Ces villes qui suppriment déjà des pistes cyclables temporaires

Vincennes (94). Cette piste n’a pas été supprimée. Mais c’est la même situation, l’utilisation abusive par des scooters, qui a amené le maire d’Argenteuil à effacer une piste créée trois jours plus tôt.

[Mise à jour 9 juin] Saint-Étienne, Quimper et Besançon ont également procédé à la suppression de pistes temporaires.

Trois jours seulement. Après avoir matérialisé, le 28 mai, une piste cyclable le long d’une avenue très routière à Argenteuil (Val d’Oise), la municipalité dirigée par Gorges Mothron (LR) l’a supprimée le 31 mai. Cet élu, en ballotage incertain, n’a pas entendu l’appel de la ministre Élisabeth Borne, le 29 mai, à « pérenniser » les pistes cyclables temporaires: « Ne laissez pas la voiture reprendre la place ».

Certes, c’est le jeu. Les pistes cyclables créées en urgence à la sortie du confinement n’ont pas toutes vocation à devenir définitives. Qu’on les nomme « éphémères », « provisoires », « temporaires » ou « transitoires », elles sont censées suppléer le réseau de transports publics, qui ne peut transporter qu’un quart de ses voyageurs habituels.

Le précédent Laure. On peut imaginer que certains de ces itinéraires, réalisés à la hâte en quelques semaines, ne  feront pas leurs preuves. Or, il n’y a rien de moins engageant qu’une piste cyclable inutile. Après la loi sur l’air de 1996, dite « Laure », de nombreux itinéraires ont été tracés en pleine campagne, le long de départementales, sans être raccordés à un réseau cyclable. Logiquement, ces pistes demeurent sous-utilisées, et, qu’on le veuille ou non, les contribuables qui passent par là se demandent à quoi on dépense leurs impôts.

Conférence de presse, le 29 mai, au ministère de la transition écologique. Seuls deux journalistes étaient présents, mesures de distanciation obligent.

Par ailleurs, les nouvelles « coronapistes » peuvent présenter des défauts. « On a le droit à l’erreur », indiquait Elodie Barbier-Trauchessec, de l’Ademe, lors d’un premier webinaire du Cerema consacré aux aménagements cyclables temporaires, le 22 avril. « On a pu faire des bêtises », renchérissait Bastien Hours, du département du Val-de-Marne, lors du deuxième événement consacré à ce sujet, le 19 mai.

Forcément provisoire. Enfin, le fait que l’aménagement ne soit pas définitif permet de convaincre des élus récalcitrants. « Faites-le », expliquent en substance les services administratifs à « leurs » élus, « ça ne vous oblige à rien, on verra ce que ça donne ».

Trois jours ne suffisent pas. Mais une piste, même temporaire, ne fait pas ses preuves en trois jours. Pour que les riverains empruntent la voie, ils doivent avoir conscience de son existence. Or, des carrefours sont parfois négligés, des feux mal synchronisés, des flux non anticipés. Surtout, il apparaît, notamment en Ile-de-France, que les nouvelles pistes sont rarement signalées, dotées d’un jalonnement clair et simple qui expliquerait aux cyclistes dans quelle direction ils vont et combien de temps ils vont mettre pour arriver.

La ministre Élisabeth Borne avec le maire d’Angers, Christophe Béchu.

Des comptages, une erreur. Maire d’Angers, Christophe Béchu (divers droite) prévient ses pairs: « L’erreur serait de faire des comptages », pour vérifier si la piste est légitime. « Une partie des salariés sont toujours en télétravail, les lycéens et les étudiants n’ont pas repris », estimait-il, le 29 mai, au ministère de la transition écologique, pour le bilan du « plan vélo de déconfinement ». A Angers, l’élu a préféré « faire des aménagements là où ils ont vocation à durer ».

Enfin, il faut rappeler cette évidence: parfois, s’il n’y a « personne » sur une piste cyclable, c’est que les vélos sont déjà passés. On croise rarement des bouchons de cyclistes, et pour cause, c’est le moyen de transport le plus fluide qui soit. Comme le rappelle l’association Vélo-cité 63 à Clermont-Ferrand, « quatre voitures, ça fait un bouchon, quatre vélos, la piste est vide ».

Voici une liste, non exhaustive des collectivités qui ont supprimé des aménagements qu’elles venaient à peine de créer. N’hésitez pas à compléter en commentant l’article.

Mandatés par le Club des villes cyclables, Sébastien Marrec, Florian Le Villain et Charles Maguin effectuent un décompte précis des aménagements pérennisés ou supprimés.

