T. Beaudet (Mutualité française) : « Les mutuelles n’entendent sûrement pas tirer profit de la crise du Covid-19 »

Le coronavirus mobilise les mutuelles santé sur deux fronts. Ces assureurs complémentaires  se sont mis en ordre de marche pour assurer la permanence d’une activité vitale, alors même que le confinement perturbe fortement l’accès aux soins, et pour participer à l’effort de solidarité nationale Mais les établissements de soins mutualistes sont également partie prenante du combat contre cette pandémie qui a déjà causé plus de 20000 décès. Le président de la Mutualité française, Thierry Beaudet, détaille les enjeux de cette double exposition.

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T. Beaudet (Mutualité française) : «  Les mutuelles n’entendent sûrement pas tirer profit de la crise du Covid-19 »
Thierry Beaudet, président de la Mutualité française : " il n’est sûrement pas dans l’esprit mutualiste de tirer profit de la crise du Covid-19 pour améliorer sa situation financière. Si les mutuelles devaient constater du fait de la pandémie une hausse de leur résultat technique, elles le redistribueraient, selon leur situation, à leurs adhérents."

Comment vivez-vous cette période de confinement ?

Je la vis avec une forme de frustration de ne pas être aux côtés de ceux qui sont en première ligne dans la lutte contre l’épidémie, et je pense notamment à tous les soignants, accompagnants et intervenants à domicile de nos structures mutualistes. Je pense également à tous les collaborateurs des activités assurantielles, mobilisés afin d’assurer la permanence des services et prestations.

Quelle est la situation des mutuelles après plus de six semaines de confinement ?

Les mutuelles dites de livre 2 se sont pleinement organisées pour maintenir le service des prestations santé et prévoyance à leurs adhérents.  A l’annonce du confinement elles ont pris la décision de fermer tous les sites accueillant du public et de basculer massivement leurs collaborateurs en télétravail. De nombreuses solutions techniques de communication ont été déployées – chat, téléphone, sites Internet – afin que les assurés puissent rester en contact avec leur mutuelle. Et, face à la réduction d’activité de certains secteurs, des organismes tels Macif Mutualité ou MGEN ont redéployé les collaborateurs concernés sur des campagnes d’appels afin de rompre la solitude des assurés ou de leur proposer des services existants.

L’ACPR vient d’appeler le secteur de l’assurance à une gestion prudente de ses fonds propres. Est-ce que certains organismes mutualistes pourraient être fragilisés par cette épidémie ?

Le premier réflexe des mutuelles n’a pas été la prudence, mais de répondre à l’urgence. Nous avons ainsi mis en place un socle commun de dispositifs, concernant par exemple le maintien des garanties santé et prévoyance en cas de chômage partiel. Et par ailleurs, beaucoup d’organismes mutualistes ont décidé d’aller encore plus loin dans l’accompagnement de leurs assurés et dans le soutien des structures économiques les plus fragiles…

 La crise n’aurait donc pas de conséquences sur les résultats des mutuelles ?

Nous n’avons pas d’alerte sur la soutenabilité financière et la solvabilité des mutuelles dont l’activité est très centrée sur la santé et la prévoyance et beaucoup moins présente sur l’assurance vie. Si la crise devait durer, les rendements d’actifs seraient moindres pour les assurés et les assureurs et, dans le cadre actuel de révision de Solvabilité 2, nous serions amenés à défendre un allègement des exigences prudentielles.

Je n’en partage pas moins l’invitation de l’ACPR à la prudence.  A l’heure où je vous parle (22 avril : NDLR), l’incertitude est forte sur le coût des arrêts de travail et les évolutions en santé. Les dépenses de soins de ville sont en recul, mais l’hospitalisation – premier poste de remboursement des mutuelles – s’avère en hausse du fait de la pandémie. Et cette augmentation va perdurer car les établissements vont devoir  reprogrammer toutes les interventions repoussées pour cause de Coronavirus. Ces incertitudes sur les dépenses se doublent d’une inconnue sur le montant de cotisations non recouvrées pour les mutuelles proposant des contrats d’entreprises.

>> LIRE L'ACPR intervient dans la polémique sur la perte d'exploitation

Est-ce que les mutuelles pourraient envisager de faire sur la  santé ce que la Maif vient d’annoncer pour l’auto, à savoir le remboursement d’une partie des cotisations au regard de la baisse de  la sinistralité ?

Nous ferons les comptes au terme de l’épidémie qui risque d’être assez lointain. Personne n’est en capacité aujourd’hui d’évaluer précisément les plus et les moins. Nous nous attendons par exemple à des effets reports sur les postes de dépenses en recul. Les mutualistes s’avèrent très préoccupés du non-recours aux soins actuel, car qui dit plus tard, dit plus grave et plus coûteux. Mais il n’est sûrement pas dans l’esprit mutualiste de tirer profit de la crise du Covid-19 pour améliorer sa situation financière. Si les mutuelles devaient constater du fait de la pandémie une hausse de leur résultat technique, elles le redistribueraient, selon leur situation, à leurs adhérents

La FFA a annoncé un engagement de 3,2 Md€ en faveur de la lutte contre le Covid 19. Qu'en est-il pour la Mutualité française ?

