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CQFD

Coronavirus : le droit de retrait en quatre questions

Des routiers, employés de banques, policiers… invoquent un droit de retrait en pleine pandémie. Le motif : la sécurité, alors que le coronavirus se propage. En ont-ils la possibilité ? Que recouvre ce droit de retrait typiquement français ? Les réponses de CQFD, l'outil pédagogique des Echos.

Le droit de retrait ne peut être exercé que si le salarié se trouve dans une situation présentant « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».
Le droit de retrait ne peut être exercé que si le salarié se trouve dans une situation présentant « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». (SIPA)

Par Hélène Gully

Publié le 30 mars 2020 à 11:50Mis à jour le 30 mars 2020 à 11:51

La France est confinée depuis presque deux semaines. Mais dans certains secteurs, les salariés doivent continuer à travailler pour assurer la survie du pays.

Des voix s'élèvent, toutefois, pour invoquer le droit de retrait. Les syndicats CFDT, FO et CFTC ont ainsi appelé les chauffeurs routiers à faire jouer ce droit, ce lundi. « Nous ne pouvons malheureusement que constater que les conditions de travail des salariés en matière de sécurité sanitaire ne sont pas au rendez-vous », ont déploré les trois syndicats dans un communiqué commun publié samedi.

Et ce cas est loin d'être isolé. La semaine dernière, le syndicat Alliance a également invité les policiers à exercer ce droit afin d'obtenir des masques et des moyens de protection. Même écho du côté des syndicats bancaires, estimant que les salariés en agence sont confrontés potentiellement à un risque grave et imminent pour leur santé.

Mais que recouvre exactement ce fameux droit de retrait, typiquement français. Eléments de réponse.

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Qu'est-ce que le droit de retrait ?

C'est un dispositif inscrit dans le Code du travail depuis décembre 1982. Il dote chaque Français du droit de cesser son activité temporairement, sans retenue de salaire. Sous certaines conditions sine qua non, bien sûr.

Tout d'abord, le droit de retrait ne peut être exercé que si le salarié se trouve dans une situation présentant « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », stipule l'article L4131-1. A savoir : un danger susceptible « de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou pouvant entraîner une incapacité permanente ou temporaire » et de « se réaliser brusquement et dans un délai rapproché », explique le site legiSocial spécialisé dans le droit du travail.

Ce danger est apprécié au cas par cas. Mais la jurisprudence donne quelques indices. En mars 1995, la Cour de Cassation a ainsi admis le droit de retrait à un agent des transports publics dont l'agresseur était toujours en liberté.

Un travailleur peut également faire jouer son droit de retrait s'il estime que les systèmes de protection sur son lieu de travail sont « défectueux ». Un employé avait par exemple obtenu gain de cause après avoir cessé son activité dans un local insalubre, mal éclairé, soumis à des émanations de gaz, et dont la température ne dépassait jamais 15 degrés. Ou encore un chauffeur de camion de chantier, dont les freins étaient en très mauvais état.

En revanche, la loi indique que le droit de retrait n'est valable que si son application n'implique pas la mise en danger d'autrui. « Le droit de retrait est exercé de telle manière qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent », dispose l'article 4132-1 du Code du travail.

Enfin, il s'agit d'un droit individuel. Il s'applique au cas par cas, selon chaque situation, salarié par salarié, entreprise par entreprise. Plusieurs salariés, dans la même situation, peuvent toutefois exercer leur droit simultanément. Ce que conseillent, par exemple, les syndicats des chauffeurs routiers actuellement.

Quel droit de retrait dans la fonction publique ?

Si n'importe quel salarié a accès au droit de retrait sans autres conditions que celles précisées ci-dessus, pour les fonctionnaires, la situation est un peu différente. La direction générale de l'administration et de la fonction publique a publié une note en ce sens la semaine dernière : « le droit de retrait, comme tout droit accordé aux fonctionnaires, doit pouvoir être articulé avec la nécessité de continuité du service public et de préservation de l'ordre public », récapitule le document interne.

Les fonctionnaires ont donc la possibilité d'exercer leur droit de retrait s'il ne contrevient pas à leur mission de service public. Tel est le cas des surveillants pénitentiaires, pourtant particulièrement inquiets après l'apparition des premiers cas de Covid-19 en prison.

Les missions de service public considérées comme incompatibles avec l'exercice du droit de retrait sont définies par arrêtés. Il s'agit notamment des domaines de la douane, de la police, de l'administration pénitentiaire et de sécurité civile.

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Peut-on être sanctionné pour avoir exercé son droit de retrait ?

Si le droit de retrait est justifié, aucune sanction n'est envisageable. En revanche, si les conditions de droit de retrait ne sont pas réunies, l'employeur pourra sanctionner le salarié jusqu'à le licencier. Un point sur lequel l'exécutif a de nouveau insisté sur le site du ministère du Travail.

Plusieurs sanctions sont possibles : la retenue sur salaire des heures durant lesquelles le salarié a suspendu son travail, la mise à pied, l'avertissement ou le licenciement. Si le salarié veut contester la décision, il faudra qu'il se rende devant le Conseil des Prud'hommes. En cas de litiges, c'est au juge que revient la décision de la légitimité du droit de retrait, et non à l'inspection du Travail, à l'employeur ou au salarié.

Selon le Parisien, la direction de l'entrepôt Carrefour de Ploufragan, dans les Côtes d'Armor, a par exemple menacé de retenues sur salaire et de procédures disciplinaires « pouvant entraîner une sanction » les employés refusant de reprendre leur travail. Leurs griefs : le refus par la direction de distribuer des masques de protection, vraisemblablement disponibles sur le site.

Comment le droit de retrait s'applique-t-il au coronavirus ?

Concernant le coronavirus, la situation de « pandémie grippale » ne suffit pas à invoquer le droit de retrait, a décidé l'exécutif. Ce qui avait déjà été le cas lors de l'épidémie de grippe H1N1 en 2009. A l'époque, une circulaire avait précisé que le droit de retrait concernait une situation particulière de travail et non une situation générale d'épidémie.

De plus, les conditions nécessaires au droit de retrait ne sont pas réunies dès l'instant où l'employeur met en oeuvre les recommandations du gouvernement. « Le droit de retrait s'applique au cas par cas, salarié par salarié, entreprise par entreprise. Nous exigeons évidemment des entreprises qu'elles respectent les gestes barrières et les fassent appliquer. Si c'est le cas, elles respectent leurs obligations en matière de santé », a répété le ministère du Travail au moment où le confinement a été décidé, mi-mars.

Le respect des gestes barrières consiste, par exemple, à éviter que tous les salariés aillent au même moment à la cantine, leur laisser des pauses régulières pour qu'ils puissent se laver les mains, et imposer au moins un mètre de distance entre chacun.

Le salarié peut toutefois contester le système de protection mis en place dans son entreprise s'il l'estime insuffisant. Comme l'a expliqué aux « Echos » Jean-Paul Teissonnière, avocat spécialisé sur les questions de santé au travail, le problème avec l'épidémie actuelle est qu'il n'y a pas vraiment de jurisprudence. « Il y a peu de jurisprudence et surtout, elle est peu transposable », souligne-t-il.

Toute la question est désormais de savoir si lors des futurs litiges, le juge aura, oui ou non, une interprétation extensive de la notion de danger grave et imminent pour le cas du coronavirus.

Hélène Gully

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