« 15 ans après, la situation du RSI peut-elle se reproduire ? », Guy Sabrié (ex-directeur du RSI Ile-de-France Est)

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« 15 ans après, la situation du RSI peut-elle se reproduire ? », Guy Sabrié (ex-directeur du RSI Ile-de-France Est)

Érodé par les dysfonctionnements, conspué pas les adhérents reprochant ses défaillances multiples et sa gestion imparfaite, le Régime social des indépendants (RSI) a cristallisé les crispations, de sa naissance en 2006 à son démantèlement progressif débuté en 2018 et qui s’est achevé en 2020 par l’intégration de l’ensemble des travailleurs indépendants au Régime général.

Pourtant, l’idée de base était intéressante, il s’agissait de rassembler les acteurs de la protection sociale des indépendants au sein d’un régime unique, dans une logique de simplification des démarches et d’amélioration de la qualité de service.

Régime universel de retraite, réforme du recouvrement des prélèvements obligatoires, etc., alors que la dynamique politique actuelle semble tendre vers une volonté de simplification et de centralisation, les pouvoirs publics ont-ils tiré toutes les conséquences de l’échec du RSI ? Éléments de réponse avec Guy Sabrié, ancien directeur de la caisse RSI d’Ile-de-France Est.

Previssima - L’instauration du Régime social des indépendants en 2006 avait l’objectif de simplifier la protection sociale des travailleurs indépendants. 6 ans plus tard, la Cour des comptes a fustigé une « catastrophe industrielle ». Que s’est-t-il passé ?

Guy Sabrié - La réforme du RSI n’a pas été préparée. Ses principes n’étaient toutefois pas mauvais, il s’agissait de regrouper des caisses – l’ORGANIC, la caisse retraite des commerçants, la CANCAVA, celle des artisans et la CANAM, la caisse d’assurance maladie des professions indépendantes – avec l’URSSAF, afin de réaliser des économies de gestion.

Pour comprendre l’échec de la réforme, il faut appréhender le fait que chaque caisse était dotée d’un système informatique et de règles de gestion différents. Dans un premier temps, afin de procéder à un regroupement, il aurait fallu créer un système informatique unique et performant ; or, le système choisi, celui de l’URSSAF, ne pouvait pas intégrer les modalités de gestion particulières des caisses de retraite et maladie des indépendants.

Rapidement, cela a posé une première difficulté pour effectuer les rapprochements de dossiers entre les différentes caisses afin de créer un fichier unique d’identification de chaque adhérent. Et pour cause, chaque caisse fonctionnait avec un numéro propre : la caisse maladie utilisait le numéro de Sécurité sociale, quant aux caisses de retraite et à l’URSSAF, elles avaient leur propre numéro attribué par ordre séquentiel. Il aurait donc fallu incrémenter chaque fichier du même numéro quelles que soient les caisses.

Difficulté supplémentaire pour rapprocher les dossiers, la compétence d’affiliation de ces organismes était différente : les caisses retraite et maladie étaient compétentes en fonction du domicile personnel, l’URSSAF en fonction du domicile professionnel. Ainsi, un commerçant domicilié en Ile-de-France mais dont l’activité professionnelle était exercée en Haute-Normandie, dépendait de la caisse ORGANIC Ile-de-France mais de l’URSSAF de Haute-Normandie.

Par ailleurs, l’organisation mise en place était incohérente : le recouvrement était partagé entre les caisses du RSI et l’URSSAF : les premières avaient les compétences pour le recouvrement jusqu’à 6 mois après la date limite de versement des cotisations et après, cela basculait à l’URSSAF. Un même adhérent pouvait donc avoir des arriérés de cotisations réclamés par l’URSSAF et des cotisations nouvelles arrivant à échéance dues aux caisses RSI. Il n’y avait pas d’unité de traitement du dossier.

Il faut enfin savoir que la bascule vers le RSI a été immédiate, sans transition. À mon sens, deux années auraient été nécessaires pour préparer cette réforme et veiller à ce que le système informatique soit en mesure d’absorber l’afflux de nouveaux dossiers. En l’état, l’ensemble des dossiers n’ont pu y être intégrés, ce qui a engendré de nombreuses difficultés. Et pour cause, lorsqu’un adhérent souhaitait effectuer une modification sur son compte (radiation, évolution des revenus, etc.), il fallait que les systèmes informatiques de l’URSSAF et de la caisse RSI prennent en compte les nouvelles données. Ce qui n’était pas le cas, en raison de l’incompatibilité informatique, des difficultés de coordination et de communication des deux opérateurs. Ce fractionnement de compétences aux mécanismes complexes aura des conséquences désastreuses pour des milliers d’assurés.

