Menu
Libération
Datamatin

L'évolution de l'artificialisation des terres passée au crible

Data du jourdossier
La consommation annuelle d'espaces naturels, agricoles ou forestiers est aux deux tiers liée à l'habitat.
par Aurélie Delmas
publié le 29 janvier 2020 à 6h43

Afin de préserver les habitats naturels et les terres agricoles, le gouvernement français s'est engagé en 2018 à atteindre «zéro artificialisation nette». Première étape : une solide collecte des données. Un observatoire national de l'artificialisation est alors créé, qui a rendu public en décembre un «état des lieux de la consommation d'espaces», explique le site internet dédié. En décryptant le changement d'usage fiscal des parcelles d'une année sur l'autre – et avec des corrections à la marge pour tenir compte des cas particuliers – on a ainsi pu obtenir une évaluation de l'évolution de l'artificialisation.

Les espaces naturels, forestiers et agricoles grignotés chaque année

Que met ledit rapport sous l'étiquette «artificialisation» ? «La définition est complexe mais ce qui fait plus ou moins consensus c'est de dire : "Est artificialisé ce qui n'est ni naturel, ni agricole, ni forestier." Par exemple un parking, mais aussi un golf ou une maison avec un jardin. En tant que tel, ce n'est pas forcément un problème mais cela peut avoir de nombreux impacts comme l'imperméabilisation des sols ou la diminution de surfaces qui pourraient être utilisés en agriculture», résume Martin Bocquet, chargé d'étude au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et rédacteur du rapport pour le compte des ministères de l'Agriculture et de la Transition écologique.

A lire aussiArtificialisation et biodiversité : l'échec des mesures de compensation

Ainsi, sur les 96,06% de la surface nationale cadastrée, on observe que 93,24% de l'espace est naturel, agricole ou forestier et 6,76% sont actuellement artificialisés. Quant au «non-cadastré», il s'agit souvent du domaine public et majoritairement de zones artificialisées de type routes ou canaux.

En France comme ailleurs, ces espaces naturels, forestiers et agricoles sont grignotés chaque année. Par effet d'addition, la quantité de terres artificialisées ne cesse d'augmenter à un rythme plus ou moins soutenu d'une année sur l'autre.

Selon le rapport, qui décrypte les mutations de parcelles entre le 1er janvier 2009 et le 1er janvier 2017, l'artificialisation était en forte hausse entre 2000 et 2009. Elle a légèrement augmenté entre 2009 et 2011 (atteignant 32 000 hectares cette année-là). Puis elle a été moins importante jusqu'en 2015 (22 000 hectares) pour connaître un regain lors de la dernière année analysée (23 300 hectares). «A ce stade, est-il écrit dans le rapport, il n'est pas possible de déterminer s'il s'agit d'une inversion de tendance. Les chiffres des années suivantes permettront de préciser la trajectoire (augmentation, stagnation ou baisse)».

Si l'on prend en compte toute la période 2009-2017, le rythme moyen d'artificialisation est ainsi de 28 190 hectares par an, pour un total sur la période de 225 517 hectares artificialisés, soit à peu près l'équivalent d'un petit département comme les Yvelines (228 400 hectares).

Des conséquences diverses

En France, c'est en priorité aux alentours des grandes villes et des littoraux atlantique et méditerranéen qu'on consomme de l'espace. Il s'agit, pour une grande partie, de l'habitat (68% en 2016-2017), qui se développe surtout en zone périurbaine. Il faut distinguer plusieurs cas de figure car la construction d'un logement peut produire beaucoup d'artificialisation si elle est réalisée «en extension» sur un grand terrain, ou aucune s'il s'agit de «renouvellement urbain» sur un terrain qui était déjà artificialisé. L'observatoire recense par exemple 7 544 communes (21,4 % de leur nombre total), dont le nombre de ménages diminue… alors que la consommation d'espace destiné à l'habitat augmente. Autre exemple, dans 10 111 communes, chaque hectare artificialisé n'accueille qu'entre zéro et trois personnes. Pour le reste, cette artificialisation est liée à l'«activité» (25%), autrement dit la construction de zones commerciales, d'entreprises, de parkings, d'aéroports, etc.

Les conséquences sont très diverses : «augmentation des trajets en voiture, atteinte à la biodiversité, gestion des eaux, banalisation des paysages, diminution des terres agricoles et de notre autonomie alimentaire…» liste l'étude.

«Pour l'heure, il est assez rare et compliqué de renaturer un espace artificialisé mais on peut se fixer pour objectif de "faire avec l'existant"», explique Martin Bocquet. Autrement dit rester sur le «stock» de terres artificialisées existant sans l'augmenter. Plusieurs pistes sont à creuser pour avancer vers cet objectif de «zéro artificialisation nette» : d'une part utiliser en priorité des espaces déjà artificialisés, des friches, des terrains nus et d'autre part utiliser l'espace au maximum, augmenter la densité en mettant par exemple 50 habitations au lieu de 10 dans un nouveau quartier de logements. Parmi les autres solutions mises en avant dans le rapport : la communication, la sensibilisation, ou encore la fiscalité locale. Dans un rapport publié l'été dernier, France Stratégie, une autre institution publique, estimait pour sa part qu'«atteindre le "zéro artificialisation nette" dès 2030 nécessiterait de réduire de 70% l'artificialisation brute et de renaturer 5 500 hectares de terres artificialisées par an».

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique