Solidarité

Sans-abri : démunis aussi face à l’épidémie

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Le confinement imposé face à l’épidémie du coronavirus affecte le travail des associations de soutien aux plus précaires, en particulier ceux sans domicile. Une situation inquiétante à court et à long terme.

Sans-abri à Paris, lors du premier jour du confinement, le 16 mars. Les plus précaires sont les plus exposés au coronavirus et surtout à ses conséquences. PHOTO : Simon LAMBERT/HAYTHAM-REA

« Double peine pour les plus pauvres », avertit ATD Quart Monde. Dans un communiqué de presse, l’organisation se dit, comme beaucoup d’associations, « préoccupée par l’impact de l’épidémie et du confinement sur les personnes les plus pauvres qui doivent déjà se battre pour survivre au quotidien ».

Les plus précaires sont plus exposés à l’épidémie du coronavirus et surtout à ses conséquences. « De nombreux lieux d’accueil ferment, les maraudes s’arrêtent. Les associations s’appuient sur beaucoup de bénévoles âgés, qui ne peuvent plus sortir. Leurs salariés sont souvent à la maison auprès de leurs enfants, certains invoquent leur droit de retrait », détaille Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre (FAP). Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), constate également « un retrait important des bénévoles et salariés qui créé une fragilité de la veille sociale, particulièrement en première ligne ».

Si dans les centres d’hébergement la situation est plus stable, car « les contacts sont plus régulés », relate Manuel Domergue, les choses sont bien différentes pour les accueils de jour, les maraudes et la distribution alimentaire. Dans un accueil de jour, « où 200 personnes par jour défilent pour prendre un café dans des locaux exigus », décrit le responsable de la FAP, il est difficile de respecter les consignes de sécurité. Or, rappelle Florent Gueguen, ces accueils « dispensent des prestations vitales et sont par exemple le seul moyen pour beaucoup d’avoir accès à l’eau, se laver, nettoyer ses affaires et aussi entendre les consignes de sécurité ».

Ceux qui vont au contact des personnes sans logement manquent de masques et de gants pour faire leur travail en toute sécurité. « Si les bénévoles et salariés n’ont pas les moyens de se protéger, les services vont s’arrêter », s’inquiète le responsable de la FAS, rappelant que les maraudes, par exemple, sont aussi un moyen de dépister l’épidémie.

Des personnes plus vulnérables

Parmi les 250 000 personnes vivant en centre d’hébergement, 100 000 sont des demandeurs d’asile, hébergés dans des structures dédiées et pour qui se posent des questions liées à l’accès aux droits et à la langue. Pour ces personnes, qui vivent souvent dans des bidonvilles ou des squats, la situation est déjà critique en temps normal. « Près de 77 % des habitants des bidonvilles n’ont pas accès à l’eau et s’approvisionnent par exemple avec des bidons aux bornes incendies », rappelle Clémentine Sinquin du Collectif national des droits de l’homme Romeurope. La propagation de l’épidémie les rend particulièrement vulnérables, beaucoup n’ayant pas accès à l’aide médicale d’Etat (AME) ou sont en situation de non-recours. « Ils fréquentent souvent les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) des hôpitaux, qui sont actuellement surchargés », souligne Clémentine Sinquin.

Beaucoup n’ont pas accès à l’aide médicale d’Etat ou sont en situation de non-recours

Dans ces conditions, difficile de se faire une idée précise de leur état de santé, des migrants comme des SDF. Ceux qui ont l’habitude de travailler avec les sans-abri1 les voient toute l’année souffrir d’une toux sèche. Pour beaucoup, la maladie fait partie du quotidien, « ils ont une maladie chronique, cardio-vasculaire, du diabète, des addictions, etc. », énumère Florent Gueguen. « Elles sont en outre fragilisées par leur constitution physique, précise Manuel Domergue, puisqu’elles sont généralement en mauvaise santé. Le virus risque donc de faire des ravages parmi elles, avec un taux de morbidité très élevé. » Surtout, ces personnes sont par définition dans l’impossibilité de se confiner et sont de fait des vecteurs de circulation du virus.

Impossible confinement

Dans un article rédigé pour la Fondation Jean-Jaurès, le sociologue Julien Damon rappelle qu’historiquement « le sujet des sans-abri a sempiternellement été lié à la crainte des épidémies ». Alors que le droit social s’est substitué au droit pénal au XXe siècle pour « se préoccuper des SDF », il se demande si on peut contraindre ces personnes au confinement alors qu’aujourd’hui « le droit réfute totalement l’enfermement systématique ».

« Nous sommes favorables à une obligation de confinement pour tout le monde, comme la loi le prévoit, ni plus ni moins pour les SDF », commente Manuel Domergue. « Ce débat sur l’obligation est de toute façon pour l’instant purement rhétorique puisqu’on manque de places d’hébergement et de personnel d’accompagnement. On a eu vent de cas où les personnes hébergées se voient interdites de sortie, ce qui est évidemment liberticide et aboutit à l’effet inverse : les personnes en manque (addiction) fuient ces hébergements, et c’est pire que tout. On paie très cher l’échec de l’accès au logement. »

Prise de conscience

Du côté du gouvernement, une prise de conscience se fait jour. Tout d’abord, les associations d’aide aux plus démunis se sont félicitées du report de deux mois de la fin de la trêve locative. « Mais cela paraît évident que la police n’aurait dans ces circonstances pas procédé à des expulsions », estime le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Par ailleurs, les associations se félicitent des reports de la réforme de l’aide personnalisée au logement (APL) et de l’application des nouvelles règles d’indemnisation du chômage.