Le régime est né d’une volonté politique initiée sous le Gouvernement Raffarin. Peut-on désigner des responsables à ce désastre ?

La responsabilité de l’échec du RSI est tout d’abord politique, car la réforme a été mise en place dans la précipitation, pour des questions électorales notamment.

Il y a également une responsabilité des administrations telles que l’URSSAF qui n’a pris aucune mesure pour pallier le désastre. Il aurait fallu investir des sommes considérables afin de changer le système informatique incompatible mais également réaliser une véritable étude d’impact par des personnes indépendantes des organismes afin d’analyser les possibilités de convergence entre les systèmes.

En dépit de cela, aucun responsable politique ou administratif n’a été sanctionné.

Je crois, en finalité, qu’il faut se donner le moyen des réformes. Avec tous les dysfonctionnements qu’il y a eu, la réforme du RSI a coûté à l’État près d’un milliard d’euros, que ce soit en cotisations non recouvrées ou en dépenses effectuées pour tenter d’endiguer les difficultés, à travers notamment l’embauche en masse de salariés en CDD pour suppléer les agents du RSI totalement débordés.

Quelles furent les conséquences liées aux dysfonctionnements du RSI pour les cotisants ? Ceux qui ont subi un préjudice furent-ils indemnisés ?

Les conséquences pour les adhérents du RSI ont été dramatiques.

On a par exemple le cas du commerçant demandant un délai de paiement accordé par sa caisse RSI, tandis que l’URSSAF, de son côté, poursuit la procédure de recouvrement. Les informations ne circulant pas entre les caisses RSI et URSSAF, les adhérents avaient beau envoyer des documents justificatifs, la procédure se poursuivait inexorablement.

Ce qui était désarmant, c’est qu’à notre hauteur, nous ne pouvions rien faire pour nos affiliés ; nous avions bien des réunions régulières avec le directeur général de la caisse afin de remonter les difficultés constatées sur le terrain mais, sans aucune solution apportée a posteriori. Cette impuissance était terrible.

Alors que les conséquences pour certains travailleurs indépendants ont été dramatiques, très peu d’entre ceux qui ont subi un préjudice ont été indemnisés. Certains tribunaux des affaires de Sécurité sociale ont condamné des caisses RSI à des dommages et intérêts, mais ce nombre reste anecdotique.

Je reste pour ma part persuadé que de nombreux adhérents ont réglé des cotisations qui n’ont pas été prises en compte au titre de leur droits à retraite. Au bout de 10 ans, ils ne peuvent malheureusement plus le prouver.

La réforme du RSI débutée en 2018 et qui s’est achevée au 1er janvier 2020 par l’intégration des indépendants au Régime général marque-t-elle, d’après vous, la fin des difficultés pour les travailleurs indépendants ?

Si l’adossement du RSI au Régime général s’est globalement bien passé, cela ne signe pas la fin des difficultés pour les travailleurs indépendants.

Par exemple, pour la retraite, ce sont les Caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) au niveau régional et la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) au niveau national qui liquident les pensions de base et complémentaire des artisans-commerçants. Il faut savoir que le régime complémentaire des artisans-commerçants est un peu complexe du fait de son histoire et qu’à l’heure actuelle, ceux qui demandant la liquidation de leur retraite ont toutes les peines du monde à percevoir la part complémentaire. Et pour cause, leur régime complémentaire fonctionne sur un système différent – par point – tandis que les agents de la CNAV sont habitués à un régime par annuités.

Ces retards de versement de la pension complémentaire des artisans-commerçants peuvent éventuellement s’expliquer par un défaut de formation des agents CNAV.

Selon vous, l’Etat a-t-il tiré des conséquences de l’échec du RSI afin qu’une telle situation ne se reproduise plus ?

Pas du tout. Le meilleur exemple en date récente concerne le système social des artistes-auteurs géré par l’URSSAF. L’organisme reçoit leur déclaration pour établir en retour les appels de cotisations. Mais là encore, les cotisants n’arrivent pas à joindre la caisse, à se connecter sur leur compte pour effectuer leur déclaration, etc., un dysfonctionnement qui serait d’ordre informatique. Avec les artistes-auteurs, on reproduit les mêmes erreurs qu’avec le RSI.

Autre réforme, l’article 18 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 étend aux missions des URSSAF la récolte des cotisations AGIRC-ARRCO à compter du 1er janvier 2022. On s’aperçoit que l’Etat réintègre progressivement tous les régimes satellites dans l’URSSAF dans le but de tout centraliser au niveau recouvrement.

Au-delà, lorsque l’on voit la complexité des règles sociales inhérentes à chaque régime de retraite, un système informatique unique, qui envisage tous les cas de figure, serait un outil complexe. Et puis, cela n’est pas sans danger, notamment en cas de panne ou d’attaque du système.

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