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Rien ne sert de courir, il faut partir à point

Publié en ligne le 24 août 2021 - Technologie -

Au pays de La Fontaine, chacun connaît cette morale du fabuliste castelthéodoricien. Concernant la sécurité routière, elle resterait un beau conseil en matière de vitesse pour les usagers. En effet, le bilan de la sécurité routière de l’année 2019 est encore lourd : plus de 55 000 accidents corporels, ayant entraîné plus de 3 200 décès (dans les trente jours suivant l’accident) et plus de 70 000 blessés [1]. Mais, sur le sujet, chacun avance ses solutions, son opinion tranchée, son avis définitif, son expertise personnelle incontestable. Alors que l’approche scientifique s’appuie sur des démonstrations, essaie d’apporter des preuves, élabore des protocoles de recherche qui viennent en appui des résultats avancés, ces enseignements restent en fait mal connus, alimentant une forme d’ignorance et des fantasmes à l’égard de certaines mesures. La vitesse reste toujours un facteur d’accidentalité majeur. Ainsi, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr) [1], la vitesse excessive ou inadaptée aux circonstances est présente dans environ 30 % des accidents, et dans près de 48 % pour les accidents des deux-roues motorisés. Au-delà de ces statistiques, il existe une importante littérature scientifique sur le sujet de la vitesse qui peut aider à y voir un peu plus clair. Cette littérature souligne le lien établi entre vitesse de circulation et accidentalité, les effets des changements de limitation de vitesse sur l’accidentalité et les enjeux autour de la politique de contrôle.

Un lien désormais bien établi entre vitesse et accidentalité

Des travaux de recherche empiriques se sont intéressés à la relation entre les vitesses des véhicules impliqués dans un accident de la route et le risque d’accident [2, 3]. Leurs conclusions sont cohérentes avec les études antérieures : des risques d’accident plus importants sont associés à des niveaux de vitesse de circulation plus élevés. Par ailleurs, aucune étude n’a mis en évidence un risque d’accidentalité accru pour des faibles vitesses. Dans les cas étudiés, les auteurs notent qu’une augmentation de la vitesse de 10 km/h accroît le risque d’accident de 67 %, tandis qu’une réduction de la vitesse de 10 km/h diminue le risque de 40 % [2]. Cette étude souligne que la relation entre vitesse et risque d’accident n’est pas linéaire. Par ailleurs, cette association diffère selon le type d’environnement (rural ou urbain) et le type de route. Cela explique en partie pourquoi les études n’avancent pas nécessairement les mêmes chiffres sans pour autant se contredire.

Marcel Renault et René Vauthier dans la course Paris-Vienne en 1902,
Lucien Faure (1828-1904)

D’autres travaux se sont intéressés à établir une relation formelle entre la variation de la vitesse et celle des accidents. Cette relation (dite de Nilsson [4]), qui s’avère fort utile pour anticiper les effets d’une évolution de la limitation de vitesse, serait de type puissance (voir encadré ci-dessous).

L’influence d’une évolution de la limitation de vitesse


Cette relation (relation de Nilsson ou relation puissance), empiriquement constatée dans les différentes études, exprime la variation du nombre de décès, de blessés et d’accidents selon la variation de la limitation de vitesse.

(Nombre après/Nombre avant) = (vitesse après/vitesse avant )n

La valeur de n est de 4 pour les décès, 3 pour les accidents corporels et 2 pour le nombre d’accidents.

Ainsi, selon ce modèle empirique, une réduction de la vitesse de 10 % conduit à une réduction de 35 % du nombre de tués, de 27 % du nombre de blessés et de 19 % du nombre d’accidents.

Des travaux ultérieurs ont confirmé et actualisé les paramètres de la relation pour les tués, les blessés graves et les blessés légers, selon le type de réseau routier. Une valeur du coefficient de puissance de 4,9 pour les tués et de 1,6 pour les blessés graves a été estimée [5, 6]. Ainsi, selon ces résultats, si la vitesse moyenne de circulation s’accroît de 10 %, le nombre de tués augmentera de 59 %. Il reste que ces résultats robustes constituent des effets moyens, qui dépendent du réseau mais aussi des conditions de circulation (vitesse plus ou moins homogène), et qui requièrent une certaine prudence face à une application rapide.

Course Paris-Madrid : terrible accident.
Le Petit Journal du 7 juin 1903.

