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En Côte d’Ivoire, sécuriser les données pour lutter contre les faux médicaments

Utilisée par une start-up française installée dans le pays, la technologie de la blockchain permet d’échanger des informations de manière décentralisée et infalsifiable.

Par  (Abidjan, correspondance)

Publié le 02 mars 2020 à 13h00

Temps de Lecture 4 min.

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Saisie de faux médicaments sur un marché d’Abidjan, en mai 2017.

Fatou a l’embarras du choix. Pour soigner ses maux de tête qui durent depuis quatre jours, la jeune femme arpente les allées du marché Roxy, en plein cœur d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, à la recherche de médicaments pas chers. Autour d’elle, sur les étals comme sur les trottoirs, des milliers de plaquettes de comprimés orange, verts, rouges et bleus s’empilent, parfois sous un soleil de plomb ou à même le sol humide.

Pour 200 francs CFA (0,30 euro), elle se procure deux gĂ©lules, qu’on lui remet directement dans la main, sans indication de la posologie. Mais la commerçante tient tout de mĂŞme Ă  lui montrer la « boĂ®te d’origine Â» prĂ©cise-elle, oĂą il est Ă©crit « Efferalgan Â», un gage de sĂ©rieux Ă  ses yeux.

Entre deux saisies spectaculaires par les forces de l’ordre ivoiriennes, Roxy, le plus grand marchĂ© de faux mĂ©dicaments d’Afrique de l’Ouest, attire chaque jour des milliers de patients clients persuadĂ©s que tout y est vendu Ă  bas prix. Pour Arounan Diarra, le prĂ©sident de l’Ordre national des pharmaciens de CĂ´te d’Ivoire, il s’agit lĂ  d’une « lĂ©gende qui se perpĂ©tue depuis que le marchĂ© a ouvert dans les annĂ©es 1970. Le paiement Ă  l’unitĂ© pousse les gens Ă  croire que c’est moins cher qu’en pharmacie mais, en rĂ©alitĂ© c’est le contraire Â».

Cette illusion n’est pas le plus problĂ©matique. Les mĂ©dicaments vendus Ă  Roxy, comme dans les milliers d’autres pharmacies de rue de CĂ´te d’Ivoire sont des « produits mĂ©dicaux de qualitĂ© infĂ©rieure ou falsifiĂ©s Â» (PMQIF). L’appellation, crĂ©Ă©e par l’Organisation mondiale de la santĂ© (OMS), englobe ce qui est communĂ©ment appelĂ© les « faux mĂ©dicaments Â», ces produits dont le principe actif a Ă©tĂ© altĂ©rĂ© ou qui ont Ă©tĂ© rendus inefficaces par l’ajout d’autres substances, parmi lesquelles on retrouve souvent de la farine de maĂŻs ou de la poudre de craie.

« Insuffisance rĂ©nale ou cardiaque Â»

Mais il s’agit aussi parfois de « vrais Â» mĂ©dicaments, dĂ©tournĂ©s du circuit lĂ©gal qui se retrouvent sur des marchĂ©s parallèles, dans des conditions de conservation dĂ©sastreuses entraĂ®nant le pourrissement du principe actif. « Les mĂ©dicaments de la rue constituent un problème de santĂ© majeur ici en CĂ´te d’Ivoire Â», dĂ©plore M. Diarra.

Car la prise de PMQIF peut avoir des effets nĂ©fastes pour les populations qui les consomment. « En CĂ´te d’Ivoire, tout le monde connaĂ®t un proche qui souffre d’une insuffisance, rĂ©nale ou cardiaque, provoquĂ©e par la prise de PMQIF Â», explique Arnaud Pourredon, le cofondateur de Meditect, une start-up française installĂ©e en CĂ´te d’Ivoire. FinancĂ©e par le laboratoire français UPSA, Meditect s’est lancĂ© le dĂ©fi « d’éradiquer le mĂ©dicament de la rue Â», explique le jeune entrepreneur qui a interrompu ses Ă©tudes de mĂ©decine pour se consacrer Ă  sa start-up. Mais la tâche s’annonce pour le moins ardue dans un pays oĂą, d’après le ministère de la santĂ©, entre 30 et 40 % de la population achètent des mĂ©dicaments dans la rue.