Les hôteliers se sont engagés auprès du ministre du Logement à identifier les places vides pour mettre les chambres à disposition de ceux qui en ont besoin

Des « centres de desserrement » vont en outre être mis en place, avec un accompagnement médical renforcé. Il s’agit, explique Florent Gueguen, de « lieux avec des chambres individuelles et un suivi médical pour les personnes présentant des symptômes graves, destinés à éviter la contamination en centre d’hébergement et à désengorger les hôpitaux ». Deux centres de 250 places vont rapidement ouvrir à Paris, puis à terme 80 autres avec 3 000 places dans tout le territoire français. « Le plus difficile n’est pas de trouver des locaux, précise toutefois Manuel Domergue, mais de trouver du personnel pour l’accompagnement. » Des forces présentes pour l’accueil des plus démunis vont probablement être transférées sur l’hébergement, où il est plus facile pour les salariés et bénévoles de respecter les distances de sécurité.

Le 19 mars, la profession hôtelière s’est en outre engagée auprès du ministre du Logement, Julien Denormandie, à identifier les places vides pour mettre les chambres à disposition de ceux qui en ont besoin. « Si ce n’est pas le cas, il faudra imposer de les réquisitionner », réclame la Fondation Abbé Pierre.

Localement, des initiatives sont également prises pour l’accès à l’eau. Clémentine Sinquin informe que la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) des Bouches-du-Rhône a demandé un inventaire des points d’accès à l’eau à un membre de Romeurope, qui en a établi une cartographie.

Situation critique

Néanmoins, la situation demeure critique. « De nombreux témoignages remontent de verbalisation de personnes à la rue », signale le collectif Alerte, animé par l’Uniopss. Les formulaires de circulation ne sont pas forcément accessibles à ceux qui ne parlent pas français. Clémentine Sinquin connaît des personnes sans domicile qui ont été verbalisées alors qu’elles ne savaient pas qu’elles devaient se déplacer en possession d’un tel document. Face à cela, les associations souhaiteraient la « clémence de la police vis-à-vis de populations qui n’ont pas un rapport apaisé avec celle-ci », comme le souligne Clémentine Sinquin.

« Les appels au 115 de personnes qui disent avoir faim ne cessent d’augmenter », avertit le collectif Alerte

« Les appels au 115 de personnes qui disent avoir faim ne cessent d’augmenter », avertit en outre le collectif. Les Restos du cœur, qui ne s’occupent pas uniquement des personnes sans domicile mais de nombreuses familles précaires, ont dû fermer beaucoup d’antennes à travers le territoire. Romeurope souhaiterait que l’aide alimentaire prenne en compte les personnes vivant dans des squats ou en bidonville, où, précise Clémentine Sinquin, « le risque de sous-nutrition est élevé chez les enfants qui en représentent la moitié ». Face à cela, « il faut un plan national pour l’aide alimentaire, qui compense les fermetures de centres de distribution », plaide Florent Gueguen. Surtout, les associations demandent que les travailleurs sociaux aient un accès prioritaire à des masques et des gants, et aux modes de garde des personnels de santé pour leurs enfants.

Suspendre les loyers

Paul Maréchal, délégué national d’ATD Quart Monde, s’inquiète plus généralement que les « personnes en très grande pauvreté, sans domicile ou pas, s’enfoncent dans celle-ci ». Il « rend hommage aux enseignants qui se rapprochent des élèves en situation de pauvreté qui n’ont pas les moyens de se connecter à Internet en leur téléphonant à tous individuellement », mais s’interroge sur les effets de la crise sur leur scolarité à long terme. Il signale des cas de familles qui n’ont pu renouveler leur revenu de solidarité active (RSA) car la caisse d’allocation familiale (CAF) était fermée et qu’ils n’avaient pas accès à Internet. « Il faut, dit-il, que les pouvoirs publics aient les plus démunis comme boussole dans le choix de leurs politiques. »

« Que va-t-il se passer quand dans deux ou trois mois, du fait de la baisse d’activité, les entrepreneurs, les salariés en CDD, les intérimaires et les précaires se trouveront dans l’impossibilité de payer leur loyer ? », Manuel Domergue de la FAP

La Fondation Abbé Pierre s’inquiète également pour l’avenir : « que va-t-il se passer quand dans deux ou trois mois, du fait de la baisse d’activité, les entrepreneurs, les salariés en CDD, les intérimaires et les précaires se trouveront dans l’impossibilité de payer leur loyer ? », se demande Manuel Domergue. D’où l’importance de la mise en place du fonds d’indemnisation national promis par le gouvernement. Selon les estimations de la Fondation Abbé Pierre, plus d’une centaine de milliers de personnes pourraient être en situation de difficulté pour payer leur loyer après l’épidémie. « Une suspension de loyer est possible pour les PME, pourquoi ne pourrait-on pas débloquer 200 millions d’euros pour aider ces personnes à conserver leur logement ? », conclut Manuel Domergue.

  • 1. Le terme de sans-domicile rassemble ceux qui ne bénéficient pas d’un domicile mais se trouvent majoritairement dans différents types d’hébergement, notamment des centres d’hébergement, rappelle Julien Damon, alors que les sans-abri résident dans l’espace public.

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