Comment expliquer le sur-risque d’accident lié à des vitesses de circulation plus élevées ?

Une explication possible réside dans les limites des capacités des conducteurs à traiter l’information et à procéder aux choix adéquats [7]. À une vitesse de circulation plus élevée, le traitement des informations doit également être plus rapide et ce, d’autant plus que le volume d’informations peut augmenter (du fait d’un environnement de conduite plus complexe par exemple). Ainsi, le nombre de situations pour lesquelles la capacité de traitement informationnel est saturée s’accroît également, ce qui peut conduire à un accident.

Une autre explication réside dans l’approche des conditions de la circulation. Des vitesses de circulation trop élevées ou trop basses par rapport à une vitesse moyenne de circulation augmentent la probabilité d’avoir un accident. Cela tient à l’augmentation du nombre de situations nécessitant de procéder à des manœuvres risquées (cas d’un dépassement dangereux). Si la vitesse moyenne est un facteur d’accident, l’hétérogénéité des vitesses pratiquées l’est également.

Enfin, une mauvaise appréciation du risque réel entraînée par une mauvaise estimation des conditions de la conduite rapide et des capacités nécessaires pour la gérer (distance de freinage qui varie selon l’environnement) explique également cette relation. À des vitesses plus élevées de circulation, le conducteur s’octroie une distance de sécurité plus importante avec le véhicule qui le précède [8]. Malheureusement, celle-ci est souvent inappropriée et insuffisante, reflétant en partie une surestimation des capacités de réaction face à un événement imprévu.

Compte tenu des éléments avancés précédemment, une vitesse de circulation plus élevée conduit à une accidentalité plus forte, mais la gravité de l’accident est également plus importante. Selon sa nature (choc frontal ou latéral), les probabilités d’être tué ou gravement blessé s’accroissent de manière exponentielle avec la vitesse d’impact [9]. Ainsi, des variations d’impact de vitesse de 10 km/h peuvent accroître de manière importante la probabilité de décès de la victime (encadré 2, ci-après).

Une relation de forme similaire est avancée pour des accidents impliquant des piétons [10], mais dans une collision avec des impacts de vitesse plus faibles. Ainsi, pour le piéton, la probabilité de décéder d’un accident de la circulation à 57 km/h est de 10 %, mais de 50 % à 70 km/h et de près de 90 % pour un impact à 80 km/h.

Probabilité d’être tué ou gravement blessé selon la vitesse du choc (frontal)
En rouge : mortel — En bleu : mortel et grave

Vitesse en mile par heure (1 mph = 1,6 km/h). La courbe pleine représente la relation estimée. Les courbes en pointillés indiquent l’intervalle de confiance.
Schéma adapté d’après [9].

Enjeux autour des limitations de vitesse

La limitation de vitesse vise à réguler les attitudes de conduite et à coordonner les comportements entre les usagers. Elle joue aussi un rôle informationnel pour le conducteur en lui stipulant les limites légales de sa vitesse de circulation et les conditions d’une conduite adaptée.

Fondamentalement, la limitation de vitesse résulte d’un arbitrage politique et expert entre des niveaux de sécurité et des vitesses de circulation. On imagine assez aisément qu’une vitesse de circulation très réduite n’aurait aucun sens sur autoroute (les coûts de la mobilité deviendraient alors trop importants avec un allongement significatif des temps de parcours, et la limitation proposée ne serait pas adaptée à l’infrastructure conçue pour des vitesses de circulation élevée), tout comme supprimer toute limitation de vitesse en milieu urbain (il y aurait alors une recrudescence du nombre de victimes, notamment des usagers vulnérables). Mais comment déterminer un niveau approprié ?

Prendre en référence la vitesse qu’adopterait spontanément un conducteur dans un trafic fluide (« vitesse libre » où il y a peu d’interactions entre véhicules et où les distances de sécurité sont naturellement respectées) peut s’avérer utile mais est souvent peu approprié, notamment en milieu urbain. Une autre approche consiste à partir des caractéristiques de l’infrastructure routière (environnement, interaction avec les usagers, etc.). Ainsi, la limitation de vitesse sera plus élevée sur les autoroutes, plus faible sur le réseau départemental et de nouveau réduite en milieu urbain. La limitation de vitesse peut également résulter d’une préférence politique (absence de limitation de vitesse dans les Territoires du Nord en Australie, mais également sur certaines autoroutes en Allemagne, « zones 30 » en ville, etc.).

