Pertes et profits. C’est en septembre 1918 que la grippe espagnole a fait ses premières victimes. D’abord aux Etats-Unis, près de Boston, puis en Europe. Au printemps 1919, l’épidémie, qui avait déjà fait plusieurs dizaines de millions de morts dans le monde, semblait jugulée. Puis elle a resurgi pour ne s’éteindre qu’en 1920, presque deux ans après son apparition. En sera-t-il de même pour la pandémie actuelle ? Si le confinement autoritaire semble efficace en Chine et, peut-être, en Europe, qu’en sera-t-il de l’Afrique, puis de l’Amérique latine ? Avec le risque d’un effet retour contraignant chacun à vivre calfeutré.
C’est pourquoi la recherche de traitements et de vaccins est un impératif absolu. La science génétique progresse à grand pas. Alors qu’il fallait des années de recherche pour identifier puis mettre au point un vaccin, la société américaine de biotechnologie Moderna n’a mis que quarante-deux jours pour y parvenir, grâce à ses recherches précédentes sur les coronavirus. Son produit a été testé, lundi 16 mars, sur 45 patients sains à Seattle, dans l’Etat de Washington, région la plus touchée des Etats-Unis. Il faudra compter plus d’un an avant son éventuelle mise sur le marché. Mais si les tests sont concluants, il sauvera des vies par millions, comme tous les vaccins.
Des lancements qui coûtent cher
Derrière Moderna, la course est lancée pour mettre au point le produit le plus efficace. Johnson & Johnson, Sanofi et une vingtaine d’autres entreprises et organisations sont sur les rangs. Ce n’est pourtant pas une très bonne affaire. Les vaccins coûtent cher à développer, on parle de 2 milliards de dollars (1,82 milliard d’euros) pour le coronavirus, et rapportent peu, puisqu’une ou deux injections suffisent à protéger. Les grands laboratoires mondiaux et les jeunes pousses ne s’y aventurent que s’ils sont soutenus par des fondations ou des Etats. Moderna, qui ne travaille pas que sur les vaccins, perd de l’argent depuis neuf ans… mais est valorisée 10 milliards de dollars en Bourse.
Et, dans ce domaine aussi, les Américains ont marginalisé le Vieux Continent, lui pompant ses ressources au besoin. Le patron de Moderna est un Français, Stéphane Bancel, ancien directeur général de BioMérieux, et la plupart des Européens ont délocalisé leur recherche de pointe aux Etats-Unis. A l’ère de l’« America first », ce n’est pas très rassurant.
« Le capitalisme a des limites »
La chancelière allemande, Angela Merkel, a piqué une grosse colère en ce mois de mars quand elle s’est aperçue que les Etats-Unis tentaient de débaucher le spécialiste allemand CureVac, lui aussi sur le point de dévoiler un vaccin. « Le capitalisme a des limites, s’est exclamé le député social-démocrate Karl Lauterbach. Nous ne pouvons pas continuer à être dépendants de la Chine et des Etats-Unis pour notre médecine ». Même Paul Hudson, le patron du grand spécialiste mondial des vaccins, le français Sanofi, a enjoint les gouvernements européens à créer une agence spécialisée – sur le modèle américain – et à développer de nouvelles capacités de production.
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