité aménagés lors de la rénovation du Quartz. « La Solidarité » enfin s’exercera en priorité à l’adresse des artistes, la scène nationale prévoyant une augmentation du budget de production. En matière de diffusion, la directrice s’attachera à développer une permanence artistique (gage de diversification des publics), grâce à la présence d’artistes associés (dont Nina Laisné et Renaud Herbin), la mise en œuvre de résidences d’infusion in situ et de projets culturels de territoire. Ces derniers seront facilités par la dynamique partenariale qui s’est amplifiée à la faveur de plusieurs saisons passées par Le Quartz hors les murs. Désireuse de promouvoir d’autres modes d’action culturelle, Anne Tanguy accordera une attention particulière aux quartiers populaires brestois, imaginant avec eux des jumelages sur plusieurs années.

 

 

Dans le déploiement de cet ambitieux et foisonnant projet, qui suscite de nombreuses attentes, la nouvelle directrice entend « avancer tranquillement », au regard des turbulences provoquées au sein de l’équipe par le départ prématuré de Maïté Rivière en mars 2023. Grâce à « l’intérim remarquable » réalisé par Paul-Jacques Hulot, elle se dit néanmoins confiante en l’avenir, assurée de pouvoir s’appuyer sur des collaborateurs et des partenaires partageant son enthousiasme et sur la fidélité non démentie du public depuis la réouverture du Quartz voici quelques mois. 
 

 

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Virginie Colemyn, une comédienne en ses variations poétiques

Virginie Colemyn, une comédienne en ses variations poétiques | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 18 avril 2024

 

L’actrice, dont le jeu marie précision et virtuosité, tragique et comique, est à l’affiche du Théâtre de l’Odéon, à Paris, dans la reprise de la pièce d’Arne Lygre, « Jours de joie », mise en scène par Stéphane Braunschweig.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/18/virginie-colemyn-une-comedienne-en-ses-variations-poetiques_6228522_3246.html

Virginie Colemyn s’assied en face de vous, dans un grand café du centre de Paris, et d’emblée s’installe un sentiment de douce étrangeté. Sur elle, vous ne trouverez ni fiche Wikipédia ni notice biographique. Pas de traces non plus sur les réseaux sociaux. Pour un peu, la comédienne de 52 ans passerait sous les radars. Et pourtant, depuis vingt ans, les critiques de théâtre rivalisent de superlatifs – dans ces colonnes et ailleurs – pour saluer son talent : « subjuguante », « bluffante », « irradiante », « hors normes », « formule 1 », « douée d’une infinie palette de jeu »… N’en jetez plus.

A chacune de ses apparitions – trop rares –, Virginie Colemyn imprime quelque chose de fort et d’inédit. C’est le cas dans Jours de joie, d’Arne Lygre, un spectacle de Stéphane Braunschweig aujourd’hui repris aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, à Paris, que l’on peut aller voir pour elle. Pour voir ce qu’est un rire gorgé de larmes : l’incarnation d’une joie qui se cherche et résiste au milieu de l’impuissance éprouvée face à un monde qui semble chaque jour courir un peu plus vers l’abîme.

 

De ce drôle de parcours dans le théâtre français, qui jusque-là ne lui a pas fait la place qu’elle mérite, malgré de beaux compagnonnages avec Ariane Mnouchkine, Gwenaël Morin ou le plasticien Christian Boltanski (1944-2021), elle parle avec des mots concrets et poétiques, entourés de silence. Elle ne prononcera pas le terme de « transfuge de classe », trop sociologique pour elle. Mais elle s’interroge sur une forme d’endogamie du théâtre français, elle qui est née dans les quartiers nord et gitans de Bordeaux, et dans une « grande famille du monde ouvrier ».

« En perpétuel décalage »

Sa mère tenait un salon de coiffure, et ce fut son premier théâtre. « Elle coiffait des entraîneuses et des bourgeoises. C’est l’endroit où j’ai beaucoup écouté et regardé la vie, un univers de femmes que j’ai retrouvées ensuite dans le cinéma de Chantal Akerman que j’aime tant », raconte-t-elle. Comme beaucoup d’autres à qui l’art n’a pas été offert en héritage, elle a découvert le théâtre grâce à une professeure de français. Et dès le jour de cette « épiphanie » vécue à 12 ans, elle s’est consacrée à l’art dramatique, corps et âme.

Le chemin ne fut pas simple. « Je n’avais pas les codes, j’étais en perpétuel décalage », constate-t-elle. Elle intègre néanmoins la classe libre du Cours Florent, où le célèbre pédagogue la surnomme sa « petite Meryl Streep ». « Je n’ai jamais compris s’il faisait allusion à sa capacité de convoquer l’émotion ou à sa faculté de transformation », s’interroge Virginie Colemyn. Elle, ce qu’elle veut, c’est entrer au Théâtre du Soleil : « J’avais vu Les Atrides mis en scène par Mnouchkine, qui avait provoqué chez moi une forme de sidération. L’impression d’une splendeur totale, d’acteurs comme des dieux volant sur le plateau… Une odyssée dans laquelle je rêvais de m’inscrire. »

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Le chemin sera encore long : il passera par l’Ecole Jacques Lecoq, ouverte sur d’autres formes de création que le théâtre classique à la française. Elle y découvre la notion de « fonds poétique commun », qui continue de la nourrir aujourd’hui. Et elle entre enfin au Soleil, en 2002, à 31 ans, où l’on découvrira son talent singulier dans Le Dernier Caravansérail (2003) et, surtout, dans Les Ephémères (2006), magnifique création collective de la troupe. « Les années les plus belles de ma vie, des années de rêve », dit-elle, songeuse. Se brûle-t-on quand on est trop près du Soleil ? Au bout de cinq ans, elle quitte la troupe d’Ariane Mnouchkine. « Je ne me voyais pas y rester trente ans, comme d’autres », répond-elle, laconique. « Mais j’ai gardé du Soleil le goût de l’exigence, de la discipline, du rituel. »

Goût de la troupe et de l’épique

Le goût de la troupe et de l’épique, aussi, qui l’amène à une autre rencontre capitale : celle, en 2009, avec le metteur en scène Gwenaël Morin, qui lance aux Laboratoires d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) son Théâtre permanent, un des rares gestes révolutionnaires qu’ait connus le théâtre français depuis trente ans. « Faire du théâtre avec lui, c’est un peu comme être à cru sur un cheval, s’amuse-t-elle. Morin est un metteur en scène nietzschéen : il lui faut du feu, de l’incandescence, et des acteurs peu soucieux de leur image. C’est très subversif et très reposant par rapport à l’imagisme actuel : c’est de nouveau l’enfance, le bac à sable. L’imaginaire carbure, tout est possible dans un grand dénuement. »

Virginie Colemyn accompagne l’aventure, avec ses hauts et ses bas, pendant quinze ans, jusqu’à ce Songe shakespearien en folie, créé au Festival d’Avignon en 2023, dans lequel elle atteint des sommets dans l’alliage entre l’improbable et le sublime, un art dans lequel elle est désormais passée maîtresse. « Comme le disent les sorcières de Macbeth, le beau est laid, le laid est beau », lance-t-elle comme un manifeste.

 

Entre-temps, elle a croisé l’univers plus sage de Stéphane Braunschweig, dans lequel elle amène une dissonance, une vibration poétique qui manquent parfois aux spectacles du directeur de l’Odéon. Qu’il s’agisse de jouer Tennessee Williams, Shakespeare, Racine ou les pièces ludiques, abstraites et mystérieuses de l’auteur norvégien Arne Lygre. « C’est un théâtre qui offre la possibilité de déployer une palette très riche. Tout miroite, tout est instable dans ses dispositifs textuels, c’est un peu comme un courant alternatif. Les deux mères que je joue sont malaisantes, à l’intérieur de codes assez classiques. »

Ce parcours à trous et à fulgurances a formé un art d’actrice bien particulier, qui marie précision et virtuosité, tragique et comique, avec une immense liberté. « Il y a quelque chose du clown chez elle, une part d’enfance très forte, très belle, une sorte d’étonnement fondamental », dit d’elle la réalisatrice Emmanuelle Mougne, qui l’a fait tourner dans son film La Vie naturelle du pou (2020). Sur le « fonds poétique commun », Virginie Colemyn joue bien ses propres variations. « La scène, c’est l’endroit du monde où je ne me sens pas errante », avoue-t-elle dans un souffle.

 

Voir le teaser vidéo de "Jours de joie" 

 

 

Jours de joie, d’Arne Lygre. Mise en scène : Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris 17e, du 20 avril au 5 mai.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE 

Légende photo : Virginie Colemyn, le 13 avril 2024, à Paris. CAROLE BELLAÏCHE

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Au collège Léo-Lagrange, à Charleville-Mézières, le théâtre comme « bulle » d’évasion et d’émotions

Au collège Léo-Lagrange, à Charleville-Mézières, le théâtre comme « bulle » d’évasion et d’émotions | Revue de presse théâtre | Scoop.it

REPORTAGE de Sandrine Blanchard dans Le Monde - 16 avril 2024

 

Dans l’établissement ardennais, à l’initiative d’un enseignant, les élèves volontaires s’initient avec bonheur à la pratique scénique, qu’Emmanuel Macron entend étendre au niveau national.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/16/au-college-leo-lagrange-a-charleville-mezieres-le-theatre-comme-bulle-d-evasion-et-d-emotions_6228199_3246.html

« Cela m’aide à être moins timide, à m’ouvrir aux autres. Ici, je me sens bien, je ne suis pas stressée, ni oppressée, c’est comme une bulle. » Ainsi parle Ambre, élève de 3e au collège Léo-Lagrange de Charleville-Mézières, quand on lui demande pourquoi elle a ajouté « théâtre » à son emploi du temps. Dans cet établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire), c’est Fayçal Abderrezek, professeur de français, qui anime cet atelier depuis 2008. Chaque lundi et vendredi, après les cours, Ambre, Rachid, Yzae, Juan, Aaliyah, Madison, Eléa… âgés de 11 à 16 ans, poussent les tables du réfectoire, s’installent en cercle avec lui, partagent un goûter, puis se lancent pendant une heure trente dans des exercices d’improvisation et de répétitions théâtrales. « Cela m’aide à mieux montrer mes émotions », se réjouit Rachid, élève de 6e. « Cela me permet d’être plus à l’aise pour parler devant des gens et puis ça donne plus d’idées et de mots pour les rédactions », complète Yzae, élève de 4e.

 
 

Combien y a-t-il en France d’ateliers, de clubs ou de troupes de théâtre dans les collèges et d’enseignants impliqués comme Fayçal Abderrezek ? Faute d’état des lieux, les ministères de l’éducation nationale et de la culture ne sont pas en mesure d’apporter une réponse. « On ne part pas de rien, mais il n’existe pas de statistiques au niveau national sur les pratiques théâtrales dans les établissements scolaires », explique-t-on Rue de Grenelle. Pourtant, développer le théâtre à l’école est devenu une injonction présidentielle. « Je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine. Parce que cela donne confiance, cela apprend l’oralité, le contact aux grands textes », déclarait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier.