Pour l’économiste, la limitation de vitesse n’a de sens que dans la mesure où elle limite les dommages au niveau d’une société [11, 12]. Son niveau dépend alors d’un arbitrage entre des avantages et des coûts économiques et sociaux. Des vitesses de circulation plus faibles permettent de réduire le coût induit par les accidents de la circulation, mais impliquent des allongements de temps de parcours dont les conséquences doivent être prises en compte. L’évolution de la limitation de vitesse est considérée comme étant optimale si ce changement conduit à réduire les coûts nets associés pour la société. Ainsi les résultats de l’évaluation du passage à 80 km/h en France ont montré une réduction des coûts nets estimée entre 667 et 780 millions d’euros pour la seule année 2018 [13] et justifiaient selon le critère économique d’abaisser la limitation de vitesse (voir encadré).

La décision d’abaisser la limitation de vitesse engendre généralement un large débat : le cas de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h en constitue un exemple récent. Certains avancent des gains de sécurité importants, d’autres dénoncent une mesure inefficace. En fait, les arguments des uns et des autres négligent la plupart du temps les enjeux relatifs à l’effectivité de la mesure. En effet, un changement de limite de vitesse se traduit dans un premier temps par des changements de vitesse de circulation des usagers (mais dans quelle mesure ?), qui feront l’objet d’une politique de contrôle plus ou moins stricte, et qui conduit dans un deuxième temps à une évolution de l’accidentalité. Il y a donc un séquençage dans la mise en œuvre et l’obtention des effets de la mesure.

Il existe une littérature très documentée sur les effets des changements de vitesse [14, 15]. Une étude de 2016 [16] conclut qu’une réduction de 10 km/h de la limite de vitesse conduit à une diminution de la vitesse moyenne de circulation inférieure à 10 km/h. Et une augmentation de la limitation de vitesse de 10 km/h engendre une hausse de la vitesse moyenne de circulation inférieure à 10 km/h. Les analyses doivent donc impérativement prendre en compte le fait que la modification réelle de la vitesse moyenne de circulation est inférieure à la modification de la limite de vitesse.

Généralement, une diminution de la limite de vitesse conduit à une réduction de l’accidentalité, et inversement, une augmentation conduit à un accroissement de l’accidentalité [15], en rapport avec l’importance de la modification [14].

Abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h


Décidée par le gouvernement, la mesure d’abaissement de la vitesse maximale autorisée de 90 km/h à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles de rase campagne dépourvues de séparateur central en France métropolitaine a été mise en œuvre le 1er juillet 2018. Son objectif principal était de faire baisser le nombre de tués et d’accidents corporels sur les routes concernées par la mesure. Il a été décidé d’en dresser une évaluation approfondie en juillet 2020. Cette mission a été confiée au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) par la Délégation interministérielle à la sécurité routière.

Une réduction des vitesses pratiquées dès le 1er juillet 2018
L’abaissement de la vitesse maximale autorisée a une influence non linéaire sur les vitesses pratiquées. Ainsi, dans le cadre de la mesure 80 km/h, une baisse de 3,3 km/h sur les vitesses moyennes pratiquées par l’ensemble des usagers est relevée par l’observatoire du Cerema. Cette baisse est conforme aux résultats de la littérature internationale.

Une baisse très significative du nombre de tués sur le réseau concerné
L’impact de la mesure correspond à une baisse de 12 % du nombre de tués sur le réseau considéré, réseau « hors autoroute » et « hors agglomération », par rapport au reste du réseau routier français (avec une estimation de l’erreur de 3,6 %) […]. L’impact de la mesure est plus mesuré sur le nombre d’accidents corporels. En effet, sur le réseau considéré, il se stabilise au niveau de la référence. Il faut cependant souligner la réduction de la gravité des accidents avec une baisse de 10 % du taux de mortalité.

Un allongement du temps de parcours, inférieur à la perception des usagers
En termes de circulation, l’observatoire Cerema n’a pas relevé d’impact de la mesure sur l’écoulement du trafic. En effet, il n’y a pas eu de création supplémentaire de pelotons de véhicules, ni de réduction du temps entre les véhicules qui se suivent. En revanche, un allongement moyen des temps de parcours d’une seconde par kilomètre a été calculé, par analyse comparée d’un historique de données de véhicules flottants sur trois mois en 2017 et en 2019. Ceci correspond pour des trajets de 50 kilomètres à une perte de 50 secondes en semaine. C’est largement inférieur au temps perdu perçu par les usagers, qui ont tendance à surestimer le temps gagné lorsqu’ils roulent vite. En effet, lors des enquêtes réalisées en octobre 2019, les répondants déclaraient perdre plus de 2 minutes pour ce type de trajet.

Une légère amélioration des impacts environnementaux
Les analyses ont montré que la mesure entraînait une légère diminution des principaux polluants atmosphériques et des nuisances sonores, bien que cette dernière ne soit pas perceptible par l’oreille humaine. Les résultats obtenus, bien que modestes, sont conformes à la littérature antérieure sur le sujet.

Une progression continue de l’acceptabilité de la mesure
L’acceptabilité de la mesure ne cesse de progresser depuis sa mise en œuvre. La part des personnes favorables à la mesure augmente, passant de 30 % en avril 2018 à 43 % en octobre 2019 et 48 % en juin 2020 […]. Cette évolution est particulièrement marquée pour les personnes habitant en zone rurale et dans les villes de moins de 20 000 habitants. Les enquêtes, en lien avec la littérature antérieure, ont montré que la réduction de l’accidentalité et notamment de la mortalité a un impact positif sur le niveau d’adhésion à la mesure.
Rapport final d’évaluation (1er juillet 2020)

Un bilan socio-économique positif montrant l’efficience de la mesure
Le calcul socio-économique estime un gain de 700 millions d’euros sur une année, en comparant 2017 et 2019 […]. Les bénéfices sociétaux résident principalement dans les gains d’accidentalité (1,2 milliard €). Ils sont en cohérence avec l’effet attendu de la mesure. Le principal coût social de la mesure est lié aux pertes de temps de parcours (entre 720 et 920 millions €). Il est largement compensé par la réduction de l’accidentalité, auquel s’ajoutent les bénéfices liés à la moindre consommation de carburants et à la baisse des émissions de CO2.

Des résultats positifs qui seraient encore meilleurs avec un plus fort respect des limitations de vitesse
La mesure n’a pas encore pleinement atteint les effets escomptés. En effet, en décembre 2019, 58 % des conducteurs de véhicules légers circulaient encore au-dessus de 80 km/h dont 35 % entre 80 et 90 km/h. La littérature indique que ces excès de vitesse inférieurs à 10 km/h sont principalement perçus par les usagers comme peu dangereux et peu répréhensibles, alors qu’ils jouent un rôle important dans la mortalité routière française.

Source : Cerema, « Abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h », Rapport final d’évaluation, 1er juillet 2020. Sur cerema.fr

Le rapport de l’ITF 1 [15] cite ainsi en exemple la réduction de la limitation de 60 km/h à 50 km/h en ville en Australie (de 1999 à 2003) et en Hongrie (depuis 1993). En Australie, le nombre d’accidents a diminué de 25 % et le nombre de blessés de 22 %. En Hongrie, le nombre de tués a chuté de 18 %. Inversement, une augmentation des limitations de vitesse conduit à un accroissement de l’accidentalité routière. Le rapport cite également plusieurs exemples d’augmentation de la limitation de vitesse, dont la Hongrie où le passage sur les routes de campagne de 80 km/h à 90 km/h en 2001 a conduit à une augmentation de 2,5 % de la vitesse moyenne et une mortalité accrue de 13 %.

Il reste que peu de travaux portent sur les conditions qui font qu’une mesure réglementaire sera effectivement mise en œuvre et aura les conséquences attendues [17]. Ainsi, une réduction de la limite de vitesse ne produira des effets notables que si elle est acceptée et suivie par les usagers de la route, ce qui dépend, entre autres, de l’effort consenti par les forces de l’ordre dans son application, mais également de l’accompagnement d’une politique de communication expliquant le bien-fondé de cette décision et favorisant l’acceptation sociale de ce changement.

