3 generations of hands with euro coins and notes on table

32% Français estime que leur situation financière s'est dégradée depuis le début de la crise sanitaire, révèle un sondage pour la fondation Abbé Pierre paru ce 1er février.

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Des mois de discussions et de concertations, des centaines d'heures de simulations, mais un chantier qui semble aujourd'hui à l'abandon. C'est le constat bien amer que dressent de nombreuses associations et acteurs de terrain à propos du revenu universel d'activité (RUA). Lancé en 2018 par Emmanuel Macron, le dispositif devait incarner sa stratégie de lutte contre la pauvreté. Rien à voir avec le revenu universel, versé à tous, sans condition, mis sur le devant de la scène par Benoît Hamon lors de la dernière présidentielle. Il s'agit cette fois de créer "par une loi en 2020, sur la base d'un travail collectif, un revenu universel d'activité, qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations, et dont l'Etat sera entièrement responsable", affirme alors le président. Mais pas sans contreparties. Chacun devra s'efforcer de retrouver une activité, un service public de l'insertion sera mis sur pied pour cela.

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Le projet est ambitieux. Il prévoit de fusionner le revenu de solidarité active (RSA), les aides au logement, mais aussi la prime d'activité, voire d'autres prestations comme l'allocation de solidarité spécifique (ASS)... Le périmètre exact n'est pas défini, mais la réforme porterait sur 37 milliards d'euros d'aides sociales et toucherait potentiellement 15 millions de personnes. Le gouvernement affirme vouloir combattre l'épineuse question du non-recours aux droits sociaux, la porte est aussi ouverte pour que les moins de 25 ans puissent bénéficier d'un revenu minimum. Un dossier titanesque.

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Mais voilà. Le Covid est passé par là. Depuis un an, les travaux sont suspendus. "Le grand projet du quinquennat sur la lutte contre l'exclusion est à l'arrêt, déplore Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre. Le 24 octobre, Jean Castex avait annoncé que le chantier allait reprendre, mais nous sommes sans nouvelles depuis... C'est un aveu de désintérêt." Un drôle de signal, à l'heure où la montée de la pauvreté inquiète. Un tiers des Français (32 %) estime que leur situation financière s'est dégradée depuis le début de la crise sanitaire, révèle un sondage Ipsos pour la fondation Abbé Pierre paru ce 1er février. Et ce sont les personnes les plus fragiles qui sont les plus touchées: le chiffre grimpe à 43 % pour les 18-24 ans et à 55 % pour ceux qui touchent les APL. La crise pèse lourd sur les plus précaires. Selon la Drees, le service statistique des ministères sociaux, le nombre d'allocataires du RSA a flambé pour atteindre près de 2,1 millions de personnes en novembre 2020, soit une augmentation de 8,3 % par rapport à novembre 2019.

On risque de dépasser les 10 millions de pauvres cette année

Travailleurs précaires, étudiants, professionnels de la culture... Tout un public nouveau, n'arrivant plus à joindre les deux bouts, se tourne aujourd'hui vers les associations caritatives. Le ministère des Solidarités estimait que 8 millions de personnes avaient recours à l'aide alimentaire en septembre, contre 5,5 millions avant le début de la crise sanitaire. "La situation est alarmante. On risque de dépasser les 10 millions de pauvres cette année, alerte Jean Merckaert, directeur action et plaidoyer au Secours catholique. On doit pouvoir garantir à chacun un revenu minimum. C'est le bon moment pour bâtir un nouveau pilier de la protection sociale."

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Pas de l'avis de l'exécutif. Aides exceptionnelles, appel à projets de 100 millions d'euros pour les associations... Le gouvernement a, depuis, multiplié les actions en faveur des plus démunis, mais pas question de remettre sur la table le revenu universel d'activité. "La crise rebat les cartes, les indicateurs sont trop instables pour lancer une réforme structurelle, l'urgence est de faire face au quotidien", insiste un conseiller selon lequel les concertations reprendront au deuxième semestre. "Il n'y aura pas de loi RUA avant la présidentielle de 2022, ce sera le sujet d'un éventuel prochain quinquennat", reconnaissait, fin décembre, la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, Marine Jeantet, dans le quotidien L'Opinion.

Un projet trop onéreux, comme le pensent beaucoup ? La crise va mécaniquement faire augmenter la dépense sociale. Mais, selon nos informations, le surplus de dépenses devrait, somme toute, être "raisonnable", "qui plus est à l'heure du quoi qu'il en coûte", souffle un connaisseur du dossier. "C'est une réforme de 'technos', coûteuse, et ce n'est pas une réponse à ce que nous traversons", balaie Bertrand Martinot, économiste à l'Institut Montaigne pour qui mieux vaut, comme le fait le gouvernement, "colmater les poches de pauvreté qui apparaissent dans un premier temps".

Un avis que ne partage pas son homologue de l'EHESS, Alain Trannoy. "C'est une politique de rustines, tacle l'économiste. Si l'exécutif ne met pas en place son système de lutte contre la pauvreté maintenant, c'est qu'il n'y croit pas !" Un goût d'inachevé que regrette en tout cas l'un des architectes du projet, Olivier Noblecourt, l'ex-"M. Pauvreté" du gouvernement. "Où est l'ambition réformatrice du gouvernement ?, s'interroge-t-il. C'est incompréhensible de ne pas accélérer sur ce sujet au moment où, justement, la réalité sociale nous rattrape." Comme la réforme de la prise en charge de la dépendance, une autre promesse du quinquennat, le revenu universel d'activité, pourrait tomber aux oubliettes, dans une certaine indifférence.

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