Mal logement : la Fondation Abbé Pierre craint une bombe à retardement
La crise sanitaire et la crise sociale qui en découle auront, dans les mois et les années à venir, des effets dont on ne connaît pas encore l'ampleur, selon la fondation. Face à plusieurs signaux d'alerte, elle estime que le gouvernement doit agir sans attendre. Celui-ci vient déjà d'annoncer un prolongement de la trêve hivernale des expulsions locatives.
Par Elsa Dicharry
En matière de mal logement, « on ne sait pas quelle sera l'onde de choc de la crise sanitaire et de la crise sociale » dans les prochains mois et les prochaines années, a indiqué Christophe Robert, son délégué général, à l'occasion de la présentation du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, publié lundi soir. Mais « la parenthèse ne va pas se refermer après la campagne de vaccination », a complété Manuel Domergue, directeur des études, qui s'attend à « un tableau général inquiétant pour l'année qui vient » et parle même d'une « bombe à retardement ».
Plusieurs signaux d'alerte sont, selon lui, à prendre en compte, qui montrent que la situation d'un certain nombre de ménages se fragilise. Y compris parmi des publics jusqu'ici protégés, comme les Français frappés par le chômage ou une réduction d'activité.
Recours accru à l'aide alimentaire
Selon un sondage Ipsos commandé par la fondation, la situation financière de 32 % des Français s'est dégradée depuis le début de la crise sanitaire. Cette détérioration affecte d'abord les jeunes (43 % des 18-24 ans) et les plus démunis (55 % des allocataires des APL, les aides personnalisées au logement ). Autre tendance inquiétante : le recours accru à l'aide alimentaire, là encore en forte hausse chez les jeunes.
Si le nombre d'impayés de loyers reste contenu, il faut craindre, selon la fondation, un effet retard. « Une vague se dessine », assure Manuel Domergue. « On sait bien qu'avant d'arrêter de payer leur loyer - au risque de perdre leur logement - les ménages puisent d'abord dans leurs économies et compriment toutes leurs autres dépenses. Ils se nourrissent moins bien, se soignent moins bien… », explique-t-il. Puis vient le moment où cela ne suffit plus.
Eviter les expulsions
« On a l'impression que le gouvernement attend qu'il y ait une explosion des impayés de loyers pour agir », regrette Christophe Robert. Or il faut anticiper. Avec pour objectif, en bout de chaîne, d'éviter une hausse des expulsions locatives à la fin de la trêve hivernale.
La fondation milite pour la création d'un fonds national pour les impayés de loyers et de charges, afin de venir en aide aux ménages en difficulté. « Il existe déjà au niveau départemental des fonds de solidarité pour le logement. Mais leurs moyens sont insuffisants », affirme Manuel Domergue.
Autre sujet d'appréhension : le ralentissement de la construction qui « va entraîner une diminution de la mobilité résidentielle et contribuer à réduire l'offre de logements disponibles », indique le rapport. La crise a aussi pour effet de limiter « les sorties du parc HLM ». Au moment même où la production de logements sociaux est en berne. « On est déjà à moins 100.000 attributions de HLM en 2020 » par rapport à 2019, s'inquiète Manuel Domegue. Il souligne encore que « la rénovation de l'habitat indigne a été ralentie ».
Relancer la construction de HLM
Dès lors, la Fondation Abbé Pierre propose pêle-mêle d'augmenter les minima sociaux, de généraliser l'encadrement des loyers , de revenir sur « les ponctions qui ont été faites ces dernières années sur les organismes de logement social », afin de soutenir la construction, et de durcir les sanctions contre les communes qui ne respectent pas la loi SRU. Christophe Robert souhaite aussi que les prélèvements financiers sur Action Logement (le premier bailleur de France et contributeur essentiel de la politique du logement), « qui réduisent sa capacité d'agir », soient stoppés.
Enfin, il juge indispensable de relancer la politique du Logement d'abord destinée à trouver aux SDF des logements pérennes, selon lui « en panne ». Le gouvernement a justement annoncé vendredi l'extension de ce programme à 23 nouveaux territoires , dont Paris et Marseille, jusque-là exclues du dispositif, ou encore Aix, Rennes, Tours, Dunkerque et Chambéry.
A la suite de la présentation du rapport de la Fondation Abbé Pierre, la ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, a aussi indiqué que la trêve hivernale des expulsions locatives serait prolongée de deux mois et prendrait fin au 1er juin au lieu du 1er avril. Histoire de se donner le temps de « prioriser et d'échelonner les expulsions tout en veillant à ne pas expulser sans solution de relogement ou au moins d'hébergement ». Elle a également reconnu qu'il fallait « mieux indemniser les bailleurs dont on n'expulse pas le locataire ».
Lire aussi :
Expulsions locatives : un rapport parlementaire dresse des pistes pour éviter des « drames »
Le gouvernement donne des gages aux quartiers défavorisés
Logement : coup d'accélérateur à la rénovation des copropriétés dégradées
Logement social : plus de la moitié des communes ne respectent pas leurs obligations
Logement social : la région Paca en queue de peloton
Les logements les plus énergivores seront interdits à la location dès 2023
Logements vacants : le gouvernement change d'approche
ANALYSE Logements vacants : pour en finir avec l'échec des politiques publiques
Elsa Dicharry