Le Brésil s'enfonce dans la crise politique et sanitaire
L'armée tente de calmer le jeu après des déclarations incendiaires de Jair Bolsonaro. Le bilan sanitaire s'alourdit. Le Brésil compte davantage de victimes du coronavirus que la Chine, sans avoir atteint le pic de la maladie.
Par Thierry Ogier
Un petit groupe de blouses blanches était rassemblé samedi sur la place des Trois-Pouvoirs à Brasilia, la capitale politique du Brésil. Porteurs de croix noires en hommage à leurs collègues décédés, les infirmiers protestaient contre le manque d'équipement de protection individuelle en milieu hospitalier. Mais très vite, des militants d'extrême droite sont venus les chasser et les repousser violemment en les traitant de « gauchistes ».
Le lendemain, sur les mêmes lieux, ce sont plusieurs centaines de militants « patriotes », vêtus de jaune et de vert, qui se sont rassemblés devant le palais présidentiel en signe de solidarité à Jair Bolsonaro, en dépit des consignes de distanciation sociale. Beaucoup de drapeaux brésiliens au milieu de banderoles en faveur d'une « intervention militaire » ou contre la Cour suprême, mais également un drapeau américain et un autre israélien… Cette fois-ci, ce sont des journalistes, insultés et chassés à coups de pied, qui deviennent l'objet de la colère des sbires du président. Peu après, Jair Bolsonaro lui-même émerge du palais du Planalto et se dirige, au côté de sa fille âgée de 9 ans, vers la foule.
La constitution, c'est moi
« Le peuple est à nos côtés. Les forces armées sont aux côtés du peuple », lance-t-il. Isolé politiquement, accusé d'ingérence dans les affaires de la police fédérale par son ancien ministre de la Justice, Sergio Moro , désormais qualifié de « Judas », Jair Bolsonaro ne décolère pas. La cour suprême, le Congrès, tous des ennemis, à ses yeux. « La constitution, c'est moi ! », avait-il déjà déclaré récemment.
Même si l'armée a officiellement réitéré son attachement à « la loi, l'ordre, la démocratie et à la liberté », certains observateurs ne cachent pas leur inquiétude. « Les gens sont en train de jouer avec des allumettes autour d'une botte de foin », alerte un investisseur. Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales de la Fondation Getulio Vargas (FGV), évoque un «processus d'érosion de la démocratie». Alors que l'ancien président Fernando Henrique Cardoso met de son côté en garde contre l'instabilité chronique qui s'installe dans le pays. « Le désordre ne peut pas durer très longtemps. Il y a un moment où quelqu'un doit rétablir l'ordre. Les militaires tolèrent la situation jusqu'au moment où il n'y a plus de solution », a-t-il déclaré lors d'un débat organisé par le journal « Valor Econômico ».
Le virus, et alors ?
Refusant toujours de rendre publics les résultats de ses propres tests de dépistage, Jair Bolsonaro ne se montre pas inquiet outre mesure des effets de la pandémie. Même si la courbe de victimes (7.300 morts et plus de 100.000 contaminés, soit plus que la Chine, selon les données officielles) continue de grimper, le président brésilien a récemment démontré qu'il ne se sentait guère concerné par la crise sanitaire : « Et alors ? Je regrette. Que voulez-vous que j'y fasse ? »
En raison du manque de tests réalisés, le véritable nombre de cas de coronavirus est sans doute encore plus élevé (1,3 million, selon une estimation des chercheurs de l'Université de São-Paulo). La situation est d'autant plus préoccupante que les services publics de santé sont désormais débordés, notamment à Rio, dans le Nordeste et en Amazonie.
Thierry Ogier (Correspondant à São Paulo)