 

 

« Cela m’aide à être moins timide, à m’ouvrir aux autres. Ici, je me sens bien, je ne suis pas stressée, ni oppressée, c’est comme une bulle. » Ainsi parle Ambre, élève de 3e au collège Léo-Lagrange de Charleville-Mézières, quand on lui demande pourquoi elle a ajouté « théâtre » à son emploi du temps. Dans cet établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire), c’est Fayçal Abderrezek, professeur de français, qui anime cet atelier depuis 2008. Chaque lundi et vendredi, après les cours, Ambre, Rachid, Yzae, Juan, Aaliyah, Madison, Eléa… âgés de 11 à 16 ans, poussent les tables du réfectoire, s’installent en cercle avec lui, partagent un goûter, puis se lancent pendant une heure trente dans des exercices d’improvisation et de répétitions théâtrales. « Cela m’aide à mieux montrer mes émotions », se réjouit Rachid, élève de 6e. « Cela me permet d’être plus à l’aise pour parler devant des gens et puis ça donne plus d’idées et de mots pour les rédactions », complète Yzae, élève de 4e.

 
 

Combien y a-t-il en France d’ateliers, de clubs ou de troupes de théâtre dans les collèges et d’enseignants impliqués comme Fayçal Abderrezek ? Faute d’état des lieux, les ministères de l’éducation nationale et de la culture ne sont pas en mesure d’apporter une réponse. « On ne part pas de rien, mais il n’existe pas de statistiques au niveau national sur les pratiques théâtrales dans les établissements scolaires », explique-t-on Rue de Grenelle. Pourtant, développer le théâtre à l’école est devenu une injonction présidentielle. « Je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine. Parce que cela donne confiance, cela apprend l’oralité, le contact aux grands textes », déclarait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier.

 
Le président de la République et son premier ministre ont tous deux fréquenté des ateliers théâtre dans leur jeunesse et en connaissent les bienfaits. Au lycée jésuite de La Providence à Amiens, Emmanuel Macron a suivi celui de sa professeure de français et future épouse Brigitte Trogneux et a joué, à 15 ans, dans l’adaptation de La Comédie du langage, de Jean Tardieu. A l’Ecole alsacienne à Paris, Gabriel Attal est monté sur scène tout au long de sa scolarité. « J’en ai fait dès le CE2 et j’interprétais “Le Chat botté”. Au collège, j’ai joué Molière, Goldoni… Je n’ai pas l’impression pour autant de camper aujourd’hui un personnage en politique, mais ces expériences m’ont aidé en termes de gestion du trac et de prise de parole publique », développait-il en août 2023 dans une interview au magazine Gala.
 
Le président de la République et son premier ministre ont tous deux fréquenté des ateliers théâtre dans leur jeunesse et en connaissent les bienfaits. Au lycée jésuite de La Providence à Amiens, Emmanuel Macron a suivi celui de sa professeure de français et future épouse Brigitte Trogneux et a joué, à 15 ans, dans l’adaptation de La Comédie du langage, de Jean Tardieu. A l’Ecole alsacienne à Paris, Gabriel Attal est monté sur scène tout au long de sa scolarité. « J’en ai fait dès le CE2 et j’interprétais “Le Chat botté”. Au collège, j’ai joué Molière, Goldoni… Je n’ai pas l’impression pour autant de camper aujourd’hui un personnage en politique, mais ces expériences m’ont aidé en termes de gestion du trac et de prise de parole publique », développait-il en août 2023 dans une interview au magazine Gala.


La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours, Joconde jusqu’à cent, Candide, L’Auberge rouge, Arrête ton cinéma… Dans une salle de classe, un mur est recouvert des affiches des spectacles créés au fil des ans grâce à l’atelier. Fayçal Abderrezek aime écrire et mettre en scène. Chaque année, il monte un projet nouveau en adaptant un roman ou une pièce classique. « Ce type d’atelier se monte assez facilement mais demande beaucoup de temps et de l’investissement personnel, c’est important d’y trouver du plaisir », insiste l’enseignant.

C’est pourquoi, selon lui, « on ne peut pas dire “faites du théâtre !” en l’imposant, ça ne marchera ni du côté des élèves ni du côté des professeurs ». Le chef d’établissement est sur la même longueur d’onde. L’injonction présidentielle d’un « passage obligé » le laisse dubitatif. « Quelle est l’ambition ? Qu’est-ce qui est attendu ? C’est une belle idée dans la construction de l’élève mais ça dépend énormément du dévouement de l’enseignant et du projet. Pourquoi systématiser ? Chaque élève peut se réaliser dans des disciplines différentes, la danse, la musique, etc. »

 

Philippe Guyard, directeur de l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale, qui rassemble depuis quarante ans artistes et enseignants engagés dans des actions de transmission du théâtre en milieu scolaire, constate que l’annonce présidentielle « a suscité davantage de crainte que d’adhésion. Il faudrait partir des forces vives existantes, réfléchir au cadre des partenariats artistiques et faire de la pédagogie de projet, liste-t-il. L’enjeu est la pratique, pas seulement d’aller voir des spectacles. Beaucoup d’enseignants seraient prêts à s’investir car ce type de projet donne du souffle, permet de retrouver du sens par le sensible ».

Cinq représentations de fin d’année

Cette année, deux spectacles sont montés au collège Léo-Lagrange : l’adaptation de Cendrillon, de Joël Pommerat, et d’Ubu roi, d’Alfred Jarry. C’est l’enseignant qui a distribué les rôles. Aaliyah, élève en 6e, jouera Cendrillon. « C’est amusant de jouer pour de faux », se réjouit-elle. Madison, elle, interprétera la reine Rosemonde et s’amuse beaucoup à chercher « la bonne interprétation et les bonnes intonations pour dégager des émotions ».

Les cinq représentations de fin d’année, « cet enjeu de la réussite collective », comme le résume le professeur, est la grande affaire de l’atelier théâtre. Tout commence au premier trimestre par des exercices d’improvisation. Puis, pendant les vacances (en février et à Pâques) sont organisés trois jours de résidence au collège. « La première résidence permet de prendre conscience de l’avancée du projet, d’en éprouver le rythme et la seconde a pour objectif de s’achever par une quasi-répétition générale », détaille l’enseignant. Quant aux costumes, ils sont trouvés chez Emmaüs.

En parallèle, des sorties gratuites sont organisées au Théâtre de Charleville-Mézières grâce à la part collective du Pass culture. Au programme de cette année : Antigone, dans la mise en scène chorégraphique d’Emma Gustafsson et Laurent Hatat, et Dimanche, de Julie Tenret, Sicaire Durieux et Sandrine Heyraud, un spectacle jeune public, fable moderne sur l’urgence climatique mêlant marionnette et jeu théâtral. « Pour certains élèves, c’est leur première occasion d’aller au centre-ville », souligne le chef d’établissement.

Rencontrer des comédiens

Et aussi de rencontrer des comédiens. Si au collège de Charleville-Mézières, l’atelier théâtre est géré par un professeur, ailleurs, il peut aussi associer enseignants et comédiens. Combien d’artistes interviennent en milieu scolaire ? Impossible à savoir. Seule certitude, lorsqu’une compagnie fait une demande de subvention auprès des collectivités territoriales, le fait qu’elle participe à des actions culturelles auprès des jeunes peut jouer en sa faveur.

Dix ans déjà que Sébastien Nivault intervient, entre deux tournées, dans des établissements scolaires en association avec des scènes nationales. « Il faut faire preuve de patience, déconstruire l’image rideau rouge, vieillotte, que le théâtre peut avoir auprès des jeunes. Mais de cet espace collectif de liberté peuvent naître des histoires magnifiques et aider les jeunes à se dire “Je peux y entrer” quand ils passent devant un théâtre », témoigne ce comédien.



« L’atelier théâtre est un endroit où je fais aussi pleinement mon métier, ça me nourrit », considère Sébastien Nivault. Pour lui, la proposition présidentielle peut avoir le mérite de « pousser chaque artiste à se poser la question de l’intervention en milieu scolaire, mais le caractère obligatoire pour les élèves me fait peur car il risque de renforcer l’image poussiéreuse du théâtre ». Le ministère de l’éducation nationale vise désormais la rentrée 2026 pour mettre en place « une refonte globale des enseignements artistiques comprenant un enseignement de l’histoire de l’art et un renouvellement de l’apprentissage des pratiques artistiques : théâtre, musique, arts plastiques ».

Dans le réfectoire du collège Léo-Lagrange, les élèves écoutent avec attention les indications de leur professeur. Certains, au départ, avaient peur de l’ampleur du texte à apprendre. « En fait, constate Madison, ça passe crème parce qu’on le joue. »

 

 

Sandrine Blanchard  -  Charleville-Mézières, envoyée spéciale du Monde 

 

Légende photo : Atelier de théâtre au collège Léo-Lagrange, à Charleville-Mézières (Ardennes), le 9 avril 2024, avec, de gauche à droite, Nathanaël, Rachid et Madison. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »

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Véronique Felenbok : "Les artistes minorisés seront les premiers touchés"

Véronique Felenbok : "Les artistes minorisés seront les premiers touchés" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Oeil d'Olivier - 16 avril 2024

Fin mars, une enquête flash menée par LAPAS auprès d'administrateurs du spectacle augurait d'une casse inédite dans la saison à venir. Sa coprésidente, Véronique Felenbok, directrice de production et fondatrice du Bureau des filles, alerte des conséquences sur le secteur tout entier, et en premier lieu sur les artistes en position de minorité.

 

Le rapport de l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (LAPAS) est tombé à peu près en même temps que l’annonce de coupes drastiques dans le budget de la Culture… Comment avez-vous réagi à ces annonces ?

 

Ces coupes vont toucher tout le secteur, mais notre problème est ailleurs. Il est directement connecté au souci d’inflation qui se pose depuis qu’a augmenté le prix des matières premières. Nous l’avions identifié dès que nous avions collecté les retours du dernier Festival d’Avignon. En discutant entre adhérents de Lapas, nous nous étions aperçus aperçus que contrairement aux autres années, où les retours des professionnels en sortie de salle nous permettaient de projeter l’importance des tournées des spectacles présentés, cette fois, les programmateurs et programmatrices ne s’engageaient pas. Les mois passant, ces engagements ne venaient toujours pas. Finalement, la saison 24-25 n’a plus rien eu à voir avec ce que l’on pouvait projeter. 

