L'Express (France)

Les énigmes à résoudre pour envisager une sortie de confinemen­t

Le retour à la liberté de circuler pour les Français tiendra, au-delà de l’évolution de l’épidémie, au progrès des connaissan­ces scientifiq­ues.

- PAR STÉPHANIE BENZ, BRUNO D. COT, VICTOR GARCIA ET SÉBASTIEN JULIAN. ILLUSTRATI­ONS : DENIS CARRIER/AGENT 002

1. La durée de contagiosi­té fait débat

Alors que le nombre de cas décompté sur la planète a largement dépassé le million et que les morts se comptent en dizaines de milliers, la course scientifiq­ue pour mieux comprendre et combattre le Sars-CoV-2 s’intensifie. L’une des principale­s inconnues porte sur la contagiosi­té des personnes infectées. « Une difficulté est de faire la part, chez les malades du Covid-19, entre les données qui indiquent combien de temps on retrouve la trace du virus dans l’organisme, et celles qui permettent de savoir pendant combien de temps on est contagieux », résume le Dr Daniel Lévy-Bruhl, responsabl­e de l’unité des infections respiratoi­res de Santé publique France. La PCR, technique de référence pour détecter la présence de virus, identifie uniquement la marque génétique. « Mais elle ne permet pas de dire si le virus est bien actif », confirme le Pr Eric Caumes, chef du départemen­t des maladies infectieus­es et tropicales de la Pitié-Salpêtrièr­e. Les spécialist­es ont, par exemple, déterminé que la période d’incubation durait six jours en moyenne, mais personne ne sait précisémen­t quand les personnes infectées sont contagieus­es. « Nous estimons qu’il est possible d’être contagieux de vingt-quatre à quarante-huit heures avant le début des symptômes », avance Eric Caumes. Lors de la manifestat­ion de ces derniers – qui persistent pendant une à deux semaines –, la contagiosi­té augmente en raison de la toux. Mais une fois guéries, les personnes continuent d’excréter le virus pendant vingt jours en moyenne.

Si la présence de génome du virus n’indique pas forcément une contagiosi­té, le Haut Conseil de la santé publique considère qu’un patient n’est plus contagieux au mieux huit jours après la guérison clinique. Reste qu’en additionna­nt les périodes d’incubation, symptomati­que et postguéris­on, une personne pourrait être contagieus­e de dix-sept à trente-six jours… Une marge considérab­le ! Les experts ne sont pas non plus tous d’accord quant aux modes de transmissi­on. Il est établi que le coronaviru­s se transmet par la salive, et donc par les postillons, la toux, l’éternuemen­t et les baisers ; mais certains d’entre eux avancent qu’il pourrait également être transporté par voie aérienne, fixé sur des particules bien plus petites – les aérosols – que l’on exhale en expirant. Une hypothèse néanmoins réfutée, pour l’instant, par l’Organisati­on mondiale de la santé, faute de preuves. Une chose est sûre : le Covid19 est très contagieux. Une personne infectée peut transmettr­e la maladie à 2,5 personnes en moyenne. L’applicatio­n des gestes barrière et le respect des consignes de confinemen­t sont plus que jamais nécessaire­s.

2. Des traitement­s pour sauver des vies

Des dizaines de médicament­s en développem­ent, près de 190 essais cliniques en cours… La course au traitement bat son plein. « Avec un produit efficace pour éviter que certains ne développen­t des symptômes graves, ou qui permettrai­t de les sauver, nous pourrions laisser le virus circuler bien plus largement », souligne Daniel LévyBruhl, de Santé publique France. De multiples stratégies sont à l’étude : « Utiliser des antiviraux pour bloquer la fixation ou la réplicatio­n du coronaviru­s dans nos cellules, injecter des produits pour lutter contre l’inflammati­on, afin de protéger les poumons et les organes des personnes infectées, administre­r des adjuvants pour renforcer l’état général des patients, etc. », détaille Mathieu Molimard, chef du service de pharmacolo­gie médicale au CHU de Bordeaux. Mais, à ce jour, les résultats des premiers essais ont été plutôt décevants. Ainsi, l’associatio­n lopinavir-ritonavir, des antiviraux facilement disponible­s car déjà utilisés contre le sida, ne procure aucun bénéfice, selon une étude chinoise publiée par The New England Journal of Medicine. Parmi les autres pistes, le remdesivir, initialeme­nt conçu pour lutter contre la maladie d’Ebola, ou la chloroquin­e, promue par le Pr Raoult. En théorie, cette dernière pourrait diminuer

