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Emploi

Chômage partiel : "Nous n’aurons pas de complaisance avec les fraudeurs", avertit Muriel Pénicaud

INTERVIEW – Après un déploiement massif du chômage partiel pendant la crise, l’heure est désormais au déploiement des premiers contrôles d’entreprises par l’administration. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, dresse pour Challenges un premier bilan.

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Muriel Pénicaud le 24 juin 2020.

Sur le chômage partiel, "l’objectif est de réaliser 50.000 contrôles d’ici la fin de l’été. A ce jour, 2.000 dossiers sont clôturés", précise Muriel Pénicaud.

Ludovic Marin / AFP

Challenges - Près de quatre mois après le début de la crise, les contrôles de l’administration sur le recours à l’activité partielle commencent. Quelle est votre philosophie?

Muriel Pénicaud - Dès le début de la crise, nous avons identifié un risque massif pour l’emploi. Il était très important d’aller vite et fort en mettant en place un système massif et protecteur pour les salariés comme pour les entreprises. C’est la raison pour laquelle j'ai décidé sur les demandes de chômage partiel de faire confiance a priori et qu’il y aurait des contrôles a posteriori. C’est comme ça qu’on a eu dès la deuxième quinzaine de mars six millions de salariés déjà couverts par le dispositif, et au total plus de 12 millions de salariés et 1,2 million d’entreprises indemnisées à un moment donné pendant la crise. Après, c’est une question de confiance entre les citoyens. Un consensus s’est créé dans le pays autour du chômage partiel. Cette confiance dans le pacte républicain ne doit pas être abîmée par une minorité de fraudeurs. C’est pourquoi, après avoir protégé les salariés et entreprises, nous n’aurons pas de complaisance avec les fraudeurs.

Combien de contrôles ont déjà été réalisés?

L’objectif est de réaliser 50.000 contrôles d’ici la fin de l’été. Depuis le 22 mai, 12.000 sont en cours, dont 400 déclenchés à la suite de signalements d’organisations syndicales ou encore de salariés. Nous menons aussi des contrôles aléatoires. A ce jour, 3.000 dossiers sont clôturés.

Sur ces 3.000 dossiers clôturés, combien d’abus ont été constatés?

1.600 dossiers sont tout à fait corrects. Environ 600 ont conduit à des régularisations en faveur ou en défaveur de l’entreprise. Car nous ne menons pas seulement des contrôles pour sanctionner les fraudeurs, mais aussi parce que plusieurs entreprises, et en particulier les TPE-PME, ont pu se tromper dans leurs déclarations. Certaines n’ont pas été assez indemnisées ou se sont trompées en étant de bonne foi. C’est la philosophie du droit à l’erreur que notre gouvernement porte depuis le début du quinquennat.

Enfin, nous avons recensé environ 850 suspicions de fraudes qui ont débouché sur des investigations plus poussées. Nous avons même enclenché quatre procédures pénales pour escroquerie. Par exemple, dans les Hauts-de-France, un chef d’entreprise a créé cinq sociétés pour 67 salariés, mais aucun d’entre eux n’est déclaré ou n'a payé des cotisations sociales. Il n'est même pas sûr qu’il y en ait un qui ait travaillé.

Quels sont les abus les plus fréquemment constatés jusqu’à présent?

Les dossiers principaux sur lesquels des investigations sont menées se retrouvent dans des entreprises de secteurs plus "fraudogènes", où les salariés ont par exemple pour partie télétravaillé et pour partie été placés en chômage partiel. Or, il y a des règles très précises là-dessus. Quand on télétravaille, on travaille, et ce n’est pas l’Etat qui paye votre salaire. Sinon, c’est du travail illégal.

Sur ce télétravail caché, de quels outils dispose l’administration pour déceler les fraudes?

La fraude est un peu plus difficile à repérer mais il y a toujours des traces en général, soit via des mails, des appels téléphoniques, des livrables envoyés à l’entreprise... Des recoupements peuvent se faire.

Combien d’enquêteurs sont chargés de ces contrôles sur le terrain?

Ce sont essentiellement des agents des Direccte qui n’étaient pas affectés au suivi de l’activité partielle du fait de la toute petite échelle du dispositif avant la crise. Nous avons ajouté 300 agents en équivalent temps plein supplémentaires, soit pour aider les TPE qui ont pu se tromper, soit pour traquer les fraudeurs cette année, et même au-delà. S’ils constatent ou soupçonnent des fraudes, ces agents sont par ailleurs épaulés par les inspecteurs du travail.