« Nous Ă©tions frustrĂ©s de voir que les gros laboratoires pharmaceutiques europĂ©ens sĂ©curisaient bien plus les mĂ©dicaments Ă  destination du marchĂ© europĂ©en que ceux prĂ©vus pour le marchĂ© africain Â», explique M. Pourredon. Pour compenser ce manque de traçabilitĂ© des laboratoires français, les deux cofondateurs de Meditect se sont tournĂ©s vers la blockchain, une technique permettant d’échanger des informations de manière dĂ©centralisĂ©e, sĂ©curisĂ©e et infalsifiable.

En l’espèce, l’information principale est le numĂ©ro unique apposĂ© sur chaque boĂ®te de mĂ©dicaments que certifie Meditect. Dans la blockchain que la start-up a conçue, les laboratoires signalent les mĂ©dicaments qu’ils ont fabriquĂ©s en prĂ©cisant le numĂ©ro unique de la boĂ®te. Et de l’autre cĂ´tĂ© de la chaĂ®ne, le pharmacien ou le patient s’assurent de leur achat grâce Ă  une application. Aujourd’hui, près de 300 pharmacies, sur les 1 050 que compte le pays, sont Ă©quipĂ©es de cette technologie, et « 700 le seront d’ici Ă  l’étĂ© 2020, soit la moitiĂ© des pharmacies ivoiriennes Â», annonce M. Pourredon.

« La honte du milieu Â»

Pour s’assurer que tous les acteurs de la chaĂ®ne sont concernĂ©s, la start-up française multiplie les outils de fidĂ©lisation. Une fois la boĂ®te de mĂ©dicaments scannĂ©e, le patient reçoit 200 mĂ©gaoctets de donnĂ©es sur son smartphone, tandis que le pharmacien, lui, est « recommandĂ© Â» dans l’application, afin de « valoriser les bonnes pratiques Â», explique Arnaud Pourredon. A ce jour, la start-up a certifiĂ© plus de deux millions de boĂ®tes de mĂ©dicaments en CĂ´te d’Ivoire, uniquement ceux du laboratoire UPSA, leur financeur.

« C’est un très bon outil de traçabilitĂ©, certes, mais la plupart des faux mĂ©dicaments viennent du continent asiatique Â», tempère un pharmacien abidjanais, qui s’apprĂŞte nĂ©anmoins Ă  utiliser l’application dĂ©veloppĂ©e par Meditect. D’après Arounan Diarra, « si les laboratoires asiatiques et europĂ©ens se partagent le marchĂ© du mĂ©dicament, la balance des faux mĂ©dicaments penche clairement en faveur des asiatiques Â». Et la traçabilitĂ© des mĂ©dicaments fabriquĂ©s par des laboratoires asiatiques n’est, Ă  ce jour, pas Ă  la portĂ©e de Meditect.

M. Diarra espère Ă©galement que la blockchain permettra de lutter contre un autre flĂ©au : la revente par des pharmaciens de vrais mĂ©dicaments Ă  des officines de rue : « La honte du milieu Â», prĂ©cise M. Diarra. Les sommes d’argent en jeu sont considĂ©rables : le marchĂ© du faux mĂ©dicament serait vingt fois plus rentable que celui de la drogue selon l’OMS. Cette profitabilitĂ© explique Ă©galement qu’après chaque intervention des forces de l’ordre, le marchĂ© Roxy ressort de terre au bout de quelques jours. Depuis la dernière saisie qui date du 28 janvier, certaines commerçantes ont rĂ©investi les lieux et vendent Ă  nouveau des comprimĂ©s. Cette fois, ils seraient « efficaces contre le virus qui vient de Chine Â».

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