Les énigmes à résoudre pour envisager une sortie de confinement
Le retour à la liberté de circuler pour les Français tiendra, au-delà de l’évolution de l’épidémie, au progrès des connaissances scientifiques.
1. La durée de contagiosité fait débat
Alors que le nombre de cas décompté sur la planète a largement dépassé le million et que les morts se comptent en dizaines de milliers, la course scientifique pour mieux comprendre et combattre le Sars-CoV-2 s’intensifie. L’une des principales inconnues porte sur la contagiosité des personnes infectées. « Une difficulté est de faire la part, chez les malades du Covid-19, entre les données qui indiquent combien de temps on retrouve la trace du virus dans l’organisme, et celles qui permettent de savoir pendant combien de temps on est contagieux », résume le Dr Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de Santé publique France. La PCR, technique de référence pour détecter la présence de virus, identifie uniquement la marque génétique. « Mais elle ne permet pas de dire si le virus est bien actif », confirme le Pr Eric Caumes, chef du département des maladies infectieuses et tropicales de la Pitié-Salpêtrière. Les spécialistes ont, par exemple, déterminé que la période d’incubation durait six jours en moyenne, mais personne ne sait précisément quand les personnes infectées sont contagieuses. « Nous estimons qu’il est possible d’être contagieux de vingt-quatre à quarante-huit heures avant le début des symptômes », avance Eric Caumes. Lors de la manifestation de ces derniers – qui persistent pendant une à deux semaines –, la contagiosité augmente en raison de la toux. Mais une fois guéries, les personnes continuent d’excréter le virus pendant vingt jours en moyenne.
Si la présence de génome du virus n’indique pas forcément une contagiosité, le Haut Conseil de la santé publique considère qu’un patient n’est plus contagieux au mieux huit jours après la guérison clinique. Reste qu’en additionnant les périodes d’incubation, symptomatique et postguérison, une personne pourrait être contagieuse de dix-sept à trente-six jours… Une marge considérable ! Les experts ne sont pas non plus tous d’accord quant aux modes de transmission. Il est établi que le coronavirus se transmet par la salive, et donc par les postillons, la toux, l’éternuement et les baisers ; mais certains d’entre eux avancent qu’il pourrait également être transporté par voie aérienne, fixé sur des particules bien plus petites – les aérosols – que l’on exhale en expirant. Une hypothèse néanmoins réfutée, pour l’instant, par l’Organisation mondiale de la santé, faute de preuves. Une chose est sûre : le Covid19 est très contagieux. Une personne infectée peut transmettre la maladie à 2,5 personnes en moyenne. L’application des gestes barrière et le respect des consignes de confinement sont plus que jamais nécessaires.
2. Des traitements pour sauver des vies
Des dizaines de médicaments en développement, près de 190 essais cliniques en cours… La course au traitement bat son plein. « Avec un produit efficace pour éviter que certains ne développent des symptômes graves, ou qui permettrait de les sauver, nous pourrions laisser le virus circuler bien plus largement », souligne Daniel LévyBruhl, de Santé publique France. De multiples stratégies sont à l’étude : « Utiliser des antiviraux pour bloquer la fixation ou la réplication du coronavirus dans nos cellules, injecter des produits pour lutter contre l’inflammation, afin de protéger les poumons et les organes des personnes infectées, administrer des adjuvants pour renforcer l’état général des patients, etc. », détaille Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux. Mais, à ce jour, les résultats des premiers essais ont été plutôt décevants. Ainsi, l’association lopinavir-ritonavir, des antiviraux facilement disponibles car déjà utilisés contre le sida, ne procure aucun bénéfice, selon une étude chinoise publiée par The New England Journal of Medicine. Parmi les autres pistes, le remdesivir, initialement conçu pour lutter contre la maladie d’Ebola, ou la chloroquine, promue par le Pr Raoult. En théorie, cette dernière pourrait diminuer
la capacité d’entrée et de réplication du virus tout en ayant des effets anti-inflammatoires. « Mais les essais publiés restent insuffisants », assène un expert. L’utilisation d’anticorps de patients guéris suscite aussi des espoirs, même s’il faudra les synthétiser sous forme d’anticorps monoclonaux pour les utiliser à grande échelle.
Les premières réponses devraient arriver rapidement. « A l’image du programme Discovery [NDLR : essai clinique européen contre le Covid-19], tous les travaux récents sont conçus pour produire des données intermédiaires, et s’adapter à ces premiers résultats. C’est une affaire de semaines », indique le Pr Gilles Pialoux, infectiologue à l’hôpital Tenon, à Paris. Mais les chercheurs se heurtent à une difficulté : choisir le bon moment pour tester un traitement. « C’est un casse-tête, confie un autre expert. Dans l’urgence, on mène des essais sur des groupes de malades hétérogènes, qui sont à divers stades de la maladie, ce qui rend les conclusions difficiles. » De nombreuses autres questions demeurent : « Pourquoi va-t-on avoir individuellement des degrés d’inflammation variables ? Faut-il donner un traitement très tôt, y compris chez des personnes asymptomatiques ? s’interroge Fabrice Barlesi, directeur médical à Gustave-Roussy. Nous ne sommes vraiment qu’au début de la compréhension de cette maladie.