Que risquent concrètement les entreprises?

Si leur bonne foi est établie, elles remboursent seulement les sommes trop perçues. En revanche, si c’est de la fraude, les sanctions sont fortes. Elles doivent non seulement rembourser les sommes indûment perçues mais peuvent aussi être exclues des dispositifs d’aides publiques pendant cinq ans. Le responsable s’expose même à une sanction pénale pouvant atteindre jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende.

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L’administration se montrera-t-elle plus indulgente dans les secteurs les plus touchés par la crise du coronavirus?

Beaucoup d’entreprises de ces secteurs, comme les bars et restaurants, étaient fermées par décision administrative et ont donc bien sûr placé tous leurs salariés en chômage partiel à 100%. Après, encore faut-il qu’elles déclarent les bons taux horaires et les bons salaires, qui seront contrôlés au même titre que les autres. Les fraudeurs sont partout.

Le président de la République a précisé la semaine dernière les contours du nouveau dispositif de l’activité partielle de longue durée pour les secteurs les plus structurellement touchés par la crise. Celui-ci n’empêchera finalement pas les licenciements. Pourquoi ne pas conditionner cette aide à des engagements sur l’emploi?

Il y aura des engagements sur l’emploi mais c’est dans l’entreprise qu’on décidera quels seront ces engagements. On peut très bien décider de recourir à ce dispositif et, compte tenu de la situation économique, décider d’ouvrir un plan de départs volontaires en parallèle. Ce n’est pas incompatible. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait un dialogue social et économique sur la réalité du terrain. Pour en bénéficier, je rappelle que les entreprises doivent signer un accord majoritaire mentionnant des engagements sur l’emploi, qui sera ensuite validé par les Direccte, ou bien un accord de branche. Les syndicats ne vont pas signer un accord défavorable aux salariés et à l’entreprise.

Quid des TPE, qui pourront certes recourir au référendum, mais dans lesquelles les salariés auront des marges de négociation plus limitées?

Bien sûr qu’il y aura de la négociation! Dans les petites sociétés de dix salariés où tout le monde se connaît, les gens vont être d’accord ou pas d’accord avec le plan présenté par le patron. Vous savez, soit on définit tout dans la loi, les décrets, avec des tonnes de règlements qui ne collent pas à la diversité des entreprises, soit on fait confiance au dialogue social sur le terrain. C’est dans l’intérêt des entreprises et des salariés de négocier pour trouver des solutions. C’est tout l’esprit des ordonnances travail que j’ai portées en 2017.

Les règles du chômage partiel de base seront durcies à compter du 1er octobre. A quoi correspond cette échéance?

Nous ne voulions pas fragiliser la reprise en changeant les règles trop vite, alors que nous venons juste de déconfiner nos entreprises. Regardez les chiffres du chômage de mai publiés la semaine dernière. Ils sont meilleurs qu’en avril, mais le mois d’avant ça n’allait pas du tout. Comment évolueront-ils en juin, juillet, août? Honnêtement, je ne sais pas. Le 1er octobre nous laisse le temps de voir comment la reprise s’organise.

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En attendant, nous faisons toujours le pari de la confiance a priori pour les demandes de renouvellement d’activité partielle. En revanche, nous ouvrons dès le 1er juillet le dispositif d’activité partielle de longue durée pour éviter une partie des PSE. Il représente une meilleure alternative et sauve beaucoup plus d’emplois. Il faut donner de la visibilité aux acteurs.

Sur le front de la lutte contre le chômage justement, êtes-vous prête à revenir sur le durcissement des règles du dernier volet de la réforme de l’assurance chômage qui doit entrer en vigueur en septembre et pénaliserait nombre de demandeurs d'emploi?

C’est l’un des sujets dont je discute avec les partenaires sociaux ces dernières semaines. Notre conviction initiale, à travers cette réforme, c’était de viser moins de précarité et plus de retour à l’emploi, dans un contexte où l'on avait alors un taux chômage de 8,1%, à fin 2019, du jamais vu depuis onze ans. La situation a depuis basculé mais cet objectif reste toujours valable. En revanche, nous sommes en train de voir comment ajuster certains paramètres, notamment sur les conditions d’éligibilité, pour les adapter à la situation actuelle. Je suis tout à fait ouverte là-dessus et les arbitrages seront rendus d’ici quelques semaines.

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