Auto-entrepreneur : la CIPAV condamnée par la Cour de cassation pour minoration des points de retraite

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Auto-entrepreneur : la CIPAV condamnée par la Cour de cassation pour minoration des points de retraite
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Jeudi 23 janvier 2020, la Cour de cassation a prononcé un arrêt rejetant le recours de la Caisse interprofessionnelle d’assurance vieillesse (CIPAV) contre un auto-entrepreneur qui l’accusait d’avoir minoré ses droits à retraite complémentaire. Par cette décision de justice, elle vient confirmer les arrêts rendus par le Tribunal de première instance et la Cour d’appel.

Les faits : minoration des droits à la retraite

Au moment de liquider ses droits à la retraite, un auto-entrepreneur, affilié à la CIPAV entre 2010 et 2014, Monsieur Tate, s'est aperçu que ses droits avaient été systématiquement minorés par sa caisse de retraite. Pour exemple, au titre de l’année 2013, son chiffre d’affaires lui permettait de prétendre à 36 points de retraite par an lorsque la CIPAV ne lui en a attribué que 9.

De son côté, la CIPAV argue « que le montant des pensions de retraite doit nécessairement être proportionnel aux cotisations versées ». Selon elle, ce principe résulte du caractère contributif du système de retraite français dans lequel les retraités perçoivent une pension proportionnelle à leur contribution au système.

Le statut d’auto-entrepreneur et les cotisations réduites

Pour comprendre le fond du problème, il convient de revenir au fonctionnement du régime de retraite complémentaire de la CIPAV dans lequel les cotisations sont appelées selon un système de classes définies à partir d’un niveau de revenus. Chaque classe de cotisation donne droit à un certain nombre de points, selon le tableau ci-dessous (chiffres pour l’année 2020).

Montant de la cotisation

Assiettes de cotisations

Points attribués

Classe A : 1 392 €

Classe A : jusqu’à 26 580 €

36

Classe B : 2 785 €

Classe B : 26 581 à 49 280 €

72

Classe C : 4 177 €

Classe C : 49 281 € à 57 850 €

108

Classe D : 6 962 €

Classe D : 57 851 € à 66 400 €

180

Classe E : 9 746 €

Classe E : 66 401 € à 83 060 €

252

Classe F : 15 316 €

Classe F : 83 061 € à 103 180 €

396

Classe G : 16 708 €

Classe G : 103 181 € à 123 300 €

432

Classe H : 18 101 €

Classe H : supérieurs à 123 300 €

468

Pour les faibles revenus, la CIPAV propose un système de « cotisation réduite » basé sur la première classe de cotisation. Pour en bénéficier, les professionnels libéraux doivent expressément en faire la demande. Il fonctionne selon les modalités suivantes (chiffres 2019) :

Revenus inférieurs ou égaux à

Réduction de cotisation sur classe A et nombre de points

6 079 €

Réduction de 100 %

Nombre de points acquis 0

12 157 €

Réduction de 75 %

Nombre de points acquis 9 au lieu de 36*

18 236 €

Réduction de 50 %

Nombre de points acquis 18 au lieu de 36*

24 314 €

Réduction de 25 %

Nombre de points acquis 27 au lieu de 36*

Afin d’améliorer l’attractivité du dispositif de la micro-entreprise, les micro-entrepreneurs (ex auto-entrepreneurs) ont été assujettis à une cotisation sociale forfaitaire basée sur leur chiffre d’affaires égale à 22 % en 2020 – un taux inférieur à celui applicable aux libéraux dans le régime normal – qui couvre l’ensemble des cotisations et contributions sociales de l’autoentrepreneur.

Égalité de traitement entre auto-entrepreneurs et les autres indépendants

Pour éviter que ce taux réduit affecte les droits à retraite des auto-entrepreneurs, l’État a prévu une égalité de traitement entre les auto-entrepreneurs et les autres indépendants. Plus simplement, ils bénéficient de cotisations moindres, mais de droits à la retraite équivalents. En ce sens, la loi prévoit le versement d’une compensation de l’État à la CIPAV pour couvrir la perte de recette induite. Il est précisé que cette compensation s’effectue dans des conditions assurant une cotisation « au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables ».

Or, la CIPAV a retenu comme référence, la « cotisation réduite » prévue pour les professionnels ayant de faibles revenus et non pas la classe A du premier tableau.

Comme nous l’expliquions, dans notre actualité du 8 juin 2018, ce choix de mode de cotisation a été contesté par la Cour des comptes et de Défenseur des droits. Ils regrettent un système qui minore systématiquement et automatiquement les droits des auto-entrepreneurs.

Pour l’avocat de Monsieur Tate, Maître Dimitri Pincent, il y a discrimination : « Les textes prévoyaient une égalité de traitement entre ceux qui avaient choisi le régime de la microentreprise, les autoentrepreneurs, et ceux qui ne l'avaient pas choisi. L'égalité de traitement n'a pas été respectée, puisque la CIPAV a récupéré l'argent de l'Urssaf, mais elle a crédité beaucoup moins de droits à la retraite que pour les indépendants non-autoentrepreneurs. »

Toutes les instances juridiques donnent raison à l’auto-entrepreneur

Plusieurs adhérents de la CIPAV, dont Monsieur Tate, ont engagé des actions afin de demander la régularisation de leurs droits au titre de la retraite complémentaire sur la base de la cotisation de la classe A. En 2016, le tribunal des affaires sociale de Sécurité sociale donne raison à Monsieur Tate et rectifie à la hausse le nombre de ses points de retraite complémentaire acquis sur la période de 2010 à 2014. Il ordonne en conséquence à la CIPAV de rectifier le montant de sa pension de retraite complémentaire.

En 2018, la Cour d’appel de Versailles confirme ce jugement. Elle constate que la CIPAV : « réduit le montant des prestations qu’elle sert au titre de la retraite complémentaire, non pas sur le fondement légal ou règlementaire, mais pour pallier l’absence de compensation par l’État à hauteur des sommes qui seraient normalement dues aux auto-entrepreneurs à jour de leurs cotisations sociales. »

Elle souligne que la caisse établit un lien direct et impératif entre le montant des prestations qu’elle sert à ses micro-entrepreneurs et l’absence de compensation appropriés par l’État. Selon les juges de la Cour d’appel, la réglementation prévue par le Code de la Sécurité sociale auquel se réfère la CIPAV ne conduit pas à établir un lien. Ils ajoutent également que l’affilié n’a jamais eu une réduction de ses cotisations.

Ce jeudi 23 janvier, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la CIPAV, confirmant Monsieur Tate dans son droit.

Un défaut de tutelle de l’État et de la Sécurité sociale qui pourrait coûter 1,6 Md€

Ce jugement pourrait coûtait cher à l’État, car la CIPAV peut légitimement se retourner vers lui et réclamer la compensation prévue et inscrite dans la loi.

Selon le site de la Fédération des autoentrepreneurs, la note risque d’être salée : 1,6 milliard d’euros. La Fédération encourage les autoentrepreneurs à engager des recours et espère que la Direction de la Sécurité sociale (DSS) prendra rapidement le dossier en main afin d’éviter un nouvel afflux vers les tribunaux.

Pour son président, Grégoire Leclerp : « L'État et la DSS en particulier doivent prendre leurs responsabilités. Ce n'est pas aux autoentrepreneurs de s'appuyer désormais sur une jurisprudence pour défendre leurs droits en engorgeant les tribunaux, mais aux organismes de sécurité sociale de trouver une solution pérenne, pour solder la période 2009 - 2015 »

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