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Vie de bureau

Télétravail, dialogue social : Myriam El Khomri en appelle à la vigilance

INTERVIEW- L'ex-ministre du Travail, Myriam El Khomri, estime que la crise peut impulser un "bond en avant" à l'organisation du travail. Mais elle en appelle à la vigilance sur le terrain des relations sociales et du retour au bureau des Français.

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La ministre française du Travail Myriam El Khomri, le 13 juin 2016 à Paris

L'ex-ministre du Travail dirige le pôle conseil de Siaci Saint Honoré. 

(c) Afp

Ministre du Travail de 2015 à 2017, la conseillère de Paris dirige aujourd'hui le pôle conseil du groupe SIACI Saint Honoré. L'an dernier, le gouvernement lui a confié une mission sur les métiers d'accompagnement du grand âge.

Challenges - En quoi la crise sanitaire accélère-t-elle la transformation des métiers et l'organisation du travail dans les entreprises?

Myriam El Khomri - D’abord, la crise sanitaire a mis le critère d’utilité au centre du jeu, en faisant le tri entre les secteurs d’activité et les fonctions jugées essentiels pour éviter que le confinement ne soit un effondrement. Ainsi la population active s’est-elle vue partagée entre trois tiers assez équivalents: les travailleurs en poste au front, les télétravailleurs de l’arrière, les travailleurs empêchés et mis au chômage partiel.

Le numérique a joué un rôle déterminant: télétravail, télé-administration, télémédecine, télé-enseignement sont les facettes d’une seule et même réalité. Les germes de la société numérique étaient déjà là mais la crise a un effet accélérateur et amplificateur. Il en découle un nouveau rapport au travail, au temps et à l’espace de travail, à sa finalité. Nous sommes loin de mesurer toutes les répercussions de ce qui est en train de se passer.

Les salariés comme les entreprises sont-ils outillés pour faire face à cette lame de fond?

Parce que je suis optimiste et parce qu’elles en ont déjà fait la démonstration, je réponds oui. En un temps record, toutes les organisations se sont adaptées à la nouvelle donne. Les entreprises bien sûr, mais également des institutions souvent perçues comme des monstres bureaucratiques: le système de soins comme le système éducatif ont fait preuve d’une agilité et d’une capacité d’innovation, souvent venues du terrain, absolument inouïes. Des entreprises ont également transformé leurs chaînes de production pour participer à l’effort de guerre ou préparer le monde d’après. Ceci doit nous rendre fiers et confiants même si je n’ignore rien des difficultés présentes et à venir.

Quel est le rôle des partenaires sociaux pour encadrer cela? Le dialogue social dans les entreprises est-il la clé pour faire face à la situation exceptionnelle actuelle?

Le dialogue social est la clé en situation de normalité, il l’est encore plus en situation d’anormalité. Les organisations sont bousculées et les salariés le sont eux-mêmes, dans leurs certitudes, leurs habitudes, leurs relations aux autres. La confiance sera un élément essentiel pour bien redémarrer: le dialogue social doit être de qualité pour créer les conditions de cette dernière. La première des priorités étant de garantir la sécurité et la santé de nos concitoyens, exposés aujourd’hui à un risque nouveau et extrême, au moment où ils regagneront tous leur espace de travail, ceci ne peut se faire sans les partenaires sociaux.

Le gouvernement a entrepris d'assouplir temporairement le Code du travail par ordonnances pour faire face à la crise. Est-ce une bonne chose? Est-ce nécessaire?

J’ai toujours plaidé pour le maximum d’assouplissements, tant nous en avons besoin, à condition qu’ils soient toujours adossés à des garanties. Là encore, la négociation est un excellent garde-fou pour trouver une souplesse qui soit conforme aux intérêts des entreprises et aux aspirations des salariés. Le télétravail en est le meilleur exemple: nous étions en retard et sommes en train de l’éprouver en temps réel à une échelle inédite.

La crise sanitaire a généralisé à grande échelle le télétravail. Est-ce une satisfaction personnelle, vous qui avez encadré la pratique en 2016 ?

C’est une satisfaction même si nous expérimentons aujourd’hui le télétravail dans les conditions les moins favorables qui soient: un télétravail "intégral", cinq jours sur cinq voire plus, sans toujours disposer des bons outils ou en devant les partager avec les autres membres de sa famille, tout en encadrant "l’école à la maison" à plusieurs dans une même pièce, avec des sphères professionnelles et personnelles entremêlées comme jamais, dans un contexte global plutôt anxiogène.

Mais la crise va assurément nous faire faire un grand bon en avant en ce domaine, qui là encore est une belle matière pour le dialogue social. Car, attention, le télétravail n’est pas qu’un enjeu d’équipement technique: il questionne la confiance, l’autonomie, le lien hiérarchique, la culture managériale et notre rapport au temps et à l’espace de travail. Cette question est donc au cœur de notre organisation collective pour demain.

Beaucoup de salariés se plaignent des difficultés à concilier vie privée et télétravail. Faut-il repriser les modalités du droit à la déconnexion?

Dans la situation actuelle, ce droit à la déconnexion apparaît d’autant plus comme une nécessité. Je suis bien placée pour le savoir puisque j’avais effectivement fait inscrire ce nouveau droit dans la loi.

Mais avant de faire évoluer le droit au télétravail, il faut surtout l’appliquer. La France est en retard sur le télétravail mais les études qui existent démontrent ses bienfaits, tant en termes de productivité que de bien-être pour les salariés et la société dans son ensemble: le télétravail c’est moins de fatigue, de temps de transport, de pollution… Il faut repenser les collectifs de travail et la place de l’individu à l’intérieur de ces derniers pour conjuguer sens et reconnaissance, deux éléments clés de l’engagement et de l’accomplissement dont la crise actuelle nous montre qu’ils sont centraux.

Selon beaucoup d'économistes, les mesures prises entre 2014 et 2016 par François Hollande ont permis de redresser le pays et de créer un peu plus d'un million d'emploi en cinq ans. Faut-il réhabiliter le travail effectué par l'exécutif socialiste durant cette période?

Ce n’est pas à moi de le dire mais les statistiques constituent un premier élément de réponse. L’enjeu avait consisté à redresser notre économie en préservant notre modèle social. Je n’ai jamais cru à la dialectique de l’ancien monde et du nouveau monde: nous nous inscrivons tous dans une continuité historique et avons à le faire avec sens de l’intérêt général et humilité. Et, à titre personnel, je ne regarde pas dans le rétroviseur; je mesure ce que mon expérience de ministre m’apporte dans mes fonctions actuelles de conseil auprès des entreprises.

En 2016, la loi travail avait suscité un mouvement social long et très dur qui ne s'était pas réitéré un an après avec les ordonnances sur le Code du travail. Comment expliquez-vous cela? Plus généralement, comment jugez-vous le climat social français? Doit-on s'attendre une flambée sociale post déconfinement?

Alors que le chômage demeurait élevé, la loi travail visait un compromis entre les entreprises et les salariés en favorisant le dialogue social au plus près du terrain. Au-delà de nos probables maladresses, elle arrivait en fin de quinquennat, portée par un pouvoir dont le socle de confiance était très fragile. A l’inverse, les ordonnances de 2017 avait été annoncées pendant la campagne présidentielle et ont pu être mises en œuvre par un nouveau pouvoir encore en dynamique. Deux contextes incomparables donc.

Mais la réforme ferroviaire qui a suivi, le mouvement des gilets jaunes ou la réforme des retraites ont rappelé qu’il existe des forces sociales puissantes avec lesquelles tout pouvoir doit apprendre à composer. De la même façon, il faut être très vigilant pour la suite: l’interventionnisme public a permis de protéger nos entreprises et leurs salariés pendant le confinement, à travers des dispositions inédites. Nous devons veiller collectivement à ce que le démarrage soit synonyme de poursuite du dialogue social en mettant le collaborateur au cœur des réflexions.  

Quel regard portez-vous sur les différentes lois (réformes du Code du travail, formation professionnelle, assurance chômage) portées par Muriel Pénicaud?

Je me suis fixé pour règle de ne pas commenter le travail de mes successeurs: je sais combien l’art de gouverner est difficile. Le ministère du Travail est un lieu très exigeant, tant dans le dialogue avec les partenaires sociaux que dans le traitement du chômage et de la réalité humaine qu’il recouvre, de l’enjeu d’anticiper et de maîtriser les mutations du monde du travail, percuté par la révolution numérique et la transition énergétique, deux facteurs encore accélérés par les circonstances. Nous vivons un moment très stimulant mais qui va demander de la volonté et de la créativité pour penser ensemble l’économique et l’humain, dans un équilibre juste et fécond.

Propos recueillis par Florian Fayolle

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