Les résultats de votre enquête, qui concernent 272 artistes et compagnies de différentes disciplines, sont plutôt catastrophiques : -54% de représentations prévues pour 24/25 par rapport à la saison actuelle et 22% des artistes en passe de jeter l’éponge. Côté administration, ce sont 27% des bureaux de production et 40% des compagnies qui pensent devoir renoncer à ces emplois pourtant essentiels à leur bon fonctionnement…

 

Au niveau des compagnies que je produis, je compte une baisse encore plus importante des représentations prévues la saison prochaine : -64%. Ce que l’on ne comprenait pas, c’est pourquoi les chiffres que donnaient les structures étaient à ce point en-deçà de ce que nous pouvions noter au quotidien [l’ACDN prévoit entre 15% et 20% de baisse des dates—ndlr].

Comment en est-on arrivés là ?

Il y a plusieurs facteurs cumulés. L’inflation a impacté très durement les structures, avec l’augmentation des matières premières et d’autres éléments dont le transport et l’hébergement. À la suite, la négociation annuelle des salaires (NAO), indexant les salaires sur l’inflation, a fait augmenter les masses salariales. Ces augmentations, associées à des coupes catastrophiques des collectivités territoriales et de la DRAC, ont laissé une marge artistique très réduite. Celle-ci s’est d’abord manifestée dans la baisse des parts de coproduction. Déjà la saison dernière, les théâtres et les structures commençaient à donner des parts de coproduction nettement inférieures à celles qu’elles accordaient auparavant. Là où, avant, ils mettaient 10 000€, il donnent maintenant 5000€. Même s’il y a eu des indications de la part de l’ACDN et de l’association des Scènes nationales incitant leurs adhérents à pas donner de coproductions en-dessous de 10 000€, mais les compagnies peuvent témoigner depuis longtemps de parts de coproduction nettement inférieures. Désormais, c’est au niveau des tournées que cela devient catastrophique. Je pense que l’on doit s’attendre à une hécatombe. Pour l’heure, celle-ci n’est anticipée par personne. Un grand nombre d’artistes vont arrêter leurs compagnies : 22% dans notre enquête, avec une répartition assez équitable entre les compagnies subventionnées, celles qui ne le sont pas, et celles qui sont aidées au projet.

Y a-t-il des facteurs qui différencient les compagnies qui survivront quand même et celles qui s’apprêtent à mettre la clé sous la porte ?

 

Oui, et c’est multifactoriel. Je pense que le théâtre jeune public sera relativement préservé, puisque les théâtres et les centres chorégraphiques ont une obligation de diffuser des spectacles jeune public. En revanche, les œuvres avec de nombreux interprètes sur le plateau sont impactées très fortement, puisque les théâtres, moins dotés, programment désormais davantage de petites formes à un, deux ou trois interprètes, au coût plateau moins élevé. Le plus inquiétant, c’est que cette situation va favoriser les valeurs sûres. Jusqu’à présent, les programmations opéraient un équilibre entre des valeurs sûres et des spectacles plus singuliers, moins identifiés. Mais à terme, on aboutira sur un paysage des compagnies bipolarisé. D’un côté, des compagnies très institutionnalisées, les plus soutenues. Et de l’autre, des compagnies très précaires qui, par envie ou besoin vital, accepteront de créer sans payer les répétitions, pour ne jouer leur spectacle qu’une poignée de fois…

Que faisiez-vous, déjà, de l’injonction à réduire le nombre de productions ?

 

Ce que l’on pense, c’est que la DGCA n’a pas pris les décisions qui s’imposaient. Le plan « mieux produire, mieux diffuser » vient d’un constat avec lequel nous sommes d’accord : il y a trop de productions, qui tournent chacune pour un nombre de dates trop faible. Mais le ministère de la Culture appelle en réalité de ses vœux, depuis longtemps, à une diminution du nombre de compagnies, et ce n’est pas la solution. La solution serait de produire moins et mieux, et on a déjà émis de nombreuses recommandations allant dans ce sens. En premier lieu, reconnaître et subventionner le travail de recherche. Aujourd’hui, les compagnies sont contraintes de créer un spectacle chaque année pour pouvoir demander chaque année des aides. Mais s’il était possible de demander des subventions sur deux ans — un an pour la recherche et les premières répétitions, une deuxième année pour la création — pour un montant égal à l’année, cela imposerait un ralentissement naturel du rythme des créations, ainsi qu’un plus grand nombre de représentations pour chaque projet. Il faudrait une entente à l’échelle du secteur, qui engage les subventions des DRAC mais aussi les structures accueillant les compagnies en résidence. 

Nous avons alerté le ministère d’un autre souci auquel il est resté sourd : la question du nombre de dates requises pour être conventionné. Aujourd’hui, en théâtre, il faut 90 dates sur trois ans. Qui les atteint ? Surtout, quelles femmes y parviennent ? En 2024, seules 36% de créations de théâtre et « arts associés » sont mises en scène par des femmes, et aujourd’hui, en Île-de-France par exemple, aucun des huit compagnies conventionnées par la DRAC à quatre ans n’est dirigée par des femmes. Le même problème se posera pour toutes les catégories sous-représentées sur les plateaux, puisqu’elles réalisent moins de dates. Les artistes les plus minorés et les plus fragiles seront les premiers touchés par la crise. Et en général, ce sont les mêmes. Cette crise aboutira ainsi à une diminution de la représentativité, qui est déjà à un niveau très bas. Pourtant, c’est une cause du manque de diversité dans le public.

Doit-on craindre que cette situation laisse une plus grande mainmise du politique sur la création, même indirecte ?

 

Indirecte, elle l’est moins en moins. On voit de manière croissante que certaines communes ou régions refusent de programmer des projets qui recueillent pourtant des avis positifs des comités d’experts, des rapporteurs ou des conseillers, et cela pour des raisons politiques. Pour l’instant, cela ne s’observe qu’au niveau des collectivités territoriales. On l’entend de plus en plus depuis deux, trois ans. Cela aura un impact sur les sujets qui pourront être abordés. On sait d’avance lesquels posent problème. Et en ce moment, avec la droitisation de tout le paysage politique, cette emprise est à craindre de plus en plus. 

On imagine qu’à ce titre, toutes les collectivités sont concernées, en dépit des volontés politiques…

 

On est étonnés : même des régions que l’on pensait préservées ont opéré des coupes. L’inflation a mis toutes les collectivités territoriales en situation de faiblesse et de fragilité. Bien sûr, une collectivité comme la région Rhône-Alpes a ouvert le bal avec une très forte emprise du politique sur la culture. Mais depuis que l’inflation s’est aggravée, on voit des régions et des départements tailler dans les budgets de la culture alors que celle-ci était jusqu’à présent au centre de leurs préoccupations. Pour en avoir discuté ensemble, on sait qu’une partie d’entre elles ne sabre pas dans la culture de gaieté de cœur : c’est pour ne pas avoir à le faire dans l’éducation ou la santé.

Qu’en est-il, dans ce contexte, des professionnels de l’administration représentés par Lapas ?

 

L’année dernière, un peu plus de 300 professionnels de l’administration adhéraient à l’association, représentant environ 1200 compagnies. Une chose qui nous inquiète beaucoup depuis le Covid, c’est la pénurie dans nos métiers. Cette crise rendra les choses encore plus tendues. Les administrateurs sont aujourd’hui obligés soit de prendre plus de compagnies, donc travailler plus pour gagner autant, soit gagner moins pour travailler autant.

Quelle réponse politique peut-on trouver à cette crise ?

 

C’est un choix politique de couper dans toutes les politiques régaliennes : l’éducation, la santé… on est tous logés à la même enseigne. Ce n’est pas que ce pays manque d’argent. Mais petit à petit, les choses qui rapportaient de l’argent à l’état ont été abandonnées. Avec la crise énergétique, beaucoup d’entreprises françaises ont réalisé des superprofits, qu’elles ont pu redistribuer à leurs actionnaires. C’est un problème de répartition des richesses. De notre côté, ça devient un massacre. Même les coupes qui sont faites dans les grandes maisons rejaillissent sur l’ensemble du secteur. De l’argent enlevé à l’Opéra, c’est de l’argent enlevé aux artistes et aux techniciens. Ce n’est donc qu’en s’unissant dans la bataille que notre secteur se rendra audible. Concernant les perspectives… il y a eu des périodes, dans l’histoire politique française, où la culture tenait une place importante. Ce n’est plus le cas d’aucune des missions de service public de l’État, dont la culture fait pourtant partie.

 

 

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Oeil d'Olivier

 

 
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Claudine Galea : « On a autant besoin d’art que de pain »

Claudine Galea : « On a autant besoin d’art que de pain » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-José Sirach dans L'Humanité - 14 avril 2024

 

Après Je reviens de loin l’automne dernier, Trois fois Ulysse est la deuxième pièce de Claudine Galea à l’affiche de la Comédie-Française. Rencontre avec une autrice qui ne renonce ni à la poésie, ni à l’utopie.

 

Laëtitia Guédon, qui met en scène Trois fois Ulysse, dit que vous avez accepté « d’entrer dans le grand poumon lyrique » de la tragédie. C’est-à-dire ?

Je parle d’un lyrisme fracassé, pas celui de la tragédie telle qu’on l’écrivait il y a plusieurs siècles. Ce n’est plus possible aujourd’hui. D’abord parce qu’il n’y a plus de transcendance, parce que mon écriture a sa propre logique, sa propre cohérence et, en relisant l’Odyssée, que j’ai relu dans trois traductions différentes pour pouvoir l’appréhender autrement, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est la guerre, les massacres, l’épopée d’un héros qui n’a cessé de saccager le monde. Dès lors, il fallait que la poétique, terme que je préfère au lyrisme, soit brisée. Il y a beaucoup d’humour dans ce que j’ai écrit, inséparable de la distance nécessaire que j’éprouve avec ce grand mythe.

 

On a l’habitude de vous lire dans des monologues, des dialogues intérieurs très intimes. Ici, vous explorez plusieurs registres d’écriture, le chant, l’histoire, le poème… C’était une sorte de défi ?

C’était un vrai questionnement. Pendant six mois, j’ai lu, je me suis laissée imprégner et je savais que je trouverais ce que j’avais à raconter dès lors qu’Ulysse m’apparaîtrait autrement. Un jour, j’ai compris qu’il cheminait vers sa mort. Cette vulnérabilité me l’a rendu touchant, humain. Quant aux femmes, Calypso et Pénélope sont très peu présentes dans l’Odyssée.

 

Pénélope n’a droit qu’à quelques lignes ; on ne dit rien sur Calypso, qui pourtant partage sa vie pendant sept ans avec Ulysse. Ce que vit Hécube est d’une violence inouïe. Elle apparaît à peine dans l’Iliade, ses six enfants sont morts assassinés. Tous m’apparaissent comme des fantômes… On a toujours regardé Ulysse uniquement sous l’angle du héros, du surhomme, du vainqueur. Que pouvaient ressentir ces figures féminines ? On n’a jamais pris le temps de les regarder…

 

 

Votre approche d’Ulysse est-elle une manière de déconstruire ce héros de la mythologie ?

Je ne cherche ni à déboulonner, ni à déconstruire. Je cherche juste à regarder, à tenter de comprendre ce qui s’est passé, sachant que c’est Homère qui écrit. L’évidence s’impose : les trois femmes ne sont que des faire-valoir d’Ulysse. Elles n’ont ni sentiment, ni émotion, ni destin, ni futur et tout tourne autour de lui.

Or, ce sont elles qui m’intéressent. C’est effectivement une forme de déconstruction nécessaire. Il y a la façon critique de regarder un grand mythe, puis il y a la langue qu’on lui donne. Il faut trouver une langue qui ne soit pas uniquement une langue de déconstruction qui serait descriptive ou agressive, ça ne m’intéresse pas. On peut nier la figure du super-héros mythologique mais on ne peut pas nier la puissance de la langue d’Homère.

« Ce qui est paradoxal dans les mythes, c’est que dans l’horreur, il y a de la beauté. »

Votre pièce est une commande. Cela a-t-il eu des incidences sur votre écriture ?

L’enjeu le plus important a été de trouver la langue. Il s’agissait de se mesurer au lyrisme tout en le rendant contemporain. J’avais des contraintes et il s’agissait d’avancer au milieu d’elles, de tracer un chemin. J’ai exploré la langue dans des endroits qui ne m’étaient pas encore familiers, un mélange de trivialité et de poétique, une friction de registre, une friction de temporalité. Je l’ai compris en écrivant.

Pourquoi dit-on des mythes, des contes millénaires travaillés par le temps, par les hommes, par les guerres qu’ils font écho à notre présent ?

C’est le présent qui fait écho au passé, c’est l’avenir qui fait écho au présent… Quand j’ai commencé à écrire, je pouvais entendre ce qui se passait en Ukraine, puis en Palestine. Les récits mythologiques ne se situent pas dans l’actualité. Ils parlent du rapport des hommes entre eux.

Ulysse est une figure guerrière masculine qu’on retrouve aujourd’hui dans la figure du pouvoir, de la domination, qui n’a de cesse de vouloir réduire le monde pour se l’approprier, détruire tout sur son passage pour posséder ce qu’il ne possède pas. Ce qui est paradoxal dans les mythes, c’est que dans l’horreur, il y a de la beauté. Les mythes sont un vertige de beauté et un gouffre d’horreur.


 
 

Comment voyez-vous l’arrivée de l’intelligence artificielle dans votre vie d’écrivaine ?

Je ne suis pas certaine que l’IA soit une langue, c’est-à-dire une possibilité d’inventer, de transgresser, une possibilité artistique. Je suis écrivaine, d’autres sont peintres, compositeurs, nous créons des œuvres sensibles. L’art ne peut pas être remplacé par du savoir-faire, de la fabrication, de l’information. Or, l’art n’est pas l’endroit du consensus mais de l’inattendu. L’art, c’est l’insoumission à tout. Je ne pense pas que l’IA occupe cette place.

En revanche, cette place est à défendre parce qu’elle est en permanence menacée comme si on n’avait plus besoin de l’art. Et c’est terrifiant car c’est une question de civilisation, au-delà d’une question de culture. Que serait une société sans écrivain, sans musicien, sans artiste ? Un monde où l’on ne pourrait outrepasser les règles, les habitudes, les usages, un monde sans invention ? L’IA peut-être utile à plein d’endroits mais tout dépend de l’usage qu’on en fait. Il y a l’usage qu’en fait le pouvoir et l’usage qu’en font les êtres vivants.

 

Le budget de la culture va diminuer de 200 millions d’euros. Parmi les « économies » annoncées, moins 6 millions pour l’Opéra et moins 5 millions pour le Français. Comment réagissez-vous ?

C’est une fuite en avant des gouvernements successifs face à la nécessité de l’art et de la culture. Aujourd’hui, ce sont les institutions qui sont touchées et, symboliquement, ce n’est pas rien par rapport à la place qu’elles occupent dans le monde de la culture. Frapper les institutions à cette hauteur annonce un démantèlement de notre trésor culturel français.

C’est extrêmement grave mais il ne faut pas oublier que cette politique a commencé il y a fort longtemps et que les compagnies, qui font vivre le théâtre sur tout le territoire, ont été les premières à être impactées. Il faudrait un soulèvement, un mouvement pour renverser ces politiques-là. Nous sommes dans une situation qui met le monde de la culture au même endroit que les employés, les ouvriers.

Nous sommes tous en danger par rapport à ce qui nous est nécessaire dans la vie : manger, se loger, lire, voyager, aller au théâtre, au concert. On a autant besoin d’art que de pain. Ce sont les mêmes combats. Amputer le budget de la culture raconte une volonté politique de porter atteinte à l’art et à la culture.

 

Propos recueillis par Marie-José Sirach / L'Humanité

 

Trois fois Ulysse se joue à la Comédie-Française, salle du Vieux-Colombier, jusqu’au 8 mai. Rens. : comedie-française.fr et 01 44 58 15 15. Le texte est publié par les éditions Espaces 34.

 

 

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« Trois fois Ulysse » : Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté sur un texte de Claudine Galea

« Trois fois Ulysse » : Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté sur un texte de Claudine Galea | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Manuel Piolat Soleymat dans La Terrasse - 11 avril 2024

 

Fruit d’une commande passée à l’autrice Claudine Galea, Trois fois Ulysse éclaire trois des figures féminines prenant part à l’existence du héros grec : Hécube, Calypso et Pénélope. La metteuse en scène Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté : entre jeu, chants et arts visuels.

 

Elles viennent de loin, d’un hier mythologique dont les ombres, les résonnances, les fulgurances percent et impressionnent notre présent. Elles nous adressent des récits intemporels, universels, qui touchent nos imaginaires, des histoires d’amour, de bataille, de souffrance, de violence, de rupture, de temps qui passe… Hécube, reine de Troie donnée à Ulysse après le sac de sa cité, se lance en premier. La veuve de Priam a vu les siens massacrés par les grecs. Elle place le combattant face à ses actes de guerre, avant qu’il ne prenne la mer pour sa longue odyssée. Calypso, la nymphe qui recueille le roi d’Ithaque après un naufrage, poursuit. Elle le retient auprès d’elle, dans sa grotte, durant sept années. Puis, à son grand désespoir, elle le voit s’arracher à son amour pour retrouver le chemin de son île. Pénélope, l’épouse fidèle et délaissée, ferme la marche. Elle voit Ulysse revenir à Ithaque après vingt ans d’absence, lui dit ce qu’aimer veut dire, éclaire la puissance des sentiments et la force de l’instant. Toutes trois parlent, tonnent, s’enflamment, font vibrer la partition du juste et de l’injuste. Ce sont elles, les héroïnes de ce triptyque théâtral. Ulysse, lui, tombe de son piédestal. Il n’existe plus que par le prisme de leur conscience et la grâce de leur volonté.

 

Un lyrisme du fond de l’âme

 

Densité poétique du texte et de la mise en scène ; beauté des corps, des images, des tableaux. D’un lyrisme revendiqué, Trois fois Ulysse est l’occasion d’une expérience singulière. La scénographie de Charles Chauvet, les lumières de Léa Maris, les vidéos de Benoît Lahoz, les costumes de Charlotte Coffinet, les chants du chœur Unikanti tendent vers un unique point de fuite. Le grand art de Laëtitia Guédon est de parvenir à équilibrer toutes ces énergies, à les faire se rejoindre dans un même accomplissement. Aucun de ces talents ne cherche à briller de façon solitaire. Les comédiennes et comédiens (Clotilde de Bayser, Baptiste Chabauty, Éric Génovèse, Marie Oppert, Séphora Pondi, Sefa Yeboah) participent, eux aussi, à la vigueur tranchante de ces trois face-à-face. A la fois charnelle et minérale, la gravité de leur présence confère un souffle souverain aux cavalcades de mots imaginées par Claudine Galea. Des cris nous bousculent, nous transpercent. Des silences nous apostrophent. Les horreurs du contemporain se rappellent à nos esprits. Une forme de communion relie, peu à peu, interprètes et publics. Brouillant la frontière entre salle et plateau, Trois fois Ulysse tend les bras aux spectatrices et spectateurs. Heureux qui, comme elles, comme eux, a fait ce beau voyage.

 

Manuel Piolat Soleymat / La Terrasse

 

Trois fois Ulysse
du mercredi 3 avril 2024 au mercredi 8 mai 2024
Comédie-Française - Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris.

Du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h, le mardi à 19h. Tél. : 01 44 58 15 15. Durée : 1h40.

 

Légende photo : Trois fois Ulysse de Claudine Galea, mis en scène par Laëtitia Guédon. © Christophe Raynaud de Lage

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A la Ferme du buisson, fondu enchaîné pour le théâtre et le ciné 

A la Ferme du buisson, fondu enchaîné pour le théâtre et le ciné  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 15 avril 2024

 

A Noisiel, première édition d’un festival qui explore, durant quatre jours, les rapports entre les deux disciplines, sous les auspices de la comédienne Ludivine Sagnier.

 

 

Qu’est-ce qui différencie un acteur d’un comédien ? Est-il aisé de circuler d’un monde à l’autre, du théâtre au cinéma et réciproquement ou ce mouvement fructueux est-il réservé à une petite minorité ? Quand on a l’habitude d’investir un plateau, se sent-on comme un éléphant hagard dans un magasin de porcelaine face à la brièveté des plans ? Pourquoi le métier de monteur n’existe pas au théâtre, alors que les spectacles ont tout autant besoin de rythme que les films ? Et l’âge ? S’appréhende-t-il différemment sous la loupe de la caméra que sur les planches ?

C’est avec une foule de questionnements et surtout parce qu’il est possible d’aimer à la fois le théâtre et le cinéma que la nouvelle directrice de la Ferme du buisson, Marion Fouilland-Bousquet, a imaginé un festival sobrement intitulé Théâtre & Cinéma dont la première édition, sous les auspices de Ludivine Sagnier, aura lieu du 24 au 27 avril.

«Frontière poreuse»

Théâtre et cinéma ? Ce n’est pas un scoop : les deux arts ne cessent de se nourrir mutuellement. Et pourtant, aussi évident soit-il, un tel festival axé sur les relations fécondes des deux disciplines n’existait pas alors même que de nombreux théâtres publics abritent en leur sein un cinéma Art et Essai, et partagent parfois même une même salle polyvalente.

 

C’est notamment le cas de 22 scènes nationales. Tout au long de sa carrière, que ce soit au Havre, à Narbonne, ou aujourd’hui, à Noisiel (Seine-et-Marne) où la Ferme du buisson abrite tout autant un théâtre, un centre d’art, et un cinéma, Marion Fouilland-Bousquet a travaillé dans des structures artistiques mixtes, où les spectateurs ne s’embarrassaient d’aucune frontière. Jointe au téléphone, elle remarque : «C’est grâce au cinéma qui propose des films sept jours sur sept, que la structure ne fait jamais relâche. C’est beaucoup les salles de cinéma qui insufflent de la vitalité au lieu. Les spectateurs entrent pour voir un film, prennent un verre à la cafétéria et reviennent pour une pièce. Ils vérifient empiriquement à quel point la frontière est poreuse.»

Masterclass à foison

Ce qu’on pourra nous aussi constater durant ces quatre jours effervescents où seront invités aussi bien la grande figure du théâtre Marilú Marini, en chair et en os et sur les écrans grâce au portrait que le consacre Sandrine Dumas, l’épatante Barbara Carlotti qui revisite des chansons de films français cultes en rejouant certains dialogues, la projection de films de cinéma de metteuses en scène assorties de rencontres avec Julie Deliquet, Judith Davis et d’autres, ou encore une soirée mise en scène sous forme de workshop par la directrice de casting Elodie Demey. Sans compter des masterclass à foison : ne pas rater celle de Ludivine Sagnier qui mêlera projections, discussions et performances avec les élèves de l’école Kourtrajmé en Seine-Saint-Denis.

Théâtre & Cinéma à la Ferme du Buisson, allée de la Ferme à Noisiel (77), du 24 au 27 avril. Rens. : Lafermedubuisson.com/fr/theatre-cinema

 

Légende photo : La nouvelle directrice de la Ferme du buisson, Marion Fouilland-Bousquet, a imaginé un festival sobrement intitulé Théâtre & Cinéma. (DR)

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A Beyrouth, le dramaturge Wajdi Mouawad face à l’intimidation et aux accusations, par Claire Fercak

A Beyrouth, le dramaturge Wajdi Mouawad face à l’intimidation et aux accusations, par Claire Fercak | Revue de presse théâtre | Scoop.it
par Claire Fercak publié par Libération  le 12 avril 2024
 

A quelques jours de la première mondiale de la nouvelle création du dramaturge, le théâtre beyrouthin a été contraint d’annuler les représentations en raison de menaces et d’appels au boycott pour de supposés liens avec «l’ennemi israélien».

 

A l’occasion du Festival du livre de Paris les 12, 13 et 14 avril, nos journalistes cèdent la place à des autrices et auteurs pour un numéro exceptionnel et un supplément de 8 pages spécial Québec. Hervé Le Tellier et Dany Laferrière sont les rédacteurs en chef de cette 17e édition du Libé des écrivains. Retrouvez tous les articles ici.

 

 

«J’ai tellement envie que ce soit un moment de rencontre.» C’est ce que disait Wajdi Mouawad le 2 avril sur France Inter au sujet de sa pièce Journée de noces chez les Cromagnons programmée le 30 avril au Liban, son pays natal. L’histoire d’une famille libanaise qui prépare le mariage de leur fille au rythme des bombardements pendant la guerre civile (1975-1990). Les répétitions ouvertes au public, la pièce devait être jouée en arabe, la plupart des rôles interprétés par des acteurs libanais. Le 10 avril, quelques jours après l’arrivée de Wajdi Mouawad à Beyrouth, le théâtre le Monnot a annoncé l’annulation de la première mondiale. Dans son communiqué officiel, l’établissement exprime «son regret» de prendre cette «décision difficile» en raison d’intimidations sérieuses à l’encontre du théâtre, des techniciens et des artistes, et de la plainte déposée contre Wajdi Mouawad auprès du parquet militaire.

 

Le théâtre de la Colline, dont le dramaturge est le directeur, précise : «Le Comité des représentants des prisonniers et détenus libérés des geôles israéliennes s’est constitué partie civile, au nom d’un groupe de prisonniers individuellement nommés, pour saisir le parquet du tribunal militaire requérant “la suspension de la pièce et l’arrestation de Wajdi Mouawad”.» De quelle façon le procureur se saisira-t-il de cette plainte ? Peut-il décider d’interroger Mouawad, de l’arrêter ? Mouawad et son équipe étaient prêts à continuer, malgré la plainte, malgré l’appel au boycott, les fausses rumeurs et les menaces des opposants dénonçant «les liens et communications avec l’ennemi israélien» et le «non-respect de la loi sur le boycott d’Israël». Donner la parole à ceux «qu’on nous apprend à détester», faire du théâtre un lieu où «un langage commun serait potentiellement possible», tel est le projet de Wajdi Mouawad. Les billets se vendaient très bien, les Libanais voulaient voir cette pièce. Les répétitions vont reprendre en France, elle sera jouée au Printemps des comédiens à Montpellier. Nous avons cette chance : la voir en juin.

 
 
 
Légende photo  :   Le dramaturge Wajdi Mouawad, à Paris, le 20 septembre 2021. (Stéphane de Sakutin/AFP)
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Conflit Hamas-Israël : vous n’aurez pas notre haine, par Wajdi Mouawad - Tribune publiée le 9 nov. 2023

Conflit Hamas-Israël : vous n’aurez pas notre haine, par Wajdi Mouawad - Tribune publiée le 9 nov. 2023 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune publiée par Libération le 9 novembre 2023

 

Le dramaturge libano-québécois, directeur du Théâtre de La Colline, appelle à ne pas tomber dans le piège tendu depuis le 7 octobre par l’esprit destructeur du Hamas qui veut faire en sorte que «l’après» soit avant tout la haine du Juif.

 

par Wajdi Mouawad, auteur libano-québécois et directeur du théâtre de la Colline

publié le 9 novembre 2023 
 

Cela vient à peine de commencer et il nous faut déjà «panser» l’après. Un après qui, au rythme où vont les choses, nous arrivera aussi meurtri que l’effroyable 7 octobre dernier. «Panser» l’après, c’est se préparer à accueillir quelque chose dont nous ignorons encore tout, c’est tenter de soigner un temps pas encore arrivé, pour que, défait de ses pulsions de meurtres, il puisse être un réel après.

La volonté des gouvernements qui nous dirigent tout comme leurs enjeux géopolitiques échappent à notre volonté. Et si nous pouvons nous exprimer, nous ne pouvons pas, sur un temps court, agir sur les événements qui nous impactent et cette incapacité, à partir du moment où la question de l’action se pose, crée chez chacun un insupportable sentiment d’impuissance.

 

 

Qu’y puis-je, moi, contre le Hamas ? Qu’y puis-je contre la frange suprémaciste du gouvernement israélien ? Qu’y puis-je contre le Hezbollah ? Qu’y puis-je contre le gouvernement iranien ? Qu’y puis-je contre la politique américaine au Moyen-Orient ? Qu’y puis-je contre le cynisme sanglant de Vladimir Poutine ? Qu’y puis-je contre la zizanie qui mine la communauté européenne ? Qu’y puis-je contre l’opportunisme de Xi Jinping ? Peut-être que la question ne devrait pas se poser en ces termes et au lieu de viser ce qui est hors de ma portée, rapprocher la cible et me demander : «Sur quoi suis-je capable d’agir ?»

 

A cette question la réponse la plus concrète est aussi la plus simple : sur moi. Je peux commencer par agir sur moi et me demander, à l’aune de la situation, qui suis-je réellement. Qu’est-ce que cette situation est en train de faire de moi ? Comment est-elle en train de me transformer ? Comment me révèle-t-elle à moi-même ? Qu’est-ce qu’elle dit sur ce que je suis et sur ce que je crois être ? Quel est l’œdème qu’elle met en lumière et qui menace mon cerveau ?

Si «panser» dès à présent l’après c’est faire en sorte que ce qui l’a précédé ne se reproduise plus, alors un changement drastique incombe à chacun. Il ne suffit pas de dire que les autres, Israéliens ou Palestiniens, doivent changer, mais reconnaître que quelque chose en moi doit se transformer. Pour de bon. C’est la somme de la transformation de chacun qui fera en sorte que cet après en sera un.

Une fleur immortelle et indéracinable : la détestation

Né au Liban en 1968 au sein d’une famille chrétienne maronite, je n’ai nullement manqué d’amour. Mes parents ont tout sacrifié pour moi, fuyant la guerre civile libanaise dans le seul but de me permettre d’étudier sereinement. Mais, du fait de l’ignorance et des préjugés ; du fait, aussi, que le Liban a vécu cinq siècles sous le joug ottoman obligeant chaque confession à se refermer sur elle-même, du fait de paramètres autant historiques qu’intimes, mes parents, en plus de l’amour et l’affection, ont aussi planté en moi la graine d’une fleur immortelle et indéracinable : la détestation. Et dès mon plus jeune âge j’ai su détester ceux qui n’étaient pas de mon clan. A l’âge de huit ans, j’ai dansé à l’annonce de la mort du chef druze Kamal Joumblatt et en septembre 82 j’ai considéré qu’après l’assassinat de Bachir Gemayel [trois semaines après son élection à la présidence du pays, ndlr], les civils palestiniens des camps de Sabra et Chatila, massacrés par les miliciens chrétiens, n’avaient eu que ce qu’ils méritaient.

 
 

Je n’ai pas eu à apprendre à détester : je détestais par héritage. Et si je détestais consciemment, heureux de détester, heureux de haïr, je n’avais pas conscience de combien j’étais esclave de cette détestation car ma haine était viscérale et, ne m’animant pas de manière intelligible, je n’avais aucun moyen de l’interroger. Car cette détestation vient de loin et se transmet de génération en génération. En prendre conscience est difficile, comme il est difficile à celui qui porte un sac à dos vide de sentir le poids s’additionner si, de jour en jour, quelqu’un y déposait un caillou. Le poids augmente sans que l’on s’en aperçoive. Ainsi en est-il de cette détestation. Elle pousse à notre insu, grandit, fait des ramures, s’enracine à jamais, s’intrique tant à notre identité que l’on finit par élaborer des schémas de pensée pour la légitimer, nous transformant par la même occasion en victime éternelle.

Paradoxalement, il a fallu la guerre, l’exil, la découverte d’une autre langue, la découverte de l’art, la qualité de certains professeurs (Gérard Pouchain, Sylvette Montale, Philippe Guettier, soyez ici éternellement remerciés) ; il a fallu l’amitié, la mort de ma mère, Sophocle, Kafka, François Ismert, le théâtre, des voyages, des mots, des poèmes, des histoires d’amour, pour que je prenne conscience de sa présence. Elle m’est apparue dans toute son horreur, sorte d’épiphanie impitoyable et, réalisant ma monstruosité, j’ai voulu l’arracher de moi. Mais la détestation plantée dès la naissance ne se déracine pas. C’est une plante immortelle, imbriquée à jamais et, chez qui elle a été semée, elle demeure. Me découvrant une terre propice à sa floraison, je ne pouvais plus me fier à moi-même, je ne pouvais plus présumer de moi. Je me devais à jamais de monter la garde, faire preuve de prudence et m’assurer constamment que rien n’allait ni la nourrir ni l’abreuver car si on ne peut pas s’en débarrasser, on peut cependant l’isoler, la mettre sous verre, cesser de nourrir sa terre, travailler jour après jour à l’assécher pour l’empêcher de fleurir.

Mais pour y parvenir, il faut commencer par ne plus nier sa présence et, au contraire, l’assumer. Se souvenir que tout fleuve a un marécage qui le tient en santé. Marécage où vont se déposer les poisons et les pollutions qui pourraient le tuer. Si c’est vrai des fleuves, c’est vrai aussi des humains. Cette plante de la détestation est mon marécage où se dépose tout ce qui est nauséabond chez moi. Ma responsabilité consiste alors à empêcher le débordement du marécage, l’empêcher, par des digues fortes, d’envahir mon esprit, putrifiant mon lien au monde. Cette responsabilité, ces digues, cette vigilance, sont ce que j’appelle effort d’empathie, d’humanité, de sensibilité et d’amour.

Volontés inhumaines

Delphine Horvilleur [rabbin et philosophe, ndlr] m’a fait remarquer qu’une image biblique qui pourrait correspondre à celle du marécage pourrait être celle de l’arbre de la vie du jardin d’Eden. Pourquoi au paradis fallait-il un arbre interdit ? Justement pour rappeler que le mal n’est pas séparé de la vie, rappeler la vigilance constante que nous devons avoir face à sa présence. En ce sens, ce n’est pas le marécage qui est mauvais : il rend puissant le fleuve ; ce ne sont pas les sentiments que nous éprouvons qui sont mauvais : ils nous apprennent à les dépasser ; c’est le fait de nous laisser aller à leur bestialité qui est mauvais.

 

Or, si la plante de la détestation a la capacité de donner des fleurs de haines multiples, chacune déployant un parfum différent envers un groupe différent à haïr (musulman, noir, homosexuel), il se trouve qu’une des fleurs qui se déploie le plus aisément en nos contrées et qui dégage le parfum le plus envahissant, est la fleur de l’antisémitisme. Je l’ai observée partout où j’ai vécu. Au Moyen-Orient, en Europe, en Amérique du Nord. Un instant de distraction et la voilà qui refleurit. Tous les clichés qui incombent à cette détestation sont au fond de nous. Il est si aisé de détester le Juif. C’est un peuple d’une commodité extraordinaire. Tout est de sa faute. Maux passés, maux présents, et même maux futurs, il est x dans l’équation de nos frustrations, l’inconnue qui s’accorde comme on veut à nos haines.

 

A l’heure où les images de Gaza nous parviennent dans toute leur violence, où les morts se comptent par milliers, à l’heure où la colonisation de la Cisjordanie se poursuit, que des volontés inhumaines issues du pire de l’extrême droite ont droit de parole dans un gouvernement israélien ouvertement raciste et pour qui la brutalité militaire est la seule réponse possible, à l’heure où des forces d’une obscurité folle travaillent des deux côtés pour empêcher le moindre espoir, où les empathies vont vers les civils palestiniens mais où la mémoire des victimes israéliennes du 7 octobre est en train de se diluer et que les otages ne sont plus, pour l’opinion publique, qu’un détail secondaire, il est vital de voir le piège dans lequel nous jette le Hamas en nourrissant et abreuvant la plante de la détestation faisant fleurir partout l’antisémitisme. Deux mille ans d’un christianisme dont une partie de la propagande consistait à répéter que les Juifs ont assassiné le Christ nous ont formatés pour en être une terre fertile. Cela l’Europe le sait bien.

Jamais la fleur de l’antisémitisme n’aura été si bien nourrie

Ce qui se passe à Gaza est monstrueux. Il faut que les bombardements cessent, que les morts cessent, que les otages soient libérés. Il faut trouver comment faire pour que le Hamas ne puisse pas recommencer son ouvrage de destruction, lui qui n’a de cesse d’affirmer qu’il recommencera. Il faut trouver une autre voie à la justice qui ne soit pas celle de la destruction dont les Palestiniens depuis si longtemps paient un effroyable prix. Il faut que le gouvernement israélien accepte de s’intégrer en intégrant les Palestiniens et les pays arabes dans cette bataille contre le Hamas et qu’il cesse de croire qu’Israël seul contre tous peut assurer sa survie. Mais pour que tout cela advienne je n’ai, pour ma part, que des vœux. Par contre, je sais que jamais la fleur de l’antisémitisme n’aura été si bien nourrie, si bien arrosée par les images qui nous proviennent d’Israël et de Gaza, jamais depuis longtemps elle n’aura été aussi opulente. L’islamophobie gronde partout en France et c’est une lèpre aussi dévastatrice que l’est toute forme de détestation. Un constat pourtant s’impose. Bien des personnes à qui l’ont dit «antisémitisme» répondent avec raison «oui, mais il ne faut pas faire l’impasse de l’islamophobie», et ils ont absolument raison. Mais lorsqu’on dit «islamophobie», la plupart d’entre nous qui ne sommes pas juifs n’avons pas le réflexe de dire «oui, mais il ne faut pas faire l’impasse de l’antisémitisme». Cette petite différence est un des symptômes du danger qui nous guette.

 

 

Je dois, à la lecture de l’actualité de chaque jour, ériger en moi des digues de plus en plus hautes pour empêcher le débordement du marécage. Or c’est précisément là que se trouve le piège tendu depuis le 7 octobre par l’esprit destructeur du Hamas : faire en sorte que l’après soit avant tout antisémite. Que l’après soit un tombeau pour tout Juif où qu’il se trouve. Que l’après soit un temps où chaque Juif vive dans l’effroi, terrorisé, viscéralement méfiant envers le monde. Que l’après soit une autre forme de diaspora. Que l’après soit synonyme d’exil pour tout Juif. C’est contre ce piège que nous devons lutter, chacun. A cet endroit il est possible d’agir : prendre conscience de ce que la situation tente de faire de moi, lutter contre elle, faire en sorte que le marécage ne déborde pas et par tous les moyens assécher la plante de la détestation pour espérer que les prochaines générations, sans doute encore lointaines, parviennent un jour à couper le fil macabre de sa transmission.

 
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“Trois fois Ulysse”, sacrée et troublante odyssée autour de la masculinité

“Trois fois Ulysse”, sacrée et troublante odyssée autour de la masculinité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 10 avril 2024

TTT   Très Bien

 

 

L’autrice Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent le mythe. Face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé – Hécube, Calypso, Pénélope – on découvre un Ulysse tiraillé entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour. Jusqu’au 8 mai au théâtre du Vieux-Colombier.

C'est un spectacle-poème, un spectacle-rituel comme on n’en voit peu. Comme peu d’artistes ont le courage d’en rêver, d’en écrire, d’en mettre en scène en nos temps où l’emportent les obsessions et angoisses quotidiennes. Sauf que les mythes disent autant nos tourments que la photographie théâtralisée de nos existences actuelles.

 

Depuis longtemps passionnée par ces légendes visionnaires, Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages à Paris, a l’habitude de commander à des dramaturges des pièces qui s’en inspirent. Ayant déjà travaillé sur la guerre de Troie (Troyennes. Les morts se moquent des beaux enterrements, en 2014), cité rayée de la carte par les Grecs sous prétexte d’y récupérer la belle Hélène, elle a ainsi demandé à Claudine Galéa, un texte sur Ulysse, tiré d’Homère. Et c’est merveille de redécouvrir grâce à la belle autrice féministe, un modèle masculin qu’on a tant dit « rusé, ingénieux, sagace, divin, unique, brillant, vaillant, avisé, subtil et à la langue de miel », et qui se révèle ici face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé — Hécube, Calypso, Pénélope — dans toute sa violence forcenée comme sa vulnérabilité, son désarroi comme sa solitude.

Sur le sable pâle qui couvre la scène, le blanc squelette d’une énorme tête de cheval. Symbole de l’immense statue de bois laissée aux Troyens sur la plage par les Grecs faisant mine de s’enfuir après dix ans à assiéger la ville. Une ruse d’Ulysse : la statue est pleine de guerriers qui ravageront Troie dès qu’elle y sera emportée. Et sur le plateau, le crâne bougera selon les trois femmes confrontées à Ulysse dans une langue à la fois archaïque et pleinement actuelle, brutale et douce, incantatoire et guerrière. Derrière le squelette, un immense écran vidéo, comme un tableau aux couleurs changeantes et lancinantes : Laëtitia Guédon est fille du peintre martiniquais Henri Guédon (1944-2006).

Un héros clé de notre humanité

Tout au long du spectacle, se promènera encore de la salle à la scène le chœur chanté d’Unikanti, pour accompagner la tragédie. Ou plutôt la révéler. Car Hécube (Clotilde de Bayser, impressionnante de puissance meurtrie), Calypso (la spectaculaire Séphora Pondi, éclatante de sensualité), Pénélope (la lumineuse Marie Oppert) vont ici rendre Ulysse à sa vérité trop souvent tronquée. Face à celle qui lui a été donnée en butin comme esclave, Hécube, épouse aux dix-neuf enfants du roi de Troie Priam (la plupart massacrés par les Grecs), le premier Ulysse (Sefa Yeboah, étonnant tragédien) prend conscience de sa rage destructrice et combien l’instinct de mort, la mort même lui sont intimes. Face à l’amante Calypso qui aura su le retenir amoureusement sept ans avant de le laisser repartir, le second Ulysse (Baptiste Chabauty) endure le doute, l’angoisse de la séparation, le questionnement sur le retour, l’amour. Face à Pénélope, enfin, celle qui l’aura attendu vingt ans et sur laquelle, justement, le temps n’a plus de prise, le troisième Ulysse (Éric Génovèse, bouleversant) découvre l’énigme d’une existence : « qu’est ce que nos yeux nous empêchent de voir ? / qu’est-ce que nos paroles remplacent ? / as-tu remarqué : / dans l’obscurité le silence est plus vaste / le repos plus grand », lui murmure l’épouse.

 

Prélude à une vie nouvelle, à la mort ? « Marchons », ainsi Pénélope conclut-elle cette épique traversée, où l’on aura avec beauté redécouvert un héros clé de notre humanité, de ceux qui ont forgé des millions de petits hommes après lui. Au travers de ses femmes délaissées ou maltraitées, Claudine Galea interroge majestueusement la masculinité. Non sans compassion et tendresse pour cet Ulysse ballotté entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour, toujours en quête de femmes protectrices que raconte vaillamment Laëtitia Guédon. Sacrée et dérangeante odyssée…

 

Fabienne PASCAUD - Télérama 

 

2h. Mise en scène Laëtitia Guédon. Jusqu’au 8 mai, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e.

Le texte est publié aux Éditions espaces 34. 13,50 euros.
 
 
 

 

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Notre critique de Trois fois Ulysse au Vieux-Colombier : beau comme l'antique

Notre critique de Trois fois Ulysse au Vieux-Colombier : beau comme l'antique | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nathalie Simon dans Le Figaro - 8 avril 2024

 

L'écrivain Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent L'Odyssée d'Homère à travers un oratorio.