Argenteuil (Val d’Oise). On en a parlé ci-dessus, mais revenons sur cet exemple emblématique. Argenteuil n’est pas une bourgade, mais une ville de 110000 habitants. L’avenue Gabriel Péri, très routière, la traverse de part en part, entre la Seine et l’Hôtel de Ville. Les raisons invoquées par la municipalité pour supprimer l’aménagement sur cette avenue sont simplement invraisemblables : « les deux roues motorisées se sont approprié cet espace de circulation au détriment des cyclistes, parfois à des vitesses élevées. ‘Il y a même eu un accident' ».

Pour le dire autrement, Argenteuil supprime un aménagement destiné à mettre en sécurité les cyclistes, parce que les conducteurs de scooters et de motos ne les respectent pas et qu’ils y provoquent un accident. Le message adressé aux utilisateurs de ces engins et à leurs représentants autoproclamés est très clair: si vous ne voulez pas de ces coronapistes, empruntez-les, effrayez les cyclistes, et les autorités vous donneront raison.

Lire aussi: « Piste cyclable sans scooter, c’est le bonheur » (avril 2018)

Marseille, avenue du Prado. C’est un autre symbole, en plein cœur de cette ville de 800000 habitants. L’avenue du Prado est un axe nord-sud important, sur lequel existe déjà une bande cyclable de très mauvaise qualité, mais très fréquentée. Il n’a fallu que six jours à la métropole Aix-Marseille pour effacer la piste. Une manifestation « dynamique » (en fait une « masse critique ») a réuni des centaines de cyclistes le 28 mai.

Amiens. Le plan de ce réseau temporaire créé lors du déconfinement était plutôt bien pensé, convergeant des faubourgs vers le centre-ville. Mais certaines de ces pistes ont été effacées à peine deux semaines plus tard. La bataille pour l’espace devient, là comme ailleurs, un enjeu électoral.

Le Pecq, Le Vésinet, Chatou (Yvelines). L’aménagement, le long de la D186 qui file vers La Défense et Paris, et qui épouse le tracé du RER A, n’a pas tenu deux semaines. Les maires de ces communes cossues de la banlieue ouest n’envisagent manifestement pas que leurs administrés puissent se déplacer autrement qu’en voiture pour tous les trajets.

Paris. La piste qui traverse l’ile de la Cité du nord au sud n’est pas à proprement parler effacée, mais des blocs de béton ont été retirés dans la nuit du 13 au 14 mai, à la demande de la préfecture de police de Paris.

Montigny-les-Cormeilles (Val d’Oise). Sur la départementale 14, la piste matérialisée la semaine du 11 mai a été effacée dès le 17 mai. Le département met en avant « la fluidité », donc la vitesse du trafic motorisé, pour justifier ce retour en arrière.

Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Le 30 mai, une piste située sur la route du bord de mer, qui mène à Nice, à été supprimée, « en accord avec la ville voisine de Villeneuve-Loubet ». Le maire de la ville est Louis Nègre (LR), président du GART (les élus aux transports), qui ne cesse pourtant, lorsqu’il s’exprime sur la scène nationale, de louer le vélo comme moyen de déplacement. Ce retour en arrière est directement lié au ballotage incertain. Une des adversaires de Louis Nègre avait lancé une pétition contre l’aménagement.

Genève (Suisse). Des milliers de cyclistes ont manifesté, le 18 mai, pour  demander le maintien de nouveaux aménagements, menacés.

A Sète (ici en août 2019), les terrasses de café ont pris place sur la chaussée, et les voitures roulent sur la piste cyclable…

Sète (Hérault). Voici enfin une mention spéciale, une sorte de prix du jury, attribué à Sète, qui supprime carrément une piste existante pour y faire passer des voitures. La chaussée est désormais dédiée aux terrasses. Cette ville, dense et contrainte par la géographie (la mer au sud, l’étang au nord, le mont Saint-Clair à l’ouest), souffre du trop-plein de voitures. On rappellera aussi qu’à Sète, le service de bus est supprimé lors des fêtes, précisément au moment où les Sétois et les visiteurs en auraient le plus besoin (c’est ici).

Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).

Ajout 5 juin, Saint-Étienne. L’association stéphanoise Ocivélo signale que des aménagements provisoires ont été supprimés le 3 juin.

Ajout 9 juin.  Quimper met fin à l’expérimentation plus tôt que prévu, « en raison des bouchons »… qui existaient auparavant aussi. Rappel: si seulement 10% des personnes qui sont seules dans une voiture montaient sur un vélo, le bouchon disparaitrait. Décision analogue à Besançon, dans un contexte électoral tendu.

