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Coronavirus au Cameroun : folle course aux masques et impossible confinement

Le gouvernement a mis en place treize mesures pour lutter contre le Covid-19. Mais les consignes sanitaires sont loin d’être respectées.

Par  (Douala, correspondance)

Publié le 21 mars 2020 à 10h00, modifié le 22 mars 2020 à 11h53

Temps de Lecture 6 min.

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Dans une rue de Douala,  le 7 mars 2020.

Jeudi 19 mars, drôle d’ambiance à Douala, la capitale économique du Cameroun. Alors que la ville bruisse d’une course effrénée vers des pharmacies qui auraient été livrées en masques et en gel, le ministre de la santé publique, le docteur Manaouda Malachie, publie un appel solennel aux 198 passagers du « vol à risque » d’Air France qui a atterri mardi 17 mars en provenance de Paris. Trois passagers y ayant été testés positifs au Covid-19, une quarantaine s’impose aux autres et à leurs familles.

Une étape de plus dans le feuilleton de cette mise en quarantaine ratée. Tout a commencé avec une longue attente des heures après l’atterrissage, avant placement en hôtels au petit matin, pour ceux qui n’avaient pas déjà soudoyé un gardien pour filer. « On a eu le temps de contaminer 2 000 personnes depuis notre arrivée », explique via WhatsApp un homme en quarantaine. Ce dernier, qui vit entre le Cameroun et la France, raconte, images à l’appui, les entrées et sorties incontrôlées des passagers malgré les policiers en faction, les visites des familles et même de serveurs et serveuses de l’hôtel non protégés, tout au long de la journée de mercredi. Une bien curieuse quarantaine…

En soirée, face à la multiplication de ces négligences, les agents de sécurité avaient fermé les portes d’un des hôtels malgré les protestations. Portes retrouvées fracassées le lendemain matin. Peut-être par un mécontent voulant sortir déjeuner puisque l’hôtel qui dit n’avoir pas été payé par le gouvernement a refusé de servir des repas. Côté ministère, on explique que « ces passagers exigeaient des hôtels haut standing », avant d’ajouter que « nous sommes dans une crise. Une situation d’urgence. Nous avons mobilisé des dizaines d’hôtels à Douala et Yaoundé. Ces gens doivent rester en quarantaine pour ne pas contaminer les autres ».

Le pays est en ébullition

Ce que ne trouverait d’ailleurs pas du tout illégitime l’une des passagères, si la règle était la même pour tous. « Pourquoi devons-nous respecter la quarantaine quand le président de l’Assemblée nationale rentré de France n’a rien respecté ? Cela veut dire que seules les petites gens comme nous y sont forcés, alors que le coronavirus ne regarde ni le compte en banque, ni le statut social, ni la couleur de peau. Cette maladie tue tout le monde. Et tout le monde peut la transmettre », expliquait ce vendredi la passagère au Monde Afrique.

Depuis mardi, le Cameroun - qui a franchi ce vendredi le cap des 20 cas confirmés - est en ébullition. Le premier ministre, Joseph Dion Ngute, a annoncé ce jour-là treize mesures allant de la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes, à celle des établissements scolaires et universitaires, en passant par l’interdiction de rassemblement de plus de cinquante personnes.

Un plan diversement apprécié dans la population. « Au début, on disait que la maladie ne touchait ni ne tuait les Noirs. Je me rends compte que ce n’est pas vrai. On dit même que Manu Dibango est contaminé. Je dois me protéger », avoue Stéphanie Mengue en quête de masques depuis le matin. Si sa famille et elle se lavent constamment les mains avec du savon et « comptent bien respecter » les mesures prises par les autorités « pour ne pas mourir », beaucoup peinent encore à se mettre au pas.

