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Coronavirus : Emmanuel Macron plaide pour une annulation de la dette africaine

En mars, les ministres africains des finances avaient demandé 100 milliards de dollars à la communauté internationale pour lutter contre le Covid-19, dont 44 milliards affectés au remboursement de leurs dettes.

Par Mariama Darame

Publié le 14 avril 2020 à 10h52, modifié le 14 avril 2020 à 14h45

Temps de Lecture 4 min.

Des sans-abri qui attendent de recevoir des paniers de nourriture de donateurs privés se font désinfecter les mains le 13 avril 2020 dans le centre-ville de Johannesburg.

La France et l’Europe vont devoir aider l’Afrique à lutter contre le nouveau coronavirus en « annulant massivement sa dette ». Lundi soir, le président de la République, Emmanuel Macron, a profité de son allocution télévisée pour faire passer cette idée aux Français, une des rares incises internationales dans un discours hexagonal. Pour une majorité d’Etats africains, en effet, seule l’annulation de la dette publique extérieure pourrait éviter un effondrement économique, alors que son remboursement engloutit en moyenne 13 % des revenus des Etats (selon l’ONG britannique Jubilee Debt Campaign).

Fin mars, les ministres africains des finances avaient déjà demandé 100 milliards de dollars à la communauté internationale pour lutter contre le Covid-19, dont 44 milliards affectés au remboursement de leurs dettes et de leurs intérêts. Pour l’instant, le FMI et la Banque mondiale appellent seulement à suspendre le remboursement des emprunts des pays les plus pauvres auprès des créanciers bilatéraux, et le FMI a annoncé quelques heures après l’intervention d’Emmanuel Macron le versement d’une aide d’urgence à 25 pays parmi les plus pauvres du monde, dont 19 sont en Afrique. Mais, de la suspension à l’annulation, le chemin reste encore long.

Pourtant, la seconde formule a ses partisans, comme l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla. A ses yeux, « seule cette annulation pourrait permettre de résoudre ou du moins d’atténuer sensiblement le problème » économique qui pointe. Reste que « les créanciers privés n’y ont aucun intérêt. Peut-être qu’ils accepteront le principe d’un moratoire pour retarder [le] paiement [de la dette], mais il faudra bien finir par la payer. Et, après la crise du coronavirus, ces Etats endettés se retrouveront coincés à nouveau », craint l’économiste ouest-africain.

Négociations difficiles

Pour Serge Michailof, les négociations s’annoncent donc difficiles, même auprès des Etats. « Je vois mal les partenaires bilatéraux accorder un effacement de la dette aux pays qui ont déjà bénéficié du PPTE (initiative en faveur des pays pauvres très endettés) au début des années 2000. Refaire une deuxième opération de ce genre ne serait pas du tout évident », estime cet ancien directeur de la Banque mondiale.

Reste qu’en face il y a bien urgence, et pour toute une série de raisons. « Je crains que l’impact de la pandémie sur la région soit vraiment dévastateur », a déjà prévenu le directeur du département africain du Fonds monétaire international (FMI), Abebe Aemro Sélassié, alors que les mesures sanitaires prises à l’échelle mondiale faisaient chuter les échanges commerciaux et la demande en matières premières. Touchées de plein fouet, les économies africaines risquent d’entrer en récession, selon les projections de la Banque mondiale, ce qui serait une première depuis vingt-cinq ans.

Le FMI a annoncé le versement d’une aide d’urgence à vingt-cinq pays parmi les plus pauvres, dont dix-neuf en Afrique

« Un des effets immédiats de la pandémie, ajoute Ndongo Samba Sylla, est que les flux de capitaux se tarissent et quittent l’Afrique pour aller vers les pays riches. » Pris dans cette spirale destructrice, les déficits des balances commerciales se creusent et les monnaies africaines continuent de se dévaluer dangereusement.

Ces dernières années, l’endettement du continent s’est accéléré. Le poids de la dette publique y a bondi, passant de 35 % du PIB africain à 60 % entre 2010 et 2018. Une hausse particulièrement vertigineuse dans les pays exportateurs de matières premières, qui ont subi la chute des cours de 2014 à 2016, selon Chukwuka Onyekwena, le directeur du Centre des études économiques d’Afrique (CSEA). Déjà, « les gouvernements africains avaient dû davantage dépenser pour compenser la baisse des revenus du secteur privé » après la crise de 2008.

Finances étatiques sous pression

La crise financière mondiale avait eu un autre effet ambigu en attirant les Etats africains sur les marchés financiers. A l’époque, la faiblesse des taux d’intérêt a poussé les gouvernements africains à émettre en masse des eurobonds, des titres de dettes libellés en monnaie étrangère, souvent en dollars ou en euros. Depuis, les créanciers privés ont acquis un tiers de leur dette publique. Mais, aujourd’hui, les taux flambent, oscillant entre 5 % et 10 % et mettant les finances étatiques sous pression.

Ainsi, « en 2018, le Sénégal a émis deux eurobonds d’un milliard d’euros et d’un milliard de dollars à 6 % et 4,75 % sur dix ans. Cela veut dire que, chaque année, ils payent les intérêts et qu’en 2028 ils devront s’acquitter des deux milliards. Vu la situation économique, ils ne pourront certainement pas le faire, donc ils n’auront pas d’autre choix que de se rendetter », ajoute Ndongo Samba Sylla.

De nombreux pays africains sont surendettés ou en passe de l’être. Le défaut de paiement apparaît pour certains quasiment inévitable. Ainsi, la Zambie, deuxième producteur de cuivre en Afrique, a un besoin urgent de restructurer sa dette publique extérieure – 11,2 milliards de dollars – pour éviter la banqueroute. D’autres, comme l’Angola, le Ghana ou encore l’Ethiopie, sont eux aussi proches d’un scénario similaire.

Au-delà de son explosion, la dette publique africaine souffre aussi d’un problème structurel, puisque les bailleurs bilatéraux traditionnels regroupés dans le Club de Paris ont été progressivement remplacés par les créanciers des pays émergents, notamment la Chine. La situation actuelle montre les limites des systèmes de financement du développement en Afrique, portés par la Chine et les créanciers privés. A l’avenir, les organisations multilatérales vont devoir réfléchir à leurs conditions de prêt pour inciter les Etats africains à revenir vers des modèles de développement plus vertueux.

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