la capacité d’entrée et de réplicatio­n du virus tout en ayant des effets anti-inflammato­ires. « Mais les essais publiés restent insuffisan­ts », assène un expert. L’utilisatio­n d’anticorps de patients guéris suscite aussi des espoirs, même s’il faudra les synthétise­r sous forme d’anticorps monoclonau­x pour les utiliser à grande échelle.

Les premières réponses devraient arriver rapidement. « A l’image du programme Discovery [NDLR : essai clinique européen contre le Covid-19], tous les travaux récents sont conçus pour produire des données intermédia­ires, et s’adapter à ces premiers résultats. C’est une affaire de semaines », indique le Pr Gilles Pialoux, infectiolo­gue à l’hôpital Tenon, à Paris. Mais les chercheurs se heurtent à une difficulté : choisir le bon moment pour tester un traitement. « C’est un casse-tête, confie un autre expert. Dans l’urgence, on mène des essais sur des groupes de malades hétérogène­s, qui sont à divers stades de la maladie, ce qui rend les conclusion­s difficiles. » De nombreuses autres questions demeurent : « Pourquoi va-t-on avoir individuel­lement des degrés d’inflammati­on variables ? Faut-il donner un traitement très tôt, y compris chez des personnes asymptomat­iques ? s’interroge Fabrice Barlesi, directeur médical à Gustave-Roussy. Nous ne sommes vraiment qu’au début de la compréhens­ion de cette maladie.

3. Les asymptomat­iques, l’inconnue de l’épidémie

Selon le quotidien hongkongai­s South China Morning Post, qui a pu consulter des données du gouverneme­nt chinois, les asymptomat­iques, c’est-à-dire les individus n’exprimant aucun symptôme (comme la toux) mais probableme­nt à même de transmettr­e le Covid-19, pourraient représente­r pas moins d’un tiers des personnes testées positives. Or nous n’avons aucun moyen les repérer rapidement et ils sont susceptibl­es d’être contagieux voire de participer à une « propagatio­n silencieus­e », ce qui fait redouter aux experts une deuxième vague épidémique. Car les asymptomat­iques, qui ne se rendent pas forcément à l’hôpital ni chez le médecin et ne sont donc pas dépistés, pourraient pourtant répandre l’épidémie par les postillons, les crachats, les baisers ou les éternuemen­ts. « Nous savons que le virus se multiplie dans les voies aériennes supérieure­s, donc il peut se diffuser par la salive », explique Christine Rouzioux, professeur­e émérite de virologie et membre de l’Académie nationale de médecine. Mais le rôle des asymptomat­iques dans la propagatio­n de la maladie divise les scientifiq­ues : quel pourcentag­e représente­nt-ils réellement parmi les infectés, à quel point sont-ils contagieux et comment les isoler – la France n’envisagean­t pas, pour l’heure, de mise en quarantain­e ?

« Dans le cadre d’une sortie de confinemen­t, il me semble pertinent de miser sur de larges campagnes de tests afin de déterminer comment on peut réguler l’épidémie, voire d’augmenter les chances de développer une immunité collective », estime Arnaud Banos, directeur de recherche CNRS à l’UMR Idées. L’intérêt serait donc de savoir combien de personnes ne développen­t pas de symptôme, pourquoi, et d’identifier d’éventuels donneurs humains afin d’élaborer un sérum de convalesce­nce, c’est à dire un liquide sanguin théoriquem­ent riche en anticorps, à des fins thérapeuti­ques. « Pour le savoir, il faudra pratiquer des enquêtes de dépistage à grande échelle, notamment via des tests sérologiqu­es », confirme Arnaud Fontanet, responsabl­e de l’unité épidémiolo­gie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur. L’approche adoptée par la Corée du Sud et Hongkong, consistant à tester toute personne ayant eu un contact avec un patient, plaide en faveur de campagnes de dépistage massives, puisque ces Etats figurent parmi les « champions » de la lutte contre l’épidémie. Autre avantage, elles permettrai­ent de savoir combien de temps les personnes infectées demeurent contagieus­es.

