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Récit

Le revenu universel, panacée du monde d’après ?

Revenu universel, la bonne idée ?dossier
Pour accompagner les changements de société en cours, la Fondation Jean-Jaurès propose de créer un revenu «républicain», proche de la proposition phare de Benoît Hamon en 2017. Plus qu’une simple réponse à la crise du Covid-19, cet outil aurait vocation à durer et ainsi renforcer la protection sociale.
par Nicolas Massol
publié le 21 mai 2020 à 19h46

Chassez-le par une élection, il revient par la crise. Le revenu universel, mesure phare de Benoît Hamon en 2017 et donc plus ou moins évacuée depuis sa cuisante défaite, connaît un regain d'intérêt à la faveur des réflexions sur le «monde d'après». En témoigne une note de la Fondation Jean-Jaurès, que Libération a pu découvrir en exclusivité, qui propose la création d'un revenu «républicain» de base. On y retrouve à peu près les mêmes ingrédients que dans le programme du candidat socialiste lors de la dernière présidentielle : le revenu serait inconditionnel (pas besoin de chercher activement un emploi ou de suivre une formation pour le toucher), automatique (à partir de 18 ans, sans démarche administrative à effectuer) et dégressif (il ne serait perçu qu'en dessous d'un certain seuil). Mais cette fois, les auteurs de la note avancent un montant précis, compris entre 725 et 1 000 euros par mois. Et soulignent l'actualité de cette proposition. La crise du Covid-19 a fait naître des aspirations à un changement de modèle de société : c'est le moment ou jamais.

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D'ailleurs, dans les aides conjoncturelles qui se multiplient en ce moment à travers le monde, il est possible, selon eux, de voir les prémices du revenu de base. Par exemple au Canada, où une prestation d'urgence a été créée, autorisant ceux qui ont perdu leur emploi à cause de l'épidémie, à toucher 2 000 dollars mensuels (1 300 euros) pendant quatre mois. Au Japon, où le plan de relance du gouvernement comprend un chèque de plus de 800 euros versé aux citoyens japonais comme aux résidents étrangers. Mais surtout en Espagne, où le gouvernement du socialiste Pedro Sánchez, soutenu par Podemos, a annoncé son intention de créer un «revenu vital minimum» à destination des plus modestes. A chaque fois, remarquent les auteurs de la note, il s'agit de donner de l'argent sans contrepartie à des citoyens. La logique du revenu universel.

«De la redistribution à la prédistribution»

Pour intéressantes qu'elles soient, ces initiatives restent assimilables à un «filet de sécurité conjoncturelle», constate le rapport. C'est-à-dire à des «mesures de soutien aux plus précaires pour passer le cap de la récession économique [et] relancer la consommation pour aboutir à retrouver la croissance». L'ambition du revenu républicain imaginé par la Fondation Jean-Jaurès est tout autre. Elle vise à offrir rien moins qu'une «conception renouvelée de nos sociétés humaines», en construisant un outil destiné à durer, et non pas simplement une aide d'urgence.

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«La crise actuelle révèle de façon criante les trous dans la raquette de notre système de protection, explique Thierry Germain, qui a coécrit le texte. Elle montre aussi les mutations importantes de notre société : robotisation, économie numérique, parcours de vie moins linéaires qu'avant.» Comme l'avait noté Benoît Hamon, le revenu de base permet de faire face à ces changements. Tant sur le plan professionnel : en accompagnant les nouveaux parcours de vie ou en apportant un complément de ressources aux nombreux travailleurs qui «ne parviennent pas à tirer un revenu décent de leur activité» : agriculteurs, artisans, temps partiels, autoentrepreneurs, etc. Mais aussi sur le plan personnel, en développant le «pouvoir d'agir» des individus et en valorisant les «activités d'utilité sociale», non marchandes, comme le bénévolat, l'aide aux personnes âgées ou en situation de handicap, la création artistique, etc.

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Loin d'être une béquille de plus pour les plus modestes, le revenu de base se propose de changer la philosophie même de la protection sociale. «Aujourd'hui, notre système est fondé sur la compétition, analyse Thierry Germain. Il y a des perdants et on les aide. Nous, nous voulons éviter que ne se créent des inégalités, en les anticipant. Passer de la redistribution à la prédistribution.»

«Articuler écologique et social»

Comment finance-t-on le projet ? Par l'Europe, proposent les auteurs de la Fondation Jean-Jaurès : via le plan de relance de la Banque centrale européenne, estimé entre 1 000 et 2 000 milliards d'euros par le commissaire européen Thierry Breton début mai. Mais aussi par l'impôt. Une réforme fiscale est donc nécessaire, «s'inspirant de la logique de la CSG de Michel Rocard», et préférant taxer le capital plutôt que le travail, s'empressent d'ajouter les auteurs.

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De tels changements ont de quoi effrayer. Pour éviter de répéter les mêmes erreurs qu'en 2017, où le revenu universel à la sauce Hamon avait paru mal ficelé et démesuré, Thierry Germain propose une autre approche. «Nous sommes très humbles, professe-t-il. Nous ne proposons pas d'appliquer du jour au lendemain le revenu de base, mais de l'expérimenter dans les territoires pour voir quels ajustements il faut faire.» Ainsi, la note s'appuie sur un travail mené depuis 2016 en partenariat avec plusieurs départements. «Nous avons lancé différents scénarios et recueilli des contributions citoyennes pour modéliser le revenu de base», évoque André Viola, président du Conseil départemental de l'Aude. A la suite de ce partenariat, la somme de 725 euros minimum est établie et un projet de loi est présenté devant l'Assemblée nationale à l'automne 2018. Il vise à autoriser l'expérimentation du revenu de base dans les dix-neuf départements volontaires (presque tous socialistes). Retoqué par la majorité, qui le renvoie directement en commission sans débat. «C'était au moment où Macron avait avancé son revenu universel d'activité, rappelle, amer, Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde. La philosophie de son projet n'était pas du tout la même que la nôtre, ils ont donc écarté le revenu de base.»

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Pour faire accepter, cette fois-ci, le revenu républicain de base, les auteurs de la Fondation Jean-Jaurès proposent de passer, comme pour le climat, par une convention citoyenne : «Le modèle de société de demain […] devra étroitement articuler l'écologique et le social», soutiennent-ils. Et cette réflexion devra s'inscrire dans un débat plus large sur les «communs», car «garantir un revenu et rendre accessibles les biens essentiels sont les deux aspects d'une même ambition : restaurer pour chacun dignité et autonomie».

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