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Tribune

Opinion | Télétravail : vers une augmentation des inégalités ?

L'essor du télétravail provoqué par le Covid-19 pourrait à terme être une bonne chose pour les salariés comme pour les entreprises. Mais dans la mesure où il concerne surtout les catégories professionnelles les plus élevées, il pourrait aussi devenir une nouvelle source d'inégalités, écrivent Jacques Barthélémy et Gilbert Cette.

On ne peut se satisfaire pleinement de transformations comme le télétravail, au motif qu'elles élèvent le progrès social, si par ailleurs elles renforcent des inégalités au seul bénéfice des catégories les plus diplômées et les mieux rémunérées.
On ne peut se satisfaire pleinement de transformations comme le télétravail, au motif qu'elles élèvent le progrès social, si par ailleurs elles renforcent des inégalités au seul bénéfice des catégories les plus diplômées et les mieux rémunérées. (iStock)

Par Gilbert Cette (Professeur d’économie à Neoma Business School), Jacques Barthelemy (avocat-conseil honoraire en droit social)

Publié le 22 avr. 2020 à 10:00

Le droit du travail a été façonné par la civilisation de l'usine et les modes hiérarchiques d'organisation du travail la caractérisant. La situation que nous vivons du fait du coronavirus provoque des mutations profondes des relations de travail. Télétravail et travail à domicile deviennent plus habituels et devraient le rester, car ils sont porteurs de meilleures conditions de travail et de libertés pour le travailleur, de coûts moindres et de flexibilité pour l'entreprise.

Avant le choc du Covid-19, le télétravail était rare. Selon la Dares, en 2017, seuls 3 % des salariés le pratiquaient au moins un jour par semaine. Mais ce type de travail a connu une explosion durant la période de confinement. La Dares a évalué à cette occasion que près de 4 emplois sur 10 seraient dans le secteur privé compatibles avec le télétravail.

Aux Etats-Unis, Dingel et Neiman (« How Many Jobs Can be Done at Home ? », NBER Working Paper no 26948, avril 2020) évaluent cette proportion moyenne à 34 %. Ils indiquent qu'elle connaît d'importantes différences entre zones métropolitaines (de 26 % pour la plus basse à 48 % pour la plus élevée), les secteurs d'activité (de 0 % dans la construction et la restauration à 97 % dans l'expertise juridique) et selon les professions (de 3 % pour les employés des services alimentaires à 77 % pour les experts en services scientifiques et techniques).

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Les CSP+ sont les plus concernées

De telles mutations soulèvent cependant un problème sérieux : celui des inégalités. Ces nouvelles formes du travail concernent, certes pas uniquement mais surtout, les catégories professionnelles les plus élevées. Ainsi, le forfait jours concerne plus particulièrement les cadres et, parmi les non-cadres, ceux qui exercent des fonctions d'encadrement ainsi que des fonctions technico-commerciales. Ces travailleurs sont en moyenne relativement plus diplômés que les autres. On retrouve les mêmes caractéristiques concernant le télétravail.

On ne peut se satisfaire pleinement de transformations, au motif qu'elles élèvent le progrès social, si par ailleurs elles renforcent des inégalités au bénéfice des catégories les plus diplômées et les mieux rémunérées.

Primes spécifiques

Une première réponse est que de nombreuses fonctions support qui ne comptent pas parmi les plus qualifiées peuvent aussi être éligibles à ces transformations du travail. On peut mentionner pour exemple les tâches de secrétariat, administratif ou de direction, souvent réalisables à distance. Mais cette réponse n'est que très partielle : si l'augmentation du nombre des salariés concernés atténue l'inégalité initiale, celle-ci demeure cependant forte.

Une autre réponse est celle de la mobilité professionnelle et sociale. Les travailleurs aspirant à changer de profession doivent pouvoir exprimer cette ambition avec une réelle autonomie de décision. Tel est l'un des objectifs de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage portée par la loi du 5 septembre 2018 dont la mise en oeuvre est en cours. Un bilan des performances en la matière devra être tiré dans quelques années.

Une dernière réponse peut prendre la forme de primes spécifiques ou de durées du travail plus courtes. Les nouvelles formes de travail (forfait jours, télétravail…) permettent à ceux qui les pratiquent une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Des temps de travail allégés permettent de même une meilleure conciliation entre ces différents temps de vie aux travailleurs dont les horaires et l'organisation du travail demeurent fortement contraints et prescrits. Ces contreparties mériteraient d'être définies par accord d'entreprise, autant que les formes et degrés de l'expression de l'autonomie des autres travailleurs.

Jacques Barthélémy est avocat en droit social et Gilbert Cette est professeur associé à l'université d'Aix-Marseille. Ils sont coauteurs de « Travailler au XXIe siècle. L'ubérisation de l'économie ? », Editions Odile Jacob, 2017.

Jacques Barthélémy et Gilbert Cette

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