 

Le plateau du Vieux-Colombier est dans la pénombre. Se détache un crâne de cheval monumental avec les silhouettes blanchâtres de ses oreilles dressées. Incendiée, saccagée, Troie est tombée. Une mélopée lancinante et la voix de Clotilde de Bayser fait entendre la parole d'Hécube, qui a vu périr ses enfants et est donnée en « cadeau » à Ulysse. Martyre involontaire, elle harangue « cet ennemi du vrai, cette vipère sans loi »« Pourquoi ne peux-tu pas te passer de moi ? », lui demande-t-elle.

 

Mobile, le décor est retourné par le Chœur Unikanti (issu de la Maîtrise des Hauts-de-Seine), et révèle alors la grotte, sanctuaire de la déesse Calypso (Séphora Pondi en robe bleue), qui propose à Ulysse de « sortir du temps ». Suite à l'injonction d'Hermès, les larmes aux yeux, l'amante du héros grec l'autorise à la quitter après sept ans de vie commune. Enfin, le guerrier sanglant revient à Ithaque et retrouve sa femme, Pénélope (la blonde chanteuse Marie Oppert). Elle l'a attendu sans prendre une ride, mais reste d'abord muette.

 

Dans le très exigeant Trois fois Ulysse (Éditions Espaces 34, représenté par L'Arche), Claudine Galea rend hommage aux femmes de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère. Elle redessine une image du personnage qui n'a rien à voir avec le « héros sans peur et sans reproche » des manuels scolaires. Joué successivement avec ferveur par Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty et Éric Génovèse, l'amant, époux et le combattant est tour à tour violent, hargneux, fougueux et amoureux, faillible, voire « en dépression »« L'art, c'est la beauté quoi qu'on dise. Violence et désordre, mais beauté », assure l'auteur. Il y a tout cela dans ce spectacle plein de soufre, où la cruauté des cœurs le dispute à un infime espoir. Pénélope finit par s'exprimer. Les rôles s'inversent. L'homme dépend de la femme qu'il a cru soumise.

Précision et raffinement

Claudine Galea a travaillé en accord avec Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages, à Paris, qui signe sa première pièce dans la maison de Molière. Cette dernière illustre les intentions de sa consœur à travers une mise en scène d'une précision chirurgicale dans une scénographie d'un raffinement extrême (sur un panneau défilent des soleils rougeoyants et des vagues sombres). Trois séquences immortalisent le destin de trois couples qui, en l'absence des dieux, prennent leurs responsabilités, surtout les femmes.

 

Les acteurs de la Comédie-Française prouvent, s'il en est besoin, qu'aucun registre ne leur résiste et qu'ils savent donner de la voix à tous les sens du mot. Alliant théâtre, musique et vidéo, le texte de Claudine Galea se déploie en majesté avec le risque que la forme prenne le pas sur le fond. Impossible d'être attentif tout du long de cet oratorio où les sentiments humains sont transcendés par la présence du Chœur Unikanti qui déclame aussi bien des chants du XIIe siècle, de l'araméen ou un Tri martolod. Beau comme l'antique !

 

Nathalie Simon / LE FIGARO 

Trois fois Ulysse, au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris 6e), jusqu'au 8 mai. Rés. : 01 44 39 87 00. www.comedie-francaise.fr

 
La

 

 

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Primé au Festival de Cannes, Dalibor Matanic, célèbre réalisateur croate, avoue plusieurs agressions sexuelles

Primé au Festival de Cannes, Dalibor Matanic, célèbre réalisateur croate, avoue plusieurs agressions sexuelles | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Le Monde avec AFP le 8 avril 2024

 

La police croate a ouvert une enquête après les aveux du réalisateur de 49 ans, qui a souvent utilisé ses films pour faire la critique de la culture patriarcale et des violences faites aux femmes.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" :

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/04/08/prime-au-festival-de-cannes-dalibor-matanic-celebre-realisateur-croate-avoue-plusieurs-agressions-sexuelles_6226678_3210.html

L’un des réalisateurs les plus célèbres de Croatie, Dalibor Matanic, 49 ans, a avoué dans un long post sur Facebook, après la publication de plusieurs articles de presse, avoir agressé sexuellement plusieurs femmes, déclenchant un tonnerre de réactions. La police croate a ouvert une enquête.

 

« Tout ça a eu lieu à des moments où j’étais sous l’influence de l’alcool ou de drogues. Notre travail est terriblement stressant – mais cela ne justifie certainement pas mon comportement », a-t-il écrit, après la parution d’articles de presse faisant notamment état de gestes et d’invitations déplacés et d’envois de photos et de messages à caractère sexuel. Environ deux cents femmes seraient concernées par les agissements du réalisateur, qui a annoncé qu’il allait entrer dans un centre de désintoxication.

 

« D’après les informations publiées dans la presse, il pourrait s’agir d’actes criminels », a déclaré le responsable de la police, Antonio Gerovac, cité par l’agence de presse officielle HINA, annonçant l’ouverture d’une enquête. Jusqu’à présent, la police n’a enregistré aucune plainte, a-t-il ajouté.

« Il se présentait comme un allié »

Par ailleurs, l’Académie des arts dramatiques de Zagreb, où M. Matanic donnait occasionnellement des cours, a annoncé que leur coopération avait « pris fin à la fin du semestre d’hiver » et qu’elle ne serait pas renouvelée.

 

Le réalisateur, primé à Cannes en 2015 pour son film Soleil de plomb (Prix du jury Un certain regard), a souvent utilisé ses films pour faire la critique de la culture patriarcale et des violences faites aux femmes. « C’est un choc terrible, car il se présentait comme un allié », a réagi la militante des droits des femmes Sanja Sarnavka.

 

La violence et les agressions sexuelles ont longtemps été considérées comme des sujets tabous dans les Balkans, où les valeurs patriarcales restent très ancrées.

Ces questions ont cependant pris davantage d’importance ces dernières années après l’avènement du mouvement #metoo et une affaire en Serbie voisine où une actrice a accusé son ancien professeur d’art dramatique, Miroslav Aleksic, de viol, ce qui a incité des milliers de femmes à raconter leur propre histoire.

 

Le Monde avec AFP

 

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Violences sexuelles
#MeToo cinéma : le réalisateur Philippe Lioret accusé par dix comédiennes d’agressions sexuelles et «d’abus de pouvoir»
 
Radio France a recueilli le témoignage de dix actrices dénonçant le comportement «inapproprié» du cinéaste, en particulier lors des castings pour son film «Toutes nos envies», en 2010.
 

par LIBERATION

publié le 9 avril 2024
 

La chape de silence entourant le cinéma français se fend-elle, pas à pas ? Ce mardi 9 avril, c’est un nouveau réalisateur qui est mis en cause, après les cas Doillon et Jacquot en début d’année. Pas moins de dix comédiennes dénoncent auprès de la cellule investigation de Radio France le comportement de Philippe Lioret, mêlant baisers forcés, gestes et demandes inappropriés. C’est en particulier le casting de son film Toutes nos envies, inspiré du roman D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère, qui est pointé. En été 2010, le cinéaste, auréolé des succès Je vais bien ne t’en fais pas et Welcome, effectue des castings avec le Tout-Paris. «Une cinquantaine d’actrices», reconnaît-il auprès de Radio France, dont Judith Godrèche, Emma de Caunes, Mélanie Bernier, Cécile Cassel, Laetitia Casta, Virginie Efira ou encore Marie Gillain, auditionnées pour le rôle de Claire, magistrate en couple avec Stéphane (joué par Vincent Lindon) et Céline, une mère surendettée.

Les témoignages recueillis par Radio France font état d’un même procédé, Lioret donnant rendez-vous pour une séance de travail, parfois le samedi alors que les bureaux de production sont fermés, et choisissant une scène intime dans laquelle il donne la réplique à l’actrice auditionnée. «Je me dis : “Pourquoi ce choix de scène ? Il est le réalisateur, pas l’acteur avec lequel je jouerai.” C’est gênant, relate Hélène Seuzaret, l’une des actrices qui témoignent, avec Elodie Frenck, Emilie Deville, Marie Gillain, Amandine Dewasmes et d’autres qui ont préféré garder l’anonymat. Une fois dehors, alors qu’on retourne à nos véhicules respectifs, [Philippe Lioret] essaye de m’embrasser sur la bouche. Ce n’est pas du tout ce dont j’avais envie. C’est comme un abus de pouvoir : il se permet, parce que je suis en attente de ce rôle, de me voler un baiser.»

«Avec le recul, je pense que c’est une agression sexuelle»

Une comédienne, anonyme, ayant vécu la même chose dans les années 90, raconte : «C’est humiliant de se faire embrasser violemment comme ça. D’où a-t-il le droit de m’embrasser sans que j’aie donné mon consentement ? D’où a-t-il le droit de me traiter comme ça, de manière brutale ? A cette époque, je ne me disais pas que c’était une agression sexuelle. Mais aujourd’hui, avec le recul, je pense que c’en est une.» C’est le cas aussi d’une autre actrice, embrassée sur la bouche par surprise après un dîner vécu comme un «piège», en marge des auditions de Toutes nos envies : «Il voulait sans doute savoir si j’étais ‘‘souple’’, si j’étais prête à ça pour avoir un rôle, raconte l’actrice. J’ai été utilisée à cette fin de pouvoir me consommer. Voilà comment je l’ai vécu. Il n’y avait rien d’artistique là-dedans.»

 

La comédienne Emilie Deville, elle, parle «d’abus de pouvoir». Elle raconte, lors d’un essai pour ce même film, le choix d’une scène entre une mère et son enfant. «[Philippe Lioret] fait l’enfant de 6 ans, il se met à genoux et il attrape mes hanches. Il colle son visage sur mon sexe en disant : Maman !” Il me demande de caresser ses cheveux, de consoler le soi-disant enfant que j’ai entre les jambes, lui qui à l’époque avait 53 ans !»

Certaines comédiennes, relate Radio France, affirment que le réalisateur leur aurait demandé de «montrer leurs seins». L’assistante de la directrice de casting témoigne également que le cinéaste «ne se privait pas de toucher la naissance des seins, de se mettre dans le cou des comédiennes. Les actrices étaient tellement mal à l’aise dans les bras de Philippe de se faire tripoter comme ça». «Je n’ai jamais eu la sensation d’essayer d’abuser de qui que ce soit de toute ma vie», s’est défendu Philippe Lioret, interrogé sur ces témoignages. «Qu’il ait pu tenter de séduire, ça, c’est tout à fait possible. Mais il s’est toujours arrêté dès lors qu’il s’est trouvé face à un refus», a réagi son avocate, Solange Doumic.

 
 
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La Cour des comptes se penche sur les crédits exceptionnels versés à la culture et aux ICC

La Cour des comptes se penche sur les crédits exceptionnels versés à la culture et aux ICC | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Article publié sur le site d'Artcena - 2 avril 2024

 

 

RAPPORT
Son rapport déplore principalement que le pilotage des Programmes d’investissements d’avenir et de France 2030 ait contribué à dessaisir le ministère de la Culture de ses missions stratégiques.