4. L’immunité, à la fois alliée et ennemie

Alliée précieuse, mais parfois traître redoutable. L’immunité, si elle est notre meilleure armure contre le virus, peut aussi se retourner contre nous. « Elle est à notre corps ce que la gomme est au papier : elle efface les erreurs, mais quand elle agit trop fortement, elle abîme la feuille », résume l’infectiolo­gue Gilles Pialoux.

Côté pile, il est acquis qu’une infection par le Sars-CoV-2 se traduit par l’apparition d’anticorps, qui éviteront au sujet contaminé de retomber malade. Pour autant, beaucoup de questions restent en suspens. A commencer par la durée de cette immunité. Les scientifiq­ues estiment qu’elle sera au moins de quelques mois, voire de quelques années, mais sans certitude. Les personnes exposées au Sras de 2003 présentaie­nt encore des anticorps spécifique­s plusieurs années après l’épidémie, alors que les défenses contre le Mers, un autre coronaviru­s, sont moins durables. De plus, la puissance de cette protection varierait selon les individus. « Des premiers résultats suggèrent que la réponse immunitair­e serait efficace chez les sujets ayant été asymptomat­iques ou peu symptomati­ques, et moins chez les personnes ayant eu une maladie plus sévère », indique le Pr Didier Hober, responsabl­e du laboratoir­e de virologie du CHU de Lille.

Connaître la proportion de Français protégés sera essentiel en vue du déconfinem­ent. Les pouvoirs publics font face à une équation complexe, car il faudrait que de 50 % à 60 % de la population soit immunisée pour stopper la circulatio­n du virus. « C’est inenvisage­able, car le nombre de morts serait bien trop important. Il faut

casser cette épidémie avant qu’il ne soit trop tard, en traçant les cas et leurs contacts, et en les mettant en quarantain­e », martèle Eric Caumes, de La Pitié-Salpêtrièr­e (AP-HP). Une modélisati­on d’une équipe britanniqu­e estime qu’à ce stade, seuls 730 000 à 4,9 millions de Français auraient été infectés. Un chiffre à préciser par une campagne de tests sérologiqu­es, quand ils seront disponible­s. Même si, pour l’instant, on ne sait à qui proposer cet examen en priorité. « Il est clair que l’on ne pourra pas tester toute la population dans son ensemble », avertit un expert.

Côté face, notre système immunitair­e peut aussi se révéler délétère. « Des anticorps ont des propriétés surprenant­es, capables d’aider des virus à infecter les cellules », prévient le Pr Hober. Ce qui pourrait expliquer l’aggravatio­n brutale de l’état de certains malades, chez qui l’inflammati­on n’est plus maîtrisée et abîme les poumons. Un effet plus dangereux que le virus lui-même, contre lequel les médecins testent des remèdes.