3. Les asymptomatiques, l’inconnue de l’épidémie
Selon le quotidien hongkongais South China Morning Post, qui a pu consulter des données du gouvernement chinois, les asymptomatiques, c’est-à-dire les individus n’exprimant aucun symptôme (comme la toux) mais probablement à même de transmettre le Covid-19, pourraient représenter pas moins d’un tiers des personnes testées positives. Or nous n’avons aucun moyen les repérer rapidement et ils sont susceptibles d’être contagieux voire de participer à une « propagation silencieuse », ce qui fait redouter aux experts une deuxième vague épidémique. Car les asymptomatiques, qui ne se rendent pas forcément à l’hôpital ni chez le médecin et ne sont donc pas dépistés, pourraient pourtant répandre l’épidémie par les postillons, les crachats, les baisers ou les éternuements. « Nous savons que le virus se multiplie dans les voies aériennes supérieures, donc il peut se diffuser par la salive », explique Christine Rouzioux, professeure émérite de virologie et membre de l’Académie nationale de médecine. Mais le rôle des asymptomatiques dans la propagation de la maladie divise les scientifiques : quel pourcentage représentent-ils réellement parmi les infectés, à quel point sont-ils contagieux et comment les isoler – la France n’envisageant pas, pour l’heure, de mise en quarantaine ?
« Dans le cadre d’une sortie de confinement, il me semble pertinent de miser sur de larges campagnes de tests afin de déterminer comment on peut réguler l’épidémie, voire d’augmenter les chances de développer une immunité collective », estime Arnaud Banos, directeur de recherche CNRS à l’UMR Idées. L’intérêt serait donc de savoir combien de personnes ne développent pas de symptôme, pourquoi, et d’identifier d’éventuels donneurs humains afin d’élaborer un sérum de convalescence, c’est à dire un liquide sanguin théoriquement riche en anticorps, à des fins thérapeutiques. « Pour le savoir, il faudra pratiquer des enquêtes de dépistage à grande échelle, notamment via des tests sérologiques », confirme Arnaud Fontanet, responsable de l’unité épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur. L’approche adoptée par la Corée du Sud et Hongkong, consistant à tester toute personne ayant eu un contact avec un patient, plaide en faveur de campagnes de dépistage massives, puisque ces Etats figurent parmi les « champions » de la lutte contre l’épidémie. Autre avantage, elles permettraient de savoir combien de temps les personnes infectées demeurent contagieuses.
4. L’immunité, à la fois alliée et ennemie
Alliée précieuse, mais parfois traître redoutable. L’immunité, si elle est notre meilleure armure contre le virus, peut aussi se retourner contre nous. « Elle est à notre corps ce que la gomme est au papier : elle efface les erreurs, mais quand elle agit trop fortement, elle abîme la feuille », résume l’infectiologue Gilles Pialoux.
Côté pile, il est acquis qu’une infection par le Sars-CoV-2 se traduit par l’apparition d’anticorps, qui éviteront au sujet contaminé de retomber malade. Pour autant, beaucoup de questions restent en suspens. A commencer par la durée de cette immunité. Les scientifiques estiment qu’elle sera au moins de quelques mois, voire de quelques années, mais sans certitude. Les personnes exposées au Sras de 2003 présentaient encore des anticorps spécifiques plusieurs années après l’épidémie, alors que les défenses contre le Mers, un autre coronavirus, sont moins durables. De plus, la puissance de cette protection varierait selon les individus. « Des premiers résultats suggèrent que la réponse immunitaire serait efficace chez les sujets ayant été asymptomatiques ou peu symptomatiques, et moins chez les personnes ayant eu une maladie plus sévère », indique le Pr Didier Hober, responsable du laboratoire de virologie du CHU de Lille.
Connaître la proportion de Français protégés sera essentiel en vue du déconfinement. Les pouvoirs publics font face à une équation complexe, car il faudrait que de 50 % à 60 % de la population soit immunisée pour stopper la circulation du virus. « C’est inenvisageable, car le nombre de morts serait bien trop important. Il faut
casser cette épidémie avant qu’il ne soit trop tard, en traçant les cas et leurs contacts, et en les mettant en quarantaine », martèle Eric Caumes, de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP). Une modélisation d’une équipe britannique estime qu’à ce stade, seuls 730 000 à 4,9 millions de Français auraient été infectés. Un chiffre à préciser par une campagne de tests sérologiques, quand ils seront disponibles. Même si, pour l’instant, on ne sait à qui proposer cet examen en priorité. « Il est clair que l’on ne pourra pas tester toute la population dans son ensemble », avertit un expert.