 

Le 20 mars 2024, la Cour des comptes a publié un rapport – fruit d’une enquête diligentée par la Commission des finances du Sénat – sur les plus de 3 Md€ de crédits exceptionnels engagés de 2017 à 2023 en faveur du secteur culturel, hors budget du ministère de la Culture ; soit « presque l’équivalent, est-il précisé, d’une année des crédits de la mission Culture de ce ministère ». Cette enveloppe concernait, d’une part le Plan de relance (1,6 Md€), et d’autre part les Programmes d’investissements d’avenir (PIA 1 et 3) et France 2030, à hauteur d’1,5 Md€ au total.

Un plan de relance élaboré dans la précipitation

Annoncé à l’été 2020, au sortir de la crise sanitaire, le Plan de relance a été doté d’1,6 Md€ pour la culture (pour un peu plus d’1,4 Md€ de dépenses), afin de poursuivre deux objectifs : soutenir les revenus du secteur culturel, et favoriser « une accélération des transformations structurelles identifiées comme nécessaires ». Si le premier a été rempli, il en va différemment du second, traité de façon marginale. En cause, selon la Cour des comptes, un objectif « trop ambitieux dans le cadre d’une action conjoncturelle » et un plan élaboré « dans la précipitation ». Celle-ci critique, entre outre, une répartition des crédits « très hétérogène entre secteurs culturels » et l’utilisation d’une partie d’entre eux « pour boucler les plans de financement de grands travaux d’établissements publics ». Le rapport conclut ainsi à « un pilotage par la dépense, parfois au détriment des objectifs de politique publique », qui a, par ailleurs, produit « un effet inflationniste dans certains secteurs ». 

 

PIA : des opérations trop risquées

Concernant cette fois les PIA 1 et 3, la Cour estime que ceux-ci « ont faiblement investi le champ culturel et celui des industries culturelles et créatives ». Elle en veut pour preuve le fait que depuis 2017, seuls 278 M€ ont été consommés à ce titre, dont 190 M€ transférés au budget de la culture afin de financer deux grandes opérations patrimoniales (Villers-Cotterêts et le Grand Palais).

Le rapport admet toutefois que plusieurs projets culturels emblématiques (le Grand Palais immersif et la Philharmonie des enfants) portés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance ont eu « une réelle portée en termes d’expérimentation et d’innovation ». De même, le soutien apporté à l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), « qui dispose d’une excellence connaissance des entreprises culturelles et de liens anciens avec les financeurs de la place, apparaît cohérent avec l’ambition des PIA et économe des finances publiques ». La Cour se montre, en revanche, plus critique sur les financements attribués à « des entreprises au modèle économique fragile » et qui ont traversé depuis de « graves difficultés ». Pour évoquer « une prise de risque particulièrement élevée », elle cite l’appel à manifestation d’intérêt « Culture, patrimoine, numérique » lancé par la Caisse des dépôts et consignations, qui « a connu un taux de sinistralité de 35%, bien supérieur à celui admis en général par la CDC ou Bpifrance », entraînant la disparition de l’argent public investi. De plus, le rapport note que les projets financés « relèvent parfois d’une conception très extensive des industries culturelles et créatives ou n’en font pas clairement partie », « voire relèvent d’un champ spéculatif ». D’où ce constat sans appel : « ces premières expériences d’investissement dans le secteur culturel ont souffert d’une absence de stratégie formalisée avec le ministère de la Culture comme de réflexion sur les outils mobilisés, sur la typologie des projets structurants et sur les effets d’accélération recherchés ».

 

La stratégie peu lisible de France 2030

De semblables griefs sont adressés à France 2030, alors même que ce programme a bénéficié de « moyens considérables » : 400 M€ engagés fin 2020 dans le cadre du PIA 4, puis 600 M€ à l’automne 2020 destinés aux industries de l’image et du numérique dans le cadre de France 2030. Les deux étant rattachés fin 2022, le volet culturel de France 2030 a disposé au total d’1 Md€.

Grande lourdeur des processus décisionnels, éparpillement de l’information rendant complexe un suivi rigoureux, et surtout manque de transparence constituent de nouveaux reproches adressés par la Cour. « Ni la stratégie d’accélération, issue des États généraux des industries culturelles et créatives (..) ni même la liste des 19 mesures retenues n’ont été rendues publiques », regrette-t-elle, avant de remettre en cause la pertinence même du programme. « Les mutations structurelles du secteur culturel peuvent justifier un accompagnement par l’État. Les plans d’investissements d’avenir apparaissent cependant globalement inadaptés au secteur. En effet, ils sont insuffisamment articulés aux objectifs et enjeux de la politique publique », estime-t-elle.

 

Le ministère de la Culture privé de ses missions

Enfin, plusieurs dérives sont imputables, selon le rapport de la Cour des comptes, aux PIA : « mise en œuvre rapide d’appels à concurrence » susceptible de créer « des effets d’aubaine » ; effacement progressif de « la logique originelle des PIA consistant à utiliser des avances remboursables ou à co-investir pour inciter le secteur privé à s’engager », au profit d’une « logique de subvention ». « Dès lors, ajoute le rapport, la Caisse des dépôts et BpiFrance se retrouvent dans la situation paradoxale de verser, très majoritairement dans ce secteur, des subventions, une mission qui incombe en principe au ministère de la Culture ».

Plus globalement, la Cour déplore que « le pilotage des PIA et de France 2030 par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) contribue à dessaisir le ministère de la Culture de ses missions de pilotage stratégique, d’allocation des financements et de contrôle sur l’équivalent d’une part significative de son budget annuel ». À ses yeux en effet, bien qu’à l’origine de la conception de la stratégie (rédaction du cahier des charges), le ministère de la Culture siège souvent uniquement comme observateur au sein des comités désignant les lauréats, ce qui l’empêche d’être « pleinement en situation de garantir la cohérence de ces financements conséquents avec les objectifs de la politique culturelle ». « Si l’on ne veut pas courir le risque de priver durablement le ministère des moyens de remplir ses missions, celui-ci doit reprendre le pilotage des dispositifs initiés dans le cadre de France 2030, et en renforcer significativement le suivi », assure la Cour.

 

En conclusion, elle formule sept recommandations :

1. Avant toute nouvelle consommation de crédits, procéder à une évaluation indépendante du dispositif « Mondes Nouveaux », notamment du point de vue de la rémunération des artistes et de l’articulation avec les dispositifs et institutions préexistants. 

2. Définir de façon concertée les objectifs poursuivis par les investissements d’avenir et délimiter plus nettement le périmètre d’intervention des PIA dans le secteur des industries culturelles et créatives.

3. Veiller à une articulation lisible entre l’architecture budgétaire et la stratégie de France 2030, pour le volet culture.

4. Appliquer strictement la doctrine des investissements d’avenir et réserver les financements des PIA à des projets répondant à des critères d’innovation préétablis

5. Instaurer une procédure de suivi et d’évaluation des crédits des PIA et de France 2030 robuste, afin de permettre le contrôle parlementaire. 

6. Prévoir une procédure explicite de restitution ou de réallocation des crédits exceptionnels non utilisés.

7. Dans les processus décisionnels de France 2030 accorder dès à présent au ministère de la Culture une place lui permettant d’assurer son rôle de chef de file de la politique culturelle.

 

« Un rapport à charge », selon Bruno Bonnell

Lors de leur audition devant la Commission des finances du Sénat, Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement, Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, et Sophie Zeller, cheffe du service du spectacle vivant et adjointe au directeur général de la création artistique, ont réagi à différents points soulevés par la Cour des comptes.  

 

Bruno Bonnell a tout d’abord réfuté le titre du rapport qui évoque des « crédits exceptionnels » attribués à la culture et aux industries créatives (ICC). « Ces crédits n’ont rien d’exceptionnels puisqu’il s’agit de crédits d’investissement votés par le Parlement comportant, dans le cadre de France 2030, un volet spécifique d’investissement destiné à soutenir les industries culturelles et créatives », a-t-il indiqué. Concernant France 2030, le secrétaire général pour l’investissement a dénoncé « un rapport à charge et, de plus, inexact », assurant que le ministère de la Culture était associé à toutes les stratégies et décisions et présidait le comité de pilotage qui alloue les budgets. Le manque de transparence lui apparaît, de même, un reproche infondé. « Nos stratégies sont rendues publiques sur les sites web du gouvernement, a-t-il affirmé. Nous avons également communiqué un rapport au Parlement, et effectuons un reporting permanent auprès d’un Comité de surveillance des investissements d’avenir (CSIA) composé notamment de quatre députés et de quatre sénateurs. Je ne peux donc accepter l’idée que nous ne soyons pas précis dans le suivi. »

 

Florence Philbert, quant à elle, a rappelé que s’agissant des industries culturelles et créatives, « nous sommes au croisement de la politique culturelle et de la politique industrielle, mais aussi au croisement des financements publics et des financements privés », les ICC souffrant d’une « faible structuration capitalistique », notamment en matière de fonds propres. Ce constat justifie « une logique de continuum de financements » : « au-delà des financements via des subventions, assurés par le ministère de la Culture, il s’agit de voir comment la puissance publique peut faire en sorte que les acteurs des ICC soient financés par le secteur privé », a expliqué la directrice générale des médias et des industries culturelles. Interrogée, par ailleurs, sur la recommandation n°7 formulée par la Cour des comptes, elle a répondu : « cette politique ne peut être uniquement centrée sur le ministère de la Culture ; elle se fait en partenariat avec le ministère qui la conçoit et définit la stratégie ».

 

Sophie Zeller enfin a concentré son intervention sur « Mondes nouveaux », dispositif doté de 30 M€. « Celui-ci a suscité un très grand élan créateur : 3 200 projets déposés, et 264 soutenus, portés par 430 artistes. Une rémunération directe d’un peu moins de 6 M€ a été versée aux artistes, à laquelle il faut ajouter les retombées en termes de présentation ou de vente des œuvres, ou de droits d’auteurs », a-t-elle souligné. La cheffe du service du spectacle vivant et adjointe au directeur général de la création artistique a cependant convenu du manque de visibilité de « Mondes nouveaux » pointé par la Cour, qu’elle a justifié par les différences de temporalité de réalisation des œuvres ainsi que leur répartition sur l’ensemble des territoires, « qui ont pu complexifier les opérations de communication ». « Afin de redonner de la visibilité au programme, nous avons mis en place en avril 2023 une présentation des projets à l’École nationale des Beaux-Arts », a ajouté Sophie Zeller, promettant, lors du lancement d’un nouvel appel à projets fin 2024, la mise en œuvre de « liens plus étroits entre les Frac et les Centres d’art, et l’ensemble de l’écosystème ».    

 

Les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives. Des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant 2017-2023. 

 

Télécharger le rapport publié par la Cour des comptes,

mars 2024, 125 pages. 

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