Dès le milieu de la matinée de mardi, la jeune couturière de 33 ans a déjà visité la pharmacie « carrefour Z » du quartier Ndogbong à Douala, et celle de Ndogbong à quelques mètres. Mais là encore, « stocks de masques épuisés. Repassez vers 15 heures ». Stéphanie hèle finalement un taxi-moto et file « en ville ». A une pharmacie de Douala, l’une des plus importantes, les masques sont là aussi en rupture. Seuls les gels hydroalcooliques sont disponibles, ceux de la marque Marco à 6 000 francs CFA (9,30 euros). Une petite fortune…

« Il faudrait vider Douala »

Cette rupture fait le bonheur des petits vendeurs ambulants comme Cédric qui propose des masques douteux à 500 francs CFA, soit cinq fois le prix habituel. « Pas de notre faute si les prix ont gonflé, se défend le jeune commerçant. Depuis le discours du premier ministre, la demande est trop forte et même nos fournisseurs sont en manque ». Sur la chaussée, de nombreux taxis-motos et taxis continuent, eux, les surcharges désormais interdites. Henry, taximan de 51 ans, assure que la décision ministérielle de limiter les passagers « manque de logique ». « Ils disent que nous devons en transporter trois assis à l’arrière et un à l’avant au lieu de deux. Mais les deux assis à l’arrière se touchent et sont à quelques centimètres de moi. S’ils éternuent, ils contamineront tout le monde », assure-t-il. « Pour faire respecter cette mesure et éviter les contaminations, il faudrait vider la ville. Sans clients, là on rentrerait dormir », ajoute Marius-Brice Nguessong, un autre taxi, un brin philosophe.

Sur les marchés de la vile, c’est la même affluence que d’ordinaire. Pire même. Hommes, femmes et enfants s’y pressent, se touchent et s’embrassent, au gré des allées. Au marché Madagascar, Alice, vendeuse de tubercules, n’hésite pas à attraper le bras d’une acheteuse insatisfaite du prix de macabo qui s’apprête à aller voir ailleurs. Face à la ruée des ménagères qui craignent des pénuries, de nombreux commerçants augmentent les prix. Au lieu de 5 000 francs CFA, le seau de macabo en vaut désormais 8 000. Plus chez Alice. Dans la boutique d’en face, les sacs de riz flambent aussi.

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« Il n’y aura pas de rupture de stock. Notre stock de riz, poisson, blé court jusqu’au début juin 2020 et même au-delà », a beau rassurer Serge Eric Epoune, le responsable communication du ministère du commerce, il n’est pas entendu. « Les citoyens doivent appeler le 15 02, notre numéro vert, pour dénoncer l’inflation », ajoute-t-il en précisant que des boutiques ont été fermées pour avoir augmenté leurs prix. Il promet que les agents des mairies et personnels du ministère vont se charger de réguler les flux de manière à avoir « moins de cinquante personnes » par compartiment du marché ou rayon de supermarchés.

« Les gens blaguent avec ce virus »

En attendant, dans une boulangerie bondée d’Akwa, quartier commercial de Douala, Félix Alain Nana, instituteur, ne cache pas son inquiétude « face à ces foules qui se touchent ». Masque sous le nez, il a les yeux rivés sur les smartphones, où défilent dans un flux incessant les informations des réseaux sociaux camerounais : supermarchés pris d’assaut, nouveaux cas confirmés, passagers des derniers vols… « Les gens blaguent avec ce virus. Pourtant, même la France et l’Italie qui ont les systèmes de santé les plus performants comptent chaque jour des centaines de morts. Tous ceux qui viennent de ces endroits doivent s’isoler », martèle-t-il à travers son masque.

A 18 heures, en longeant la rue du carrefour Nelson Mandela dans le 3arrondissement de Douala, des prostituées, dénudées, interpellent encore les hommes qui passent. Plusieurs snack-bars sont fermés. Le bar Alt Equinoxe respecte à la lettre la fermeture dès 18 heures imposée aux débits de boisson et restaurants. Même si derrière ses portes closes, Wantoh, le propriétaire, se désespère de « l’énorme manque à gagner. Je veux me protéger, ne pas attraper cette maladie. Mais je réfléchis. Comment faire pour payer l’électricité, le loyer, les impôts, nourrir ma famille ? J’ai cinq enfants ».

De nombreux débits de boisson du quartier sont pourtant restés ouverts. Certains ambitionnent d’aménager des espaces dans leurs salons pour recevoir leurs clients. « Le coronavirus tue, mais la pauvreté et la famine aussi. On n’a pas d’économie. Si les policiers viennent, on fermera la porte de l’extérieur », sourit un propriétaire.

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