Un Européen sur cinq vit dans la précarité : "Fin 2021, une probable vague de faillites va augmenter les risques de pauvreté"

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Par M.F.

L’Europe c’est 450 millions d’habitants. Parmi eux, 92 millions sont pauvres. Quand on sait que l’Union Européenne figure parmi la liste des plus grandes puissances mondiale, le constat est effrayant.

Parmi les émissaires chargés de faire l’état des lieux du taux de personnes précaires parmi les états européens, Olivier De Schutter a réalisé une mission de deux mois afin d’évaluer les outils disponibles pour les pays afin de faire face à la pauvreté. Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, il estime que la croissance économique et le progrès général n’ont pas bénéficié à tout le monde au point de laisser un cinquième de la population dans la précarité.

"On va assister probablement à partir de la fin de l'été, de l'automne 2021 à une vague de faillites, de mise au chômage des personnes et les risques de la pauvreté vont augmenter"

"On a des laissés pour compte dans une Europe qui a pas mal progressé dans la grande crise financière de 2008-2009 jusqu’à la crise pandémique. L’engagement qui avait été pris en 2010 de réduire le nombre de personnes en risque de pauvreté de 20 millions pour 2020 est loin d’avoir été tenu", déplore le professeur de droit international de l’UCLouvain.


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D’autant qu’une seconde vague de pauvreté est possible, contrecoup de la crise sanitaire. Alors que la casse sociale a été limitée grâce aux vastes programmes de soutien qui sont apparus partout en Europe et notamment les processus de mise au chômage temporaire financés par l’Union. Mais c’est une fois que la porte de sortie sera à l’horizon que l’impact de la crise se fera sentir. "On va assister probablement à partir de la fin de l’été, de l’automne 2021 à une vague de faillites, de mise au chômage des personnes et les risques de la pauvreté vont augmenter", s’inquiète-t-il.

Le "green deal", un leurre ?

Olivier De Schutter plaide alors pour faire de cette récession probable une opportunité de bâtir une "résilience sociale" plus forte au sein de l’UE. Opportunité biaisée par le "pacte vert", plan étendard de l’Union défendu par Ursula Von Der Leyen pour la transition écologique. S’il présente une dimension sociale, il ne présente aucun objectif en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités. "La priorité est mise sur le verdissement et la digitalisation de l’économie", précise Olivier De Schutter.


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D’autant que selon lui, une volonté de croissance doit être corrélée à un dommage écologique plus considérable. "Il est difficile d’avoir une croissance complètement découplée de l’utilisation des ressources et de la production de déchets. Au nom de la croissance, on a libéralisé le commerce, on a flexibilisé le marché du travail, on a réduit la fiscalité sur les entreprises pour créer un climat favorable aux investissements. Et donc on crée de l’exclusion qu’on veut par la suite compenser."

Le juriste estime que les élus européens doivent se montrer plus imaginatifs pour élaborer des programmes de lutte contre la pauvreté, "aller vers des politiques qui ne créent pas de l’exclusion mais qui donnent à chacun·e sa chance de faire valoir ses qualités et compétences". Il dénonce donc l’objectif quasi unanime d’une croissance forte, qui laisse de côté toute une partie de la population.

Les états européens peu préparés aux crises

Avec la pandémie mondiale qui n’épargne pas les états européens, le pacte de stabilité et de croissance, qui assure que les pays dépositaires de l’Euro gardent leur économie dans les clous, a été mis en pause. Il impose le respect d’un maximum de 3% de déficit public et depuis la suspension, on constate une diminution du taux de chômage dans de nombreux pays d’Europe.


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En réalité, selon Olivier De Schutter, ce pacte a contribué à réduire la capacité qu’ont eue les états à encaisser la crise épidémique. Il explique qu’après la crise économique de 2008-2009, de nombreux pays européens ont sous-investi pour continuer à remplir les conditions nécessaires et ce, via une diminution de l’investissement social. "Donc on n’a pas été préparés à faire face à la crise", affirme-t-il.

"On s’est rendu compte que la recherche à tout prix de l’efficience et de la compétitivité se faisait au détriment de la résilience des économies et de la résilience sociale, c’est-à-dire la capacité de nos sociétés à encaisser des chocs économiques, pandémiques, climatiques à l’avenir." Et il estime que le défi principal de l’Europe dans la lutte contre la pauvreté est de construire cette résilience sociale, qui impose de ne plus devoir "respecter des disciplines budgétaires imposées il y a 25 ans, c’est-à-dire dans un autre siècle".

Quelles pistes ?

Mais alors, au-delà de soulever les problèmes, quelle piste propose le rapporteur spécial des Nations-Unies pour réduire le taux de pauvreté dans les frontières européennes ? D’abord, il estime qu’il faut harmoniser la manière dont le salaire minimum légal est fixé, sur base du constat qu’il existe une trop grande disparité dans les salaires minima des différents États membres.


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Il plaide aussi en faveur d’une garantie des droits alloués aux enfants, comme le droit à l’alimentation, à un logement décent, etc. Il estime que la garantie de conditions de vie décentes passera forcément par des plans d’actions de la part des pays.

Enfin, il appelle les états à instaurer un revenu minimum garanti à l’échelle de l’Union Européenne par une directive-cadre pour harmoniser le revenu d’intégration sociale.

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