Comment le COVID-19 a ravagé le peuple Navajo

Dr Mary Hasbah Roessel

Auteurs et déclarations

19 juin 2020

 

Les Navajos sont un peuple amérindien vivant dans des réserves du nord-est de l’Arizona et des régions contiguës du Nouveau-Mexique et de l’Utah, aux Etats-Unis. Le Dr Mary Hasbah Roessel, psychiatre à Santa Fe (Nouveau-Mexique), a grandi dans la communauté Navajo avec son grand-père qui était homme-médecine. Membre distingué de l’American Psychiatric Association, spécialiste en éthno-psychiatrie et travaillant avec les populations indigènes, elle expose ici les caractéristiques culturelles, socio-économiques et territoriales qui expliquent pourquoi le peuple Navajo a payé un si lourd tribut à l’infection. SL

Santa Fe, Etats-Unis – La Nation Navajo connait le taux d‘infection par habitant le plus élevé des Etats-Unis, derrière New York. Elle compte également le plus de cas de Covid-19 que n’importe quelle autre tribu du pays, avec 5 348 personnes infectées au 31 mai dernier et 246 décès confirmés [1].

 
La Nation Navajo a rapporté le taux d‘infection par habitant le plus élevé des Etats-Unis, derrière New York. Elle compte également le plus de cas de Covid-19 que n’importe quelle autre tribu du pays.
 

Depuis son origine, le peuple Navajo a dû lutter contre l’adversité. Dans notre culture, le « Holy People (peuple sacré) » ou les dieux mettent à l’épreuve notre force et notre résilience au travers des Naayee, des Monstres (ou calamités), comme la famine, la maladie ou encore la mort.

La pandémie de Covid-19, ou « Big Cough » (la " grosse toux" ou Dikos Nitsaa’igii -19 en langage Navajo) est le monstre auquel les Navajos doivent se confronter aujourd’hui. Son impact sur notre nation et notre peuple a été très fort.

Ces chiffres dévastateurs, qui devraient se stabiliser, sont associés au fait que le peuple Navajo a une incidence de diabète, de maladies cardiaques et de cancers plus élevée que la moyenne. Ce à quoi il faut ajouter que 30 à 40 % des habitations sont sans électricité et eau courante, avec un taux de pauvreté de l’ordre de 38% [2].

Une vie sur de grands espaces mais en petites communautés

Des facteurs géographiques et culturels contribuent à la difficulté de diminuer le nombre de cas. La nation Navajo est la plus grande tribu des Etats-Unis, couvrant 70 000 km2 d’étendues de terres rouges et arides, parsemées de montagnes et de canyons. La population est de 250 000 âmes [3], et les Navajos ont toujours vécu dans des sociétés matrilinéaires organisées en clan dans des réserves qui font la taille de la Virginie occidentale.  

L’habitat familial traditionnel, appelé « hogan », se compose de huttes regroupées sur un territoire où diverses générations vivent ensemble. Ces logements, très proches les uns des autres, ont contribué à la propagation du Covid dans la population, notamment chez les plus âgés.

La plupart des Navajos vivent loin des magasins d’alimentation et de tout type de services et ont l’habitude d’aller et venir pour la nourriture, l’eau, ce qui a probablement favorisé la transmission du virus au sein des membres de la communauté.

Toutefois, ces pérégrinations ont été réduites grâce à des messages éducatifs à l’attention des Navajos et la propagation du virus a été enrayée en partie par la mise en place de couvre-feux, la diffusion d’injonctions à rester à la maison, à garder les distances sociales et à protéger les plus âgés.

Les leaders Navajo et les “hommes-médecine” ont eux aussi contribué à gérer la situation en rappelant à leur peuple leurs valeurs de toujours : prendre soin de leur famille et des membres de la communauté, et garantir un environnement sain.

Des difficultés d’approvisionnement

Le peuple Navajo a dû affronter des problèmes d’approvisionnement, notament en nourriture, car il n’y a que 13 magasins sur cette réserve très étendue [4]. Cela a conduit les membres de la tribu à se déplacer jusqu’aux villes frontières comme Farmington et Gallup, au Nouveau Mexique. Les familles ont l’habitude de s’y rendre le week-end. Néanmoins, en raison de cas groupés à Gallup, la ville a choisi de se protéger en fermant ses portes aux étrangers – y compris au peuple Navajo qui venait y acheter de la nourriture,  faire sa lessive, et refaire ses stocks en eau et en alimentation. Une décision qui a eu pour conséquence de créer un stress supplémentaire chez les Navajos.