Les mutuelles ont peut-être un peu moins communiqué, mais elles ont mobilisé à ce jour plus de 200 millions d’euros par l’intermédiaire de toute une série d’initiatives. Je pourrais citer Ampli mutuelle qui a supprimé la franchise pour les personnels soignants*, MNH qui a créé une plateforme d’écoute pour ces mêmes personnels, Pasteur Mutualité qui lance un fonds d’action mutualiste, ou encore Harmonie mutuelle et Aesio qui reportent le paiement des cotisations pour les TPE-PME et la liste est loin d’être exhaustive.

Et puis bien évidemment les établissements mutualistes, hôpitaux et cliniques, sont fortement impliqués dans la prise en charge des patients atteints du Coronavirus, et cela en lien avec le service public hospitalier. A Paris, l’Institut mutualiste Montsouris a ouvert une unité de prise en charge de 128 lits dont 50 de réanimation ; à Saint-Etienne, la clinique Bellevue s’est profondément réorganisée pour l’accueil des patients ; en Côte d’Or, la Mutualité Bourgogne-Franche-Comté a constitué une équipe mobile qui intervient aux côtés du CHU de Dijon. Les établissements du groupe MGEN, les Trois Epis en Alsace et l’Institut de La Verrière en Ile-de-France, ont créé des unités d’accueil des patients Covid-19 dans des régions fortement touchées par l’épidémie.  Avec dans toutes ses structures un engagement admirable du personnel soignant.

Comment les autres services de soins et d’accompagnement mutualistes sont-ils touchés par la crise actuelle ?

Nous sommes en train d’évaluer la situation. Les centres dentaires, optiques et de santé mutualistes ont vu leur activité très fortement impactée par le coronavirus. Beaucoup de services souffrent. Certains ont recours au dispositif d’activité partielle. C’est un sujet très important pour le monde mutualiste que le soutien qu’il va devoir apporter à ces quelque 2 800 services de soins et d’accompagnement mutualistes, ouverts, je le rappelle, à toute la population et pas seulement aux adhérents des mutuelles. La crise sanitaire est aussi une crise économique, avec de fortes répercussions sociales, et notre pays aura bien besoin dans ce contexte d’une offre de soins  à tarifs opposables, sans dépassement d’honoraires.

La Mutualité française a toujours défendu une réforme du système de santé, mais est-ce que cette réforme n’est pas allée trop loin au regard des difficultés rencontrées aujourd’hui par les hôpitaux ?

La Mutualité française a contesté lors des deux derniers budgets de la Sécurité sociale une vision trop comptable de l’objectif des dépenses d’assurance maladie, et elle a dénoncé une évolution bien trop contrainte des dépenses hospitalières. Le système hospitalier manque de ressources, c’est incontestable, il était essoré avant même d’affronter l’épidémie. Il faut davantage de moyens pour l’hôpital et pour autant, la crise montre bien les problèmes d’organisation que rencontre notre système de soins. Il faut repenser les articulations entre la ville et l’hôpital, entre le sanitaire et le médico-social, en finir avec ce fonctionnement bien trop cloisonné.

Cela dit, la crise a également montré des lignes de force de notre système de santé. La situation a été très tendue dans l’Est et l’Ile-de-France, mais l’organisation et les soignants ont fait que notre dispositif a tenu, et cela sans aucune rupture d’égalité dans la prise en charge des malades. Personne n’est décédé parce qu’il avait moins de ressources financières que le patient voisin. D’autres patients, dans d’autres pays du monde, n’ont pas cette chance.

En quoi cette pandémie peut-elle faire évoluer notre société ?

Cette crise est totale, c’est une crise sanitaire, économique et sociale. Au-delà de ses effets terribles, je veux retenir un point positif : jamais l’ensemble des pays de la planète n’avait arrêté l’économie pour sauver des vies humaines, jamais on n’avait accordé autant de valeur à la vie humaine. Je veux espérer que cette pandémie va nous pousser à réinterroger notre fonctionnement, à corriger nos dérèglements, afin que la vie d’après soit réellement différente de celle d’avant. Je forme entre autres le vœu que la recherche et la santé deviennent de véritables priorités des politiques publiques et que notre pays apporte enfin de vraies réponses aux personnes vulnérables. Parmi d’autres, une loi pour le grand âge et l’autonomie est plus que jamais essentielle. 

* des indemnités journalières courtes pour ses contrats de prévoyance à destination des professionnels de santé libéraux.

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