Côté face, notre système immunitaire peut aussi se révéler délétère. « Des anticorps ont des propriétés surprenantes, capables d’aider des virus à infecter les cellules », prévient le Pr Hober. Ce qui pourrait expliquer l’aggravation brutale de l’état de certains malades, chez qui l’inflammation n’est plus maîtrisée et abîme les poumons. Un effet plus dangereux que le virus lui-même, contre lequel les médecins testent des remèdes.
W5. Le Graal des tests sérologiques
Pour beaucoup, les tests sérologiques sont une des clefs du déconfinement. Effectués grâce à une prise de sang, « ils permettent de rechercher les anticorps produits par une personne en réponse à une infection : virus, bactérie, parasite », explique Anne Goffard, virologue spécialiste des coronavirus à l’université et au CHU de Lille. Le défi consiste donc à créer un test capable de détecter spécifiquement les anticorps au Sars-CoV-2. « Il permettra ainsi d’identifier les personnes qui ont été infectées, même celles qui ont exprimé peu de symptômes, voire aucun », poursuit la virologue. Ce qui revient à discerner ceux qui sont guéris, et donc potentiellement immunisés naturellement. Cela fournirait des informations capitales sur les taux de transmission et de mortalité de la maladie, tout en aidant à comprendre comment le corps se protège du virus. Grâce aux tests sérologiques, les médecins pourront aussi observer la persistance des anticorps dans le corps des personnes guéries, s’ils sont liés (ou pas) à l’immunité et en déterminer la durée de vie – une semaine, un mois, ou plusieurs années ? Une question cruciale afin de définir le taux d’immunisation de la population française, d’évaluer les risques au cas où surviendrait une nouvelle épidémie, mais aussi pour savoir si les personnes immunisées peuvent se soustraire au confinement. L’enjeu est de taille : plus le confinement durera et plus l’économie souffrira. Ainsi, la reprise du travail par les immunisés contribuerait grandement à soulager de nombreux secteurs, notamment dans le domaine de la santé.
Les autorités françaises souhaitent lancer « dès que possible » une campagne de tests. Problème, les principales sociétés qui les produisent, américaines et chinoises, devraient donner la priorité à leur marché national. En France, trois équipes de l’Institut Pasteur travaillent à l’élaboration d’un tel dispositif, et un test pourrait être mis sur le marché courant avril. Mais ils ne seront pas disponibles pour les 65 millions de Français et devront être couplés aux tests biologiques classiques commandés par le gouvernement. Un argument supplémentaire pour un déconfinement progressif.
6. Une diffusion aérienne ?
Jamais le ciel n’a été aussi azuré. A cela une raison : la chute drastique des activités humaines a entraîné une baisse de la pollution à l’échelle mondiale. « Pour le trafic routier, c’est 40 % de dioxyde d’azote (NO2) en moins », détaille Vincent-Henri Peuch, responsable du service de l’atmosphère de Copernicus. Mais cette moindre pollution n’est pas une bonne nouvelle quant à la propagation du coronavirus. « Les quantités de NO2 ont chuté, mais il n’y a pas eu d’effet sur les autres particules fines », souligne Eric Poincelet, président de PlanetWatch24. Parmi elles, celles issues du chauffage résidentiel, les sables sahariens et les sels de mer, mais surtout l’ ammoniac émanant des épandages agricoles. Une fois dans l’ atmosphère, ces polluants se mélangent avec d’autres composés organiques volatils. « On le voit au microscope électronique, ces particules fines charrient du pollen, des spores, des bactéries, mais aussi des… virus », explique le Pr Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’Inserm. D’où cette interrogation : la pollution de l’air peut-elle servir de vecteur au Covid-19 ?
Une étude pub liée parla Société italienne de médecine environnementale va dans ce sens. Elle se fonde sur la corrélation entre les niveaux de pollution élevés observés en Lombardie et le nombre de victimes du coronavirus. « Ces travaux suggèrent sans l’affirmer une possible diffusion aérienne de virus », précise Isabella Annesi-Maesano. Depuis, une autre étude a de nouveau jeté le doute. Dans le New England Journal of Medicine, une équipe américaine conclut que le virus pourrait résister trois heures dans l’air. Un constat d’une possible transmission par les aérosols que partage la National Academy of Medecine, aux Etats-Unis. « Je ne crois pas qu’il puisse se propager ainsi », tempère le Pr Nhân Pham-Thi, chercheur à l’Ecole polytechnique. La seule certitude est le lien direct entre maladies respiratoires et pollution. « Cette dernière fera plus de morts que le coronavirus », anticipe Olivier Blond, directeur de l’association Respire. « Cela se vérifie avec la grippe saisonnière, la bronchiolite des enfants mais aussi la rougeole », renchérit Isabella Annesi-Maesano.
Avec, chaque fois, le même processus : « La pollution abîme les muqueuses des voies respiratoires, qui perdent de leur perméabilité et deviennent des portes d’entrée pour les particules fines. » Et la chercheuse de conclure : « Il faut donc tout faire pour limiter les particules fines, en réduisant l’épandage agricole. »