 

 

19 réponses sur “Ces villes qui suppriment déjà des pistes cyclables temporaires”

  1. Vu sur Google Maps rue Gioffredo à Nice…l’essentiel c’est vous…mais pas le vélo visiblement.
    Faire des pistes cyclables pour ensuite y mettre des arbres en pots…tout le paradoxe de nos sociétés actuelles.
    C:\Users\fmussio101\Desktop\2020-11-17 13_05_06-.png

  2. On verra à la rentrée. ici à Bordeaux la Covid a entrainé la création d’une piste cyclable et bus sur des portions de boulevards jusque-là non séparés. Du coup la circulation automobile a été réduite à une seule voie au lieu de deux. Pour l’instant ça se passe à peu près bien, mais les étudiants ne sont plus là, c’est l’été, on fait du vélo… A la rentrée je pense qu’on va devoir y renoncer, les boulevards c’est quand même une voie pour des gens qui sortent de la ville pour aller vers tout le département, on peut comprendre qu’ils ne le font pas à vélo ou en transports en commun. Déjà à deux voies en temps normal c’est ultra saturé, alors avec une seule… (même si pour la citadine que je suis, un bus qui peut enfin éviter les bouchons c’est le rêve…)

  3. oui,c’est bien les trajets en vélo,mais qui en sont les principaux béneficiaires,les jeunes et les bien prtants
    les autres,les personnes agées,les malades, les handicapés,les mamans et leurs enfants,etc,enfin les plus faibles,en minorité pour les entendre et pourtant les majoritaires.
    les maires dépensent beaucoup d’argent pour les vélos au lieu de multiplier en nombre et confort les transports en communs
    penser aux jeunes et aux valides c’est bien surtout que c’est trés mode,mais penser aux autres c’est encore mieux.
    c’est cela le vrai vivre ensemble

    1. Personne, nulle par, jamais, ne préconise que tout le monde ne se déplace qu’à vélo. Si seuls ceux qui ont vraiment une raison impérieuse d’utiliser une voiture pour tous les trajets le faisaient, il y aurait bien moins de voitures dans les rues des villes.
      En revanche, aujourd’hui, l’espace public est aménagé de telle façon que la plupart des gens pensent que la voiture est le seul mode de déplacement envisageable. Ces aménagements, comme l’expliquent les maires concernés, visent à rééquilibrer l’utilisation de l’espace.
      OR

    2. « les maires dépensent beaucoup d’argent pour les vélos ». Vous vous trompez, excusez-moi. Rien qu’un rond-point pour les voitures, c’est 500 000 euros (prix affiché sur un rond-point traversé et créé récemment). Quand vous additionnez le prix de toutes les infrastructures routières, vous parvenez à des milliers de milliards d’euros capitalisés. Absolument rien de comparable pour le vélo. Si vous recherchez les informations, vous verrez que le prix d’un kilomètre de piste cyclable est infiniment plus faible que celui d’une voirie voiture.
      En investissant dans le vélo, les principaux bénéficiaires sont tout le monde : les cyclistes (joie, sport, meilleure santé) et toute la population (gains écologiques grâce à moins de pollution et moins de matières premières consommées et brûlées + économiques grâce à moins de frais de santé et de routes).
      En Allemagne, 10% des trajets se font en vélo. En France, 1% ?
      Bien à vous, en piste !

  4. En effet promeneur, le greenwashing autour des énergies « renouvelables » est invraisemblable (pour explication aux néophytes, les énergies solaires et éoliennes ne sont pas renouvelables. Elles reposent sur un besoin énorme en métaux, qui ne sont pas plus renouvelables que le pétrole, et ces métaux doivent de plus être changés tous les 20 ans, sans être recyclés). L’éducation à l’énergie a de beaux jours devant elle en France.
    Et tout l’argent gaspillé dans ces énergies auraient du être dépensés dans une amélioration des usages (par ex. pistes cyclables).

  5. En effet promeneur, le greenwashing autour des énergies « renouvelables » est invraisemblable (pour explication aux néophytes, les énergies solaires et éoliennes ne sont pas renouvelables. Elles reposent sur un besoin énorme en métaux, qui ne sont pas plus renouvelables que le pétrole, et ces métaux doivent de plus être changés tous les 20 ans, sans être recyclés). L’éducation à l’énergie a de beaux jours devant elle en France.
    Et tout l’argent gaspillé dans ces énergies auraient du être dépensés dans une amélioration des usages (par ex. pistes cyclables).

