Une plateforme pétrolière au large de la Norvège, le 15 décembre 2006. Plus gros producteur d'hydrocarbures d'Europe de l'Ouest, la Norvège a maintenu ses taux d'intérêt à un niveau historiquement bas pour contrecarrer la chute du cours en 2014

Le fonds souverain norvégien, né en 1990, redistribue, à sa manière, la manne pétrolière qui inonde financièrement le pays depuis la découverte des gisements dans la mer du Nord en 1969.

afp.com/MARCEL MOCHET

Le serpent de mer du revenu universel réapparaît à l'occasion de la crise du coronavirus, sous ses deux options de dépense budgétaire ou de création monétaire (la "monnaie hélicoptère"). L'idée, fantasmée ou sérieusement documentée, présente toujours l'intérêt de faire réfléchir. Dans la collection de ces réflexions, on peut échafauder une rapide théorie de la redistribution, avec le cas particulier des pays bénéficiant massivement de l'or noir. Nombre d'États ont vu, avec le pétrole, jaillir une fortune qu'il a fallu organiser.

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Trois cas de figure se présentent ; ils concernent tous des pays passés rapidement, au XXe siècle, de la pauvreté à l'opulence. Le premier d'entre eux, typique des pétromonarchies du Golfe, consiste à enrichir les familles régnantes et à fournir des services strictement réservés aux ressortissants nationaux. Les Émirats arabes unis, par exemple, assurent une redistribution très inégalitaire. Certains citoyens disposent d'un système éducatif et sanitaire gratuit, ainsi que d'un ensemble de prestations sociales généreuses. Mais cette offre se limite aux membres des familles émiraties. Ici, on observe un très haut niveau de rente pétrolière, mais aucun revenu universel à l'horizon.

Redistribution égalitaire

La Norvège incarne un autre modèle, celui d'une redistribution égalitaire et social-démocrate. Le fonds souverain norvégien, né en 1990, redistribue, à sa manière, la manne pétrolière qui inonde financièrement le pays depuis la découverte des gisements dans la mer du Nord en 1969. Établi pour préparer le royaume à l'après-pétrole, il capitalise, aujourd'hui, environ 1000 milliards de dollars. Parallèlement, les gouvernements successifs investissent dans les infrastructures et les services en faveur de l'ensemble des résidents.

Là-bas, aucune prestation véritablement universelle, mais tout le monde est bien couvert par la protection sociale. Grâce aux revenus pétroliers, chaque Norvégien se trouve potentiellement à la tête de plus de 180 000 dollars (montant du fonds souverain divisé par les 5,5 millions d'habitants). Tout habitant profite, virtuellement, d'une dotation en capital très substantielle?: un million de dollars pour une famille de cinq personnes. Certes, la somme ne se trouve pas sur des comptes individuels, mais c'est cette logique proprement universelle qui prévaut dans la gestion collective de la richesse en hydrocarbures.

Le cas de l'Alaska

Une troisième option est à l'oeuvre, celle de la redistribution égalitaire libérale, pratiquée en Alaska. L'"Alaska Permanent Fund" a été créé en 1976, par le gouvernement républicain de cet État américain afin de redistribuer directement une partie de la nouvelle abondance pétrolière, et de ne pas étendre outre mesure l'État-providence. Il permet à tout habitant vivant en Alaska depuis six mois (un peu plus de 700 000 personnes) de toucher un dividende annuel (2000 dollars les bonnes années, 1 600 en 2019). Celui-ci est servi forfaitairement à tout résident régulier, quels que soient son âge, sa nationalité et son nombre d'années de présence sur le territoire. Ce fonds souverain singulier fait le choix de verser directement une partie de ses ressources aux habitants. Un peu comme un fonds de pension qui paierait des pensions permanentes dès la naissance. Concrètement, il fait vivre le seul système au monde ressemblant vraiment à un revenu universel. Signalons qu'il propose, pour un couple avec deux enfants, un montant significativement supérieur aux allocations familiales françaises.

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En bref, ce petit tour du monde du pétrole et du revenu universel, rappelle que bien des modèles différents sont possibles. Et ces modèles, liés à la ressource pétrolière, évolueront nécessairement, dans le firmament des idées sur la justice sociale, mais aussi en raison de la perspective d'économies décarbonées. Certes, comme le veut l'adage, la France n'a pas de pétrole mais des idées, notamment sur un revenu dit universel. Tout peut donc être possible. Mais avoir des ressources financières à foison aide considérablement.

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