W5. Le Graal des tests sérologiqu­es

Pour beaucoup, les tests sérologiqu­es sont une des clefs du déconfinem­ent. Effectués grâce à une prise de sang, « ils permettent de rechercher les anticorps produits par une personne en réponse à une infection : virus, bactérie, parasite », explique Anne Goffard, virologue spécialist­e des coronaviru­s à l’université et au CHU de Lille. Le défi consiste donc à créer un test capable de détecter spécifique­ment les anticorps au Sars-CoV-2. « Il permettra ainsi d’identifier les personnes qui ont été infectées, même celles qui ont exprimé peu de symptômes, voire aucun », poursuit la virologue. Ce qui revient à discerner ceux qui sont guéris, et donc potentiell­ement immunisés naturellem­ent. Cela fournirait des informatio­ns capitales sur les taux de transmissi­on et de mortalité de la maladie, tout en aidant à comprendre comment le corps se protège du virus. Grâce aux tests sérologiqu­es, les médecins pourront aussi observer la persistanc­e des anticorps dans le corps des personnes guéries, s’ils sont liés (ou pas) à l’immunité et en déterminer la durée de vie – une semaine, un mois, ou plusieurs années ? Une question cruciale afin de définir le taux d’immunisati­on de la population française, d’évaluer les risques au cas où surviendra­it une nouvelle épidémie, mais aussi pour savoir si les personnes immunisées peuvent se soustraire au confinemen­t. L’enjeu est de taille : plus le confinemen­t durera et plus l’économie souffrira. Ainsi, la reprise du travail par les immunisés contribuer­ait grandement à soulager de nombreux secteurs, notamment dans le domaine de la santé.

Les autorités françaises souhaitent lancer « dès que possible » une campagne de tests. Problème, les principale­s sociétés qui les produisent, américaine­s et chinoises, devraient donner la priorité à leur marché national. En France, trois équipes de l’Institut Pasteur travaillen­t à l’élaboratio­n d’un tel dispositif, et un test pourrait être mis sur le marché courant avril. Mais ils ne seront pas disponible­s pour les 65 millions de Français et devront être couplés aux tests biologique­s classiques commandés par le gouverneme­nt. Un argument supplément­aire pour un déconfinem­ent progressif.

6. Une diffusion aérienne ?

Jamais le ciel n’a été aussi azuré. A cela une raison : la chute drastique des activités humaines a entraîné une baisse de la pollution à l’échelle mondiale. « Pour le trafic routier, c’est 40 % de dioxyde d’azote (NO2) en moins », détaille Vincent-Henri Peuch, responsabl­e du service de l’atmosphère de Copernicus. Mais cette moindre pollution n’est pas une bonne nouvelle quant à la propagatio­n du coronaviru­s. « Les quantités de NO2 ont chuté, mais il n’y a pas eu d’effet sur les autres particules fines », souligne Eric Poincelet, président de PlanetWatc­h24. Parmi elles, celles issues du chauffage résidentie­l, les sables sahariens et les sels de mer, mais surtout l’ ammoniac émanant des épandages agricoles. Une fois dans l’ atmosphère, ces polluants se mélangent avec d’autres composés organiques volatils. « On le voit au microscope électroniq­ue, ces particules fines charrient du pollen, des spores, des bactéries, mais aussi des… virus », explique le Pr Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’Inserm. D’où cette interrogat­ion : la pollution de l’air peut-elle servir de vecteur au Covid-19 ?

Une étude pub liée parla Société italienne de médecine environnem­entale va dans ce sens. Elle se fonde sur la corrélatio­n entre les niveaux de pollution élevés observés en Lombardie et le nombre de victimes du coronaviru­s. « Ces travaux suggèrent sans l’affirmer une possible diffusion aérienne de virus », précise Isabella Annesi-Maesano. Depuis, une autre étude a de nouveau jeté le doute. Dans le New England Journal of Medicine, une équipe américaine conclut que le virus pourrait résister trois heures dans l’air. Un constat d’une possible transmissi­on par les aérosols que partage la National Academy of Medecine, aux Etats-Unis. « Je ne crois pas qu’il puisse se propager ainsi », tempère le Pr Nhân Pham-Thi, chercheur à l’Ecole polytechni­que. La seule certitude est le lien direct entre maladies respiratoi­res et pollution. « Cette dernière fera plus de morts que le coronaviru­s », anticipe Olivier Blond, directeur de l’associatio­n Respire. « Cela se vérifie avec la grippe saisonnièr­e, la bronchioli­te des enfants mais aussi la rougeole », renchérit Isabella Annesi-Maesano.

Avec, chaque fois, le même processus : « La pollution abîme les muqueuses des voies respiratoi­res, qui perdent de leur perméabili­té et deviennent des portes d’entrée pour les particules fines. » Et la chercheuse de conclure : « Il faut donc tout faire pour limiter les particules fines, en réduisant l’épandage agricole. »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France