  6. Ce qui me fait mal au cœur avec l’histoire de Sète, c’est qu’il s’agit là d’une destination cyclable. Si en vérité, l’accès n’y est pas réellement pratique, c’est quand même le bout du canal du midi (des deux mers).
    D’ailleurs, le seul endroit agréable pour pédaler se trouvait de l’autre coté du chenal pris en photo

  7. Bonjour Olivier et merci pour cet article toujours aussi juste.
    Est-ce que les 2RM font peurs ? Électoralement parlant je veux dire… Leur bruit est une horreur, les pots modifiés, devenu la norme maintenant sur les gros scooters, nous empêchent de dormir la nuit (jusque 500 pots modifiés/jour comptés en mai ; une centaine/h aux heures de pointe). Ils envahissent les pistes cyclables, les sas vélos et les trottoirs et rien n’est fait contre leurs nuisances.
    Dans le cas parisien/francilien, avec le dé-confinement, on parle et on voit les vélos flambants neufs sur la route. Mais il a aussi beaucoup de gros scoot’ ou motos sports neufs (il suffit de regarder les plaques d’immatriculation) pour lequel le vendeur a réussi à placer un produit un marge : un pot modifié ! Le client se donne à cœur joie de faire des départ-arrêté entre les feux pour le bonheur des familles sur le trottoir qui ne s’entendent plus discuter. La voilà la cause du départ vers le pavillon de banlieue en lotissement au calme :/ !
    Tant que la Mairie de Paris (et d’autres villes) ne rendra pas la stationnement payant pour les 2RM, cela continuera… et surtout si cela n’intervient pas immédiatement, ce sera trop tard. Les habitudes seront prises.

    1. Il faudra probablement aller plus loin et tendre vers l’interdiction des 2 roues à moteur à explosion à usage urbain. Le point délicat, ce sont les motos de grosse cylindrée… qu’en faire ?

  8. Un poil de lucidité quand même dans certains cas ne ferait pas de mal. Deux exemples vécus pour habiter dans le coin.
    Neuilly : la piste temporaire se situe sur l’avenue Charles de Gaulle qui est empruntée par 150 000 véhicules / jour environ. Bref, un parcours Maillot – Défense et peut prendre son indice d’octane à l’arrivée. Bruit, pollution, accumulation de feux tricolores. Je préfère passer soit avenue Péretti soit boulevard Barrès au sud. Petit détour mais plus de calme et un temps de trajet équivalent.
    RD186 entre le pont de Chatou et le pont du Pecq. Pour le coup, la piste génère des encombrements là où il n’y en avait pas… et même logique : un axe certes « au cordeau » mais sur un axe avec un trafic routier non négligeable et une accumulation de feux tricolores.
    Sans compter que pour l’usager de l’autobus, on impacte son fonctionnement et en plus, on a les cyclistes qui déboulent sur l’arrêt…
    Je passe non pas par l’itinéraire cyclable qui suit la Seine et qui allonge fortement la distance entre Rueil et St Germain, mais le long des voies du RER (avenues Maurice Berteaux et Emile Thébaut), par une voirie tout ce qu’il y a de plus sympathique, à faible trafic et surtout avec un seul feu tricolore entre la gare de Chatou et le pont du Pecq, ce qui assure un temps de parcours très efficace.
    Bref, attention à ne pas forcément s’enfermer sur ces grands axes qui ne sont pas systématiquement les meilleurs choix.
    A propos de pistes cyclables et des bus : il serait peut-être bon de rappeler que le dépassement par la droite d’un bus effectuant un arrêt commercial est interdit ! Donc quand l’arrêt est avec un ilot d’attente entre la voie de circulation et la piste cyclable, la règle devrait être « bus porte ouverte = vélo à l’arrêt ». Sinon, ça peut devenir dangereux. Surtout pour celui qui emprunte le bus.

  9. bonjour,
    pour parler des trains qui arrivent à l’heure, je trouve que la ville de Vanves (92) a pris le guidon à pleines mains pour le coup: création d’itinéraires vélo dans la ville avec marquages au sol (en blanc pas en jaune) et signalétique, affichages sur les panneaux d’info de la ville, 1ère page du bulletin de la ville, passage à 30km/h des principaux axes, ateliers de réparation vélo, …
    je ne sais pas si c’est l’effet du dernier baromètre de la FUB (ou des municipales) mais c’est un beau changement en quelques mois pour une ville qui n’en faisait pas plus que ça auparavant.

  10. I had a dream …

    D’après Jancovici avec les 135 G€ de subvention à l’éolien et le photovoltaïque on aurait pu doubler le réseau routier français d’une piste cyclable.

    1. @promeneur.
      Moi aussi, ça me fait rêver. Pouvoir garer ma voiture, mon scooter voire mon poids lourd n’importe où le long de la route sur un endroit matérialisé et sécurisé.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *