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Intelligence artificielle ou intelligence collective ?

Par Yann Padova (Avocat aux barreaux de Paris et Bruxelles, associé chez Wilson Sonsini)

Publié le 4 sept. 2017 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La controverse estivale entre Elon Musk, le flamboyant patron de Tesla et Space X, et Marc Zuckerberg, le fondateur et CEO de Facebook, au sujet des dangers et opportunités de l'intelligence artificielle (IA) a quelque chose de bienvenu. Elle signale que les géants de la nouvelle économie ne forment pas un bloc monolithique dont la seule préoccupation serait de faire naître au forceps une nouvelle société digitale, sans qu'on s'arrête un instant sur le sens de cette révolution en cours.

Elle pose au fond une question politique : comment réguler ce qu'on ne comprend pas ? Parle-t-on, comme le Big Data, d'un outil au service de la prise de décision - publique, privée, commerciale... ? Ou bien faut-il voir dans l'IA un nouvel acteur qui décidera en lieu et place d'untel, ce qui implique de réfléchir à sa gouvernance ? Ces questions sont majeures car elles concernent la capacité des citoyens consommateurs à évaluer l'action publique et à faire des choix avertis, ou encore notre capacité collective à réguler les effets de l'intelligence artificielle. Devrons-nous tous être experts en code ou en algorithmique pour être des citoyens éclairés ?

Que les maths et les algorithmes aient envahi l'espace social, économique et financier est déjà un fait, comme tel ni regrettable ni souhaitable. Qu'il s'agisse des assurances, du crédit bancaire, du géomarketing, de l'orientation universitaire (APB), de la personnalisation des résultats des moteurs de recherche, de la publicité comportementale et ciblée ou encore de l'optimisation des parcours de mobilité individuelle, les algorithmes sont à l'oeuvre. Or, nos régulations, lorsqu'elles existent, restent organisées en silos sectoriels. Chacun travaille de son côté. Outre-Rhin, le ministère de la Justice finance deux plates-formes de vigies dans le secteur de la consommation (les Marktwächter). A New York, la Columbia Journalism School a lancé une initiative en faveur de la transparence des algorithmes qui produisent des contenus automatiques d'information. En France, la CNIL conduit une réflexion sur l'éthique des algorithmes.

Pourtant, aucun régulateur ne sera à lui seul assez puissant face à ces machines apprenantes. En présence d'algorithmes et de systèmes qui se développent selon leur propre logique d'autoapprentissage, il est grand temps de mettre en oeuvre cette intelligence collective, souvent invoquée, rarement appliquée. Seuls la mise en commun des intelligences humaines et le décloisonnement des compétences et des approches permettront de domestiquer ce nouvel acteur de nos sociétés. Déjà, en France, le projet pionnier TransAlgo, piloté par l'Inria, vise à partager les ressources scientifiques et les expertises sur l'utilisation des algorithmes, tous domaines confondus. Du côté des entreprises, citons l'initiative engagée par Orange avec la plate-forme Opal (« open algorithms »), qui vise à partager des données et leur capacité d'analyse entre entreprises au profit du bien collectif, notamment en termes de déploiement d'infrastructures. L'étape suivante consiste à construire un écosystème qui soit lui-même apprenant, dans le but de faire travailler ensemble régulateurs, associations, universitaires, entreprises et pouvoirs publics dans une logique décloisonnée et de confiance.

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Par où commencer ? Les métropoles, lieux de mise en oeuvre de l'algorithmique aujourd'hui, de l'intelligence artificielle demain, dans la mobilité notamment, sont des terrains privilégiés pour tester cette « smart regulation ». Elles sont des concentrés de créativité, qui déploient déjà des politiques publiques innovantes, en matière de transition énergétique par exemple. Elles ont les ressources et l'échelle pertinentes pour que cette régulation nouvelle reste proche des attentes et des usages des citoyens-citadins-consommateurs en quête de transparence. En un mot, elles sont à même de nous permettre de domestiquer la complexité redoutable posée par les avancées de l'intelligence artificielle. Sommes-nous prêts à accepter et à embrasser cette complexité pour lui conserver un sens ? Revenir au sens, après tout, c'est bien ce que proposait Rabelais dès le XVIe siècle, lorsqu'il rappelait que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».

Cécile Maisonneuve et Yann Padova

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