Le problématique accès aux soins

Difficultés d’accès aux soins, diabètes mal contrôlés, obésité, et maladies coronaires, sous-financement de la santé et taux élevés de contamination par le virus, tout est lié.

De base, l’accès aux soins est problématique sur le territoire Najavo en raison du manque de moyens de transport et des distances. Mais, avec l’épidémie, il est devenu encore plus compliqué. Il a été difficile de coordonner les différents lieux de soins gérés par le service de santé amérindien, l’Indian Health Service (IHS). Ce système dédié aux Navajos depuis 1955, fournit des soins au travers d’hôpitaux et de cliniques répartis sur la réserve, dont certains sont gérés par les Navajos eux-mêmes. Pour aider à la gestion de l’épidémie, le CARES Act a attribué 600 millions de dollars, que le Conseil de la Nation Navajo a réparti équitablement entre les différentes structures de soin [6].

Mais la gestion de la pandémie a été compromise par un sous-financement chronique de la part du gouvernement américain. Si celui-ci a l’obligation de fournir des soins à tous les amérindiens reconnus au niveau fédéral, en réalité l’IHS ne dispose que d’un tiers de la somme attribuée par le Medicare pour les soins d’une personne de la population générale [7].

S’y ajoute le fait que des zones entières de la réserve sont soumises à des niveaux élevés de pollution issue des puits de pétrole et de gaz des centrales alimentées au charbon. Les zones exposées à ces forts niveaux de pollution ont eu un taux plus élevé de cas de Covid-19, que celles où la pollution était moindre [8].

Médecine moderne et traditionnelle

Les Navajos doivent s’appuyer sur la force et la résilience, portées par leur culture traditionnelle et leur philosophie, pour affronter ce monstre qu’est le Dikos Nitsaa’igii’ 19.

Après avoir compté sur la médecine occidentale et ses ressources limitées, nous devons maintenant reprendre le dessus et puiser nos forces dans notre savoir traditionnel. Nous l’avons utilisé des centaines de fois dans l’histoire pour faire face à l’adversité. Les aînés Navajo et les guérisseurs traditionnels (medicine people) nous rappellent que nous avons déjà lutté contre des « monstres », que nous savons endurer les souffrances et être résilients. Si ces éléments de la culture traditionnelle contribuent à améliorer la santé mentale, il reste cependant des problèmes à gérer.

Ainsi, ceux qui ont été victimes du virus ont souffert d’un essoufflement, angoissant et paniquant. Le risque de mourir a encore ajouté au stress, et dans une culture très axée sur la famille, la nécessité de s’isoler du clan familial a encore aggravé les choses.

Pour les plus âgés et les jeunes sévèrement atteints, devoir aller à l’hôpital seul sans sa famille, souvent loin de sa maison, a aussi été compliqué.

Le téléphone et les réseaux sociaux ont été essentiels pour diminuer l’anxiété et l’isolement de ceux qui étaient frappés par le virus. Aujourd’hui, les personnes qui ont été infectées peuvent pratiquer des exercices de respiration. Cela peut les aider à récupérer des lésions dues au virus et joue aussi sur l’émotionnel. L’une des techniques les plus efficaces est la cohérence cardiaque.

Des praticiens en thérapies comportementales dans les établissements de santé mentale tribaux et de l’IHS,  peuvent référer les patients à des supports thérapeutiques pour les aider à gérer leur angoisse. Ils sont accessibles par télémédecine. Beaucoup de ces programmes proposent des sessions d’information via les réseaux sociaux à la communauté Navajo. Celle-ci utilise aussi des moyens de guérison traditionnels comme les cérémonies et les prières de protection. Certains programmes tribaux et de l’IHS donnent accès à des conseillers traditionnels à qui parler.

Les processus de guérison Navajo se focalisent sur la restauration de l’équilibre entre le corps, l’âme et l’esprit.

 

 

Cet article a été publié sur medscape.com sous l’intitulé « COVID-19 Ravaging the Navajo Nation». Traduit et adapté par Stéphanie Lavaud pour Medscape.

 

 

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