L’application des limitations de vitesse : décriée mais nécessaire

Différents mécanismes peuvent conduire l’usager de la route à respecter la limitation de vitesse. La norme peut être intégrée du fait de l’influence de la morale (on respecte la réglementation, car on se doit de respecter la loi), de celle des pairs (je me conforme dans une certaine mesure aux normes de mon groupe d’appartenance) et d’autrui (j’adopte un comportement en rapport avec les comportements d’autrui ou en rapport à ce qui est approuvé par les autres). Cela peut ne pas suffire. Il est alors nécessaire de mettre en œuvre des stratégies de contrôle et de sanction [18], comme mobiliser les forces de l’ordre, installer des dispositifs de contrôle automatisé et sanctionner le contrevenant. En 2019, près de 13 millions d’infractions à la limitation de vitesse ont été constatées, dont plus de 90 % par des dispositifs de contrôle automatisé. Une politique de communication et de prévention peut également être mise en œuvre, à la fois pour avertir des dangers de certaines pratiques routières et pour venir en soutien à la politique de contrôle en avertissant de la mise en place de mesures (par exemple lors des départs en vacances ou pendant les grands weekends fériés pour lesquels sont attendus de nombreux déplacements).

Automobilistes pris au lasso par la police de San Francisco.
Le Petit Journal du 19 juillet 1908.

L’efficacité d’une politique de contrôle et de sanction repose sur un ensemble de dimensions qui contribue à définir une stratégie adaptée. La sévérité de la sanction doit être appropriée : une sanction trop légère n’incite guère à son respect (pensons ainsi au cas du Montana, où une amende de 5 $ était prévue pour un excès de vitesse et de fait rendait inopérante la mise en œuvre des 55 mph [miles per hour] décidée en 1974), tandis qu’une sanction trop sévère délégitimera la loi [17]. La certitude de la sanction s’avère également importante : les usagers de la route apprennent du dispositif de contrôle et de sanction en y étant confrontés et peuvent déceler ses faiblesses ou son efficacité. On comprend ici le débat autour du rôle des réseaux sociaux qui permettent de localiser les lieux de contrôle. La rapidité de la sanction contribue au processus de dissuasion en permettant au contrevenant de rapprocher son acte de ses conséquences. L’automatisation des contrôles constitue à cet égard un avantage important en permettant d’envoyer la contravention dans des délais très courts. La connaissance des sanctions par le contrevenant contribue aussi au respect de la loi en influençant les conditions de la décision de l’usager de la route. Enfin, l’intensité de la politique de contrôle avec la présence de forces de l’ordre sur le bord des routes incite à la modération des vitesses [19].

Les autorités peuvent mobiliser différentes stratégies de dissuasion selon les caractéristiques des comportements déviants, leur nombre, et le type d’infraction. Il peut s’agir d’une stratégie de dissuasion locale (politique circonscrite à un lieu ou à un moment – radar vitesse fixe à l’entrée d’un tunnel dangereux ou à proximité d’une école) ou globale (contrôle généralisé du réseau routier avec des patrouilles). Elle peut consister aussi en une dissuasion générale (visant à produire un effet préventif par une présence au bord de la route) ou spécifique (visant à identifier le contrevenant et à le sanctionner pour éviter la récidive) [20]. Ainsi, on reconnaît que les radars fixes visent à rechercher le premier effet, tandis que les voitures radars dans les flux de circulation consistent à produire le deuxième effet, ce qui fait du programme français une approche équilibrée.

À cet égard, le contrôle automatisé de la vitesse apparaît comme une innovation majeure dans la politique de sécurité routière en France pour réduire l’insécurité routière, mais également dans d’autres pays [21]. Il comptera près de 4 400 appareils d’ici la fin de l’année 2020, sous la forme de radars fixes, déplaçables et mobiles (y compris les radars feux rouges). Ce dispositif équilibré entre objectif de prévention (du fait de leur signalisation par un panneau et sur le site Internet de la sécurité routière) et de répression s’appuie sur une capacité de détection massive des contrevenants pouvant fonctionner en permanence (plus de vingt millions de messages d’infraction traités sur la dernière année), un traitement pénal rapide de l’infraction, un taux de paiement des amendes important, et des sanctions adaptées à la gravité de l’infraction. Depuis son lancement en novembre 2003, le dispositif a sauvé des milliers de vies et évité des dizaines de milliers de blessés [22] en s’assurant d’un meilleur respect de la limitation de vitesse. Entre 2003 et 2010, il a ainsi été estimé que près de 15 000 vies avaient été sauvées. Ce dispositif a donc participé de manière significative à l’amélioration de la situation de la sécurité routière en France ces dernières années. Cet effet, somme toute intuitif, montre une direction à suivre pour sauver des vies.

Références


1 | Onisr, « La sécurité routière en France. Bilan de l’accidentalité de l’année 2019 », Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 2020.
2 | Brenac T et al., « Influence de la vitesse de déplacement sur le risque d’accident corporel : une étude cas-témoins », Carnets d’accidentologie, 2016, 1-13.
3 | Kloeden CN et al., “Travelling Speed and the Risk of Crash Involvement on Rural Roads”, Report CR204, Road Accident Research Unit, Adelaide University, 2001.
4 | Nilsson G, “The Effect of Speed Limits in Traffic Accidents”, VTI särtryck, 1982, 68 :1-10.
5 | Elvik R, “The Power Model of the Relationship Between Speed and Road Safety. Update and New Analyses”, TOI Report 1034/2009, 2009. Sur toi.no
6 | Cameron M, Elvik R, “Nilsson’s Power Model connecting speed and road trauma : Applicability by road type and alternative models for urban roads”, Accident Analysis and Prevention, 2010, 42 :1908-15.
7 | Transportation Research Board, “Managing Speed, Review of Current Practice for Setting and Enforcing Speed Limits”, Special Report 254, 1998.
8 | Shinar D, Traffic Safety and Human Behavior, Emerald, 2007.
9 | Richards D, Cuerden R, “The Relationship between Speed and Car Driver Injury Severity”, Department for Transport, Transport Research Laboratory, Road Safety Web Publication 9, 2009.
10 | Martin J-L, Wu Dan, “Pedestrian fatality and impact speed squared : Cloglog modeling from French national data ?”, Traffic Injury Prevention, 2017, 519 :94-101.
11 | Fragnot L, « Réduction des vitesses sur les routes. Analyse coûts-bénéfices », Commissariat général au développement durable, 2018.
12 | Carnis L, « Essai d’estimation d’une vitesse optimale pour les véhicules légers sur le réseau interurbain français », Cahiers Scientifiques du Transport, 2004, 46 :63-95.
13 | Cerema, « Abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h », Rapport final d’évaluation, 1er juillet 2020.
14 | Cohen S et al., Limitations de vitesse : les décisions publiques et leurs effets, Hermes, 1998.
15 | ITF, “Speed and Crash Risk”, IRTAD, Research Report, 2018.
16 | Musicant O et al., “Impact of Speed Limit Change on Driving Speed and Roads Safety Interurban Roads”, Transportation Research Record, 2016, 2601 :42-9.
17 | Carnis L, « La Basic Rule au Montana ou la mise en lumière des enjeux relatifs à l’effectivité des politiques publiques », in Egido A, Gaymard S (dir.), Sécurité et facteurs humains dans les moyens de transport. Une approche multidisciplinaire, L’Harmattan, Coll. Logiques Sociales, 2012, 193-208.
18 | Cestac J et al., « Enquête sur le rapport à la règle chez les automobilistes français », Rapport Final ORSI, Évaluation des politiques de sécurité routière, Convention IFSTTAR-CEREMADSCR n° 2200626575, 2018, 76 p.
19 | Carnis L, « Quels enseignements peut-on tirer des statistiques des infractions au Code de la route sur la politique publique de sécurité routière ? », Recherche Transports Sécurité, 2013, 2 :87-104.
20 | Carnis L, Blais É, « Opérations policières en sécurité routière : les conditions de leur succès », in Cusson M et al. (dir.), Nouveau traité de sécurité : sécurité intérieure et sécurité urbaine, Hurtubise et Septentrion, 2019, 139-48.
21 | Carnis L, Les politiques d’automatisation des contrôles de vitesse. Entre logiques institutionnelles, formes organisationnelles et contraintes opérationnelles, éditions de l’Ifsttar, Série Mobilité, logistique, 2017, 254 p.
22 | Blais É, Carnis L, “Improving the Safety Effect of Speed Camera Programs Through Innovations : Evidence from the French Experience”, Journal of Safety Research, 2015, 55 :135-45.

1 International Transport Forum (Forum international des transports, itf-oecd.org) est une organisation intergouvernementale qui compte 62 pays membres. Elle fait office de groupe de réflexion sur la politique des transports.