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Enquête

Le food court, la dernière folie lyonnaise

Chaque année depuis quatre ans, un de ces temples culinaires ouvre dans la capitale des Gaules. Un dynamisme qui bouscule la tradition gastronomique des terres de Paul Bocuse. Décryptage d'une tendance qui essaime partout en France.

En 2019, Heat s'installe dans l'ancienne Halle Girard, haut lieu de la French Tech.
En 2019, Heat s'installe dans l'ancienne Halle Girard, haut lieu de la French Tech. (Gaetan Clement)

Par Ludovic Bischoff

Publié le 7 mai 2021 à 09:41Mis à jour le 8 mai 2021 à 12:40

Sans fanfare ni tambour, la scène culinaire lyonnaise a amorcé sa mue. Loin des salles bondées des bouchons, loin des cuisines où officient une volée de chefs toqués et étoilés, une révolution de palais s'écrit dans de nouveaux temples de la  bonne bouffe  que l'on nomme, par facilité et par convenance, food courts. Un concept anglo-saxon réunissant, dans un même espace, divers étals devant lesquels le visiteur flâne avant de commander sa pitance. Des carrousels de  fast-food qui, travaillés à la sauce lyonnaise, deviennent des lieux de perdition pour gourmets et gourmands, désireux de ne pas sacrifier la qualité sur l'autel de la diversité. Une conviction et un dynamisme créatif, qui ne laissent aucun doute sur l'envie des jeunes chefs de la ville d'inventer une cuisine populaire, voire « une manière de manger autrement ».

Aux quatre coins de la capitale des Gaules, ces nouveaux repaires culinaires bourgeonnent avec une ouverture par an depuis 2018. Quant aux racines de cette  folie lyonnaise , sans doute faut-il les chercher du côté des fameuses Halles de Lyon, qui ont lancé à leur manière cette restauration si particulière, servie sur un coin de comptoir. Si ce temple dédié aux meilleurs artisans lyonnais - charcutiers, fromagers, poissonniers, pâtissiers et autres - n'accueillait à l'origine que des étals de marché, certains commerçants ont eu la bonne idée de proposer, au fil des années, d'y  casser la croûte de manière informelle. Place alors au « mange debout » pour accompagner quelques huîtres d'un petit verre de blanc, avant d'avaler une tranche de pâté en croûte.

Une gastronomie métissée

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Aujourd'hui, de véritables restaurants attirent locaux et touristes dans cet antre emblématique de la gastronomie lyonnaise, rebaptisé Halles de Lyon-Paul Bocuse en 2006. « Les Lyonnais ont l'habitude de manger et de bien manger, autant au restaurant que chez eux ou en faisant leurs courses. Et ils sont curieux, d'où le succès de ces nouveaux lieux de restauration que sont les food courts », confirme Yves Rouèche, auteur d'ouvrages sur l'histoire de la gastronomie lyonnaise, qui rappelle aussi que cette cuisine a toujours été enrichie et influencée par les échanges commerciaux, ayant fait la fortune de cette ville à la confluence de deux fleuves. « Les Italiens, par exemple, ont apporté beaucoup de plats que les Lyonnais se sont appropriés, comme le cervelas, les quenelles, les bugnes, les abats, etc. »

La gaufre de pain, truite gravlax, oeufs de truite proposée au petit déjeuner par Substrat-La Panifacture au Food Traboule.

La gaufre de pain, truite gravlax, oeufs de truite proposée au petit déjeuner par Substrat-La Panifacture au Food Traboule.Nicolas Villion

La gastronomie lyonnaise est par nature métissée, une histoire qui renforce depuis des générations ce désir des Lyonnais pour de nouvelles cuisines, dynamitant les frontières. « Les Lyonnais ont une vraie culture gastronomique », confirme Emeric Richard, le cofondateur du Lyon Street Food Festival qui connaît un succès retentissant depuis 2016 et qui n'est pas étranger à l'appétence des Lyonnais pour la cuisine de rue. « Cet intérêt va au-delà de la simple dégustation, les Lyonnais aiment comprendre comment on cuisine tel plat, telle recette. Les food courts, qui permettent de voir le chef officier devant vous, répondent à cette soif de savoir… »

Lieu totem

Signe d'une révolution culinaire, La Commune, le premier food court de la ville, ouvre ses portes en mars 2018, quelques semaines seulement après la disparition de Paul Bocuse. Niché dans une ancienne menuiserie, le lieu porte haut son ambition de faire émerger les futurs talents de la gastronomie, comme un ultime clin d'oeil à celui qui a formé tellement de chefs. Au fil d'une quinzaine de stands, de jeunes cuisiniers testent leur concept de restauration, un incubateur où ils se font les dents, devant un public ravi de fréquenter un lieu de vie ouvert du matin au soir.

Jusqu'à aujourd'hui, 26 chefs sont passés par La Commune, dont 7 ont créé leur propre affaire. Certains avec un beau succès comme Les Eclaireurs de Romain et Guillaume Luyat, qui revisitent le traditionnel éclair pâtissier sous la forme sucrée et salée, mais aussi les pâtisseries végétales de Zoï ou encore Le Bon Jean qui s'affirme « charcutier et casse-croûtier » dans la capitale des cochonnailles.

La Commune, le premier food court ouvert à Lyon, en mars 2018, accueille une quinzaine de stands.

La Commune, le premier food court ouvert à Lyon, en mars 2018, accueille une quinzaine de stands.DR

L'année suivante, Heat ouvre dans un lieu totem de la french tech lyonnaise. L'ancienne Halle Girard, renommée H7 depuis qu'elle héberge près de 400 start-up dans le quartier de La Confluence, devient le berceau de quatre conteneurs transformés en cuisines. S'ils nourrissent le midi la population de jeunes entrepreneurs, cette cantine d'un nouveau genre convie, le soir et le week-end, des touristes et des habitués désireux de manger en plein air.

Au menu, des plats comfort food tels que le burger et la pizza - véritables recettes gagnantes de tous les food courts - mais aussi une belle cuisine du monde, où la street-food japonaise de Kokoro côtoie la cuisine canadienne de Queue de Castor qui regarde, dubitative, les étonnantes pâtisseries aux huiles essentielles de Géranium Framboise et les plats mêlant cuisines africaines et asiatiques de Savane et Mousson… Le tout, pour le montant d'un ticket restau !

De nouvelles agoras

Pensé à la manière d'une scène de spectacle, sur laquelle sont programmés des chefs différents, le lieu rassemble une communauté de près de 250 restaurants, à 90 % lyonnais. « À la différence de certains food courts qui alignent des stands occupés par un seul restaurateur, nous avons choisi de proposer peu de stands mais beaucoup de cuisiniers qui s'y succèdent chaque semaine », résume Cédric Dujardin, directeur de Heat. Car les food courts à la sauce française ont en commun d'être à la fois des lieux de restauration et des espaces de vie, avec une véritable programmation culturelle et événementielle.

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Au Heat, quatre conteneurs-cuisines régalent les 400 start-up du quartier de La Confluence.

Au Heat, quatre conteneurs-cuisines régalent les 400 start-up du quartier de La Confluence.Gaetan CLEMENT

De nouvelles agoras qui favorisent les rencontres impromptues et remplissent le rôle social hier dévolu aux tavernes, brasseries et autres cabarets. « Ces nouveaux lieux répondent aux attentes des jeunes chefs qui aiment expérimenter, mélanger les cuisines du monde, travailler sur des projets et en équipe. Ils rejoignent aussi les attentes de clients qui sont habitués à zapper d'une cuisine à l'autre et qui ont soif de lieux moins formels que les restaurants classiques », analyse Florent Boivin, directeur pédagogique à l'Institut Paul Bocuse.

Expérience culinaire

Les food courts sont à peine nés que voilà déjà un nouveau concept… Les jeunes créateurs d'Ephemera proposeront prochainement à Lyon une « expérience client » inédite, à travers un restaurant éphémère et thématisé. « Les gens ne veulent plus simplement sortir au restaurant, ils veulent vivre un moment unique, qu'ils pourront relayer sur les réseaux sociaux, partager avec leurs amis, qui les fera voyager le temps d'un repas… », assure Jade Frommer, 22 ans, l'une des trois food-entrepreneurs frais émoulu de l'Institut Paul Bocuse. Après un coup d'essai autour du chocolat qui a cartonné avant le confinement (les réservations pour un mois ont été bouclées en 24 heures, grâce au seul bouche-à-oreille !), ils vont ouvrir à la Part-Dieu, dès que possible, une immense « forêt enchantée » qui s'inspire du film Avatar, de James Cameron. Ils y serviront des plats aussi inventifs que les plantes phosphorescentes sous lesquelles les clients dîneront.

www.ephemerarestaurant.com

De la cuisine de bouchon à la street-food

L'aura du grand Bocuse n'est jamais loin, car c'est bien le pape de la gastronomie lyonnaise qui a permis à des générations de cuisiniers de quitter leurs fourneaux pour aller en salle rencontrer leurs clients. Une manière de démythifier la gastronomie, de jouer de l'espace et avant tout d'innover, le maître mot de la nouvelle génération de chefs, à l'image de Tabata et Ludovic Mey. Le power couple des Apothicaires, l'une des meilleures « jeunes tables » étoilées de Lyon, a imaginé l'an dernier l'adresse Food Traboule, une étape importante dans la ruée vers ces nouveaux temples culinaires.

L'un des sept espaces scénographiés du Food Traboule, dans la célèbre Tour Rose.

L'un des sept espaces scénographiés du Food Traboule, dans la célèbre Tour Rose.DR

Ce food court flambant neuf, dont le nom s'inspire des passages qui parsèment le vieux Lyon, redonne vie à un lieu emblématique de la ville : la Tour Rose qui a été animée durant plus de 25 ans par le chef Philippe Chavent. Une adresse mythique du vieux Lyon qui défriche aujourd'hui de nouveaux horizons, entre espace de restauration rapide mais pas low cost (on sert les plats dans une vraie vaisselle…), cuisine « mondialisée » mais concoctée avec des produits locaux, frais et de qualité.

Le tout mené par une douzaine de jeunes et créatifs cuisiniers, une équipe de cadors de la gastronomie lyonnaise qui veulent offrir un « itinéraire bis » à leur cuisine. Tous ont déjà une table bien renommée et s'amusent ici à proposer des déclinaisons pensées pour être avalées du bout des doigts, dans l'un des sept espaces thématisés et scénographiés.

Un nouveau temple

Dans cette équipe de choc, on retrouve par exemple Olivier Canal, chef de La Meunière, qui ose mixer cuisine de bouchon et street-food avec un kebab d'andouillette ou des nuggets de tablier de sapeur. Ou encore l'inventive équipe de Substrat qui s'est lancé le défi de créer des plats à base de pâte à pain rustique sous forme de gaufres garnies plus qu'étonnantes. Quant à Ludovic Mey, il s'éloigne de la cuisine raffinée des Apothicaires pour réaliser un rêve de gamin : faire des pizzas !

« J'adore les pizzas napolitaines, j'ai toujours rêvé d'en proposer mais je ne voyais pas comment introduire ce plat populaire sur la carte de notre restaurant. L'aventure du Food Traboule me donne cette opportunité et c'est vraiment ça l'esprit des lieux, ce qui a séduit tous les chefs présents : se faire plaisir et faire plaisir », s'enflamme le créateur de Ludo's Pizza qui est parti se former auprès de l'un des meilleurs pizzaïolos napolitains et sort des galettes joufflues recouvertes de bons produits d'ici (jambon à l'os) et de là-bas (mozzarella, ricotta ou saucisses italiennes piquantes…).

Food Society présentera le meilleur de la street-food, comme les falafels de Taybé, une cantine créée par l'équipe d'Aklé.

Food Society présentera le meilleur de la street-food, comme les falafels de Taybé, une cantine créée par l'équipe d'Aklé.DR

Ce printemps, un quatrième et immense temple dédié à la street-food s'apprête à jouer des saveurs au coeur du plus grand centre commercial de France. Food Society, qui n'attend que la levée des mesures sanitaires liées au Covid-19 pour ouvrir ses portes à la Part-Dieu, réunira onze kiosques, un bar et une immense terrasse. Est déjà annoncée une déclinaison de l'icône lyonnaise qu'est La Mère Brazier, aux mains du chef doublement étoilé Mathieu Viannay, l'une des belles prises de Virginie Godard, la créatrice de Food Market. Celle qui a popularisé la street-food dans les rues de Paris est en effet chargée de recruter les pépites culinaires de ce nouvel espace de restauration qui jonglera également avec une riche programmation événementielle. Ou comment réinventer, sans cesse, l'art de savourer Lyon autrement.

Visite guidée des lieux emblématiques de Lyon

4 food courts ailleurs en France

La Gare du Sud à Nice

Inaugurée en 1892, la Gare du Sud a accueilli durant un siècle trains et voyageurs. Après une mise en sommeil, elle renaît en 2019 en food court ambitieux abritant une trentaine de stands nourrissant les Niçois du petit déjeuner à tard dans la nuit. Entouré du très populaire marché de la Libération, c'est le nouveau hot spot gourmand à quelques minutes de la promenade des Anglais.

www.lagaredusud.com

Le Marché du Lez à Montpellier

Le Marché du Lez s'est installé en 2016 dans d'anciens locaux industriels et agricoles en bordure du fleuve le Lez. Une dizaine de stands de street-food mais aussi des brocanteurs, des boutiques, un marché de producteurs, des ateliers d'artistes et un beau programme culturel confèrent au lieu une atmosphère bohème.

www.marchedulez.com

Ground Control à Paris

Situé à proximité de la Gare de Lyon, dans une ancienne halle de tri postal de la SNCF, Ground Control héberge depuis 2013 une quinzaine d'étals où l'on commande ses plats et boissons avant de trouver une place dans les 4 000 m² de ce food court taille XXL. Un concept-store, une librairie pointue ou un corner pour acheter des plantes complètent l'offre de ce lieu qui programme aussi des ateliers et des événements culturels.

www.groundcontrolparis.com

Grand Scène à Lille

Ce nouveau temple de la street-food est très attendu des Lillois. Grand Scène doit ouvrir ses portes ce printemps, dès que les conditions sanitaires autoriseront les foodies à se ruer sur les 10 stands et 2 bars de cet espace pouvant accueillir jusqu'à 800 personnes dans le vieux Lille. Comme beaucoup de food courts, ce sera aussi un lieu de vie et de culture. Des gradins permettront au public de se sustenter face aux chefs officiant derrière leurs fourneaux.

www.grand-scene.com

Ludovic Bischoff

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